À Montréal, au cours des derniers mois, les vitrines de nouveaux commerces ont été fracassées et aspergées de peinture. Les vandales en avaient explicitement contre des commerces « branchés », récemment établis pour répondre aux besoins de nouveaux résidents aisés et toujours à la recherche des nouvelles tendances. Ces incidents fortement médiatisés (Normandin, 2016; Plamondon, 2015), comme le souligne Alexandre Maltais dans son analyse des représentations des commerçants, sont le reflet de tensions liées à la transformation de quartiers populaires vers une plus grande mixité sociale. La mixité sociale est pourtant inscrite parmi les principes fondamentaux des politiques urbaines depuis de nombreuses décennies. En France, elle est considérée comme « une forme urbaine de l’idéal républicain » (Ascher, 2008 : 102) et fait consensus parmi la classe politique (Genestier, 2010). Dans ce pays, comme ailleurs, une trop forte ségrégation est généralement perçue comme une menace à la cohésion sociale dans les villes. Favoriser une plus grande mixité sociale permettrait d’enrayer la concentration territoriale de la pauvreté, mais aussi de contrer les processus de repli sur soi des classes moyennes supérieures et de mise à distance des classes populaires, tels qu’ils sont construits, notamment par les choix résidentiels ou scolaires des classes moyennes et supérieures. Au cours des décennies 1960/70, la volonté d’introduction de mixité sociale s’est traduite par des politiques de peuplement basées sur la construction de logement social et la déconcentration des quartiers pauvres. Si ces objectifs sont toujours présents dans les politiques de la ville, les nouvelles stratégies développées depuis les années 1990 visent aussi à encourager l’arrivée de populations de classes moyennes et supérieures dans des espaces populaires et dévalorisés dans le but explicite de créer les conditions d’une coexistence plus équilibrée entre populations issues de différentes catégories sociales. Il s’agit alors plutôt d’assurer une diversité « par le haut », comme le suggèrent Jeanne Demoulin et ses collègues. Même si ces processus de gentrification des quartiers populaires ont été observés depuis longtemps dans les grandes villes du monde (Atkinson et Bridge, 2005; Bidou-Zachariasen, 2003; Butler, 1997; Butler et Robson, 2003; Glass, 1964; Hamnett, 2003; Ley, 1996; Van Criekingen et Decroly, 2003), ils n’ont pas toujours été explicitement inscrits dans des politiques de rénovation urbaine. Dans de nombreux pays, et c’est le cas en Amérique du Nord, les promoteurs immobiliers privés ont une influence déterminante sur la transformation des espaces habités et leur composition sociale. La gentrification peut ainsi simplement découler de stratégies immobilières ciblant les clientèles les plus aisées (Bridge, 2001; Davidson et Lees, 2010; Hamnett et Whitelegg, 2007; Lees, 2003; Skaburskis, 2012; Smith, 1996). En France, peut-être plus qu’ailleurs, l’évolution des dynamiques territoriales se définit en fonction des orientations stratégiques de politiques urbaines nationales qui permettent d’engager des fonds publics dans des programmes de grande envergure. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que plusieurs des textes assemblés dans la première partie, portant sur les politiques urbaines de mixité sociale, fassent état de situations observées en France. Précisons toutefois que la réhabilitation de quartiers historiques en Europe a aussi profité de l’existence de programmes européens (programme d’initiative communautaire Urban), comme il est mentionné dans l’analyse du cas de Palerme, réalisée par Hélène Jeanmougin et Florence Bouillon. Comme le soulignent Christophe Arpaillange et ses collègues, si la mixité sociale est facilement mise en parole par les élus nationaux et locaux, sa mise en oeuvre et l’atteinte de ses objectifs ne sont pas aussi évidentes. Les actions engagées en faveur de la mixité peuvent se traduire par des programmes de démolition de logements sociaux, là où ils sont très nombreux, de réalisation de nouveaux projets immobiliers …
Parties annexes
Bibliographie
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