Numéro 77, 2016 Territoires urbains et mixité sociale Sous la direction de Johanne Charbonneau et Isabelle Mallon
Sommaire (12 articles)
Partie 1 – Les politiques urbaines de mixité sociale à l’épreuve de la réalité
-
Rénover les grands ensembles ou développer le territoire ? Une mixité au filtre de l’action publique dans les banlieues populaires de l’agglomération de Bordeaux
Christophe Arpaillange, Jean-Pierre Augustin et Daniel Mandouze
p. 19–37
RésuméFR :
Examiner l’usage et la traduction opérationnelle du référentiel de mixité sociale dans les politiques de rénovation urbaine en France, rend plus nettes les tensions entre les logiques d’une politique nationale centralisée et les démarches de développement local. L’étude, portant sur quatre communes de la banlieue de Bordeaux, repose sur des entretiens semi-directifs effectués sur plusieurs années avec les habitants et des entrevues avec les acteurs responsables des politiques publiques. Notre hypothèse se démarque des postulats proches d’une sociologie de la déploration qui insistent sur le rôle structurant et, quasi exclusif, de la politique de rénovation pour mettre l’accent sur l’apport du local. La construction de coalitions de développement en capacité d’articuler plusieurs politiques publiques permet de faire primer un projet territorial sur les prescriptions des politiques nationales. La mixité sociale est intégrée dans la rhétorique des projets et constitue un objectif fort de l’État et de ses agences. Les choix qui prévalent favorisent une déclinaison lente et différée de la mixité. Ce pilotage local, prudent, des transformations socio-urbaines, neutralise en partie la violence sociale induite par le renouvellement urbain. Il n’évite cependant pas les effets de l’hétérogénéité sociale, que la montée en puissance des pouvoirs d’agglomération au détriment de celui des maires peut aggraver.
EN :
Considering social mix in urban renewal policies in France digs out tensions between the logic of a national, centralized policy and local development initiatives. This study is focused on four municipalities in the suburbs of Bordeaux and is based on semi-structured interviews carried out over several years with residents and interviews with policy-makers. Our hypothesis emphasizes the contribution of the local development coalitions to articulate public policies from a broader perspective, to take into account a territorial project on the requirements of national policies.
Social diversity is part of the rhetoric of urban policies and the main target of the State and its agencies. In spite of that, the prevailing options remain poorly effective and impairing to the improvement of the social mix. This local and careful piloting partly neutralizes the social violence induced by urban renewal. However, it does not avoid the effects of social heterogeneity, which is worsened by the rise of agglomeration powers at the expense of mayors.
-
Quelles mixités dans une ville fragmentée ? Dynamiques locales de l’espace scolaire marseillais
Gwenaëlle Audren, Virginie Baby-Collin et Elisabeth Dorier
p. 38–61
RésuméFR :
En France, la mixité sociale est au coeur des politiques de renouvellement urbain qui visent à créer les conditions d’une coexistence plus équilibrée entre populations issues de différentes catégories sociales, comme des politiques scolaires visant à introduire plus de mixité sociale dans les établissements publics, pour permettre une meilleure égalité des chances à l’école. Cet article interroge les effets de ces politiques à Marseille, historiquement caractérisée par une forte ségrégation sociospatiale nord-sud, à partir d’enquêtes relatives aux mutations de quartiers en renouvellement urbain. L’analyse de bases de données du rectorat, doublée d’entretiens auprès des acteurs éducatifs, met en évidence les logiques à l’oeuvre en matière de choix de scolarisation. Les résultats montrent que la mixité résidentielle statistique, directement liée aux opérations d’aménagement qui ont contribué à une diversification sociale, peine à se traduire dans la réalité des pratiques scolaires, où l’on observe des pratiques de contournement des établissements de proximité. Les établissements publics ont du mal à diversifier le profil de leurs élèves, à moins de s’engager dans des stratégies de filières sélectives qui déplacent la ségrégation au sein des établissements. Les établissements privés restent quant à eux les principaux refuges des nouveaux résidents, issus des classes moyennes et supérieures, dans des logiques de reproduction sociale d’un entre-soi.
