FR :
Cet article suit le développement d’une sensibilité musicale au cinéma à travers les écrits et les oeuvres d’Edgard Varèse et de Michel Fano. Varèse pose les bases d’un nouveau paradigme en décrivant les transformations de la musique au contact des images et en inscrivant les sons dans le dispositif « d’enregistrement/montage/diffusion cinématographique ». Les notions de son organisé et de partition sonore sont pour lui les outils qui permettent de penser et de travailler la musicalité filmique. À partir des années 60, Fano s’inspire des idées de Varèse et les éprouve en composant plusieurs partitions sonores (notamment pour les films d’Alain Robbe-Grillet). En intégrant tous les sons (parole, bruit, musique) dans sa démarche musicale, le compositeur produit une écoute et une conscience singulière de la musique au cinéma : les sons (et les images) se divisent en formants, et le compositeur met en relation ces éléments afin de produire des affects musicaux et signifiants. Les notions de continuum sonore, d’ordre musical et de formant dynamisent et enrichissent alors le champ compositionnel imaginé par Varèse. En définitive, la réflexion sur le son organisé au cinéma a pour fondement le processus de construction réciproque du dispositif sonore, de la pensée compositionnelle cinématographique et des formes esthétiques. Le compositeur travaille à la surface d’un plan continu, la partition sonore, dont il doit façonner les matériaux et organiser les interactions. Le compositeur met en relation les sons et érige un « réseau », un « carrefour », un complexe audio-visuel constitué de formants. Cet espace sonore processuel fait de tensions, de consonances, de dissonances, de confrontations énergétiques et sémantiques modifie durablement notre façon de penser la musique au cinéma.
EN :
This essay traces the development of a musical sensibility in cinema through the writings and works of Edgard Varèse and Michel Fano. Varèse laid the foundation of a new paradigm in describing the transformations music undergoes in contact with images, and in embedding sound in the cinematographic process of recording/editing/diffusion. For Varèse, the notions of organized sound and sound score are tools allowing conceiving and working with filmic musicality. Then, in the 1960s, Fano, inspired by some of Varèse’s ideas, experienced them by composing several sound scores, among which are some for movies by Alain Robbe-Grillet. In integrating all the film sounds (speech, noise, music) in a musical work, the composer produces a new way of listening, and a specific awareness of music in cinema. The sounds (and images) are divided into formants, and the composer connects them in order to create musical affects and signifiers. Notions of sound continuum, musical order, and formant enrich and add to the dynamic of the work of composition as conceived by Varèse. Ultimately, consideration of organized sound in cinema is based on the process of mutual construction of the sound sphere, the film compositional thought and aesthetic forms. The composer works on a continuous plane, which is the sound score, where materials and interactions are to be shaped and organized. The composer links sounds and builds a complex audiovisual network of formants. This continuous sound space, composed of tensions, consonances, dissonances, and energetic and semantic confrontations, modifies deeply our conception of music in film.