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Introduction[1]

La question de la légitimité des assemblées citoyennes se pose dans le système constitutionnel français avec une particulière acuité. Au cours de l’année 2023, 185 citoyens tirés au sort se sont réunis au Conseil économique, social et environnemental (CESE) afin de construire un dialogue sur la question de l’adaptation du cadre d’accompagnement de la fin de vie aux différentes situations rencontrées par les Français. Le mécanisme de la convention citoyenne n’était pas inconnu du gouvernement français, puisqu’il avait déjà mobilisé des citoyens en 2019, dans le cadre de la Convention citoyenne pour le climat. Ces deux conventions ont donné lieu à de nombreuses études, et suscité de multiples interrogations au regard de la légitimité de ces processus. Or, les études récentes portant sur la démocratie délibérative et participative ont peu abordé la question des membres des assemblées citoyennes, si ce n’est au travers de leur mode de sélection par tirage au sort (Fatin-Rouge Stefanini et Magnon, 2022 ; Courant et Sintomer, 2019 ; Gourlet, 2023), et des limites de ce mode de sélection, au titre desquelles les biais du volontariat, ou encore les limites de la représentation statistique (Grandemange, 2022 ; Geynet-Dussauze, 2022 ; Fabre et al., 2020 ; Courant, 2020). Si ces aspects éclairent des enjeux fondamentaux de ces mécanismes d’innovation institutionnelle instaurés dans divers systèmes juridiques, la question de la légitimité des membres des assemblées citoyennes demeure un pan moins étudié que cette étude vise à mettre en lumière à l’aune de deux expériences françaises de démocratie délibérative-participative (Pow, 2023). Les assemblées citoyennes sont composées de ce qu’on se proposera de nommer des « membres », notion qui suppose l’appartenance à un groupe plus large, à un corps, à une structure ou à une institution. Les membres des conventions citoyennes pour le climat et sur la fin de vie sont ainsi des participants d’une « “assemblée citoyenne”, catégorie spécifique de “processus délibératif représentatif” dans la littérature internationale » (Fourniau, 2022 : 139) et en particulier des conventions citoyennes. Les conventions citoyennes sont des « concrétisation[s] organique[s], [des] tentative[s] d’institutionnalisation du concept de démocratie délibérative » (Magnon, 2022 : 21 ; l’auteur souligne) et participative, et qui témoignent d’une volonté d’innovation institutionnelle de la part des acteurs politiques. Elles se caractérisent par trois éléments constants : le tirage au sort des participants, l’absence de portée décisionnelle et la mise en place d’un contexte délibératif (Magnon, 2022 : 35).

Se pose dès lors la question de la légitimité des membres de ces assemblées citoyennes. La légitimité peut être définie dans un sens large comme « l’accord avec une exigence considérée comme supérieure » (Duhamel et Mény, 1992 : 565). Reposant sur un système de croyances, elle peut être décrite comme « une disposition généralisée à admettre à l’intérieur de certaines limites de tolérance des décisions au contenu encore indéterminé » (Luhmann, 2001 : 22). La notion de légitimité connaît une indétermination inhérente et peut revêtir de multiples acceptions (substantielle, procédurale, politique, juridique, démocratique, etc.). La richesse du terme de légitimité ressort de cette indétermination sémantique et s’explique par le fait que « la légitimité repose sur des croyances et [que] celles-ci sont variables, évolutives et changeantes » (Mény, 2022 : 99). On se proposera dans cet article d’adopter une approche duale de la légitimité. Si, pour Juliette Roussin, ce qui rend la démocratie légitime est une combinaison de la légitimité procédurale et substantielle, il nous semble que les mécanismes participatifs peuvent être analysés par une approche de la légitimité juridique fondée sur les procédures normatives qui les encadrent et une approche de la légitimité politique reposant davantage sur « la teneur des décisions politiques » (Roussin, 2019 : 45) et sur le raisonnement établissant l’habilitation des citoyens à participer à l’élaboration d’une décision politique.

