
Numéro 89, 2022 L’enseignement supérieur en recomposition : entre institutions et parcours éducatifs Sous la direction de Joanie Cayouette-Remblière et Pierre Doray
Sommaire (13 articles)
Introduction
Section 1 – L’enseignement supérieur en expansion : gestion des flux et hiérarchisations multiples
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Gouverner la sélection scolaire par un instrument : le cas de la « cote de rendement au collégial » des universités québécoises
Stéphane Moulin, Benoît Laplante, Mathieu Lépine, Marie Blain, Pierre Canisius Kamanzi et Charles Duffy
p. 16–34
RésuméFR :
La cote de rendement au collégial (CRC) est la pierre angulaire de la gouvernance de la sélection à l’entrée à l’université au Québec. En s’inscrivant dans la perspective de la sociologie de la quantification et dans celle de la sociopolitique de l’instrumentation de l’action publique, cet article vise à saisir le contexte sociohistorique qui a conduit au choix de la CRC, les discours qui justifient ce choix et les conceptions de l’équité qui sous-tendent son usage. L’article s’appuie sur une analyse des documents d’action publique produits depuis la création des cégeps ainsi que sur une analyse des propriétés mathématiques de la CRC. Il montre une double transformation de la gouvernance de la sélection, qui tend de plus en plus à réduire le principe d’équité à un choix technique et à donner du poids à la force du groupe collégial plutôt qu’au rang. L’analyse des propriétés mathématiques de la CRC confirme que, loin d’être neutre, cet instrument de sélection repose sur une conception de l’équité selon laquelle le passé des étudiant∙es inscrit∙es dans des groupes homogènes forts au collégial serait garant de leur avenir en matière de réussite scolaire. Dans un contexte de hiérarchisation et de compétition des établissements collégiaux, cet instrument conduit in fine à un double standard d’évaluation et renforce ultimement les inégalités sociales d’accès à l’université.
EN :
The R score (CRC in French) is the cornerstone of the governance of selection for entry to universities in Quebec. From the perspective of the sociology of quantification and of the sociopolitics of the instrumentation of public action, this article aims to grasp the sociohistorical context which led to the choice of the R score, the discourses which justify this choice and the conceptions of equity which underlie its use. The article is based on the analysis of public policy documents produced since the creation of the cegeps as well as an analysis of the mathematical properties of the R score. It shows a twofold transformation of selection governance, which tends more and more to reduce the principle of equity to a technical choice and to give weight to the strength of the collegial reference group rather than to the rank. The analysis of the mathematical properties of the R score reveals that, far from being neutral, this selection tool is based on a conception of equity in which the background of students enrolled in strong homogeneous groups in college would guarantee their future in terms of academic success. In a context of hierarchization and competition between college establishments, this instrument ultimately leads to a double standard of evaluation and reinforces social inequalities in access to university.
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Entrer dans l’enseignement supérieur avec un « bac pro » : une sélection biaisée
Fanette Merlin
p. 35–56
RésuméFR :
Cet article examine l’accès des bacheliers professionnels à un diplôme de l’enseignement supérieur en France à la lumière de deux évolutions récentes majeures : l’explosion du nombre de bacheliers professionnels et la hausse continue de leur taux d’inscription dans l’enseignement supérieur. Entre 2000 et 2015, la conjonction de ces deux phénomènes a conduit à multiplier quasiment par quatre le nombre de bacheliers professionnels engagés dans l’enseignement supérieur. Dans cette recherche, nous expliquons les freins et les leviers de ces nouveaux parcours éducatifs à travers les déterminants de la sélection formelle dans l’enseignement supérieur. La sélection formelle est le moment où l’institution éducative choisit les candidats autorisés à s’inscrire dans la filière demandée : la section de technicien supérieur (STS), filière essentielle de poursuite d’études des diplômés du baccalauréat professionnel, apparaît ici comme une formation hautement concurrentielle, qui mobilise à l’endroit des candidats des critères de sélection invisibles, voire illégitimes, désavantageant notamment les élèves issus de milieux populaires, les étrangers et les boursiers. Par ailleurs, bien que théoriquement favorisés par une politique publique mise en place en 2013, les bacheliers professionnels restent en 2018 pénalisés pour entrer en STS, par rapport aux autres bacheliers.
