Résumés
Résumé
Dans un contexte caractérisé par la volonté d’accroître la responsabilisation individuelle des salariés dans l’acquisition et le maintien de leurs compétences professionnelles, l’utilisation du numérique apparaît aux yeux de certains décideurs comme une solution pertinente pour former leurs employés plus rapidement et en lien plus direct avec la stratégie des entreprises. Mais au-delà des principes séduisants, que montrent les expérimentations en cours ?
Pour apporter des éléments de réponse, nous nous appuyons dans cet article sur une enquête qualitative réalisée auprès des apprenants et des formateurs qui ont suivi — voire, pour certains, qui ont mis en place — une formation à distance entièrement numérisée (Corporate Open Online Courses ou COOC) au sein d’une grande entreprise. Nous pointons l’importance du taux d’abandon chez les apprenants, les difficultés des formateurs à exercer leur nouveau rôle d’animateur, et soulignons les discontinuités que la numérisation de la formation induit sur les espace-temps de travail et sur les interconnaissances professionnelles. Nous montrons également que ces discontinuités ont des effets différenciés sur les capacités d’apprentissage des salariés. Grâce à l’approche par les capacités d’Amartya Sen, nous interprétons ces constats en termes de facteurs de conversion (environnementaux, sociaux, individuels). Nous soutenons que c’est l’absence de ces trois catégories de facteurs qui explique, pour les apprenants et pour les formateurs, les discontinuités rencontrées et les inégalités dans la maîtrise des nouveaux dispositifs de formation. Enfin, nous esquissons des pistes pour repenser la numérisation de la formation continue, afin de réduire les risques d’inégalités sociales cristallisées autour de ce type de dispositifs technico-pédagogiques.
Mots-clés :
- numérique,
- formation,
- COOC,
- environnement capacitant,
- espace,
- temps,
- interconnaissance,
- discontinuité
Abstract
In a context characterized by the desire to increase the individual responsibility of employees in the acquisition and maintenance of their professional skills, the use of digital devices appears to some decision-makers as a relevant solution to train their employees more quickly and in a more direct link with business strategy. But beyond these attractive principles, what do the current experiments show?
To provide some answers, in this article, we rely on a qualitative survey of learners and trainers who have followed - or, for some, implemented - fully digitized distance learning (Corporate Online Open Courses), within a big company. After having indicated the importance of the dropout rate among learners and the difficulties of trainers in exercising their new role of facilitator, we highlight the discontinuities that the digitalization of training induces in terms of working time-space and professional interknowledge networks. We also show that these discontinuities have differentiated effects on the learning abilities of employees. Based on Amartya Sen's capacity approach, we interpret these findings in terms of conversion factors (environmental, social, individual). This allows us to argue that it is the absence of these three categories of factors which explains, for both learners and trainers, the discontinuities encountered and the inequalities in the mastery of the new training devices. Finally, the same framework of analysis allows us to sketch out ways to rethink the digitalization of professional training in order to reduce the risks of social inequalities crystallized around this type of technical-educational devices.
Keywords:
- digital,
- training,
- vocational training,
- COOC,
- enabling environment,
- time-space,
- interknowledge,
- discontinuity
Corps de l’article
Introduction
Depuis le début des années 2000, l’emploi massif des technologies numériques dans les secteurs de la production et de la consommation a donné lieu à des analyses contrastées, certaines annonçant la fin du travail, d’autres soulignant au contraire les potentialités émancipatrices de ces dispositifs. Toutes, néanmoins, insistent sur les profonds bouleversements que devraient engendrer leurs usages cumulés. Qu’il s’agisse des statuts d’emploi ou du contenu même des activités, toutes les facettes des univers professionnels semblent promises à une remise en cause permanente. Cette accumulation de changements peut s’avérer déstabilisante et constituer la source d’inégalités nouvelles entre salariés.
D’autant plus que la numérisation des économies engendre des configurations paradoxales où se confrontent l’incontrôlable obsolescence des compétences et l’impératif d’anticiper sur les évolutions de ces mêmes compétences. Face à ces contradictions, les entreprises cherchent à concilier deux finalités contradictoires : contenir la croissance de leur budget consacré à la formation d’un côté et amener (tous) leurs salariés à acquérir rapidement les compétences pertinentes pour que ces derniers puissent agir efficacement dans des contextes particulièrement concurrentiels.
C’est sur cet arrière-fond que sont élaborées, au sein des entreprises, des politiques de formation promouvant : a) l’usage de plateformes numériques ; b) le tout à distance ; c) des pédagogies mettant le salarié au centre des dispositifs ; d) et la redéfinition des rôles des formateurs. Ces orientations s’inspirent des discours sur l’individu acteur de ses apprentissages et de la communication liés aux Massive Open Online Courses[1] (MOOC), sans que soit nécessairement prises en compte les leçons tirées de précédentes générations de dispositifs technico-pédagogiques (e-learning ou campus numériques dans les années 2000). En effet, le fort taux d’abandon constaté par le passé a été expliqué par des facteurs cognitifs, par l’absence de savoirs pratiques préalablement acquis, voire par la faible appétence pour les usages du numérique, etc.
Mais les contextes organisationnels ont rarement été considérés comme la cause du relatif échec de ces expérimentations. Or, l’absence de prise en compte des environnements de travail (lors de la dispense proprement dite, mais aussi lors de l’application des savoirs dispensés) nous semble constituer un risque d’inégalité croissante entre individus au travail. On peut en effet faire l’hypothèse que, si les offres de formation numérique ignorent la nécessité de repenser l’organisation du travail des apprenants et des formateurs, non seulement le taux d’« abandonnistes » continuera d’être élevé, mais cela accentuera surtout l’inégale répartition des capacités à se saisir des nouvelles opportunités d’apprentissages.
Pour éclairer ces interrogations, nous présentons les résultats d’une recherche qualitative concernant une formation entièrement à distance, proposée à une partie des cadres (formateurs, marketeurs, chargés de communication, etc.) d’une multinationale du secteur des télécommunications. Cette formation nous a paru en effet emblématique des évolutions récentes en matière d’offre de formation et des enjeux associés : en tant que dispositif technico-pédagogique, elle incarne la forme radicale de la numérisation et de la remise en cause des métiers de la formation ; en tant que dispositif expérimental, elle matérialise la volonté managériale de faire du secteur de la formation le fer de lance de la numérisation de l’entreprise ; en tant que projet pédagogique, elle manifeste la faible prise en compte des dimensions organisationnelles, ce qui se traduit par un taux élevé d’abandons.
Plus précisément, nous commençons par reconstituer les évolutions récentes, en matière de politique interne de formation, dans cette multinationale : la formation doit être recentrée sur un rôle d’instrument au service des décisions stratégiques. Puis nous décrivons le dispositif d’enquête, ainsi que les caractéristiques du dispositif numérique de formation de type COOC.
Nous analysons ensuite les différentes significations de l’abandon, en partant du constat que, pour suivre la formation, les salariés (apprenants et formateurs) ont été confrontés à une absence de lien social, absence elle-même résultant de la triple fragmentation de l’espace, du temps et des interconnaissances. Cela nous permet de préciser les formes contemporaines prises par les inégalités vis-à-vis des nouvelles modalités de formation, aussi bien du côté des apprenants que du côté des formateurs. En mobilisant l’approche par l’environnement capacitant, nous montrons, alors, que ce sont les différences vis-à-vis des facteurs de conversion (individuels, sociaux et environnementaux) qui expliquent : a) chez les apprenants, les inégalités en matière de capacité à se former avec les nouveaux dispositifs ; b) et chez les acteurs de la formation, les inégalités en matière de capacité à s’approprier leurs nouveaux rôles, tout en continuant à transmettre des savoirs.
