Introduction

À l’épissure de la normativité juridique et de la participation citoyenne[Notice]

  • Yan Sénéchal,
  • Jacques Commaille et
  • Pierre Noreau

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  • Yan Sénéchal
    Chargé de cours, Département de sociologie et Faculté de droit — Université de Montréal

  • Jacques Commaille
    Professeur émérite — École normale supérieure Paris-Saclay
    Chercheur — Institut des sciences sociales du politique (ENS Paris-Saclay/Université de Paris Nanterre/CNRS)

  • Pierre Noreau
    Professeur titulaire, Faculté de droit — Université de Montréal
    Chercheur — Centre de recherche en droit public

Depuis la consolidation des États-nations au 19e siècle, les pratiques de la participation citoyenne « à l’antique » ont été marginalisées en faveur de l’institutionnalisation des principes du gouvernement représentatif (Manin, 1995 ; Urbinati, 2006). Cette modernisation représentative de la démocratie et de l’exercice électoral de la citoyenneté qu’elle implique est toutefois continument mise à l’épreuve depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale par toute une série de défis : une délégitimation du parlementarisme par l’imposition d’une logique de parti, une crise de la représentation fragilisée par la perte de confiance envers les élus, un déficit démocratique s’illustrant notamment par le désengagement des citoyens à l’égard des élections, etc. De telles évolutions ont concouru à l’émergence de courants de pensée consacrés à observer et à définir ce que pourrait être un « nouvel esprit de la démocratie » (Blondiaux, 2008) dans les sociétés contemporaines. Plus que jamais, la question de la citoyenneté est repensée comme un idéal à poursuivre dans un univers politique en tension. Se manifeste une quête de sens à l’égard d’une démocratie qui s’exprimerait non plus exclusivement par l’élection mais également par la « participation » (Arnstein, 1969 ; Pateman, 1970 ; Mansbridge, 1983 ; Godbout, 1983 ; Barber, 1984 ; voir à ce sujet Fung, 2006 ; Bacqué et Sintomer, 2010, 2011 ; Claisse et al., 2013 ; Gourgues, 2013) et la « délibération » (Habermas, 1997, 2023 ; Rawls, 1995 ; voir Girard et Le Goff, 2010 ; Floridia, 2017 ; Bächtiger et al., 2018). Effectivement, les expériences d’engagement citoyen se sont multipliées au cours des dernières décennies, et ce, aussi bien en Amérique et en Europe qu’ailleurs dans le monde (Smith, 2009 ; Chwalisz, 2020) : centres autogérés, associations de résidents, tables de quartier, comités d’usagers, budgets participatifs, jurys citoyens, audiences publiques, forums sociaux, etc. Ces expériences foisonnantes sont à l’origine de recherches toujours plus nombreuses (Blondiaux et Fourniau, 2011 ; Giugni et Grasso, 2022), fondées sur des domaines d’action très diversifiés (service communautaire, aménagement du territoire, etc.) et initiées dans des disciplines scientifiques très variées (philosophie, science politique, études urbaines, sociologie, histoire, etc.), soulevant dans la foulée des enjeux théoriques, conceptuels et empiriques (Theocharis et van Deth, 2018). De la prolifération de ces expériences découle le développement d’un champ de recherche au sein duquel les constats et les théorisations prospèrent en intégrant parfois des critiques radicales (Pellizzoni, 2013 ; O’Miel et al., 2017 ; Loisel et Rio, 2024) concernant les finalités de ce qui serait un « tournant participatif » (Bherer, Dufour et Montambeault, 2018) et un « tournant délibératif » (Blondiaux et Manin, 2021), ces qualificatifs servant à nommer ce que serait l’ampleur des transformations politiques que connaissent les sociétés démocratiques. Dans ce maelstrom qui concerne à la fois la réalité d’un changement politique majeur et ce qu’en disent les savoirs concernés, de façon surprenante, la place et le statut du « droit » demeurent sous-investis et insuffisamment analysés par les savoirs mobilisés. Tout se passe comme si l’accent mis sur les dispositifs, les processus, les dynamiques et les effets de la participation reléguait dans l’ombre toute la normativité juridique qui leur est pourtant consubstantielle (Kerléo, 2022). Pourtant, quelques travaux qui s’intéressent à la place du monde juridique dans la réalité sociale en ont décelé les potentialités participatives (voir par exemple Santos, 2004 ; Baier, 2009 ; Commaille, 2015 ; Sénéchal et Noreau, 2020). Mais cette conception reste relativement marginale alors qu’au prisme de ses diverses « sources » (loi, règlement, etc.), le droit apparait bien alors comme un catalyseur à la fois manifeste et fondamental, et …

Parties annexes