EN :
This article examines the access of vocational baccalaureate holders to a higher education diploma in light of two major recent developments: the explosion in the number of vocational baccalaureate holders, on the one hand, and the continuous increase in their enrollment rate in higher education, on the other. Between 2000 and 2015, the combination of these two phenomena led to an almost fourfold increase in the number of vocational baccalaureates enrolled in higher education. In this research, we explain the brakes and levers of these new educational paths through the determinants of formal selection in higher education. Formal selection is the moment when the educational institution chooses the candidates authorized to enroll in the requested program: the section of technicien supérieur (STS), an essential program for vocational baccalaureates, appears here as a highly competitive program, which mobilizes invisible or even illegitimate selection criteria for vocational baccalaureates, disadvantaging in particular young people from working-class backgrounds, foreigners or students with scholarships. Moreover, although theoretically favored by a public policy begun in 2013, in 2018 vocational baccalaureate holders are still penalized for entering STS, compared to other baccalaureate holders.
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Ce que masquent les « nouveaux publics étudiants » : les enjeux de la troisième massification de l’enseignement supérieur français
Mathieu Rossignol-Brunet, Leïla Frouillou, Marie-Paule Couto et Fanny Bugeja-Bloch
p. 57–82
RésuméFR :
Cet article revient sur l’expression « nouveaux publics étudiants », popularisée dans le contexte français à la suite de la seconde massification scolaire (1985-1995) pour caractériser l’apparition d’une population étudiante moins dotée à la fois socialement et scolairement. Or, cette expression est utilisée depuis plusieurs décennies maintenant pour évoquer ces publics inscrits à l’université française, sans pour autant être remise en question. À travers une recherche articulant les recensions de cette notion dans la presse, les discours institutionnels, la littérature grise et les travaux scientifiques, avec des analyses sur plusieurs bases de données (enquête Conditions de vie de l’OVE, bases Admission Post-Bac 2016 et Parcoursup 2019), nous montrons tout d’abord que l’expression est fréquemment utilisée, notamment en période de réformes, pour désigner les étudiant·es non titulaires d’un baccalauréat général. Dans un second temps, le recours aux données permet de mettre en évidence une augmentation importante des effectifs étudiants depuis le début des années 2010, conséquence de l’accroissement du nombre de bachelier·es professionnel·les conjugué au boom démographique du début des années 2000 : il paraît alors pertinent de parler de troisième massification scolaire. Ces étudiant·es s’inscrivent par ailleurs davantage dans les licences de sciences, par rapport à celles de lettres et sciences humaines. L’analyse des caractéristiques sociales et scolaires des publics permet de montrer que cette augmentation des néo-entrant·es dans l’enseignement supérieur ne s’accompagne pas d’une plus grande diversité sociale. En revanche, la comparaison de la répartition des publics étudiants au sein des universités franciliennes en 2016 et en 2019 met en évidence une segmentation scolaire accrue entre les établissements de premier cycle, laquelle creuse les inégalités déjà présentes dans l’enseignement supérieur.
EN :
This article looks into the expression “New student population” which became popular in France further to the second school expansion wave (1985-1995) to designate a new student category less endowed with social and educational resources. However, this expression has been used heedlessly over the past decades to refer to such a public among French university goers. After surveying the use of this notion in the press and institutional narratives as well as in scientific literature, together with analysing multiple databases (data from OVE’s Conditions de vie survey, 2016 post-secondary admission databases and Parcoursup 2019), this article yields three main findings. First, the expression “New student population” is frequently used during reform periods and describes students without a general secondary education degree. Second, the data evidences the significant increase in the student population since the early 2010’s resulting from the greater number of students with a vocational degree on the one hand and the demographic boom of the early 2000’s on the other hand. In this perspective, we can relevantly speak about a third school massification wave. Third, these bachelor students now more often register in the Faculty of Science and less in the Faculty of Arts and Humanities when it used to be the opposite. Finally, an analysis of students’ social characteristics by university in the Ile-de-France area shows that the greater number of freshers does not correlate with improved social diversity. On the contrary, comparing the distribution of these students in 2016 and in 2019 highlights a deeper educational segregation between Ile-de-France establishments therefore worsening existing inequalities in higher education.