1. Numériser la formation : un objectif stratégique en soi
Le département interne de la formation de cette multinationale a, depuis plusieurs années, connu de nombreux chamboulements, tant en ce qui concerne sa dimension organisationnelle, que son rôle, ses principes d’ingénierie pédagogique et les contenus enseignés[2]. D’une part, la direction de la formation doit dorénavant composer avec les « directions métiers » (commercial, marketing, réseaux, finance, etc.) pour définir la stratégie en matière de développement des compétences. D’autre part, s’impose à elle, pour des raisons budgétaires, l’impératif de « ré-internaliser » une partie des cours en faisant appel à des intervenants internes, salariés experts d’un sujet.
Le rôle de la formation a lui aussi progressivement évolué : autrefois mode de diffusion des connaissances techniques et canal principal de promotion interne (préparation aux concours), la formation est de plus en plus mise au service des changements stratégiques. Ainsi, il lui faut soutenir un besoin d’innovation croissant, pour lequel les salariés doivent se former au fil de l’eau, avec des formations de plus en plus courtes et dispensées sur différents équipements informatiques portables. Et pour cela, la première étape consiste à former les ingénieurs de formation, à les persuader d’adhérer aux objectifs stratégiques de la formation et surtout à les convaincre du rôle d’accompagnement que doit jouer la formation dans ces évolutions successives. Dans un second temps, la stratégie suppose que ces spécialistes d’ingénierie diffusent auprès des formateurs des différentes « Écoles métiers[3] » l’esprit général des réformes. Dans un troisième temps, on attend des formateurs qu’ils inscrivent les évolutions stratégiques dans la conception et dans la dispense de leurs cours.
C’est sur cet arrière-fond complexe et mouvant qu’il faut comprendre le sens de l’injonction à utiliser les dispositifs numériques dans la formation. Cette dernière s’inscrit dans un projet stratégique plus global. Prenant acte des avantages, mais aussi des risques que l’emploi des dispositifs numériques récents (réseaux sociaux, Internet sur les téléphones portables et les tablettes) représente dans les univers organisés, les différentes composantes fonctionnelles de la direction cherchent à en maîtriser les effets. Cela passe par une incitation forte à favoriser, dans toutes les divisions de l’entreprise, l’usage le plus large des dernières générations d’outils ; et cela passe surtout par la mobilisation générale des acteurs de la formation, pour qu’ils s’approprient, tels les agents d’une avant-garde, ces outils, notamment en « digitalisant » la formation.
La numérisation de la formation sert aussi d’autres finalités, comme la réduction du budget de la formation, une meilleure maîtrise des aspects logistiques (réservation de salles, fourniture de supports, etc.), sans oublier la recherche d’amélioration en matière d’apprentissage, toutes ces finalités étant subtilement liées dans l’intention des promoteurs de la formation.
2. Une formation emblématique des enjeux de la numérisation
C’est dans ce cadre que s’inscrit la formation étudiée conçue pour aider les acteurs de la formation (concepteurs, ingénieurs pédagogiques, formateurs, chargés de communication, etc.) à intégrer le numérique dans leur métier. Elle présente plusieurs caractéristiques qui en font un objet d’étude emblématique des enjeux contemporains de la numérisation du travail. On peut, en effet, la voir comme une réalisation expérimentale visant : à symboliser l’engagement de l’entreprise dans la numérisation de ses activités ; à tester la pertinence de choix pédagogiques liés à l’introduction des MOOC en entreprise ; et, enfin, à évaluer la capacité des équipes de formateurs internes à concevoir et à développer des dispositifs de ce type.
Plus précisément, l’objectif affiché de la formation est de contribuer à la diffusion d’une culture numérique au sein de l’entreprise, en fournissant des ressources, mais aussi des savoirs et des savoir-faire, aux salariés employés dans le domaine de la formation, de la communication, du marketing. En initiant d’abord les acteurs de la formation, les promoteurs de la démarche espèrent créer un effet de démultiplication auprès des autres catégories de salariés.
Concrètement, cette formation est construite sur le modèle des COOC[4]. À ce titre, les concepteurs internes de cette formation ont non seulement cherché à utiliser des supports numériques variés (textes de référence, contenus vidéo, quizz, etc.) et des outils comme les réseaux sociaux — supposés favoriser la collaboration —, mais ils veulent également promouvoir une pédagogie dite inversée, une pédagogie qui repose sur le postulat que c’est aux apprenants de construire leur parcours et leurs savoirs. Ainsi, l’organisation générale du COOC, son découpage fin et son séquencement souple, ou les modalités de son suivi visent à guider l’apprenant, en le laissant prendre des initiatives pour rechercher des informations, poser des questions, répondre aux questions posées par d’autres apprenants sur un forum, etc.
Cette formation est formellement facultative, mais la décision de la suivre est révélatrice des enjeux au sein de l’entreprise : son caractère facultatif illustre la volonté de rendre les salariés « acteurs » de leurs parcours. Le « virage » du numérique étant présenté comme incontournable, ne pas suivre cette formation, c’est prendre le risque de passer à côté d’une opportunité.
La formation est dispensée entièrement à distance et s’étend sur sept semaines : plus précisément, à chacune des six premières semaines correspond un module que l’apprenant suit à son rythme, aux heures qui lui conviennent selon son emploi du temps. L’apprenant doit avant tout compter sur lui, car il n’y a pas de formateurs, seulement des animateurs qui, au lieu de dispenser des savoirs sur le modèle du cours magistral, doivent s’effacer pour faciliter l’autoformation des apprenants en les incitant à répondre aux questions posées par leurs pairs sur les forums dédiés.
La formation est certifiante. Les modalités de l’évaluation consistent : a) à valider les six premières semaines au moyen de quizz (chaque quizz peut être recommencé plusieurs fois jusqu’à ce que l’apprenant atteigne le score requis) ; b) puis à rédiger un mémoire sur un sujet choisi par l’apprenant lors de la septième semaine (les sujets concernent la numérisation d’une formation existante ou à créer et, pour faciliter la tâche des apprenants, la structure de ce mémoire est déjà préparée par les concepteurs) ; c) enfin, à évaluer le mémoire de trois apprenants anonymisés.
Sur plus de 600 inscrits, seuls 95 ont validé les six premiers modules et 35 ont rendu un mémoire, obtenant ainsi le « badge de compétences » final. Ces données confirment l’intérêt que représente la question de l’abandon dans la formation, mais aussi l’importance de l’interprétation de cet abandon.
3. Une recherche qualitative exploratoire
Nous avons nous-mêmes suivi les différents modules, à l’exception de la rédaction du mémoire final et de l’évaluation[5]. Nous avons consulté les forums et interviewé vingt apprenants et quatre animateurs. Les vingt apprenants (onze femmes, neuf hommes) occupent une grande variété de fonctions : formateur, soutien métier, ingénieur de formation, animateur formateur, expert formateur, conseiller accompagnement et développement, chef de projet formation métier, responsable de parcours client, responsable pilotage et performance, chef de marché, responsable déploiement, etc. Quatre d’entre eux exercent des fonctions d’encadrement. La distribution par tranche d’âges est proche de celle de l’entreprise. Quant aux animateurs (deux femmes et deux hommes), ils ont entre 30 et 50 ans, et possèdent une expérience dans le domaine de la formation.
4. Abandons et fragmentations
Intéressons-nous aux raisons pour lesquelles les apprenants, d’une part, et les animateurs, d’autre part, ont décidé de participer à cette formation expérimentale.