EN :
In France, social mixing is at the centre of urban renewal policies, which intend to favour a more balanced coexistence among populations from different social backgrounds. In order to achieve more equitable opportunities in public establishments, school policies aim at introducing more social diversity. This paper questions the effects of these policies in the city of Marseille, traditionally framed by a strong north-south socio-spatial segregation. Drawing from a research on neighbourhoods’ changes related to urban renewal, it discusses the statistic evidence of residential mixing compared to school diversity. The analysis of a school administration’s database, together with interviews of professional educators, unfolds the determinants of school choices. The results indicate that statistical residential mix—which is directly related to the urban projects that contributed to a social diversification—does not lead to more shared schooling practices among residents. Even if the reform in the schools attribution system (“the school mapping”) introduced in 2007 attempted to promote school mix, we observe a rise in practices of avoidance in certain schools sectors. This applies now to more than half of the population. Public schools struggle to socially diversify their student body, unless they engage in selective academic programming, which also tends to move segregation within the schools themselves. Private schools are still used as a main refuge for newcoming residents belonging to the middle and upper classes, and engaged in social reproduction.
-
Les quartiers durables français à l’épreuve de la mixité sociale : de la diversité de l’habitat aux normes d’habiter écologiques
François Valegeas
p. 62–84
RésuméFR :
La mixité sociale est l’un des principes fondamentaux des quartiers durables français. Cet objectif de mixité s’appuie sur des enjeux et présupposés spécifiques, tant en termes de composition sociale qu’en termes de projection des modes d’habiter. Cet article s’attache à analyser la manière dont la mixité sociale est conçue puis réalisée dans ces quartiers, les formes de résistance par les usagers et les représentations des habitants. Au travers de l’analyse de deux exemples de quartiers français à Rennes et Auxerre, le propos met en évidence les présupposés de mise en oeuvre de la mixité sociale dans les projets de quartiers durables. Au-delà des arguments traditionnellement mobilisés, les porteurs de projets mettent de l’avant l’accessibilité de ces quartiers, mais aussi la volonté de limiter l’étalement urbain, en proposant aux familles des alternatives au pavillon. Ces ambitions sont mises en tension avec la nécessité de compenser les surcoûts des constructions écologiques. Une enquête par entretiens révèle certains paradoxes de la mixité sociale dans ces quartiers durables. Dans les deux exemples analysés, la recherche de mixité sociale se heurte à la conception d’un développement durable appuyé sur des normes d’habiter laissant peu de place à la diversité des pratiques des habitants.
EN :
Social mixing has been one of the fundamental principles of sustainable French neighbourhoods. This goal relies on specific assumptions, in terms of the social composition of neighbourhoods and projected ways of living. This paper aims to analyze the way in which social mixing is designed and conducted in these neighbourhoods, the resistance of users and the representations of inhabitants. The analysis of two French neighbourhoods in Rennes and Auxerre shines light on presuppositions in the implementation of a social mix in sustainable neighbourhood projects. Beyond their traditional arguments, project leaders also put forward the affordability of these neighbourhoods and their will to limit the urban sprawl by offering family alternatives to individual houses. These ambitions are rendered difficult by the need to offset the extra-costs of ecological constructions. An interview-survey reveals the inherent paradoxes of social mixing in these sustainable neighbourhoods. In both examples, the pursuit of a social mix faces a conception of sustainable development based on living standards, leaving little room for the inhabitants’ diverse practices.
-
Le centre rénové de Saint-Denis : l’échec d’un projet de mixité sociale ?
Jeanne Demoulin, Alexandre Alsaint, Marie-Hélène Bacqué, Christine Bellavoine, Anne-Charlotte Canet, Sylvie Fol, Anne Fuzier, Raphaël Lo Duca et Jean-Baptiste Raisson
p. 85–102
RésuméFR :
À partir de l’étude de l’évolution sociale du centre rénové d’une ville de première couronne parisienne, Saint-Denis, cet article analyse les logiques de transformation sociale d’un quartier de banlieue dans lequel les classes moyennes ont, au cours des trois dernières décennies, largement laissé la place aux classes populaires. Il s’appuie d’une part sur une analyse statistique du peuplement du quartier et de son évolution et, d’autre part, sur une enquête par questionnaires et par entretiens auprès des habitants et des acteurs locaux. En montrant que les logiques de transformation peuvent être plus complexes et moins linéaires que les deux figures classiques majoritairement mises en avant dans les études urbaines, celle de la gentrification d’un côté et celle de la paupérisation ou ghettoïsation de l’autre, ce travail contribue à documenter la multiplicité des trajectoires observables. Il met l’accent sur les dynamiques sociales propres à un quartier d’habitat social de centre-ville. Il souligne en effet que, trois décennies après la conception et la mise en oeuvre de ce projet de mixité sociale, le peuplement du parc d’habitat social du quartier reste légèrement différent de celui du parc social de la ville, accueillant notamment plus de familles appartenant aux « petites » classes moyennes et moins de familles précarisées. À travers l’analyse des pratiques et des représentations des habitants, il montre que ce quartier, même s’il a perdu l’essentiel de sa mixité sociale initiale, se caractérise par une identité et par des formes de cohabitation et d’ancrage originales.
