Depuis la fin du XXe siècle, ont été mis en oeuvre dans de nombreux pays du monde des dispositifs et même des politiques de « soutien à la parentalité » (Martin, 2018). La popularisation de ce néologisme, que ce soit en français (parentalité) ou en anglais (parenting), est un premier élément qui plaide pour l’idée d’un tournant des politiques familiales et de l’enfance vers la parentalité (a parenting turn) (Knijn, Martin et Ostner, 2018). Bien entendu, ceci ne signifie nullement que l’idée d’encadrer les parents ou, surtout, de les former à leur propre rôle soit nouvelle. Il est bien établi que l’éducation des mères et l’encadrement de leurs pratiques de soins et d’éducation, mais aussi l’éducation des parents — avec par exemple l’initiative de créer dès 1929 une « école des parents » en France — ont fait l’objet de fortes mobilisations de la part d’experts, ainsi que des pouvoirs publics, aussi bien pour « sauver les enfants » (enjeu de mortalité infantile), que pour garantir des pratiques parentales en capacité de « produire » des enfants de la meilleure qualité possible, jusqu’à prendre la forme de l’eugénisme (Humphries et Gordon, 1993 ; Martin, à paraître ; Norvez, 1990 ; Rollet-Échallier, 1990). Pour autant, au-delà du changement des termes en usage (comme passer de l’éducation, de la socialisation ou du child rearing à la parentalité ou au parenting), de nombreux auteurs plaident pour un changement de cultures de parentalité ou de parenting cultures. Les savoirs mobilisés, les normes véhiculées, les modalités d’intervention se renouvellent ; ils peuvent viser soit des individus et des ménages, soit la collectivité tout entière. Le rôle joué par les médias et internet, qui ont considérablement accéléré la circulation des savoirs, ou bien celui de la commercialisation des nouvelles pratiques de coaching et de conseils aux parents ne sont évidemment pas pour rien dans ces nouveaux régimes de socialisation. Mais ce qui frappe aujourd’hui nombre d’analystes est le lien qui se renforce entre la logique de responsabilisation des parents face aux conséquences de leur rôle et le développement d’une logique globale d’individualisation dans la définition des politiques publiques dans un contexte néolibéral. La « question parentale » est reformulée dans cette perspective à l’échelle de la planète et relayée par des organisations internationales. En plus du développement des conseils adressés aux parents pour améliorer leurs « compétences » et « performances » parentales, il est tout aussi important de noter toute une gamme de nouvelles expressions qui mettent en lumière le difficile positionnement du curseur entre les styles parentaux « autoritaire » et « laisser-faire » avec cette troisième voie que Diana Baumrind qualifiait en 1966 de style parental « authoritative » (Baumrind, 1966). Depuis l’Après-guerre, sont soulignés les effets dévastateurs des parents « abandonniques », qui ne s’engagent pas affectivement auprès de leur enfant, compromettant l’attachement qui serait la clé de la confiance nécessaire pour que les enfants accèdent à l’autonomie. On parle alors de parents négligents, voire malveillants. Aujourd’hui, on insiste davantage sur la nécessité pour les parents de « s’investir » dans leur rôle parental afin d’optimiser la socialisation de leur enfant et de lui préparer le meilleur futur possible. En étudiant ce travail parental dans les couches moyennes étatsuniennes, Annette Lareau a avancé le concept de « concerted cultivation » pour désigner ces pratiques parentales visant à accumuler du capital intellectuel et social pour ses enfants en se saisissant d’opportunités (Garcia, 2018 ; Lareau, 2011). On utilise aussi l’expression d’intensive parenting pour rendre compte de ce haut niveau d’engagement des parents dans leur travail …
Parties annexes
Bibliographie
- Baumrind, Diana. 1966. « Effects of Authoritative Parental Control on Child Behavior », Child Development, 37, 4 : 887-904.
- Furedi, Frank. 2002. Paranoid Parenting. Why Ignoring the Experts May be Best for Your Child. Chicago, Chicago Review Press.
- Furedi, Frank. 2014. « Foreword », dans Ellie Lee, Jennie Bristow, Charlotte Faircloth et Jan Macvarish (dir.). Parenting Culture Studies. Londres, Palgrave Macmillan : i-xii.
- Garcia, Sandrine. 2018. Le goût de l’effort. La construction familiale des dispositions scolaires. Paris, PUF.
- Humphries, Steve et Pamela Gordon. 1993. A Labour of Love: The Experience of Parenthood in Britain, 1900-1950. Londres, Sidgwick & Jackson.
- Knijn, Trudie, Claude Martin et Ilona Ostner. 2018. « Triggers and Drivers of Change in Framing Parenting Support in North-Western Europe », dans Guðný B. Eydal et Tine Rostgaard (dir.). Handbook of Family Policy. Cheltenham, Edward Elgar : 152-166.
- Lareau, Annette. 2011. Unequal Childhoods. Class, Race and Family Life. Berkeley, University of California Press.
- Martin, Claude. [À paraître]. « Educating Parents: A Policy Issue », dans Mary Daly, Neil Gilbert, Birgit Pfau-Effinger et Douglas J. Besharov (dir.). International Handbook of Family Policy: A Life-Course Perspective. Oxford, Oxford University Press.
- Martin, Claude. 2019. « La pensée positive au service de la parentalité ou l’inverse ? », Revue Spirale, 91 : 61-69.
- Martin, Claude (dir.). 2018. Accompagner les parents dans leur travail éducatif et de soin. Paris, La Documentation française.
- Norvez, Alain. 1990. De la naissance à l’école. Santé, modes de garde et préscolarité dans la France contemporaine. Paris, INED-PUF.
- Rollet-Échallier, Catherine. 1990. La politique à l’égard de la petite enfance sous la Troisième République. Paris, INED-PUF.