Au regard de ces premiers éléments de définition, la légitimité juridique d’un acte, d’une fonction ou d’un organe peut s’apprécier en fonction de sa conformité à une exigence supérieure se trouvant dans un ordre juridique et dans des normes juridiques. L’appréciation de la légitimité des membres des assemblées citoyennes repose dès lors sur une tension fondamentale. Dans le système juridique français, les assemblées citoyennes sont encore des innovations institutionnelles, au statut juridique peu défini. Devant le renouveau des techniques démocratiques qu’elles incarnent se pose la question de leur institutionnalisation (Courant, 2019a) et d’un encadrement juridique du rôle et des missions de ses membres. Si les assemblées citoyennes sont encore peu encadrées juridiquement en France, à l’inverse d’autres systèmes juridiques (Vrydagh et al., 2020), des éléments issus du droit positif français permettront d’explorer l’idée que la légitimité juridique des membres est perfectible.

La légitimité comporte également un versant politique. En effet, après avoir été au Moyen Âge « un concept juridique servant de rempart contre l’usurpation et la tyrannie », la légitimité se mue en « une problématique de la possession du pouvoir effectif » (Luhmann, 2001 : 19). Elle repose pour Weber sur « des théories de l’autorisation du pouvoir, rendant acceptable l’exercice d’un commandement » (Rosanvallon, 2016 : 158). Or, les conceptions relatives à la légitimité politique connaissent depuis quelques années un profond renouvellement, illustré par l’émergence d’un « impératif délibératif » (Blondiaux et Sintomer, 2009) et participatif. Le commandement légitime ne s’épuise désormais plus dans le cadre de la représentation. Il est aujourd’hui fréquemment prôné que la légitimation des décisions politiques et juridiques ne saurait uniquement résulter d’un consentement exprimé par le suffrage seul. La légitimité politique résulte ainsi davantage « d’un consentement actif ou passif mais sincère de ceux qui doivent obéir » (Ferrero, 1945 : 18). La légitimité s’incarne ainsi dans la mise en place « de nouvelles institutions démocratiques fondées sur une vision élargie et pluralisée de l’expression de la volonté générale » (Rosanvallon, 2016 : 384), et trouve des applications dans la multiplication des processus délibératifs et participatifs. La définition de la démocratie participative employée dans le cadre du présent propos couvrira un processus d’implication et d’intéressement des individus à la délibération, à l’information et à la reddition de comptes de la part des gouvernants (Rosanvallon, 2009). Les théories de la démocratie participative visent une implication continue de la part des citoyens à la prise de décision politique par le biais de la participation – en parallèle de l’élection et du référendum – au sein du système représentatif. Ainsi, les assemblées citoyennes, en permettant la participation des individus à la délibération des futures normes, bénéficient d’une légitimité politique forte. On s’interrogera cependant sur la qualification de « citoyens » des membres des assemblées et sur ses implications.