EN :
Based on a study of the social evolution of the renovated centre of Saint-Denis, a town in the inner suburbs of Paris, this paper analyzes the process of social transformation of a suburban neighbourhood where middle-class households, during the last three decades, have been in large part replaced by working-class households. It relays both on a statistical analysis of the neighbourhood’s population and its evolution, and a survey conducted through questionnaires and interviews with inhabitants and local actors. This work aims at demonstrating that the two major figures described in most urban research works—gentrification, on the one hand, and pauperization and ghettoization on the other—tend to oversimplify the complex and non-linear reality of urban change. The paper emphasizes the specific dynamics of a social housing neighbourhood in a city centre. It shows that, three decades after it has been designed and built as a social mix project, this neighbourhood is characterized by a population which tends to remain slightly different from the rest of the social housing population: it includes more “small middle class” households and less distressed families. Through the analysis of the practices and representations of the inhabitants, it demonstrates that this neighbourhood, although it has lost most of its initial social mix, is still defined by its identity and by specific forms of social cohabitation and local anchorage.
-
D’une gentrification inaboutie à une « nouvelle précarisation » ? Continuités populaires et conflits de coprésence dans le centre historique de Palerme
Hélène Jeanmougin et Florence Bouillon
p. 103–125
RésuméFR :
La Magione, quartier populaire du centre historique de Palerme, fait l’objet depuis plusieurs années d’un important programme de renouvellement urbain visant à promouvoir l’installation de citadins aisés. Cet article se donne pour projet de décrire les effets de la cohabitation conflictuelle entre anciens et nouveaux habitants au sein de ce quartier. Nous montrons que le relatif échec de la gentrification de la Magione doit être analysé en relation avec les usages que les habitants font des espaces publics du quartier, enjeu tout aussi déterminant que l’accès au logement du point de vue des transformations sociospatiales à l’oeuvre sur ce territoire. Émerge alors l’hypothèse conclusive d’une « nouvelle précarisation » de la Magione, entendue comme processus de déqualification d’un espace urbain partiellement gentrifié, dont nous esquissons ici les conditions de possibilités.
EN :
For several years, the working-class district of Palermo’s historic centre, Magione, has been the subject of an important urban renewal program to promote the settling of wealthy city-dwellers. This article aims to describe the effects of the conflicting cohabitation between former and new inhabitants in this district. We demonstrate that the relative failure of the gentrification process in Magione must be analyzed in relation to the inhabitants’ usage of the district’s public spaces. This issue is as determining as the access to housing to understand the territory’s socio-spatial transformations. Our conclusive hypothesis is that a “new precariousness” is taking place in Magione, a process that is defined through the partially gentrified urban space’s deskilling, and for which we enunciate the possible conditions.
-
L’expérience d’habiter dans ou autour du Quartier des spectacles de Montréal
Hélène Bélanger et Sara Cameron
p. 126–147
RésuméFR :
Montréal, ville de festivals. La construction d’une image de marque « en dur » à Montréal, par l’altération de ses caractéristiques physiques afin de créer une expérience unique, s’est matérialisée dans le projet de (re) développement du Quartier des spectacles. Localisé dans le quartier Faubourg Saint-Laurent, le projet de (re) développement, qui comprend différentes interventions concentrées sur une aire de 1 km2, semble avoir favorisé une nouvelle dynamique dans le quartier. En plus des nouveaux investissements dans les activités commerciales et de loisirs répondant notamment aux besoins des nombreux touristes et visiteurs, s’ajoute un regain d’intérêt pour les quartiers centraux montréalais comme milieu de vie. On y assiste donc, depuis quelques années, à des transformations physiques et sociales importantes. Les impacts de ce projet de construction d’un territoire spectaculaire sur les résidents de longue date sont difficiles à évaluer. S’intéressant à la complexité des expériences des résidents vivant au quotidien les impacts du projet de (re) développement du Quartier des spectacles, cette étude utilise une approche phénoménologique qui explore l’expérience d’habiter dans ou autour du Quartier des spectacles, à partir d’entretiens en profondeur et ouverts auprès de trois résidents. Ces discussions ont permis l’identification de thèmes majeurs de leur expérience d’habiter dans ou autour du Quartier des spectacles tels que l’attachement, eux/ils, changement/défis. L’expérience du Quartier des spectacles en lui-même est multidimensionnelle : site physique, image, festivals, gens et catalyseur de changement. Mais l’expérience des résidents de longue date met en doute le Quartier des spectacles comme environnement résidentiel.
