Introduction[Notice]

  • Louis Jacob et
  • Christine Schaut

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  • Louis Jacob
    Professeur, Département de sociologie — Université du Québec à Montréal

  • Christine Schaut
    Professeure, Faculté d’architecture — Université libre de Bruxelles

Le présent numéro propose un examen de diverses initiatives collaboratives ou participatives qui ont en commun de se déployer d’abord à une échelle locale et, à des degrés divers, de mettre à l’épreuve, voire de réinventer l’exercice de la citoyenneté culturelle. La notion de citoyenneté culturelle désigne aujourd’hui un vaste ensemble de pratiques et de discours qui débordent largement le domaine des arts et de l’offre culturelle traditionnelle. Des droits fondamentaux afférents à l’identité individuelle et collective, à l’éducation, à la liberté d’expression ou à la participation aux institutions culturelles, on passerait à des considérations tout aussi fondamentales sur la participation à la vie démocratique, l’inclusion sociale et la possibilité de se constituer en sujet politique (Meyer-Bisch, 2008 ; Tarragoni, 2016 ; Arnaud, 2020). Cette extension des droits est largement attestée par toutes les définitions opérationnelles maintenant intégrées aux dispositions réglementaires et aux lois des États qui entendent faire la promotion du pluralisme culturel, et ce, même si souvent, comme le montrent certains articles de ce numéro, sa réalité et les objectifs de justice sociale ne sont pas intégralement au rendez-vous, et même si des obstacles subsistent à la mise en oeuvre des programmes d’équité et d’inclusion dans de multiples secteurs. La notion de citoyenneté culturelle peut donc être comprise dans le prolongement des logiques d’accessibilité et de participation. Les pratiques se diversifient, les publics nouveaux ou jusque-là exclus trouvent une place, les institutions sont plus ouvertes, les biens symboliques circulent de multiples façons, s’échangent, se transforment. Mais dans la notion de citoyenneté culturelle, il y a encore autre chose que l’extension des droits et l’intégration sociale, comme on le verra. Au-delà des principes de démocratisation et de démocratie culturelle, au-delà du pluralisme des oeuvres et des événements artistiques, des publics et des institutions culturelles, il existe plus fondamentalement des manières inédites d’exprimer son identité, de manifester son appartenance, de donner voix au conflit social et de produire un espace commun. La citoyenneté culturelle, dans son acception la plus large, désigne donc la capacité réelle d’apporter « quelque chose », de contribuer, de modifier, de « changer les choses ». Quelques mots sur la problématique générale dans laquelle s’inscrit ce numéro. Les expériences collaboratives évoquées ici mettent à l’épreuve et réinventent donc les nouvelles formes de mobilisation et de participation citoyennes à la marge des institutions mais aussi en leur centre, ainsi que les politiques et les droits culturels en les élargissant aux enjeux sociaux et politiques (Kaine, 2016 ; Kruzynski, 2017 ; Pignot, 2018 ; Polletta, 2013 ; Sholette, Bass et Social Practice Queens, 2018 ; Zamora, 2014). Des projets très variés sont désignés par des termes génériques désormais largement répandus : friches culturelles, communs, tiers-lieux, laboratoires de création, fab labs, occupations temporaires, incubateurs, centres autogérés, regroupements interdisciplinaires, etc. Ils constituent des collectifs citoyens qui prennent place dans des lieux spécifiques et opèrent selon des modalités organisationnelles elles aussi spécifiques, souvent basées sur l’autogestion et la sociocratie (Lallement, 2019). Ces collectifs remettent également en question les logiques de développement urbain ou territorial intégré en dépassant les modes habituels de fabrication et d’appropriation des espaces, en floutant la frontière entre espace privé et espace public, entre usage et propriété, et en favorisant l’économie circulaire. Cette problématique générale suppose également que les collectifs réinventent aussi les collaborations interdisciplinaires entre équipes de recherche, militants et regroupements citoyens, et par l’attention qu’ils portent à la nature et aux matériaux utilisés, ils proposent d’autres modes de relation avec l’environnement humain et non humain. Ce serait le cas des laboratoires de création ou projets multidisciplinaires, des réseaux de solidarité alimentaire ou des projets éco-artistiques, tous …

Parties annexes