Il résulte de ces prolégomènes que la question de la légitimité, tant juridique que politique, des membres des conventions citoyennes n’est pas, selon l’expression employée par Pierre Amselek au sujet de la hiérarchie des normes, « une idée qui va de soi », mais bien « une fausse idée claire » (Amselek, 2007 : 5). En témoigne le corpus d’informations disponibles sur les membres des assemblées citoyennes françaises. En effet, afin de pouvoir jauger la légitimité d’un objet, un état des lieux des connaissances sur ce dernier est essentiel. Or, les deux expériences françaises n’apportent que peu d’informations sur les membres des assemblées citoyennes. On notera à titre préalable qu’après des annonces du président de la République, ces deux expériences ont été instituées du point de vue juridique par des lettres de saisine du premier ministre (Philippe, 2019 ; Borne, 2022) au Conseil économique, social et environnemental, qui, depuis sa réforme, a pour mission de devenir le « carrefour des consultations publiques » (Assemblée nationale, 2021a). Les deux lettres de saisine du Conseil économique, social et environnemental mentionnent simplement que les conventions seront composées de citoyens tirés au sort et représentatifs de la société française. Ces deux documents, au statut juridique incertain, notamment dans la mesure où en « entrée la création de ces dispositifs n’est ni prohibée ni encadrée par des règles constitutionnelles » (Baranger, 2020), ajoutent que leur rôle est, pour la Convention citoyenne pour le climat, de « définir les mesures structurantes pour parvenir, dans un esprit de justice sociale, à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici 2030 par rapport à 1990 » (Philippe, 2019), et pour la Convention citoyenne sur la fin de vie, « d’enrichir le débat démocratique » autour de la question suivante : « Le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? » (Borne, 2022) On en sait donc peu concernant le statut de ces membres, pourtant chargés d’éclairer le gouvernement sur des questions politiques dont il est peu discutable qu’elles sont fondamentales (Lamizet, 2013 ; Godin, 2018) pour la société française. Les sites officiels des deux conventions – qui sont des moyens cruciaux de communication sur ces exercices et qui contribuent grandement à la transparence de ces processus (Ziegler, 2016) – ne nous en apprennent guère plus sur leurs membres. Les deux sites proposent ainsi des onglets intitulés « Les citoyens », qui offrent des informations sur les points suivants : leurs modes de sélection, leurs rôles, leurs méthodes de travail, et enfin des portraits citoyens qui se limitent à des photographies des membres ainsi qu’à leurs initiales. L’anonymat des participants est par ce biais garanti, dans une perspective de protection de leur vie privée. Enfin, à l’issue des conventions citoyennes, certains des membres passent du statut de « quelconque » à « quelqu’un » (Pech, 2021 : 55) et offrent des témoignages précieux de leur expérience de membres d’assemblée citoyenne (Fraty, 2021), mais la plupart poursuivent leur chemin d’individus anonymes. Les informations permettant d’appréhender la légitimité des membres des assemblées citoyennes sont ainsi relativement limitées.

Les assemblées citoyennes ne peuvent mériter le titre de parangon du renouveau démocratique ; si elles présentent des caractéristiques satisfaisant à des critères de légitimité juridique et politique, elles ne constituent qu’une « nouvelle utopie démocratique » (Fatin-Rouge Stefanini et Magnon, 2022). Or, les assemblées citoyennes, et en particulier leurs membres, disposent d’une légitimité politique forte, dont la source peut être trouvée dans l’élargissement des droits politiques des individus. Cependant, l’absence de cadre juridique relatif à leur statut est l’exemple paradigmatique de ce que la légitimité juridique des membres des assemblées citoyennes est perfectible.

Des citoyens sans assemblée ? Une légitimité juridique perfectible

La légitimité juridique des membres des assemblées citoyennes ne semble que partiellement pouvoir être construite au regard de leur participation à une assemblée[2]. Il est effectivement discutable que les conventions citoyennes soient rattachables à l’idéal-type d’une assemblée, dont pourrait découler une légitimité juridique pour leurs membres. En effet, il n’est pas possible de trouver dans les règles de droit existantes de fondement solide à la légitimité juridique des membres. La légitimité des assemblées citoyennes du point de vue de leurs résultats ne sera pas abordée dans le cadre de cette étude. On s’attachera à analyser l’absence de fondements juridiques portant sur l’organisation de ces assemblées ainsi que sur le statut de leurs membres.

