Résumés
Résumé
La prostitution s’est problématisée en Thaïlande à partir du milieu des années 1980. Le débat national sur l’usage commercial de la sexualité s’est progressivement aligné sur les prises de position occidentales. À travers l’étude d’une association thaïlandaise spécifique, Empower, il s’agira de montrer comment certains agents locaux ont pu favoriser ce processus d’importation des discours pour promouvoir une vision de la sexualité qui servait leurs intérêts spécifiques. Et au-delà des discours optimistes sur la circulation internationale des « causes » et des engagements, nous proposons ici une lecture critique de la mondialisation de la prise en charge de la prostitution en nous interrogeant sur les conséquences pratiques de la transnationalisation des solidarités
Abstract
Prostitution became a political issue in Thailand in the beginning of the 1980s. The national debate about commercialising sexuality was soon aligned with Western positions. Via a study of one Thai organisation, Empower, this article documents how local actors were able to make discursive imports that favoured their own interests. Going beyond optimist positions on international advocacy, this article offers a critical reading of global advocacy around prostitution by inquiring into the practical consequences of the transnationalisation of solidarities.
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Parties annexes
Notes
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Certes le terme « prostituée » est connoté et difficilement importable comme tel dans le champ scientifique (Pheterson, 2001). Nous le conserverons toutefois de manière neutralisée, sans jugement moral quant aux activités exercées. L’usage des guillemets, s’il aurait été nécessaire en toute rigueur, n’a pas été retenu dans la suite de l’article afin d’en faciliter la lecture. Quant à l’expression « travailleur (-se) sexuel (-le) » et sa traduction anglaise sex-worker, ils seront reproduits comme des discours indigènes.
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Les « prohibitionnistes » s’opposent à tout usage commercial de la sexualité, appréhendé comme une forme d’exploitation. Les « abolitionnistes » cherchent à pénaliser les bénéfices qu’un tiers – individu ou organisation – peut tirer de la prostitution d’autrui. Quant aux « réglementaristes », ils tentent davantage d’encadrer la prostitution par un cadre juridique transformant le ou la prostitué(e) en travailleur.
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Notamment les Maréchaux Phibunsongkhram (1948-1957), Sarit (1959-1963) et Thanom (1958, puis 1963-1973).
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Un rapport à été publié à la suite de l’atelier, repris dans un numéro spécial de Nouvelles Questions féministes (Barry, Bunch et Castley, 1984). Cet atelier est primordial dans la structuration d’une prise en charge mondialisé de la prostitution (Pheterson, 1989, p. 18 ; Keck et Sikkink, 1998, p. 178)
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Les données ont été réunies lors de deux entretiens accordés en 2005 et 2007 et recoupées par une interview conduite par Ara Wilson, pour une étude commandée par le Population Council (Wilson, 1996).
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[6]
Interrogée sur sa propre religion, Chantawipa Apisuk a systématiquement refusé de se déterminer, préférant éluder la question lors des entretiens accordés : « Moi, je suis de toutes les religions … ».
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Patpong propose un grand nombre de bars à gogo et d’établissements directement orientés vers la satisfaction de demandes sexuelles. Le quartier, spécialisé vers une clientèle occidentale et japonaise, est devenu célèbre à la fin des années 1980 grâce notamment à l’organisation de shows sexuels.
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Empower a d’ailleurs pour slogan : « Good girls go to heaven. Bad girls go everywhere ».
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Friends of Women s’allie ainsi à d’autres groupes féministes asiatiques, notamment le mouvement philippin Third World Movement Against the Exploitation of Women (TW-MAE-W) coordonné par soeur Mary Soledad Perpiñan, pour dénoncer en 1981 les sex-tours japonais en Asie du Sud-Est. Des manifestations sont organisées à l’occasion de la tournée dans les pays de l’ASEAN du premier ministre japonais Senko Suzuki. Ces mobilisations sont considérées comme la naissance d’une action politique contre le « tourisme sexuel ».
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Le rôle d’ECPAT dans la construction sociale du tourisme sexuel est primordial et mériterait des développements supplémentaires qui ne peuvent être abordés ici. L’étude de cette campagne fait actuellement l’objet d’une recherche complémentaire.
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Ce processus est d’ailleurs renforcé par l’émergence en 1992 d’une nouvelle bourgeoisie libérale au pouvoir qui remplace, suite à des difficultés politiques majeures, les anciens militaires (Jackson, 1993).
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[12]
Dans le cas d’Empower, l’APNSW collabore aujourd’hui avec le Network of Sex Work Projects (NSWP), 7-Sisters (coalition régionale d’ONG en lutte contre le sida), l’Asia Pacific Network of People Living with HIV (APN+), l’International Lesbian & Gay Association (ILGA) et l’Action for Women’s Rights in Development Network (AWID).
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Margaret Keck et Kathryn Sikkink définissent un transnational advocacy network en fonction de ses objectifs et des moyens employés pour y parvenir : « Transnational advocacy networks are proliferating, and their goal is to change behavior of states and of international organizations. Simultaneously principled and strategic actors ; they ‘frame’ issues to make them comprehensible to target audiences, to attract attention and encourage action, and to ‘fit’ with favorable institutional venues. Network actors bring new ideas, norms and discourses into policy debates, and serve as sources of information and testimony […]. They also promote norm implementation, by pressuring target actors to adopt new policies, and by monitoring compliance with international standards » (Keck et Sikkink, 1998 : 2-3).
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Bien évidemment, le stigmate de la prostituée joue directement sur la manière dont se présentent les femmes de Patpong. Mais la honte ou la gêne ne suffisent pas à expliquer la situation et le terme sopheni est davantage réservé aux hétaïres des anciens royaumes thaï. Quant au terme thaï pour « putain » (littéralement « femme qui se vend ») il désigne bien davantage les prostituées de rue que celles travaillant au sein des quartiers touristiques pour occidentaux, et demeure insultant et peu utilisé.
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[15]
Le revenu d’une prostituée de Patpong avoisine les 30 000 baths par mois (avec de fortes disparités), soit 3 fois le salaire de base d’un fonctionnaire thaïlandais, et plus de 6 fois les revenus des prostituées de rue.
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[16]
Voir le site Internet <http://www. empowerfoundation.org/ed_em_univer.html>.
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Notamment emmenés par la Banque asiatique de développement (BAD), pour qui le Grand Mékong représente une priorité, « l’intégration régionale » étant systématiquement appréhendée comme un objectif de bonne gestion. Empower a ainsi organisé le Mekong Regional Sex Work Forum du 20 au 24 novembre 2006, et la constitution d’un Mekong Network est devenue l’un des objectifs actuels.
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