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Démocratisations ségrégatives et parcours éducatifs des bacs +5 : une étude pour trois générations de diplômés de bac +5
Philippe Lemistre
p. 83–106
RésuméFR :
Pendant la première décennie des années 2000, le nombre de diplômés de niveau master a augmenté considérablement en France. En se penchant sur l’accès à ce niveau de diplôme, le premier objectif de l’article était de mettre en évidence de possibles ségrégations liées à la diversification des parcours, notamment à une augmentation notable des trajectoires où figure un diplôme du premier cycle du supérieur technique, trajectoires où dominent les classes populaires et moyennes. Le second objectif était d’examiner la poursuite ou non sur le marché du travail de ces ségrégations ayant cours dans le système éducatif. À cette fin, trois enquêtes du Céreq de 2001, de 2007 et de 2013 pour des sortants du système éducatif de 1998, de 2004 et de 2010 ont été mobilisées, et 26 trajectoires de diplômés de niveau master ont été constituées. En fonction du parcours dans le supérieur et aussi dans le secondaire, les trajectoires s’avèrent fortement ségréguées selon l’origine sociale et le genre. Toutefois, les ségrégations liées à l’origine sociale dans le système éducatif ne se prolongent pas toujours sur le marché du travail, notamment à la faveur de plusieurs trajectoires où figure un diplôme du premier cycle du supérieur technique. Il s’agit néanmoins surtout de trajectoires masculines, et les ségrégations de genre demeurent élevées. Les résultats invitent à relier plus systématiquement les ségrégations dans le système éducatif à celles vécues sur le marché du travail. Ils interrogent également la poursuite de cette « relative » amélioration en matière de promotion sociale, alors qu’actuellement le nombre d’inscriptions en master diminue en France.
EN :
During the first decade of the 2000s, the number of Master’s level graduates increased considerably in France. Looking at access to this degree level, the first objective of this paper was to highlight possible segregations linked to the diversification of pathways, in particular to a notable increase in trajectories involving a first cycle of technical higher education, trajectories in which the working and middle classes dominate. The second objective was to examine the continuation or not of these segregations in the education system into the labour market. To this end, three Céreq surveys from 2001, 2007 and 2013 for school leavers from 1998, 2004 and 2010 were used, and 26 trajectories of Master’s level graduates were constructed. Depending on the pathway in higher education and also in secondary education, the trajectories turn out to be highly segregated according to social origin and gender. However, the segregations linked to social origin in the education system do not always extend to the labour market, particularly in the case of several trajectories that include a first cycle technical higher education diploma. However, these are mainly male trajectories, and gender segregation remains high. The results call for a more systematic link between segregation in the education system and segregation in the labour market. They also raise questions about the continuation of this “relative” improvement in terms of social promotion, while the number of master’s degree enrolments is currently falling in France.
Section 2 – L’enseignement supérieur internationalisé : ce que font les circulations
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L’internationalisation de l’enseignement supérieur à Singapour : un modèle élitiste à la croisée des « mondes » ?
Valérie Erlich et Jimmy Stef
p. 107–129
RésuméFR :
Sous l’effet des politiques d’internationalisation, Singapour se positionne aujourd’hui comme l’un des pôles mondiaux de l’enseignement supérieur les plus sélectifs. Comment ces politiques se sont-elles imposées à Singapour? Se sont-elles développées selon un modèle hégémonique occidental? La concurrence entre les établissements publics et privés s’est-elle intensifiée? Les élites étudiantes se sont-elles renouvelées? Pour répondre à ces questions, l’article analyse l’impact des dynamiques d’internationalisation sur le système d’enseignement supérieur à Singapour au cours des cinquante dernières années. L’intensification de la dimension internationale à Singapour témoigne d’une reconfiguration de la structuration de ses formations et de la fabrication de ses élites. Sur la base d’une enquête de terrain combinant analyses d’entretiens auprès d’acteurs institutionnels, discours politiques et sources documentaires, l’article montre que les universités publiques singapouriennes offrent aujourd’hui des formations d’élite classées parmi les meilleures d’Asie, accueillant prioritairement les étudiants nationaux les plus dotés scolairement, dont les flux s’accroissent depuis 2010 au détriment de ceux des étudiants internationaux. De son côté, le système privé lucratif des établissements délocalisés à Singapour répond à de fortes exigences de qualité et permet de recruter un plus grand nombre d’étudiants en mobilité. En découle une dichotomie entre une élite publique formée dans les universités nationales plus sélectives scolairement et une élite privée incarnée dans les établissements privés plus sélectifs économiquement. L’enquête démontre que l’enseignement supérieur singapourien a acquis une position dominante régionale grâce à des décisions appuyées sur des valeurs inspirées à la fois du monde occidental technologiquement développé et du monde oriental en croissance rapide.