L’absence de statut juridique clair des « assemblées » citoyennes nous paraît un élément peu porteur de légitimité pour leurs membres. Les textes ayant permis l’organisation des deux conventions citoyennes françaises n’apportent guère de réponse quant à leur qualification d’« assemblées ». La Convention citoyenne pour le climat ainsi que la Convention citoyenne sur la fin de vie, si elles partagent indéniablement des traits de fonctionnement avec les assemblées parlementaires (Buge, 2022), ne disposent pas d’un statut juridique préalablement défini et ne sont pas rattachables aux catégories légales existantes en droit français (Van Lang, 2020 : 513). Si elles ont vocation à être des expériences institutionnelles limitées dans le temps, ce qui est un des critères de leur définition (Magnon, 2022 : 35), un encadrement juridique préalable précis pourrait néanmoins être envisagé et paraît souhaitable. Les conventions citoyennes françaises sont réunies sur la base de l’article 4-3 de la Loi organique no 2021-27 du 15 janvier 2021 relative au Conseil économique, social et environnemental[3], qui précise que « pour l’exercice de ses missions, le Conseil économique, social et environnemental peut, à son initiative ou à la demande du premier ministre […], recourir à la consultation du public ». Du point de vue juridique, les conventions citoyennes sont donc des consultations du public organisées au sein de « la troisième assemblée constitutionnelle de la République » (Zarka, 2021). Julien Blanchet, vice-président du Conseil économique, social et environnemental et rapporteur général de la Convention citoyenne pour le climat, pouvait ainsi affirmer à ce titre, dans le cadre d’une table ronde organisée à la Commission des lois de l’Assemblée nationale portant sur la Convention, que « l’objectif n’est pas de faire une Convention citoyenne permanente, sinon cela s’appelle une 4e assemblée » (Blanchet, 2020). Ces deux conventions citoyennes font donc figure d’innovation institutionnelle ad hoc, et sont organisées au sein du Conseil économique, social et environnemental, qui est lui-même une assemblée consultative. Ce rattachement à une assemblée ne permet pas d’emporter la qualification même d’assemblée pour les conventions citoyennes. Il est donc possible de critiquer l’emploi de l’expression « Parlement des citoyens » pour qualifier l’expérience de la Convention citoyenne pour le climat notamment en ce que « le mandat de représentation (ce qui ne signifie pas représentatif) constitue la première caractéristique du Parlement » (Duhamel et Mény, 1992 : 145). S’il peut être soutenu que le mandat des membres des conventions citoyennes françaises serait constitué par la lettre de mission des deux premiers ministres, l’imprécision de ces documents en ce qui concerne le statut des membres a été soulignée, notamment par Mélanie Heard, qui affirme à ce titre que la précision du cadre du mandat de la Convention citoyenne sur la fin de vie est critiquable, la question qui est posée aux citoyens « rest[ant] imprécise sur le “cadre” qui est évoqué. Est-ce le cadre légal ? Ou bien le cadre plus général de la fin de vie ? » (citée dans Favereau, 2022). En dehors de la lettre de mission de la première ministre, les obligations et droits des membres des conventions citoyennes sont assez indéfinis. Il existe cependant une charte de la Convention citoyenne pour le climat (Duffy-Meunier et Paris, 2022 : 141), qui aurait pu renseigner sur les obligations et devoirs des membres, mais elle n’a pas été publiée et n’est donc pas librement accessible (Fourniau, 2022). Il pourrait par ailleurs être souhaitable, dans une perspective de renforcement de la légitimité des membres des conventions citoyennes, qu’un cadre déontologique des participants soit élaboré. Il a été souligné que « des principes comme la probité et l’intégrité, qui garantissent que le citoyen participe de manière désintéressée à la décision publique, pourraient avantageusement figurer au sein d’un corpus déontologique du participant » (Bernasconi, 2022 : 65). La mise en place d’une déclaration des conflits d’intérêt des membres au moment de leur désignation a également été évoquée (Fatin-Rouge Stefanini et Geynet-Dussauze, 2022).

Face au silence du droit vis-à-vis des fondements de la légitimité des assemblées citoyennes, une appréciation de leur légitimité juridique peut se fonder sur l’étude de deux critères comme mode de caractérisation d’une assemblée. Une assemblée est un locus de délibération institué de manière permanente et dont le cadre de fonctionnement est régi par des règles. Or, comme on l’a souligné, il existe un flou juridique quant aux règles relatives aux conventions citoyennes françaises et en particulier au statut des membres. Il nous faut donc recourir aux critères d’identification d’une assemblée susmentionnés, soit l’existence d’une délibération et d’un corps de règles permanent encadrant le fonctionnement, afin de jauger la légitimité juridique des membres des assemblées citoyennes.