4.1 Les différentes significations de l’abandon
Pour plusieurs apprenants, le caractère incomplet du cursus ne correspond pas à un échec, mais à un choix. Ces salariés se sont inscrits à la formation pour deux principales raisons : pour actualiser leurs connaissances en matière d’utilisation du numérique dans le cadre de leur fonction ; pour compléter leurs sources d’information, notamment lorsqu’ils suivent en parallèle un cursus certifiant interne ou diplômant externe. Dès leur inscription, ces apprenants ne voulaient pas suivre le COOC jusqu’au bout : ils manifestent ainsi leur volonté d’être acteurs de leurs parcours de formation et de leurs apprentissages, conformément au nouvel état d’esprit promu par la stratégie de l’entreprise. Parmi ceux qui n’avaient pas l’intention de suivre l’intégralité du COOC, on compte aussi : de jeunes apprentis souhaitant faciliter leur intégration en se situant par rapport à leurs collègues ; des salariés qui montrent leur adhésion à la stratégie interne de l’entreprise ; des participants inscrits pour des motifs familiaux (aider leurs enfants en difficulté d’apprentissage scolaire).
À l’opposé, une partie des salariés se sont inscrits dans le but d’obtenir leur certification : acquérir des compétences pour assumer de nouvelles missions. Dans ce cas, l’obtention de la certification à ce COOC constitue un premier capital, dans la perspective d’une évolution professionnelle future. Pour eux, l’abandon constitue un échec : ils auraient voulu obtenir leur certification.
Quant aux animateurs du COOC, certains, en phase avec les objectifs stratégiques, ont voulu expérimenter de nouvelles façons d’accompagner les apprentissages. D’autres avaient déjà animé, au moins en partie, ce type de dispositifs technico-pédagogiques. D’autres encore y ont trouvé un moyen de réduire leurs déplacements : l’animation se faisant à distance via la plateforme numérique, elle peut être pratiquée depuis le domicile ou depuis un bureau proche du domicile.
4.2 Numérisation de la formation et fragmentation du temps
Une des premières raisons d’abandon pour les apprenants en échec est le manque de savoirs et de savoir-faire nécessaires au suivi de la formation. Ils ne possèdent ni les savoirs prérequis (notamment en ce qui a trait aux théories pédagogiques et de conceptions de cours) ni les capacités à rechercher des informations en passant par les supports numériques. Par conséquent, alors que les concepteurs du COOC ont annoncé que ce travail d’apprentissage ne devait représenter que deux heures hebdomadaires, les personnes interviewées nous ont déclaré dans leur grande majorité y avoir consacré plutôt quatre heures, en particulier la dernière semaine.
Mais les abandons s’expliquent aussi par l’organisation fragmentée du temps de formation. Si les concepteurs du COOC ont bien fixé des bornes temporelles (chaque module doit, en principe, être réalisé en une semaine), les apprenants sont censés pouvoir s’organiser à leur guise pour réaliser les tâches requises : lire les documents et visionner les contenus vidéo, rechercher les informations complémentaires, les assimiler, consulter les forums, participer aux réunions téléphoniques hebdomadaires, répondre aux questions du quizz, sans parler de la réalisation du mémoire. Or, tous les apprenants ne bénéficient pas des mêmes conditions (poste, position hiérarchique, etc.) et ne disposent pas des mêmes marges de manoeuvre pour réserver, pendant les sept semaines de la formation, des plages de temps à la fois suffisamment longues (continuité pour se concentrer) et leur permettant de s’isoler. Ainsi, plusieurs apprenants, suivant les conseils donnés par les animateurs, ont réservé des plages dans leur agenda, mais ils ont dû le plus souvent les déplacer, voire y renoncer, en fonction des contraintes opérationnelles. Certains ont sacrifié une partie de leur temps libre, d’autres ont pris du retard qui, progressivement, les a placés en situation d’échec.
On le voit : la diversité des parcours, des expériences, des fonctions exercées et des contextes organisationnels se traduit par une grande dispersion du temps requis pour suivre et valider les différents modules, par un empiétement des activités de travail sur l’espace privé, et par une inégale distribution des capacités à respecter le rythme d’avancement. Il en a résulté, pour une partie des inscrits, un décrochage progressif, du découragement, voire de l’épuisement et de la démotivation : malgré le temps que ces apprenants consacraient à la formation, ils ne parvenaient pas à tenir le rythme.
Du côté des animateurs, le problème de la fragmentation des temps se pose également : ces derniers doivent improviser pour déterminer l’organisation pertinente de leur temps de travail. Quel doit être leur niveau de réactivité pour encadrer les échanges sur le forum, y compris en dehors des horaires de travail ? À quels moments et comment relancer ces échanges, sachant que l’animateur doit trouver un subtil équilibre entre l’autonomisation des participants et leur encadrement : il doit par exemple permettre aux autres apprenants de répondre aux questions posées sur le forum, sans pour autant laisser trop longtemps des questions sans réponses ? Il est ainsi attendu des formateurs-animateurs qu’ils « gèrent » leur degré de disponibilité, sans que soient fixées a priori de bornes : les apprenants pouvant intervenir à n’importe quel moment de la semaine, ne devraient-ils pas surveiller en permanence les forums ? Nous retrouvons ici l’hypothèse formulée par Sophie Pène, selon laquelle les usages contemporains de nombreux dispositifs de travail nous font entrer dans « une société de disponibilité », où il nous faut « être là, répondre dans l’instant, mener tous les fils ensemble avec tous les êtres du cotravail, […] rester disposé et disponible » (Pène, 2005).
4.3 Tout à distance et fractionnement de l’espace
Toutefois, une partie des salariés, pourtant soumis à d’importantes contraintes temporelles, sont parvenus à surmonter ces difficultés et à valider la sixième, voire la septième semaine. Cette différence s’explique par la capacité de ces individus à disposer de soutien auprès d’au moins un autre apprenant, capacité qui dépendrait dans une large mesure de la possibilité d’échanger en présentiel : collègues d’un même service, ou ayant participé à un même projet ou encore à une même journée de travail, l’essentiel étant qu’ils se soient rencontrés avant le début du COOC. En effet, dans une formation en mode présentiel, les participants et le formateur partagent le même espace, le même lieu. Ils peuvent apprendre à se connaître, se jauger, repérer les personnes auxquelles ils pourront demander de l’aide ou qu’ils pourront aider. Le formateur peut, quant à lui, identifier ceux qui semblent en difficulté et, ainsi, par une action directe ou par une pédagogie adaptée, favoriser l’entraide entre pairs.
Une formation entièrement à distance et sans formateur accentue l’importance de disposer de soutien, alors même que ce dernier se révèle plus difficile à obtenir, puisque rien n’a été pensé pour que les apprenants se rencontrent, ne serait-ce qu’au début de la formation. L’abandon par manque de soutien est d’autant plus net que les individus concernés connaissent des contraintes organisationnelles et temporelles qui les empêchent de suivre toutes les activités dans les délais impartis. Contrairement à un cours en présidentiel, ils ne peuvent pas s’extraire de leur environnement professionnel, puisque leur temps de dispense n’est pas identifiable dans les plannings. Le présentiel leur aurait permis d’être à l’abri de cette sursollicitation.
D’ailleurs, ceux qui ont obtenu leur certification présentent une caractéristique commune : ils ont eu préalablement l’occasion de travailler avec au moins l’un des apprenants, même à distance. Indépendamment et préalablement au lancement du COOC, un séminaire réunissant une partie des acteurs de la formation avait été organisé. Il a été l’occasion, pour une partie des apprenants, de se rencontrer. Les liens alors noués se sont avérés utiles pendant le suivi du COOC et ont été à la base de certains « binômes de travail ».