EN :
Montreal, city of festivals. The hard-branding construction in Montreal, i.e. the alteration of its physical characteristics with the objective of creating a unique experience, was realized through the (re) development project of the Quartier des spectacles. Located in the Faubourg Saint-Laurent neighbourhood, the (re) development project, which embodies multiple interventions within a 1 km2 area, seems to have created a new investment dynamic in the neighbourhood. In addition to commercial and leisure activities that cater to tourists and visitors, local investment has attempted to re-invigorate the image of this downtown neighbourhood as a desired residential environment. Montreal’s central neighbourhood is witnessing important physical and social transformations. The impact of (re) development projects on long-term residents is difficult to establish and evaluate. Interested primarily in the complexity of the experience of residents’ daily life in and around the Quartier des spectacles (re) development project, this study uses a phenomenological approach, by means of in-depth interviews with long-time residents. Analysis identified three major themes related to their experience: attachment, they/them, and change/challenges. The experience of the Quartier des spectacles is multidimensional: the Quartier des spectacles as a physical site, an image, an experience of festivals and people, and a catalyst for change. But this experience calls into question the definition of the Quartier des spectacles as a residential environment.
Partie 2 – La mixité sociale dans la vie quotidienne des résidents
-
Anciens et nouveaux petits commerçants face à la transformation socioéconomique de deux anciens quartiers populaires montréalais
Alexandre Maltais
p. 148–165
RésuméFR :
Sur la base d’une enquête de terrain réalisée auprès de 50 anciens et nouveaux commerçants de deux quartiers centraux montréalais ayant été touchés dans les dernières décennies par une gentrification encore incomplète et inégalement distribuée sur le territoire, cet article rend compte et balise les rapports que les propriétaires d’établissements commerciaux développent et entretiennent avec la population de leur zone naturelle de chalandise. Dépassant les représentations caricaturales de nouveaux entrepreneurs conquérants et d’anciens commerçants dépassés, cet examen révèle des postures complexes où se confrontent les logiques de voisinage et celles de l’entreprise, suscitant même parfois des dilemmes moraux dans l’appréciation et dans les interactions avec trois catégories d’habitants : la clientèle-cible, les indésirables et les autres.
EN :
Based on a two-year field study involving 50 semi-structured interviews with new and long-established shopkeepers in two former working-class Montreal neighbourhoods undergoing gentrification, this paper explores the multifaceted relationship storeowners cultivate with the changing population of their primary catchment area. Moving beyond the stereotypical representations of “new trendy” and “old overwhelmed” shopkeepers, the analysis reveals how business and neighbourhood logics intertwine, sometimes leading to moral dilemmas that shape the interactions with three categories of residents: the target clientele, the undesirables, and the others.
-
Construire un réseau de quartier : quand le collectif jardinier imprègne les sociabilités locales. Deux exemples parisiens
Léa Mestdagh
p. 166–183
RésuméFR :
Cet article vise à étudier la manière dont les collectifs de jardins partagés, très homogènes, notamment socialement, s’intègrent dans les sociabilités de leurs adhérents et participent ainsi à la construction de réseaux locaux solides. Il s’appuie sur une enquête qualitative mêlant observation participante, questionnaires et entretiens semi-directifs, et menée au sein de deux jardins partagés de la région francilienne. Les résultats montrent que les réseaux locaux créés par les jardiniers sont mobilisés pour la solidarité et le soutien qu’ils leur apportent, mais également comme une ressource leur permettant de se positionner à l’échelle d’un quartier et d’y exercer une influence quant aux représentations qui y sont associées et aux pratiques qui s’y déploient. Ces réseaux viennent par le fait même renforcer des inégalités existant dans le corps social quant aux capacités à investir et s’approprier un espace.