Pour Marcel Prélot, « le propre des assemblées est de délibérer » (Prélot, 1957) ; on s’intéressera donc en premier lieu à la légitimité de la délibération des membres des conventions citoyennes. Ces derniers disposent d’une puissance de délibération. Ils n’ont en effet pas vocation à se substituer aux parlementaires et à adopter un acte législatif ou réglementaire. Cependant, ils contribuent à éclairer le gouvernement et le Parlement sur la question du climat ou de la fin de vie. Dès lors qu’il est acté que les assemblées citoyennes ne possèdent pas de pouvoir effectif de décision, il n’est pas pertinent de rechercher sur quel fondement les membres seraient autorisés à exercer un pouvoir. Les membres des assemblées citoyennes disposent uniquement d’une puissance d’influence, laquelle s’exerce dans une perspective normative, car ils ont pour fonction de nourrir la délibération des futures normes, de sorte que la problématique de la légitimité juridique repose également sur la recherche de l’amélioration du processus de la délibération de la norme. Aussi ont-ils pour mission d’enrichir le contenu des futures normes en intervenant en amont de la prise de décision par le gouvernement ou le Parlement. Leurs membres prenant part à une délibération et contribuant à la motivation du futur contenu de l’acte juridique en amont du processus parlementaire, les conventions citoyennes enrichissent les deux épreuves légitimatrices par excellence de la justesse normative (Kassoul, 2021). La délibération du contenu d’une future norme constitue une première formalisation de la volonté collective, le travail mené par les membres des assemblées citoyennes permettant de déployer un effort pédagogique de motivation de ce contenu. Cette fonction de délibération incombant aux membres des conventions citoyennes ne peut cependant à elle seule distinguer ces dernières d’une assemblée, en ce que la délibération est ici circonscrite à un projet ou à un thème précis décidé par les commanditaires de tels exercices[4].

Une assemblée est de plus une institution pérennisée au sein d’un système juridique. En l’état actuel du droit français, le statut des membres des conventions citoyennes est plus que flou et tend à être illisible, notamment en comparaison avec le statut d’autres individus participant à la décision politique, par exemple les parlementaires ou les jurés citoyens. Une étude du statut juridique de ces derniers permet autant de mettre en lumière l’absence de fondements juridiques existants concernant les membres des assemblées citoyennes que d’évoquer de possibles pistes d’amélioration de leur légitimité juridique. On peut en effet acquiescer à l’affirmation de James Pow selon laquelle « [l]e concept de citoyens ordinaires sélectionnés au hasard pour prendre des décisions au nom du grand public est à la fois bien établi et familier pour la plupart des gens, mais seulement sous une forme : le jury d’un tribunal[5] » (Pow, 2023). Bien que les membres des assemblées citoyennes ne possèdent pas de pouvoir décisionnel, une comparaison avec le statut des jurés est éclairante en ce que le statut de ces derniers, à la différence des premiers, est clairement défini par un cadre juridique. Une section entière du Code de procédure pénale français précise les conditions d’aptitudes aux fonctions de juré (articles 255 à 258-2), celles de la formation du jury (articles 259 à 267), ainsi que les indemnités et rétributions des jurés (articles R139 à R146). L’ensemble de ces dispositions forme un cadre juridique clair et précis du statut des jurés qui renforce leur légitimité juridique, bien qu’il ait été remis partiellement en cause par la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire de décembre 2021, ce qui fait notamment dire au professeur Benjamin Fiorini qu’« à l’heure où la démocratie participative est plébiscitée, c’est donc l’une de ses formes les plus anciennes et les plus symboliques qui se voit en partie disparaître » (cité dans Arama, 2023). Une étude des assemblées parlementaires, autre forme d’assemblées, est par ailleurs riche d’enseignements, en particulier dans la perspective de l’étude des membres des assemblées citoyennes. Les modalités du mandat des membres des conventions citoyennes éclairent leur légitimité, au même titre que celles d’un mandat parlementaire sont porteuses de sens au regard de la légitimité des fonctions des parlementaires (Nantois, 2006). Les députés et les sénateurs, membres des assemblées parlementaires, disposent d’un mandat clair, et leurs fonctions comme leur nombre sont définis par divers textes juridiques (Constitution, lois organiques, règlements des assemblées). Parallèlement, le choix même du nombre d’individus participant aux conventions citoyennes n’est guère explicité : « l’origine de ce chiffre n’est pas très claire », notait à ce titre Thierry Pech (2021 : 50). Il est par ailleurs possible de souligner l’absence de mandat des membres des conventions citoyennes[6].