Du côté des animateurs du COOC, la fragmentation de l’espace et le fait que ces derniers n’interviennent pas dans le lieu où se déroulent les apprentissages sont également la source de difficultés. Celles-ci sont sans doute accrues par le fait que les animateurs sont les premiers à pratiquer en interne ce type de dispositif et, à ce titre, les premiers aussi à essuyer les plâtres. En effet, les apprenants peuvent suivre la formation à leur rythme, au sein de chaque module hebdomadaire, mais aussi d’une semaine à l’autre : il existe alors une forte dispersion de leur degré d’avancement. De leur côté, les animateurs interviennent à tour de rôle, chacun lors d’une semaine précise correspondant à un contenu spécifique de cours. Il en résulte un décalage déroutant entre les demandes que formulent une partie des apprenants sur les forums de discussion et les capacités des animateurs à y répondre, demandes d’autant plus hétérogènes que l’on avance dans le déroulement de la formation.
4.4 Apprentissage à distance, dissolution du formateur et discontinuité de l’interconnaissance
Une partie des abandons peut ainsi s’expliquer par le fait que les apprenants ne connaissaient aucun collègue sur lequel s’appuyer en toute confiance pour demander de l’aide. Faute d’interconnaissance, l’apprenant isolé ne trouve pas une source d’émulation près de lui : il ne peut pas, par exemple, discuter de l’intérêt de telle consigne, de l’interprétation de telle information, il ne peut échanger sur les trucs et astuces pour « tenir la cadence », etc.
On le voit : les échecs de l’application à la lettre du tout à distance soulignent en creux l’importance du présentiel, non seulement pour des raisons directement liées à la dynamique d’apprentissage elle-même (les dimensions sociocognitives), mais également pour la dynamique d’entraide et de soutien entre pairs que le présentiel apporte. Le présentiel, par l’intersubjectivité qu’il permet, demeure le meilleur moyen de créer un réseau relationnel.
L’utilisation des outils numériques mis à la disposition des apprenants n’a pas pu compenser l’absence initiale d’interconnaissance. Les forums, par exemple, ne sont pas considérés par les apprenants interviewés comme des espaces de discussion. Nos interlocuteurs soulignent non seulement que ces outils ne permettent guère de suivre le fil d’une discussion (navigation perturbante), mais aussi qu’ils n’ont pas le sentiment de procéder à des échanges authentiques.
Du côté des animateurs, la fragmentation de l’interconnaissance constitue également un obstacle. Dans ce cas, elle résulte des choix effectués par les concepteurs du dispositif technico-pédagogique : puisque chaque animateur n’intervient que sur un module et que son rôle consiste à favoriser les échanges entre apprenants, il n’a ni le temps ni les moyens de tisser des liens d’interconnaissance. Les apprenants, quant à eux, voient se succéder sept animateurs différents pendant le COOC ; ils ne peuvent donc guère nouer une relation suivie avec chacun d’entre eux. Par ailleurs, la conception de la formation a été séparée de la pratique d’animation, ce qui a contribué à réduire les potentialités d’interconnaissance parmi les animateurs eux-mêmes.
On peut rendre compte de cette fragmentation de l’interconnaissance en termes de distance transactionnelle (Jézégou, 2007 ; Moore et Marty, 2007). Selon ce courant d’analyse, les apprentissages, et tout particulièrement ceux effectués dans le cadre d’un dispositif de formation numérique et à distance, peuvent être facilités : a) si la structure du dispositif laisse aux apprenants une large liberté de choix (des objectifs et des méthodes d’apprentissages, des conditions spatio-temporelles, des moyens nécessaires aux apprentissages) ; b) et si un dialogue authentique peut s’instaurer entre apprenants et formateurs et/ou entre apprenants. En effet, un tel dialogue, c’est-à-dire une telle série d’interactions, permet de créer de la présence, sur les plans cognitifs, éducatifs et sociaux, les formateurs jouant ici un rôle déterminant.
Dans le cas du COOC étudié, cette distance transactionnelle est très variable selon les individus, du fait de leurs parcours antérieurs, des raisons pour lesquelles ils se sont inscrits, de leurs projets professionnels et des conditions dans lesquelles ils peuvent effectivement se former. En particulier, non seulement les conditions spatio-temporelles (liées au type de fonction exercée) et les objectifs d’apprentissages (les raisons de s’inscrire) sont extrêmement hétérogènes (comme nous l’avons vu plus haut), mais la possibilité même de choisir est très inégalitairement distribuée. De plus, la théorie de la distance transactionnelle permet de mettre en exergue l’importance du dialogue, notamment entre pairs. Or, la possibilité d’instaurer une série d’interactions communicationnelles dépend de la confiance qui a pu se tisser grâce à l’interconnaissance.
5. Aux sources des dynamiques inégalitaires
Ainsi, les choix qui ont présidé à la mise en oeuvre de la stratégie générale de numérisation conduisent à la fragmentation du temps, au fractionnement des lieux de formation et à la discontinuité de l’interconnaissance. Une telle configuration explique, au moins en partie, le grand nombre d’abandons constatés à l’occasion de ce COOC. Cette importance de l’abandon, identifiée à propos de la formation en présentiel (AFPA, 2002) et à distance (Dussarps, 2015), pose la question de l’inégale aptitude des salariés à s’adapter aux nouveaux dispositifs de formation. Si la littérature scientifique met en exergue le rôle que jouent la motivation et le soutien, notre étude montre aussi l’importance des facteurs organisationnels et des choix d’ingénierie pédagogiques. Seule une partie des salariés semble en mesure d’acquérir, par le biais des formations numérisées, les savoirs et les savoir-faire jugés pertinents pour demeurer « employables » dans les entreprises contemporaines. Pourrait-on envisager de réduire un tel risque ?
5.1 L’approche par les capacités et l’analyse des inégalités
Le cadre d’analyse issu des théories d’Amartya Sen permet d’apporter des réponses. L’auteur s’est intéressé aux origines multiples des inégalités de développement (Sen, 1999a). Dans cette perspective, la « capabilité » (traduction de l’anglais capability) est définie comme l’ensemble des choix possibles, et réellement accessibles, dont dispose un individu donné, indépendamment de l’usage qu’il en fait (Sen, 1999b). C’est donc la latitude effective (et non théorique ou légale) dont dispose une personne : ce n’est pas un droit abstrait, mais une puissance d’agir concrète. Toutefois, si la capabilité est portée par des individus, elle est avant tout le résultat de processus sociaux. En effet, l’acquisition de capacités suppose que les individus aient pu acquérir préalablement les dispositions requises pour tirer profit des possibilités de l’environnement. La capabilité s’appuie sur un ensemble de ressources mobilisables, internes et externes à l’individu.
Mais il ne suffit pas de disposer de ressources : celles-ci ne deviennent des capabilités que lorsque certains facteurs de conversion sont présents. Amartya Sen identifie trois catégories de facteurs de conversion : 1. individuels (dispositions, savoirs, savoir-faire) ; 2. sociaux (contexte sociopolitique et culturel, normes sociales) ; 3. environnementaux (par exemple les infrastructures). L’intérêt de ces catégories d’analyse est de pointer ce qui fait défaut et qui passe à première vue inaperçu : si des individus ou des collectifs ne parviennent pas à s’inscrire dans une dynamique d’évolution positive, cela ne s’explique pas seulement par l’état présent de leurs compétences et de leur appétence, mais avant tout par les privations qui ont marqué leur parcours (manque de ressources) et par le décalage entre leurs dispositions et les cadres d’action actuels (facteurs de conversion absents).
S’inspirant de ces travaux, Pierre Falzon (2005) a introduit la catégorie d’environnement capacitant qui porte sur l’ensemble des dimensions pertinentes pour rendre compte des possibilités de choix dont disposent effectivement les employés : l’organisation du travail, les ressources mises à disposition par l’entreprise et le management pour faire face aux missions confiées, la qualité du dialogue entre collègues, les marges d’action accordées et accessibles, la reconnaissance de ce qui est fait, etc.
