Introduction

Des crises sanitaires aux crises politiques[Notice]

  • Renaud Crespin et
  • Carole Clavier

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  • Renaud Crespin
    Chercheur — Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Centre de sociologie des organisations (UMR 7116), SciencesPo

  • Carole Clavier
    Professeure — Département de science politique, Université du Québec à Montréal
    Responsable de l’axe Politiques publiques et santé des populations — Réseau de recherche en santé des populations du Québec

Toutes les crises sanitaires sont des crises politiques (Zylberman, 2012), ou plutôt toutes les crises sanitaires peuvent devenir des crises politiques. Rappelons que, pendant des années, l’épidémie du syndrome d’immunodéficience acquise (SIDA) n’a pas été une crise politique. Elle est longtemps demeurée une épidémie à bas bruit, du fait du décalage entre le moment de l’infection et celui de la mort, mais aussi de l’incapacité des autorités scientifiques et politiques à reconnaître la gravité d’une situation frappant d’abord des populations marginalisées et stigmatisées. Il a ainsi fallu près d’une décennie pour que le sida devienne une crise politique, à la suite de l’activisme des associations et du cumul de milliers de morts. Par contraste, en 2020, la pandémie de COVID-19 se transforme rapidement en crise politique, en raison de ses effets sanitaires, mais aussi de la réaction des gouvernements à la propagation visible de la maladie (Catlin, 2021). Ce qui constitue l’événement de cette pandémie relève ainsi moins de ses propriétés intrinsèques que des réponses politiques et sanitaires inédites qu’elle a suscitées. Ces réponses ont bouleversé les vies familiale, sociale et professionnelle à l’échelle planétaire (Agier, 2020). Dans le même temps, elles dépendent de contextes institutionnel, politique, social, économique et international toujours particuliers (Gaille et Terral, 2021; Jasanoff et al., 2021). Entre leur singularité relative et leur déploiement dans des espaces sociaux déjà structurés, ces crises sanitaires sont politiques à plusieurs égards. Tout d’abord, elles révèlent des inégalités socioéconomiques dont elles se nourrissent, accentuant des vulnérabilités préexistantes et des difficultés d’accès aux soins. Par ailleurs, elles appellent des réponses de la part des autorités publiques inscrites dans des dynamiques institutionnelles et organisationnelles spécifiques. À cet égard, les crises sanitaires peuvent être amplifiées suivant les orientations des politiques publiques dans différents domaines (systèmes de santé, sécurité du revenu, prise en charge des personnes âgées dépendantes, etc.) et le degré de préparation comme de légitimité des institutions de santé publique. Enfin, elles interrogent les régimes démocratiques parce qu’elles sont souvent associées à des mesures exceptionnelles et constituent l’occasion de débats publics singuliers, façonnés par les relations entre les savoirs existants et émergents et la peur. Ce numéro de Lien social et Politiques discute ces trois dimensions politiques des crises sanitaires, en particulier – mais pas seulement – à partir du cas de la pandémie de COVID-19. En septembre 2020, Richard Horton, rédacteur en chef du Lancet, y titrait que la COVID-19 n’était pas une pandémie. Il ne cherchait pas à minimiser l’importance de la maladie à l’échelle mondiale, mais plutôt à remettre en question le cadrage exclusivement épidémiologique et clinique que les gouvernements et la plupart des experts médicaux attribuaient à la situation. Il proposait pour sa part un cadrage tenant compte des inégalités sociales lorsqu’il soutenait que la COVID-19 était une syndémie (Horton, 2020). Ce concept désigne les liens entre au moins deux maladies et leurs interactions avec le contexte social et politique (Singer et al., 2017). La gravité de l’infection par le SARS-COV-2 est accentuée par des maladies préexistantes, souvent chroniques, elles-mêmes influencées par les conditions de revenu, d’emploi, de logement, d’alimentation, etc. Il ressort de ce cadrage sociopolitique que les solutions uniquement biomédicales ne sont pas suffisantes et qu’il convient de considérer les disparités sociales et leurs causes pour prendre la véritable mesure de la COVID-19 et limiter l’ampleur de ses effets. À ce titre, des analyses subséquentes ont mis en évidence le poids démesuré de la prévalence de la COVID-19 et de sa létalité parmi les populations les plus défavorisées socialement et économiquement (par exemple Bambra, Lynch et Smith, 2021; Bassett, Chen et Krieger, 2020; …

Parties annexes