Les flous qui entourent les divers éléments de la dénomination ou du statut des membres des assemblées citoyennes permettent d’affirmer que leur légitimité juridique est à parfaire. Le fait que les conventions citoyennes constituent des innovations institutionnelles explique en partie l’absence de cadre juridique relatif au statut de leurs membres, et les dangers « d’une institutionnalisation hâtive » de ces procédés ont pu être soulignés (Baranger, 2021). Néanmoins, la légitimité des membres des assemblées citoyennes pourrait être renforcée au prix d’une clarification des conditions de leur participation. D’une part, dans la perspective d’une réduction des biais du volontariat, et « à l’instar des jurys français ou britannique, une obligation de présence pourrait […] être consacrée pour les citoyens tirés au sort (exception faite des cas de force majeure) » (Geynet-Dussauze, 2022 : 123). En effet, la participation à une convention citoyenne repose actuellement sur le volontariat. Une fois tirés au sort, les individus s’engagent volontairement, ce qui peut avoir pour effet de créer un biais, car les individus ayant accepté de participer témoignent d’une sensibilité particulière à la question traitée, qui n’est pas forcément représentative de celle de la population française (Pech et Pisani-Ferry, 2020 ; Fourniau, 2019 ; Courant, 2019a). Or, les conventions citoyennes visent à constituer un miroir de la société, représentée dans la diversité de ses points de vue. D’autre part, le cadre de la rétribution ou le misthos des participants gagnerait à être public, dans un souci de transparence. Dans le cadre de la Convention citoyenne pour le climat, celui-ci était prévu dans l’article 5 de la charte, laquelle ne fut toutefois pas rendue publique (Bernasconi, 2022 : 63).

L’ensemble de ces éléments permet de souligner que l’absence d’un encadrement juridique du statut des membres des conventions citoyennes françaises fragilise la légitimité juridique de leur mission délibérative. La participation des membres aux assemblées citoyennes est donc un vecteur de légitimité limité en l’état actuel du droit français, mais des pistes d’amélioration pourraient être envisagées. Par ailleurs, il peut être défendu que les membres des assemblées citoyennes disposent d’une légitimité politique forte.

Des assemblées sans citoyens ? Une légitimité politique indéniable

La légitimité politique de la prise de décision dans le cadre du gouvernement représentatif reposait initialement sur la fiction que le peuple est rendu présent par le biais de ses représentants, lesquels expriment sa volonté unifiée grâce au principe majoritaire. Ce dernier permet également la concrétisation de sa volonté dans une décision normative. Ce versant de la légitimité politique a été enrichi par la volonté de construire une vision élargie et pluralisée de la volonté générale par le recours à une participation des membres de la communauté politique à l’élaboration des décisions. Les assemblées citoyennes et les mécanismes de démocratie participative proposent une variante de la construction de la décision légitime issue de la théorie du régime représentatif. Le critère de l’inclusion du plus grand nombre dans l’élaboration de la décision politique devient ainsi un critère de la légitimité politique. En ce sens, les membres des assemblées citoyennes bénéficient d’une légitimité politique indéniable. Néanmoins, nous pouvons nous interroger sur l’identité du titulaire de la participation, ce qui « nous plonge en plein coeur de l’énigme démocratique » (Tavoillot, 2020 : 45). Derrière l’apparente clarté de l’expression « assemblée citoyenne » se cache une réalité invitant à remettre en question l’évidence de son utilisation.