Appliquée au domaine de la formation, cette approche permet de rappeler que, dans un environnement fortement évolutif, la possibilité d’apprendre et d’être en mesure de mobiliser les nouvelles connaissances à bon escient, c’est-à-dire d’actualiser les capabilités, dépend de la vitesse à laquelle changent les facteurs de conversion (individuels, sociaux, environnementaux). Dit autrement, comme le montrent plusieurs auteurs (Fernagu Oudet, 2012 ; Dejoux Lirsa et Charrière-Grillon, 2016 ; Corteel et Zimmermann, 2007), dans une situation de travail donnée, la transformation d’une potentialité (une disposition à apprendre) en capabilité (apprentissage conduisant à une actualisation des compétences) dépend :
non seulement des possibilités réelles de suivre une formation (information, autorisation managériale, etc.) et des choix d’ingénierie pédagogique : les facteurs environnementaux ;
mais également des caractéristiques organisationnelles du poste de travail : les facteurs sociaux ;
ainsi que des dispositions antérieurement acquises par les salariés et de l’enjeu que représente pour eux le suivi de cette formation (promotion, maintien dans le poste, etc.) : les facteurs individuels.
D’autres études (Boboc et Metzger, 2016) ont mis en avant la pertinence de la notion d’environnement capacitant pour rendre compte, en un seul mouvement, des exigences liées à la formation en entreprise, aussi bien pour les apprenants que pour les formateurs et pour les ingénieurs de formation. L’étude du COOC nous permet d’approfondir la corrélation entre les facteurs de conversion propres aux apprenants et ceux spécifiques aux formateurs.
5.2 Discontinuités spatio-temporelles et facteurs environnementaux
Commençons par les facteurs environnementaux. La stratégie en matière de numérisation de la formation présente des aspects contrastés à ce sujet. D’un côté, elle vise la maîtrise des dernières générations de dispositifs techniques, elle s’adresse à l’ensemble des salariés et elle est largement diffusée. Elle peut donc favoriser les apprentissages du plus grand nombre et réduire alors les inégalités. D’un autre côté, mise en oeuvre selon une logique descendante, sans réelle prise en compte de la grande diversité des situations, elle risque d’entraver les dynamiques d’apprentissage des salariés ne maîtrisant pas ce type de dispositifs technico-pédagogiques. De plus, les décisions stratégiques façonnent l’arrière-plan qui rend ces formations plus ou moins pertinentes pour les salariés : par exemple en définissant la valeur institutionnelle des « badges de compétences » et en inscrivant — ou non — ce type de dispositifs dans des parcours de formation reconnus.
Les décisions managériales concernant les espaces-temps de formation correspondent à un autre facteur environnemental de conversion qui influence la plus ou moins grande latitude dont disposent les apprenants et les animateurs pour organiser leur temps de travail, s’isoler et se concentrer. Cela souligne le rôle que peuvent jouer les responsables pour réduire les inégalités d’accès aux nouvelles formes d’apprentissage. Ces derniers peuvent dégager du temps, notamment pour ceux qui ont peu d’autonomie dans leur travail, mais aussi s’assurer que les apprenants savent utiliser ce temps et sont en mesure de le faire. Ils peuvent également reconnaître l’utilité du temps consacré à obtenir le badge à la fin du COOC. En ce sens, les manageurs ont le pouvoir de légitimer l’utilité du dispositif, et ainsi de diminuer les méfaits du « contrôle par les pairs ». En matière d’espace, l’encadrement de proximité peut permettre de veiller à ce que les apprenants puissent se consacrer aux activités de formation, éventuellement sur leur poste de travail, sans risquer d’être sollicités par d’autres tâches. Du côté des formateurs, ces analyses permettent de souligner le rôle des concepteurs du dispositif : les concepteurs peuvent aider les animateurs à fixer les bornes temporelles des échanges en ligne, leur permettre de repérer à distance le décrochage d’un apprenant, etc.
5.3 Discontinuités relationnelles et facteurs sociaux
En ce qui a trait aux facteurs sociaux de conversion, nous retrouvons l’importance de l’interconnaissance pour parvenir à l’obtention du badge final. Lorsqu’un climat de confiance a pu s’instaurer entre au moins deux apprenants et/ou entre un apprenant et un animateur, la probabilité est plus grande d’obtenir du soutien et de triompher des difficultés inhérentes au suivi de la formation. Ce qui est déterminant, c’est donc l’antériorité d’une rencontre en présentiel, laquelle confère, secondairement, une latitude de choix permettant de solliciter ou non du soutien social (actualisation des capabilités). À partir du moment où une « proximité relationnelle » s’est établie en présentiel (distance transactionnelle faible), l’entraide à distance a plus de chances de se mettre en place.
Ces analyses permettent alors de souligner le rôle des choix en matière d’ingénierie pédagogique. Ces choix influent sur l’équilibre entre présence et distance pour créer cette proximité relationnelle nécessaire aussi bien dans les échanges entre apprenants que dans les échanges que les animateurs ont avec les apprenants ou entre eux.
5.4 Fragmentation des interconnaissances et facteurs individuels
En ce qui concerne les facteurs de conversion individuels, les apprenants qui se révèlent les plus actifs dans leur parcours ne sont pas nécessairement ceux qui obtiennent les certifications ad hoc (les « badges de compétence »), mais ce sont ceux qui parviennent à donner du sens aux modalités expérimentales de l’accès numérique aux savoirs. En développant un rapport instrumental à cette formation, les apprenants certifiés et ceux qui abandonnent sans être en échec bénéficient de facteurs de conversion individuels pertinents, acquis lors de leur parcours antérieur, qui les prédisposent à tirer le profit attendu de ce type de dispositif. Ils manifestent leur volonté d’être acteurs de leur parcours de formation et de leurs apprentissages, exactement dans l’esprit des MOOC et de ce COOC.
En revanche, ceux qui se sont retrouvés en situation d’échec n’ont pas bénéficié de tels facteurs. De plus, ils n’ont pas acquis les dispositions requises pour apprendre seuls (sans formateur ni collègue dans la classe), à distance et via la médiation d’une plateforme COOC. Ces salariés passent beaucoup plus de temps à effectuer les premières étapes, n’osent pas poser de questions sur les forums où les discussions leur semblent d’un niveau d’exigence trop élevé et finissent par décrocher. Une telle palette de dispositions est inégalitairement répartie, selon le type de formation initiale, de parcours professionnel, d’opportunités organisationnelles, etc. De plus, ces dispositions étant implicitement considérées par les concepteurs du COOC comme possédées par tous les salariés, leur absence n’a pas fait l’objet d’une anticipation.
Du côté des formateurs, ceux qui ont triomphé des difficultés inhérentes à l’exercice du rôle d’animateur sont ceux qui ont préalablement acquis les dispositions requises pour se lancer dans l’apprentissage à distance. Ils ont, par exemple, l’expérience d’une formation dispensée au moins en partie à distance, ils cherchent à s’inscrire dans une dynamique d’évolution professionnelle, ils souhaitent limiter les déplacements professionnels spécifiques à leur métier, etc. Ceux qui ne disposent pas de ces dispositions ne réussissent pas — ou pas aussi bien — à « devenir » animateurs, et leurs difficultés renforcent du même coup le risque d’abandon des apprenants aux capabilités insuffisantes.
Conclusion
Ainsi, du fait de la fragmentation du temps, de l’espace et de l’interconnaissance, le suivi des formations entièrement à distance et sans formateur se révèle la source d’inégalités entre salariés. D’un côté, les mieux dotés en capitaux cognitifs, occupant les postes offrant le plus de latitude pour s’organiser et inscrits dans un réseau d’interconnaissance pertinent parviennent à triompher des difficultés inhérentes à ce type de dispositif. D’un autre côté, ceux qui auraient le plus à apprendre — à commencer par la capacité à savoir rechercher des informations avec les outils numériques —, ceux qui ne peuvent organiser leur temps de travail à leur guise et ceux qui sont dépourvus d’interconnaissance pertinente ont plus de risque d’abandonner. Cet abandon, à l’échelle des parcours professionnels et du maintien dans l’emploi, peut s’avérer à terme une source d’exclusion.