EN :
As a result of internationalisation policies, Singapore is now one of the world’s most selective centres of higher education. How did these policies take hold in Singapore? Did they develop according to a Western hegemonic model? Has competition between public and private institutions intensified? Have the student elites been renewed? To answer these questions, the article analyses the impact of internationalisation dynamics on the higher education system in Singapore over the past fifty years. The intensification of the international dimension in Singapore reflects a reconfiguration of the structuring of its education and the production of its elites. On the basis of a field survey combining analysis of interviews with institutional actors, political discourse and documentary sources, the article shows that Singaporean public universities have become elite training programmes ranked among the best in Asia, welcoming primarily the most academically gifted national students, whose flows have been increasing since 2010 to the detriment of international students. On the other hand, the lucrative private system of off-shore institutions in Singapore meets high quality requirements and enables the recruitment of a larger number of mobile students. The result is a dichotomy between a public elite trained in the more academically selective national universities and a private elite embodied in the more economically selective private institutions. The survey shows that Singaporean higher education has achieved regional dominance through decisions based on values inspired by both the technologically developed Western world and the rapidly growing Eastern world.
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L’institutionnalisation de la science politique dans l’enseignement supérieur camerounais : émergence institutionnelle, ancrage épistémique et champ politiste globalisé
Moïse Tchingankong Yanou
p. 130–149
RésuméFR :
La présente étude rend compte de l’institutionnalisation de la science politique dans l’enseignement supérieur camerounais à partir de la perspective analytique du transfert international des normes. Elle permet de découvrir que l’organisation managériale de la discipline, l’élaboration des cursus de formation, l’initiation à la manipulation des théories fondatrices et le développement des trajectoires de recherche reposent sur des expériences occidentales. Le corollaire est la formation d’un espace universitaire extraverti d’émulation du politiste qui, cependant, s’impose comme acteur du marché scientifique global par la connaissance alternative mais cumulative qu’il propose.
EN :
This study reports on the institutionalization of political science in Cameroonian higher education from the analytical perspective of the international transfer of standards. It makes it possible to discover that the managerial organization of the discipline, the development of training courses, the initiation to the manipulation of founding theories and the development of research trajectories are based on Western experiences. The corollary is the formation of an extrovert university space for emulation of the political scientist who, however, imposes himself as a player in the global scientific market through the alternative but cumulative knowledge he offers.
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Devenir étudiant·e dans un territoire d’outre-mer : les mécanismes de la démocratisation ségrégative de l’enseignement supérieur en Polynésie française
Hugo Bréant
p. 150–177
RésuméFR :
Les dépenses publiques en matière d’éducation constituent l’un des premiers postes budgétaires en Polynésie française et ont permis de renforcer les infrastructures, de diversifier l’offre locale de formation et de démocratiser l’accès à l’enseignement supérieur. Cette massification de l’accès aux formations postbaccalauréat laisse cependant dans l’ombre la persistance de fortes inégalités. Dans le débat public local, le « retard historique » du système éducatif polynésien est souvent mis en avant pour expliquer ces disparités. À partir d’une enquête postdoctorale menée à l’aide de méthodes mixtes, cet article démontre que des mécanismes à la fois territoriaux, scolaires, genrés et sociaux se combinent pour expliquer cette démocratisation ségrégative. Ainsi, l’accès des bachelier∙ères polynésien·nes à des parcours d’études locaux (à Tahiti), nationaux (en métropole) ou internationaux (au Canada notamment) demeure encore très inégalement réparti dans l’espace social local. Au-delà de la question de l’efficacité des investissements publics, une telle perspective interroge le rôle de l’institution scolaire dans la reproduction des inégalités.