L’accès au mandat de membre d’une assemblée citoyenne se déroule selon un processus en général tripartite[7]. Un panel d’individus est tiré au sort au sein d’une base de données. Les personnes ainsi sélectionnées et acceptant une éventuelle participation répondent en second lieu à des questionnaires permettant d’établir leur profil sur la base de critères déterminés par les organisateurs de tels exercices. Le comité de gouvernance dans le cadre de la Convention citoyenne pour le climat ainsi que celui de la Convention citoyenne sur la fin de vie avaient retenu six variables pour l’échantillonnage des membres de l’assemblée citoyenne : le sexe, l’âge, les typologies d’aire urbaine, la région d’origine, le niveau de diplôme et la catégorie socioprofessionnelle[8]. Un échantillonnage est par la suite réalisé afin que les conventions citoyennes soient les plus représentatives possible de la société française. On notera que la possession de la nationalité française ne fut pas requise comme condition d’accès au mandat de membre de ces conventions. Thierry Pech, coprésident du comité de gouvernance de la Convention citoyenne pour le climat, mentionne à ce titre, dans l’ouvrage qu’il a consacré à cette dernière, que « les organisateurs n’ont pas exclu les étrangers. Chargés de composer un panel représentatif de la diversité de la société française, les résidents étrangers font partie de cette société » (Pech, 2021 : 55). Un demandeur d’asile sera notamment retenu comme membre de la Convention citoyenne pour le climat (Pech, 2021 : 55). Du point de vue conceptuel, rappelons qu’au sein de la théorie de la démocratie délibérative, « les frontières du dèmos ne sont pas faites de douane ou de fils barbelés, elles sont celles d’un espace public possible » (Pénigaud de Mourgues, 2022 : 66). De plus, dans un même souci de représentativité, dans le cadre de ces deux conventions citoyennes, l’un des critères de composition de l’échantillon était notamment : « 6 tranches d’âge, proportionnelles à la pyramide des âges à partir de 16 ans ». Des individus ont donc pu avoir accès au statut de membre de ces conventions sans pour autant avoir atteint la majorité légale, fixée en France à dix-huit ans, et donc une jouissance entière de leurs droits politiques et civiques. Les termes d’« assemblée citoyenne », de « convention citoyenne » ou encore de « Parlement des citoyens » conduisent donc le juriste et observateur de ces expériences récentes à un paradoxe dans la mesure où, malgré leur dénomination, elles ne se composent pas nécessairement pour autant de citoyens de l’État au sein duquel elles se déroulent, au sens juridique du terme.

L’emploi de l’adjectif « citoyen » pour caractériser les conventions pour le climat et sur la fin de vie peut être perçu comme un « élément d’une stratégie discursive » (Daugeron, 2023 : 37). En effet, le constat que les conditions du mandat des membres des assemblées citoyennes françaises ne comprennent pas la citoyenneté française invite à interroger l’utilisation même de cet adjectif, dont l’usage n’est en l’espèce que partiellement pertinent et révèle, comme le souligne Julien Padovani, que « les marques de la communication politique sont également visibles à l’aune de la mutation du vocabulaire, en particulier à travers le passage du substantif à l’adjectif (là où la langue française disposait déjà des adjectifs “civique” et “civil”) » (Padovani, 2022 : 8). L’Académie française avait d’ailleurs regretté le « curieux usage du nom “citoyen”, qui devient un adjectif », estimant qu’au « fil des extensions, “citoyen” entraîne dans sa dérive le mot de “citoyenneté”, dont le sens s’affaiblit de la même manière » (Académie française, 2012). Ainsi, derrière le vocable d’« assemblée citoyenne », dont on vient de souligner le caractère paradoxal, il est possible de percevoir une manifestation du phénomène de dilution du concept de citoyenneté.