L’étude fine de l’abandon permet de mettre en évidence la diversité des facteurs individuels de conversion, ainsi que le poids des contraintes organisationnelles, notamment spatio-temporelles, auxquelles font face les salariés. Le tout à distance introduit des discontinuités sur le plan des espaces-temps de formation et des interconnaissances. L’absence du présentiel et d’un temps bien délimité pour la formation a des répercussions sur la dimension sociale de l’apprentissage, qu’il s’agisse des liens entre apprenants, entre apprenants-animateurs ou entre animateurs. Cette absence porte en germe des risques de démotivation, réduisant fortement les apports de la formation.
Cet article permet également de souligner le fait que les facteurs de conversion pour les apprenants et pour les formateurs ont des registres en commun. Les mêmes types de discontinuités influencent donc en partie les capacités des apprenants à apprendre avec le COOC ou celles des formateurs à exercer le rôle attendu d’animateurs : c’est-à-dire aider à apprendre, voire permettre d’apprendre à apprendre avec les nouveaux dispositifs de formation.
Parties annexes
Annexe
Présentation de la multinationale
Cette multinationale du secteur des télécommunications et de l’informatique emploie des salariés dans une cinquantaine de pays, mais nous ne nous intéresserons qu’à sa filiale française. En 2015, celle-ci employait 96 000 salariés en contrat à durée indéterminée (CDI), ce nombre étant en diminution constante depuis plusieurs décennies. À titre d’illustration, l’effectif était de 121 000 salariés en 2001 et de 166 000 en 1997.
Cette entreprise consacre une part importante de sa masse salariale au budget de formation. Ce dernier fluctue selon les années autour de 6 %. Par ailleurs, la direction générale et la direction de la formation affichent depuis longtemps leur volonté de numériser fortement les formations. En effet, si les années 2000 ont été caractérisées par de nombreuses expérimentations de formations en e-learning, l’entreprise est traversée depuis 2014 par une série d’injonctions à numériser les formations sur le modèle des MOOC. Enfin, la multinationale est également un acteur du secteur de la formation et cherche à vendre des plateformes numériques d’apprentissage pour les entreprises.
Les transformations récentes de la formation au sein de la multinationale
Autrefois division à part entière de la multinationale et objet d’une politique centralisée, la formation a, depuis plusieurs années, connu de nombreux chamboulements, tant en ce qui concerne sa dimension organisationnelle, que son rôle, ses principes d’ingénierie pédagogique ou ses contenus. Sur le plan organisationnel, ce n’est dorénavant plus la direction de la formation qui décide seule de la stratégie en matière de développement des compétences : elle doit, au moins formellement, tenir davantage compte du point de vue des « directions métiers » (commercial, marketing, réseaux, finance, etc.).
Je dirais d’entrée de jeu que la formation est à la fois le souci de la DRH [direction des ressources humaines] en général, mais elle est presque plus aujourd’hui le souci de chacun des métiers, au point, quelquefois d’ailleurs, que la formation n’est pas intégrée de façon hiérarchique à la fonction DRH, mais plutôt dans des fonctions au sein du métier, par exemple, une fonction « professionnalisation ».
Expert formation, DRH Groupe
Le pouvoir de définir les grandes orientations est donc partagé, signe d’une volonté de déconcentrer, au moins partiellement, les ressources et le contrôle des orientations entre la DRH Groupe et les différentes divisions opérationnelles. Au sein de la DRH Groupe, les politiques de formation, les choix technico-pédagogiques, ainsi que la formation des formateurs sont rattachés au service dit du « développement des compétences ». C’est aussi à ce niveau que sont effectuées toutes les opérations de suivi des obligations légales. De leur côté, chacune des divisions opérationnelles est dotée d’une ou de plusieurs structures dédiées à la formation, appelées « Écoles métiers » — on en compte une dizaine pour la France. Leur rôle est d’assurer l’ingénierie de formation : établir les programmes de formation, élaborer les catalogues de cours, mettre en oeuvre les formations, etc. Ces écoles concentrent donc l’essentiel des ingénieurs pédagogiques, des formateurs, des salles de cours, etc. Notons qu’une part non négligeable des cours est sous-traitée, mais que la tendance récente est d’en « ré-internaliser » une partie, moins par le recrutement de formateurs que par le recours à des intervenants internes, salariés experts d’un sujet.
Aujourd’hui, la rupture c’est qu’on nous dit « il ne faut pas dépasser le budget ». D’un côté, on a toujours des objectifs de formation ou de nombre d’heures à faire. Alors, tant qu’on avait des vastes budgets, c’était pas trop grave. Il fallait respecter le budget et il fallait former. Mais maintenant, l’objectif est toujours de former au maximum, de réaliser un nombre d’heures, alors qu’on a les budgets en baisse. Certes, la population à former diminue aussi en volume, donc je pense que certains objectifs vont diminuer aussi. Mais il y a une grosse pression pour qu’on internalise la dispense, en faisant appel à des acteurs métier pour qu’ils dispensent et ça, ça marche mieux depuis cette année où il y a une grosse pression sur la réduction des coûts.
Ingénieur de formation, École de l’innovation
Il existe par ailleurs une division du travail assez poussée, mais variable selon les « Écoles métiers », entre ingénieurs de formation, ingénieurs pédagogiques, formateurs-concepteurs, formateurs (en principe chargés de la seule dispense de cours), directeurs d’École, sans oublier les gestionnaires de formation (chargés des tâches administratives et logistiques) et les formateurs dits occasionnels.
Le rôle de la formation a lui aussi progressivement évolué : autrefois, mode de diffusion des connaissances techniques et canal principal de promotion interne (préparation aux concours), la formation est de plus en plus mise au service des changements stratégiques. Et pour cela, la première étape consiste à former les ingénieurs de formation, à les persuader d’adhérer aux objectifs stratégiques de la formation et surtout à les convaincre du rôle d’accompagnement que doit jouer la formation dans ces évolutions successives. Dans un second temps, la stratégie suppose que ces spécialistes d’ingénierie diffusent auprès des formateurs des différentes « Écoles métiers » l’esprit général des décisions stratégiques. Dans un troisième temps, on attend des formateurs qu’ils inscrivent les évolutions stratégiques dans la conception et dans la dispense de leurs cours.
C’est bien sur cet arrière-fond assez complexe et mouvant, mettant en jeu des considérations organisationnelles, professionnelles et stratégiques entre autres, qu’il faut comprendre le sens de l’injonction à utiliser les dispositifs numériques dans la formation. Plus précisément, la définition fine du rôle de la formation dans la mise en oeuvre des changements stratégiques résulte elle-même d’une volonté de comprendre les apports potentiels des dispositifs numériques à la pédagogie, mais aussi d’une volonté plus générale de répandre, dans toute l’entreprise, les usages massifs des dernières générations d’outils (réseaux sociaux, utilisation d’Internet sur les téléphones portables et les tablettes notamment).
L’objectif stratégique, c’est bien sûr que l’entreprise aille dans la direction de la digitalisation. Donc, tous les vecteurs sont bons pour cela, à commencer par les vecteurs de la formation. Les formateurs se doivent d’accompagner la digitalisation de l’entreprise, sachant qu’on est une entreprise numérique, ça va de soi, depuis longtemps, technique, technophile. Maintenant, derrière la notion de digitalisation, il y a une dimension qui est plus culturelle et qui reste encore à acquérir. […] C’est pourquoi il est important que les formations animées par les formateurs internes soient elles-mêmes digitales. Cela permettra aux clients de ces formateurs, c’est-à-dire à l’ensemble des collaborateurs, de vivre des expériences digitales.