EN :
Public expenditure on education is one of the largest budget items in French Polynesia and have strengthened infrastructure, diversified the local educational offer and democratized access to higher education. The massification of access to post-baccalaureate training leaves in the shade the persistence of strong inequalities. In the local public debate, the “historical delay” of the Polynesian education system is put forward to explain these disparities. Based on a post-doctoral survey conducted using mixed methods, this article demonstrates that territorial, educational, gendered and social mechanisms combine to explain this segregative democratisation. Thus, the access of Polynesian baccalaureate holders to local (in Tahiti), national (in metropolitan France) or international (in Canada in particular) study paths is still very unevenly distributed in the local social space. Beyond the question of the efficiency of public investments, such a perspective questions the role of the school institution in the reproduction of inequalities.
Section 3 – L’enseignement supérieur au coeur de diverses injonctions : professionnalisation, autonomie, intégration et décrochage scolaire en question
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Professionnaliser, oui, mais comment ? Tensions identitaires chez et entre les acteurs universitaires de la discipline STAPS en France
Philippe Terral
p. 178–196
RésuméFR :
En prenant le cas des STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives) en France, cet article se propose d’aborder, au plus près des savoirs construits et offerts à l’université, la question de la professionnalisation de ses formations en considérant les tensions identitaires que cet objectif est susceptible de produire chez et entre les acteurs de cette discipline. Notre analyse se fonde sur deux séries d’entretiens (avec au total 54 acteurs enseignant dans les formations STAPS) relevant d’une enquête longitudinale menée en deux temps (1997-2002; 2015-2019) et des observations ethnographiques participantes sur toute la période (1997-2019) dans différents espaces universitaires de cette discipline (réunions, discussions plus informelles, etc.). Nous montrons dans un premier temps que la question de la professionnalisation accroît les tensions intra- et inter-individuelles compte tenu de la dynamique de spécialisation et de segmentation croissante des activités des acteurs. Nous soulignons ensuite combien cet objectif accentue les débats et les oppositions entre les visions « académique » et « professionnalisante » des formations universitaires. Après avoir mis en évidence les fondements organisationnels, axiologiques et plus strictement épistémiques de ces deux grandes conceptions de la formation, nous nous attardons sur la façon dont la question de la professionnalisation fait ressortir la double contrainte de validité et d’utilité des connaissances et participe à porter une critique utilitariste des savoirs universitaires et de leurs modes de validation.
EN :
By studying the case of Sports Sciences (STAPS in French) in close proximity to the knowledge constructed and dispensed in this discipline, this article analyzes the identity tensions that the objective of professionalization of training is likely to produce in and between trainers. Our analysis is based on two series of interviews (with 54 actors teaching in Sport Sciences in total) from a longitudinal survey conducted in two phases (1997-2002; 2015-2019) and ethnographic participant observations over the whole period (1997-2019) in different university spaces of this discipline (meetings, more informal discussions, etc.). We first show that the challenge of professionalization increases intra- and inter-individual tensions considering the dynamics of specialization and increasing segmentation of trainers’ activities. We then emphasize how much this objective accentuates the debates and oppositions between “academic” and “professionalizing” visions of university training. After having highlighted the organizational, axiological and more strictly epistemic foundations of these two major conceptions, we focus on the way in which the question of the professionalization of training brings out the double constraint of validity and usefulness of knowledge and participates in a utilitarian critique of university knowledge and its modes of validation.
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L’innovation pédagogique rend-elle l’université plus juste ? Le cas d’une initiative locale en faveur de l’égalité des chances
Maud Aigle
p. 197–217
RésuméFR :
Depuis une vingtaine d’années, les préoccupations politiques concernant le décrochage à l’université et les programmes mis sur pied pour lutter contre ce phénomène contribuent à reformuler la question de la justice sociale dans l’enseignement supérieur. La transformation du cadre normatif qui oriente l’action publique s’accompagne du recours à des instruments spécifiques, privilégiant l’« innovation » comme mode de régulation des inégalités. En prenant pour objet un projet de lutte contre le décrochage porté par des enseignants et des membres du personnel administratif d’un IUT, cet article s’intéresse à la manière dont se construit la légitimité de l’innovation pédagogique au sein de l’espace universitaire. L’analyse du travail quotidien mené par les membres montre que le processus par lequel une activité pédagogique singulière est hissée au rang de standard ne relève pas uniquement d’un mouvement d’adhésion à des valeurs communes. Il repose également sur le déploiement d’instruments de gestion assurant une régulation managériale des établissements.
