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Introduction
Les trois auteurs travaillent depuis de nombreuses années à l’école de gestion de l’Université du Québec à Trois-Rivières, plus spécifiquement dans le département des systèmes d’information. Ces derniers ont une large expérience en recherche des petites et moyennes entreprises (PME), en entrepreneuriat et en systèmes d’information, ce qui rend leur expertise grandement pertinente pour le sujet abordé dans ce livre.
À l’ère de l’industrie 4.0, il n’est pas rare que les PME se fassent inonder d’informations de toutes parts, rendant la compréhension globale et spécifique des éléments constituant l’industrie 4.0 et la transformation numérique parfois floues, parfois contradictoires. Il devient alors pertinent d’aborder ce sujet et surtout, de l’adresser à un public qui se retrouve au centre de cette thématique : les entrepreneurs, et particulièrement ceux en PME. Ces derniers sont le principal moteur des changements apportés par les nouvelles technologies numériques et force est d’admettre que le succès et la réussite d’une transformation numérique passent généralement par la motivation, la volonté, l’engagement et le désir sincère des dirigeants des PME de mettre en oeuvre, encourager, soutenir et maintenir les initiatives de transformation numérique dans leur entreprise.
La question est donc de savoir : par où commencer ? Quels chantiers doivent être explorés en priorité ? Lesquels sont les plus pertinents et, surtout, y a-t-il une séquence à suivre ? Un chemin idéal ? Voire réplicable ? Cet ouvrage vise, via six chapitres, ou « clés » pour réussir sa transformation numérique, à aligner le lecteur, l’informer, le motiver et le sensibiliser aux principales erreurs à éviter, aux principes de base qu’il est important de suivre et aux risques à faire, mais aussi à ne pas faire, la transformation numérique de son entreprise.
Dans un discours parfois très concret, parfois très conceptuel, les auteurs souhaitent, par ce document, interpeller directement les agents de changement de manière à maximiser les chances de réussite des transformations numériques des PME.
Par une table des matières extrêmement pertinente, les auteurs proposent une suite cohérente d’idées (lesdites « clés »), qui touchent d’abord l’importance de développer une stratégie de transformation numérique « alignée » sur les objectifs de performance de l’entreprise (Clé 1) puis, en fonction de ces objectifs, de développer les capacités organisationnelles pour la gestion de la transformation numérique (Clé 2). Ces capacités ne pourront logiquement être pleinement déployées et exploitées sans avoir développé les compétences numériques et le capital social de l’entreprise (Clé 3) et sans développer, motiver et autonomiser les ressources humaines participant à la transformation numérique (Clé 4). Finalement, le livre conclut sur l’impact lié à la présence et à l’abondance des données provenant de toutes parts dans un contexte d’industrie 4.0 et sensibilise le lecteur sur l’importance de développer l’intelligence d’affaires afin de pérenniser la transformation numérique (Clé 5) et, nécessairement, qui dit données provenant de plusieurs sources, dit : cybersécurité. Les auteurs proposent alors des pistes pour gérer le risque de sécurité numérique de l’entreprise à l’ère de l’industrie 4.0 (Clé 6).
Clé 1
Face à de nombreux échecs de transformation numérique et une culture très axée sur le « quoi ? » ou, autrement dit, « quelle technologie acheter pour devenir le meilleur ? », les auteurs rappellent l’importance de se positionner d’abord sur l’échiquier mondial et de définir clairement son « pourquoi ? ». Comme entreprise, est-ce que le dirigeant souhaite se démarquer au niveau de son produit, de son service ou sur son réseau ainsi que sur son marché ? Ou est-ce une combinaison ? Avant même d’investir dans une technologie numérique largement vénérée comme étant « le chemin à suivre », les auteurs rappellent l’importance d’établir cette stratégie. Pour appuyer leur propos, ils discutent de l’importance d’établir son alignement stratégique et, de cet alignement, d’établir sa vision. Puis, les informations nécessaires pour atteindre cette vision devraient être identifiées. Enfin, à partir de ces informations, les données requises seront révélées et, en conséquence, les technologies numériques pertinentes devraient, de façon totalement déductive, être ciblées beaucoup plus facilement. Sans réinventer la roue, les auteurs s’inspirent des méthodes traditionnelles d’élaboration d’une stratégie d’affaires, notamment à l’aide du fameux FFOM (force, faiblesse, opportunités, menaces), ou SWOT en anglais, et de la théorie du management par les capacités (capability-based view) afin de répondre à l’environnement concurrentiel, aujourd’hui dans une ère dynamique et beaucoup plus numérique.
Clé 2
Pour mettre en oeuvre sa vision, il est nécessaire d’avoir accès à des ressources pertinentes. Les auteurs discutent d’une liste de ressources – matérielles et immatérielles, techniques et managériales, internes et externes – qui devraient contribuer significativement à la réussite de sa transformation numérique. L’absence de ces ressources devrait, de toute évidence, mener à des lacunes, à des coûts considérables et, éventuellement, des échecs retentissants. Par conséquent, il est essentiel de comprendre clairement la vision globale afin de mobiliser les bonnes ressources, mais ces ressources verront leur maturité évoluer au fil de la transformation numérique de l’organisation. Les auteurs martèlent l’importance de ne pas se contenter d’acquérir une technologie ou de simplement « adopter la technologie ». Bien que cette étape soit essentielle, surtout au départ, elle doit impérativement mener à une assimilation des technologies dans l’organisation, soit l’acquisition des compétences techniques et managériales nécessaires pour intégrer, faire fonctionner et maintenir de façon optimale les technologies. Puis, elle doit ensuite mener à l’appropriation des technologies, soit l’acquisition d’un haut niveau de compréhension intrinsèque de la technologie et la manière dont elle changera de façon permanente et transformationnelle l’entreprise qui en fait l’acquisition. En d’autres termes, la technologie elle-même ne représente pas la transformation, mais la capacité à s’approprier la technologie et à revisiter entièrement sa manière de développer, de capter la valeur et de livrer la valeur (autrement dit : son modèle d’affaires). C’est cette dernière capacité qui sera le signe ultime d’une transformation numérique réussie.