Chef de projet formation, responsable de l’innovation
En d’autres termes, prenant acte des avantages, mais aussi des risques que l’emploi des dispositifs numériques représente dans les univers organisés, les différentes composantes fonctionnelles de la direction cherchent à en maîtriser les effets. Cela passe, d’abord, par une incitation forte à favoriser, dans toutes les divisions de l’entreprise, l’usage le plus large des dernières générations d’outils. Et cela passe, ensuite et en particulier, par la mobilisation générale des acteurs de la formation, pour qu’ils s’approprient, tels les agents d’une avant-garde, ces outils, notamment en « digitalisant » la formation.
L’idée du comité de direction groupe, c’est que chaque salarié doit pouvoir arriver à un niveau de compréhension et de prise en main des outils numériques, pour que, vraiment, on soit tous digitaux et pas seulement la formation. Par contre, la formation est un vecteur sur lequel on compte beaucoup. Et donc, dans le volet formation, les Écoles sont [des] pivots et ça va prendre beaucoup de leur temps. C’est un rôle prioritaire, les pivots, pour dérouler la digitalisation.
Expert formation, DRH groupe
Depuis 2012, l’objectif a fortement évolué par rapport à la rupture que l’on ressent partout et que vit la formation, du fait de la digitalisation. Il y a tout un ensemble qui fait qu’à la fois la pédagogie, à la fois les méthodes d’apprentissage évoluent sous les coups de boutoir de la technologie, mais c’est bien un tout. Et c’est à partir de ces réflexions que l’on a construit le dispositif de professionnalisation pour les ingénieurs de formation. Oui, parce que nous avons considéré que ce sont eux — il y en a une centaine dans l’entreprise — qui devraient pouvoir impulser rapidement les ruptures dans le monde de la formation et accompagner cette transformation, à la fois sur les outils, notamment les outils digitaux, mais également sur les modes d’apprentissage.
Expert formation, DRH groupe
Ce vaste projet rencontre, pour sa mise en oeuvre concrète, un certain nombre de difficultés, notamment la nécessité pour les ingénieurs de formation de suivre la définition détaillée du cursus et de posséder une vaste liste de compétences. Ce qui n’est pas une mince affaire, dans la mesure où cela touche aux définitions conventionnelles des qualifications.
Le rôle de la numérisation de la formation dans les objectifs stratégiques
On le voit, la numérisation de la formation est d’abord conçue comme l’un des axes de la « digitalisation de l’entreprise ». Mais elle sert aussi très clairement d’autres finalités, comme la réduction du budget consacré à la formation, une meilleure maîtrise des aspects logistiques (commande, réservation de salles, fourniture de supports, etc.), sans oublier la recherche d’amélioration en matière d’apprentissage, toutes ces finalités étant subtilement liées dans l’intention de ses promoteurs :
Donc, nos objectifs opérationnels sont les suivants : fédérer la communauté des acteurs de la formation sur les modalités digitales ; optimiser le budget formation, bon, ça, c’est plutôt un objectif que l’on a tendance à cacher, mais qui est réel aussi ; et accompagner le changement des équipes formations, fédérer la communauté des acteurs de la formation sur les modalités digitales.
Chef de projet formation, chargé de l’innovation
L’idée, effectivement, c’est de faire en sorte qu’on puisse avoir des outils qui permettent de se sentir, tout en étant à distance, comme si on était ensemble dans une même classe. Ensuite, il y a surtout l’apprentissage entre pairs. Je pense que ça, c’est un élément qui se développe beaucoup à travers justement les réseaux sociaux, mais il n’y a pas que les réseaux sociaux, il y a tous les systèmes de capitalisation de bonnes pratiques, de choses comme ça. Moi, je pense que, effectivement, des outils vont nous aider à capitaliser sur des gestes, sur des savoir-faire.
Expert formation, DRH groupe
Dit autrement, en permettant aux ingénieurs de formation d’expérimenter différents dispositifs technico-pédagogiques, les initiateurs de la « digitalisation » de la formation entendent faciliter l’émergence de pratiques innovantes centrées sur le domaine de la formation. Ces pratiques, largement médiatisées en interne, enseignées aux formateurs et mises en oeuvre par ces derniers, dans leurs différentes spécialités, devraient, par vagues successives, communiquer à l’ensemble des salariés l’aisance nécessaire dans la maîtrise des dernières générations de nouvelles technologies, et surtout le goût pour expérimenter à leur tour et, pourquoi pas, innover. Là encore, nous retrouvons un raisonnement en miroir : ce sont les outils numériques comme les réseaux sociaux, utilisés dans la formation, qui devraient servir à médiatiser en interne les innovations locales, aussi modestes soient-elles.
Présentation détaillée de la formation étudiée
La place du numérique dans le secteur de la formation interne
Nous disposons, par ailleurs, de données de cadrage concernant la proportion de salariés formés selon le mode de dispense. Il apparaît qu’après plus de 15 ans de tentatives pour généraliser l’usage de la distance et du numérique dans la dispense de formation, le mode dominant demeure le présentiel : 90 % du temps de formation s’effectue en présentiel, tandis que la formation à distance avec le numérique représente moins de 3 % du temps passé en formation.
Par ailleurs, comme nous venons de l’indiquer, l’intention de la direction d’accroître l’offre de formation « numérique » (à distance, via des outils numériques) a même pris un relief accru ces dernières années, culminant avec l’introduction d’un progiciel de type Learning Management System (LMS) dont l’utilisation généralisée devrait, à terme, prendre en charge l’ensemble des tâches et processus impliqués dans la formation : depuis la conception des parcours de formation (travail des ingénieurs de formation) jusqu’à la dispense de formation elle-même (travail des formateurs et des animateurs), en passant par la mise en ligne du catalogue des cours, les inscriptions, les évaluations, etc. (travail des gestionnaires de formation).
L’introduction de ce LMS est sous-tendue par une philosophie générale de la pédagogie, de la relation pédagogique et, surtout, de la formation professionnelle : dorénavant, le salarié — l’apprenant pour les uns, le client pour les autres — est censé définir son parcours de formation, choisir les modules qu’il souhaite suivre, s’inscrire, suivre les séquences par le biais du progiciel ou évaluer les formations (donc les formateurs) en utilisant les fonctionnalités du LMS. Selon cet idéal type de la formation numérisée, les professionnels de la formation doivent adopter une position de fournisseurs de contenus, d’animateurs polyvalents, de logisticiens, oeuvrant le plus souvent en back-office. Le salarié est ainsi appelé à devenir en même temps l’entrepreneur du développement de ses connaissances et de ses compétences, et le client d’une pluralité de fournisseurs de contenus.
Sur cet arrière-fond, nous présentons les résultats issus de l’étude d’une formation numérisée, introduite préalablement au déploiement de ce LMS, ayant joué le rôle de dispositif expérimental, voire exploratoire.
Une formation numérique pour les professionnels de la formation… numérique
La conception de ce COOC a été réalisée par une équipe d’ingénieurs pédagogiques chevronnés de la multinationale, en partenariat avec les informaticiens d’une entreprise sous-traitante, en charge de la plateforme numérique. La conception des différentes séquences et leur mise en oeuvre logicielle ont duré plus de six mois. L’objectif du COOC est de familiariser les professionnels de la formation (formateurs, ingénieurs pédagogiques, etc.) à l’usage des dispositifs numériques dans la conception et la dispense des cours. Ce COOC a intéressé aussi des professionnels de la communication et du marketing.