EN :
This paper’s aim is to underline how shared gardens can, through social homogeneity, become part of gardeners’ daily social lives. It is based upon a field study of two shared gardens mixing participant observations, questionnaires and semi-structured interviews. Results show that these shared gardens’ members, of rather similar social status, education level and cultural practices, are encouraged to repeatedly meet outside of said gardens. These gatherings end up creating very strong local networks. Consequently, they can be used individually to provide solidarity and support between group members, yet they also reinforce social inequalities as they empower established middle-classes, which already have enough resources to occupy urban spaces.
-
Les jeunes familles au coeur des transformations des quartiers péricentraux : le cas d’Ahuntsic à Montréal
Sandrine Jean et Annie Bilodeau
p. 184–199
RésuméFR :
L’embourgeoisement des quartiers centraux a fait couler beaucoup d’encre au cours des dernières décennies. Le rôle joué par les familles dans les processus de transformations des quartiers demeure cependant méconnu. Nous étudions les transformations du quartier Ahuntsic comme quartier péricentral montréalais, un type de quartier en transformation peu exploré dans la littérature, face à l’arrivée de familles avec de jeunes enfants. Les résultats présentés sont le fruit d’une enquête conduite à Ahuntsic entre 2010 et 2012 où ont été menées : 1) une trentaine d’observations d’espaces publics (parcs, installations sportives, centres communautaires et bibliothèques) ; 2) plus d’une quarantaine d’entrevues courtes avec des résidents et usagers de ces espaces ; ainsi que 3) plus d’une vingtaine d’entrevues approfondies auprès de familles avec de jeunes enfants. L’arrivée de familles avec de jeunes enfants participe à la transformation du quartier à travers leur occupation de l’espace public, leurs habitudes de consommation et leurs relations sociales. Deux principaux changements sont observés. Premièrement, les familles ont des attentes spécifiques à l’égard des commerces, des parcs et des installations sportives dans le quartier. Deuxièmement, elles ont des rapports de voisinage et des pratiques de sociabilité quotidienne qui altèrent les dynamiques locales et participent au maintien de leur mode de vie urbain, précédant l’arrivée des enfants. Les changements qu’occasionne l’arrivée de familles avec de jeunes enfants invitent à repenser la place et le rôle des familles dans les quartiers péricentraux, de même qu’à une production renouvelée et inclusive de la ville.
EN :
The literature on gentrification of urban neighbourhoods has flourished in recent years although the role of families in neighbourhood change remains relatively unknown. We study neighbourhood transformations due to the arrival of families with young children in Ahuntsic, a peri-central neighbourhood in Montreal, which is a type of neighbourhood largely underexplored in the academic literature. The results presented are based on a study conducted in Ahuntsic between 2010 and 2012 that includes: 1) thirty observations of public spaces (parks, sports facilities, libraries and community centres); 2) more than forty short interviews with residents and users of these spaces; and 3) over twenty in-depth interviews with families with young children. These families’ arrivals participate in the neighbourhood’s transformation through the ways in which they consume, socialize and appropriate the use of public spaces. Two major neighbourhood changes are analyzed. First, families demonstrate differentiated uses of shops, parks, sports and cultural facilities that fit their needs. Second, they display intensive neighbourly relations that transform local sociability dynamics and contribute to maintaining a valued urban lifestyle. It is argued that the neighbourhood change that comes with the arrival of families with young children, emphasizes the need to rethink the place of families in peri-central neighbourhoods as well as a renewed vision of urban inclusiveness.