La sélection des membres des assemblées citoyennes repose sur une conception extensive de la citoyenneté visant un élargissement du champ des participants impliqués dans la prise de décision politique. Les généalogies des concepts de citoyenneté et de nationalité (Weil, 2002 ; Rosanvallon, 1992) révèlent un phénomène « d’hybridation » (Colliot-Thélène, 2021 : 64) de ces notions, notamment car la détention de la nationalité française conditionne la possession de la citoyenneté française en ce que « tout “national” (membre de la nation) jouit des droits du citoyen du seul fait de sa nationalité » (Colliot-Thélène, 2021 : 63). La participation des membres de la société française, et non pas de la Nation, actualise le principe d’inclusion démocratique, lequel illustre la diversification des modalités de participation des individus dans la polis et reflète une légitimité politique et de proximité (Rosanvallon, 2008). Il faut donc voir, à travers l’accès au mandat de membre des assemblées citoyennes, l’enrichissement des droits politiques dérivés des individus témoignant de la diversification des modalités de leur participation. En effet, on peut souscrire au constat que « lorsque des droits politiques reviennent aux citoyens, ils s’articulent d’ordinaire autour de trois attributs : l’électorat, l’éligibilité et l’accès aux emplois publics. Toutefois, ce noyau dur ne suffit plus aujourd’hui à définir l’ensemble des droits politiques qui reviennent aux citoyens, voire à l’étranger » (Delpérée et Pena-Gaia, 1995 : 296). Dès lors, « [d]’autres doivent être pris en considération. Il s’agit des droits politiques dérivés tels que le droit de participer à une consultation populaire ou à un référendum » (Delpérée et Pena-Gaia, 1995 : 296). La participation à une convention citoyenne consisterait ainsi en un enrichissement des droits politiques détachés du critère de la citoyenneté. Il est également possible de soutenir que la participation des membres des conventions citoyennes françaises à ces consultations semble illustrer une actualisation du principe « d’inclusion démocratique » (Bauböck, 2021 : 45), et le fondement même de la démocratie participative. Dans son versant négatif, la citoyenneté est une « clôture sociale » définissant le contour des interactions des individus (Brubaker, 1992). Or, dans l’appellation d’« assemblée citoyenne », l’adjectif « citoyen » ne sert plus cette fonction de circonscription de l’activité politique. Les partisans d’une « citoyenneté politique extensive » défendent notamment l’idée que « du point de vue interne à une association, l’inclusion est légitime lorsque les revendications d’admission formulées par les individus extérieurs sont en accord avec les buts de l’association. Les décisions démocratiques ne sont légitimes que si elles prennent en compte les intérêts qu’elles concernent, effectivement ou probablement » (Bauböck, 2021 : 46). La légitimité politique des membres des conventions citoyennes paraît en ce sens forte, sous couvert d’une compréhension large de la citoyenneté comme vecteur d’inclusion dans la communauté politique. Les exercices de démocratie participative reposent dans cette perspective sur une compréhension « spatialement ouverte[9] » de la participation (Landemore, 2020 : 93). Néanmoins, une limitation matérielle de cette ouverture peut être envisagée. La légitimité des membres des assemblées citoyennes pourrait reposer sur une correspondance entre le thème de la convention citoyenne et les critères de sélection des participants. En effet, l’ensemble des individus résidant en France, même ponctuellement, semble avoir la légitimité de délibérer sur les questions climatiques dans la mesure où la gestion de celles-ci peut être pensée dans le cadre d’une échelle large. À l’inverse, concernant des thématiques dont les conséquences affectent plus fortement les résidents d’un État, les critères de sélection des membres des conventions citoyennes pourraient comprendre une condition de durée de résidence sur le territoire français. Cette inclusion démocratique est par ailleurs concrétisée par la réforme du Conseil économique, social et environnemental, laquelle « crée les conditions pour qu’un maximum d’individus puisse participer à la prise de décision, en relayant la figure de l’exclu le plus loin possible : le non-national et le mineur ne sont plus exclus de cette expression civique et la citoyenneté est donc abordée suivant une perspective plus inclusive » (Padovani, 2022 : 8).

Conclusion

La fonction des membres des assemblées citoyennes s’inscrit ainsi pleinement dans la dynamique de questionnement de la légitimité démocratique et de son renouveau. Une clarification de leur légitimité juridique semble ainsi possible dans une perspective de multiplication des exercices participatifs et délibératifs. Si l’institutionnalisation de tels mécanismes peut être envisagée dans le paysage juridique français, elle devrait être menée au terme d’une réflexion sur la légitimité politique et juridique de la participation des membres de la communauté politique. La Convention citoyenne pour le climat a ainsi pu montrer les risques possibles de concurrence entre ces moyens d’expression de la volonté citoyenne et la volonté générale exprimée par l’entremise des représentants au Parlement. Or, les assemblées citoyennes n’ont pas vocation à être des artefacts des assemblées parlementaires, elles ont pour but d’éclairer les décideurs politiques par le biais d’un savoir citoyen, dorénavant essentiel à la légitimité politique et juridique des décisions politiques.