EN :
For the past twenty years, the issue of university dropouts has been on the agenda and has helped to reformulate the question of social justice in higher education. The transformation of the normative framework guiding public action has been accompanied by the use of dedicated instruments, privileging “innovation” as a means of regulating inequalities. By taking as object a project to fight school drop-out carried out by teachers and administrative staff of an IUT, this article studies how the legitimacy of pedagogical innovation is constructed within the university space. The analysis of the daily work carried out shows that the process by which a singular pedagogical activity is elevated to the rank of standard is not only based on a movement of enrolment to common values. It is also based on the deployment of management instruments that ensure the managerial regulation of institutions.
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Être doctorant·e dans un laboratoire de recherche en histoire et en histoire de l’art : entre appartenance commune et intégrations différenciées à l’institution
Nicolas Broisin, Perrine Camus-Joyet, Camille Cordier, Irène Gimenez, César Jaquier, Elsa Neuville, William Fize et Lucie Roudergues
p. 218–241
RésuméFR :
À partir d’enquêtes par questionnaires puis par entretiens, cet article analyse l’intégration des doctorant·es au sein d’un laboratoire français de recherche en histoire et en histoire de l’art modernes et contemporaines (« Lab »), au service d’une réflexion plus globale sur la production des inégalités dans les domaines de l’enseignement supérieur et de la recherche. L’enquête fait le constat de l’absence de constitution d’un collectif de doctorant·es, tant entre elles et eux qu’au sein du laboratoire. Plusieurs raisons sont avancées pour expliquer cette absence. En premier lieu, la communauté des doctorant·es n’existe qu’en théorie : elles et ils ont des parcours avec de fortes différences, qu’il s’agisse de leur situation financière, de leur localisation géographique ou de leur parcours de vie. Cette situation est complexifiée par le statut hybride des doctorant‧es, qui les maintient dans une professionnalisation inachevée. Et si une image de doctorant·e imaginaire semble être partagée, les vécus révélés par l’enquête plaident pour des différences profondes dans l’appréhension de cette période particulière de la vie d’un·e chercheur·euse. Dans cette diversité, le laboratoire pourrait apparaître comme un acteur unifiant. Or, impensé par la quasi-totalité des doctorant‧es à l’entrée de thèse, il est l’objet d’un intérêt lointain par la suite, sans devenir une réelle structure d’appui pour la majorité d’entre elles et eux.
EN :
Based on a quantitative and a qualitative interview surveys, this article analyzes the integration of doctoral students within a French research laboratory in modern and contemporary history and art history (called “Lab”), with a view to a more global reflection on the production of inequalities within higher education and research. These two surveys allow us to note the absence of a collective of doctoral students, both among themselves and within the laboratory. Several reasons can explain this absence. Firstly, the community of doctoral students exists only in theory: they have very different backgrounds, whether it be in their financial situation, their geographical location or their life course. This situation is complicated by the hybrid status of doctoral students, which keeps them in a state of unfinished professionalization. And if an image of the imaginary doctoral student seems to be shared, the lived experiences documented by the survey argue for profound differences in the apprehension of this particular period of a researcher’s life. Given this diversity, the laboratory could appear as a unifying actor. Unknown by almost all doctoral students at the beginning of their thesis, it is the object of a distant interest thereafter, without becoming a real support structure for the majority of them.