Ce module a fait l’objet d’une communication interne importante, à l’adresse des managers. Elle vise à sensibiliser ces derniers à l’intérêt du COOC, afin qu’ils incitent les membres de leur équipe à s’inscrire au module, en transmettant l’information, mais sans imposer l’inscription. Il est précisé qu’il s’agit de l’un des premiers COOC en entreprise et que le seul prérequis consiste à « avoir envie d’apprendre et de partager ». S’y inscrire devrait donc permettre d’adopter une posture d’entrepreneur de ses apprentissages, d’entrepreneur pionnier, dans un monde, est-il rappelé, caractérisé par la « rapide obsolescence des connaissances ».
Cette formation a pour objectif affiché de contribuer à la diffusion d’une « culture digitale » au sein de l’entreprise, en fournissant des ressources, mais aussi des savoirs et des savoir-faire, aux salariés ayant des tâches d’animation/formation (dans le domaine de la formation, de la communication, du marketing). Nous retrouvons à propos de cette formation expérimentale l’une des premières incarnations de la vision stratégique exposée précédemment. En initiant d’abord les acteurs du secteur de la formation, les concepteurs et les promoteurs de la démarche espèrent provoquer un effet de démultiplication sur les autres catégories de salariés.
Il est important que les formations animées par les formateurs internes soient elles-mêmes digitales pour que les clients de ces formateurs, c’est-à-dire l’ensemble des collaborateurs, vivent des expériences digitales.
Chef de projet, concepteur de la formation
Plus concrètement, les concepteurs internes de cette formation ont non seulement cherché à utiliser le « vocabulaire des MOOC », mais ils ont dû s’appuyer sur les fonctionnalités de la plateforme d’enseignement promue par l’entreprise. Via cette plateforme, les apprenants disposent de supports numériques variés (textes de référence, contenus vidéo, quizz, etc.), ainsi que d’outils relativement récents comme les réseaux sociaux (supposés favoriser la collaboration) et d’outils plus anciens comme les forums de discussion. L’incitation diffuse à expérimenter de nouvelles pratiques d’apprentissage a conduit les concepteurs à promouvoir des pédagogies différentes, notamment celle dite de la classe inversée, c’est-à-dire basée sur le postulat que l’acquisition de connaissances est plus performante quand les apprenants étudient leurs cours avant le moment de la dispense et quand le formateur, lors du temps de cours, répond aux demandes de précision à travers des exercices d’application.
La formation est dispensée entièrement à distance (« tout est en distanciel », précise le chef de projet de la formation) et s’étend sur sept semaines. À chacune de ces sept semaines correspond un module que l’apprenant suit à son rythme, aux heures qui lui conviennent, pour une durée hebdomadaire estimée de deux heures (l’expérience a montré que ce temps a été sous-estimé par les concepteurs). L’apprenant doit avant tout compter sur lui, car il n’y a pas de formateurs, seulement des « animateurs » (différents chaque semaine) qui répondent aux questions posées sur les forums ou qui incitent les apprenants à répondre à ces questions.
Comme nous l’avons indiqué, la formation est certifiante : a) validation des six premières semaines au moyen de quizz, donnant lieu, pour chaque semaine, à l’attribution d’un « badge de connaissances » ; b) mémoire sur un sujet choisi par l’apprenant, rendu lors de la septième semaine ; c) évaluation des mémoires de trois apprenants anonymisés (« l’apprentissage peut aussi passer par la relecture des travaux des autres », résume un ingénieur de formation). La réussite de l’ensemble du cursus donne alors droit à l’attribution du « badge de compétences ».
On tient beaucoup à cette collection de badges, donc chaque semaine, il y aura un badge de connaissances et il y aura un badge de compétences générales. Cette dimension sera valorisée à ce niveau-là. Oui, l’objectif, c’est vraiment de le valoriser, faire en sorte que ça soit un élément du passeport digital, qui puisse servir de promotion, comme le certificat de l’animateur formateur sert d’élément valorisant et promotionnel pour aller sur différents postes.
Chef de projet formation, École de l’innovation
Le dispositif d’enquête
Nous avons nous-mêmes suivi les différents modules de la formation Archi-numérique, à l’exception de la rédaction du mémoire et de l’évaluation. Nous avons consulté les forums et interviewé vingt apprenants, ainsi que quatre animateurs. Ayant eu accès aux données concernant les statistiques de connexion à la plateforme, nous avons pu repérer les moments de rupture dans le suivi de la formation. Nous avons alors pu sélectionner les apprenants à interviewer en fonction de ce que l’on peut appeler leur degré de réussite dans le suivi du COOC, ou si l’on préfère, en fonction de la dernière semaine qu’ils ont validée.
Ils se répartissent ainsi :
six des apprenants interviewés ont obtenu leur « badge de compétences », cinq d’entre eux ayant même terminé parmi les premiers ;
cinq apprenants interviewés ont validé les cinq premiers modules, mais n’ont pas été plus loin. Nous proposons de les appeler les « abandonnistes tardifs » ;
trois se sont arrêtés après le troisième module. Nous les qualifions d’« abandonnistes à mi-parcours » ;
enfin, six n’ont suivi qu’un ou deux modules : les « abandonnistes précoces ».
Précisons que, selon les concepteurs du COOC, étaient considérés comme « abandonnistes » tous ceux qui n’ont pas obtenu le « badge de compétences » (au bout des sept semaines de suivi, de la remise du mémoire et de l’évaluation par les pairs).
Ces vingt apprenants occupent une grande variété de fonctions : formateur, soutien métier, ingénieur de formation, animateur formateur, expert formateur, conseiller accompagnement et développement, chef de projet formation métier, responsable de parcours client, responsable pilotage et performance, chef de marché, responsable déploiement, etc. Ils ne sont donc pas tous spécialisés dans la formation, mais ils travaillent aussi dans le marketing, la communication, etc. Quatre d’entre eux exercent des fonctions d’encadrement. Onze sont des femmes et donc neuf sont des hommes. La distribution par tranche d’âges est proche de celle de l’entreprise[6]. Enfin, quatre travaillent en région parisienne, quinze en province et un en outre-mer.
Quant aux animateurs (deux femmes et deux hommes), ils ont entre 40 et 50 ans, et possèdent une expérience dans le domaine de la formation.
Les interviews ont porté sur les thèmes suivants :
fonction actuelle occupée et parcours professionnel antérieur, notamment, ancienneté dans le domaine de la formation proprement dite ;
familiarité avec l’usage des technologies numériques ;
raisons pour lesquelles s’inscrire au COOC, notamment, inscription éventuelle de ce cursus dans un projet professionnel (mobilité fonctionnelle, géographique, etc.) ;
modalités concrètes du suivi de la formation (moments, lieux, usages des forums, temps hebdomadaire, etc.) ;
difficultés éventuelles rencontrées, raisons éventuelles de l’abandon ;
soutien éventuel reçu et/ou donné ;
principaux apports dégagés du suivi de la formation et mise en oeuvre éventuelle des connaissances acquises ;
rôle du management dans le rapport à ce COOC (information, suivi, mise en oeuvre des connaissances dispensées, reconnaissance de cet effort de formation dans la carrière, échanges a posteriori, etc.) ;
bilan général tiré de cette expérimentation.
Notes
-
[1]
MOOC, cours en ligne ouverts à tous.
-
[2]
Pour plus de précisions sur la multinationale et les évolutions de son département de formation interne, voir l’annexe méthodologique.
-
[3]
Voir l’annexe méthodologique pour plus de précisions sur ces « Écoles métiers ».
-
[4]
Corporate Open Online Courses. Pour plus de précisions sur le contenu de la formation étudiée, voir l’annexe méthodologique.
-
[5]
Pour plus de précisions sur le mode de recueil des matériaux, voir l’annexe méthodologique.
-
[6]
Un apprenant interviewé a moins de 40 ans, quinze ont entre 41 et 50 ans et 5 ont entre 51 et 60 ans.
Bibliographie
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- Sen, Amartya K. 1999b. Development as Freedom. Oxford, Oxford University Press.