-
« Ici, c’est polyethnique » : les cadrages de la diversité ethnique dans quatre quartiers de classes moyennes à Montréal
Xavier Leloup, Annick Germain et Martha Radice
p. 200–219
RésuméFR :
La dernière décennie aura été marquée, au Québec, par l’expression d’un inconfort grandissant face à l’immigration. Tant le discours politique que les sondages d’opinion auront véhiculé l’image d’une population moins encline à l’ouverture. Peu de travaux ont toutefois cherché à savoir comment les conduites quotidiennes et, en particulier, la cohabitation interethnique à l’échelle des quartiers ont pu être influencées par ces évolutions. Une recherche a été conduite entre 2011 et 2012 en vue d’apporter une réponse à cette question en ciblant comme terrain quatre quartiers de classes moyennes. Elle s’inspire largement des travaux sur la géographie des rencontres impliquant la différence. Le choix a cependant été fait de mettre l’accent sur les processus et conditions qui les rendent possibles plutôt que sur leurs éventuels effets. L’enquête cherche ainsi à renouer avec certains enseignements de l’École de Chicago, dont le caractère intermédiaire du quartier en tant qu’espace partagé, l’implication des engagements multiples sur les relations sociales et l’importance de la construction de la situation par ses participants. Les résultats montrent comment les individus se livrent à un travail de cadrage de la différence afin de maintenir le caractère ouvert de l’espace. Ils mettent aussi en évidence l’émergence d’ordres sociaux locaux différenciés d’un quartier à l’autre, les classes moyennes continuant à y occuper un rôle de pivot entre les groupes, en contradiction avec les images véhiculées à leur sujet. L’ensemble de la démarche souligne enfin l’utilité de l’enquête de terrain afin d’aborder la cohabitation interethnique par le bas et non à partir d’une vue normative et surplombante se focalisant sur les discours et les valeurs.
EN :
During the last decade, it has become increasingly common to hear people express discomfort toward immigration in Quebec. Both political discourse and opinion polls paint a picture of a population less inclined to be open than before. However, few studies have examined how this apparent trend has shaped everyday practices, especially interethnic relations, at the neighbourhood level. We conducted research from 2011 to 2012 to probe this question, taking four middle-class neighbourhoods as our field sites. While it was inspired by other studies of the geography of encounters with difference, our research emphasized the processes and conditions under which such encounters are made possible rather than their potential effects. It thus reconnects with some of the lessons from the Chicago School of urban sociology, such as the intermediate character of the neighbourhood as a shared space, the implications of multiple commitments for social relations and the importance of participants’ framing of the situation. The findings show how individuals work to frame difference in such a way as to maintain the openness of neighbourhood space. They also demonstrate that the local social orders differ from one neighbourhood to another, but that in all of them, the middle classes still occupy a pivotal mediating role between groups, which contrasts with their current prevailing image. The study as a whole underlines the relevance of doing fieldwork as a way to investigate interethnic relations from the ground up, rather than imposing a normative view from above that focuses on discourse and values.
-
La diversité sur le palier. Catégorisations ordinaires d’un voisinage hétérogène à Genève
Maxime Felder
p. 220–239
RésuméFR :
L’hétérogénéité de la population des centres urbains européens est souvent présentée comme une cohabitation de divers groupes (ethniques, nationaux, sociaux). L’article questionne cette perspective en se demandant comment — dans des immeubles dont la population reflète la mobilité internationale, les inégalités socioéconomiques mais aussi la diversification des modes de vie — les individus eux-mêmes perçoivent cette hétérogénéité. À travers des entretiens avec des résidents de quatre immeubles de Genève, j’analyse la manière dont ils décrivent leurs voisins. Plutôt que de les classer en groupes et de se référer à « nous » et à « eux », les interviewés combinent des catégories qui varient selon le voisin dont il est question. Toutefois, même pour les anciens résidents, certains voisins restent des inconnus dont ils ignorent jusqu’à l’existence. J’interprète ceci comme une conséquence de la grande hétérogénéité de la population étudiée, mais aussi de la moindre visibilité des voisins et de leurs activités, ainsi que de l’absence, à l’échelle des immeubles du moins, de réseaux de voisinage stables et soudés. Ainsi, loin d’être toujours des espaces d’interconnaissance, les immeubles s’apparentent à une juxtaposition d’espaces privés (les appartements) et quasi publics (les parties communes), où la coexistence passe par des formes de retenue et d’indifférence à l’égard des autres et de leurs différences.
EN :
European city centres are characterized by their heterogeneous populations. In Geneva, people from diverse origins and social positions dwell in the same buildings. This offers the opportunity to analyze how this heterogeneity appears to urbanites’ eyes, when they speak about each other. Through interviews with dwellers of four residential buildings, I show that rather than classifying their neighbours into groups and referring to “us” and “them”, interviewees combine categories which vary depending on the person to be described. Moreover, some neighbours remain unknown even to long-time residents. I interpret these findings as a consequence of the heterogeneity of the studied population, but also of the lack of visibility of each other’s behaviour, as well as of the absence—at the residential building’s level—of stable and cohesive groups. Consequently, residential buildings can belong to the public realm. Parts of them remain unknown territory populated by strangers, with whom coexistence is facilitated by self-restraint and indifference.