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L’autonomie des universités à l’épreuve des politiques institutionnelles au Québec
Abdoulaye Anne et Étienne Chabot
p. 242–259
RésuméFR :
Traditionnellement, la relation entre le gouvernement québécois et les universités s’est établie sur la base de l’autonomie de ces dernières, principe reconnu par la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec (commission Parent) en 1964. À la lumière d’un cadre d’analyse des politiques éducatives intégrant des approches sociocognitives (Lessard et al. 2008; Lessard et Carpentier, 2015), nous posons l’idée que l’autonomie institutionnelle apparaît comme un référentiel sectoriel qui donne sens aux actions des membres de la communauté universitaire et qui cristallise leur vision de leur rôle et de leur place dans la société (Muller, 1995). Toutefois, en dépit de cette autonomie, l’institution universitaire reste, pour certains, soumise à diverses pressions du fait de l’action de l’État remettant en question son autonomie. Ces pressions sont alors circonstancielles (ex. : crise sanitaire comme la COVID-19) ou inscrites dans des évolutions politiques ou sociales plus globales (ex. : démocratisation de l’enseignement, néolibéralisme, etc.). À travers l’analyse de trois interventions étatiques ciblées : (i) la Loi sur l’Université du Québec et la création du Conseil des universités (1968), (ii) la Politique à l’égard des universités (2000) et (iii) les directives ministérielles liées à la crise sanitaire de la COVID-19 (2020-2021), nous tentons de montrer que ces pressions résultent d’une tension entre le référentiel sectoriel, soit l’autonomie institutionnelle, et les référentiels globaux dominants.
EN :
Traditionally, the relationship between the State and Quebec universities has been established based on the latter’s autonomy, a principle recognized by the Royal Commission on Education in the Province of Quebec (Parent Commission) in 1964. Considering a framework for analyzing the implementation of educational policies, incorporating socio-cognitive approaches (Lessard et al. 2008; Lessard and Carpentier, 2015), we propose the idea that institutional autonomy appears as a sectoral referential that gives meaning to the actions of members of the university community and crystallizes their vision of their role and place in society (Muller, 1995). Despite this autonomy, university as an institution remains, for some, subject to various pressures due to the action of the State that questions its autonomy. These pressures are either circumstantial (e.g., health crises such as COVID-19) or part of more global political or social developments (e.g., democratization of education, neoliberalism, etc.). Through the analysis of three targeted state interventions: (i) the University of Quebec Act and the creation of the Council of Universities (1968), (ii) the University Policy (2000) and (iii) the ministerial directives related to the COVID-19 health crisis (2020-2021), we will try to prove that these pressures result from a tension between the institutional autonomy as a sectoral referential, and the dominant global ones.
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Note de recherche. Les universités et leurs étudiant·es en temps de pandémie au Québec : une analyse à chaud
Pierre Doray, Amenan Rachel Kongo et Simon Bilodeau-Carrier
p. 260–291
RésuméFR :
En mars 2020, peu après l’apparition de la COVID-19, l’OMS déclare l’état de pandémie, signe d’une rapide internationalisation de la propagation du virus. Dans chaque pays, nous assistons au déclenchement de nombreuses mesures de précautions face à l’ampleur de la menace que représente cette crise, laquelle est également marquée par de fortes incertitudes dans différents champs sociaux, dont l’enseignement universitaire. Cet article propose des hypothèses de recherche plausibles portant sur les parcours éducatifs des étudiant·es en confrontant les appréhensions formulées dans la sphère publique et quelques données sur les inscriptions dans les universités québécoises. Notre analyse dégage une situation avec des retombées fort différentes sur les parcours des étudiant·es. D’une part, les appréhensions conduisent à penser un processus de fragilisation des parcours éducatifs. D’autre part, l’évolution des inscriptions fait ressortir des changements variables (en croissance ou en décroissance) selon le sexe, l’âge, le statut légal des étudiant·es et les cycles d’études.
EN :
In March 2020, the WHO declares the state of pandemic to the COVID-19, sign of a rapid internationalization of the spread of the virus. In each country, we are witnessing the launch of numerous precautionary measures in response to the magnitude of the threat posed by this crisis, which is also marked by strong uncertainties in different social fields, including university education. This article proposes plausible research hypotheses on the educational pathways of students by confronting the apprehensions formulated in the public sphere and some data on enrolment in Quebec universities. Our analysis reveals a situation with very different impacts on students’ educational paths. On the one hand, the apprehensions lead us to think of a process of weakening of educational paths. On the other hand, the analysis of enrolment data reveals changes, which vary according to gender, age, legal status and study cycle.