Clé 3
Fortement inspirés du concept d’entreprise-réseau hautement à la mode au début des années deux mille, les auteurs rappellent dans ce chapitre l’importance de bien s’entourer en affaires, autrement dit, de valoriser le capital social. Dans un contexte de PME où les ressources sont largement limitées, il est quasi impensable de faire l’acquisition de toutes les compétences techniques et managériales nécessaires pour identifier, déployer, exploiter et maintenir de façon efficace et efficiente l’ensemble des technologies numériques issues de l’industrie 4.0. Il en est de même pour les technologies elles-mêmes. Est-il encore aujourd’hui nécessaire de posséder chaque technologie dans son entreprise ou seul son usage est suffisant ? Est-il encore réaliste pour une entreprise de tout faire en interne au niveau numérique : développer, comprendre, mettre à jour, intégrer… ? Dans ce chapitre, les auteurs rappellent l’importance de s’entourer de partenaires clés tels que des intervenants socio-économiques comme les gouvernements, les regroupements d’entreprises, les consultants, les établissements d’enseignement et les fournisseurs de technologies. Dans un contexte où les expertises requises se multiplient et les ressources se raréfient, il serait téméraire de ne pas bien s’entourer du capital social dont disposent les PME. Aussi, bien que la stratégie évoquée à la clé 1 soit le premier pas pour réussir sa transformation numérique, les auteurs rappellent l’importance d’adresser les enjeux quotidiens d’abord afin d’aller chercher l’engagement et la motivation nécessaire pour les prochaines étapes : « Ce n’est qu’une fois réglés les aspects opérationnels et lorsque les défis internes afférents sont surmontés que le dirigeant de PME aspirant à une innovation de plus grande envergure […] peut tourner son attention vers l’obtention d’un nouvel avantage concurrentiel […]. »
Les auteurs rappellent que, bien que le retour sur investissement soit toujours une mesure importante en PME, la performance liée à la transformation numérique peut, et doit, aujourd’hui aussi, tenir compte de l’accroissement de la capacité d’innovation, d’une connaissance plus fine des attentes des clients, de l’amélioration de la productivité, grâce à des procédés moins énergivores et des processus optimisés, de la collaboration effective et élargie à l’ensemble des acteurs dans l’écosystème d’affaires et aux occasions pour développer une nouvelle proposition de valeur, voire pour renouveler les modèles d’affaires.
Clé 4
Acquérir les compétences, ou s’entourer des bonnes compétences via le capital social est une étape critique pour réussir sa transformation numérique, mais cette étape serait incomplète sans une gestion minutieuse des ressources humaines. Dans ce chapitre, les auteurs appellent à l’importance de développer un système de haute performance basée sur les ressources humaines et d’une gestion du changement et d’un leadership numérique hors pair. La gestion du changement et le leadership numérique doivent, selon les auteurs, être bâtis à même la stratégie numérique établie à la clé 1 et que l’ensemble des processus, des procédures et la gouvernance d’une organisation doivent être cohérents avec cet alignement stratégique. De plus, pour exécuter, comprendre et entretenir une transformation numérique efficace, les ressources humaines doivent non seulement avoir les capacités d’agir (connaissances et savoir-faire), mais également la volonté d’agir et l’occasion d’agir. Cette triade devient essentielle dans une PME qui souhaite s’assurer que sa transformation numérique ne reste pas qu’un simple souhait, mais qu’elle se concrétise réellement.
Clé 5
Qui dit transformation numérique dit données. Et qui dit données dit informations. L’implantation de nouvelles technologies intelligentes et connectées ne servirait à rien sans une intelligence d’affaires utile aux ressources humaines de l’entreprise. Ce chapitre se concentre sur l’importance d’utiliser les technologies analytiques pour tirer des informations qui permettent une prise de décision éclairée, agile et pertinente. Par une explication claire et étayée de ce qu’est l’intelligence d’affaires, les auteurs présentent les multiples raisons pour lesquelles une PME devrait s’intéresser au concept d’intelligence d’affaires comme l’amélioration du processus de développement de nouveaux produits, l’optimisation des opérations ou du service à la clientèle, entre autres. Puis, les auteurs abordent les barrières qui pourraient empêcher les PME d’user de cette technologie et proposent une feuille de route fort pertinente pour la mise en oeuvre de ce type de solutions numériques. Sans nécessairement y faire explicitement référence, cette feuille de route prend ses bases sur les quatre premières clés discutées en amont, soit l’importance de l’alignement et de la définition de performance pour l’organisation et l’acquisition de ressources et compétences – qu’elles soient internes ou externes. Enfin, la feuille de route termine avec les bonnes pratiques de gestion de projet habituelles pour s’assurer d’un déploiement efficace et réussi. Un des points marquants de ce chapitre porte sur la logique de performance, soit l’interdépendance et la relation intime entre chaque indicateur de performance d’une entreprise. L’auteur sensibilise le lecteur à ce point critique qui, à terme, assurera que chaque membre d’une organisation prenne des décisions fondées sur une direction commune, sans contradictions ou incohérence.
Clé 6
Ce dernier chapitre est fortement inspiré des notions de gestion de risque, mais appliquées aux technologies de l’information. Après avoir discuté du vocabulaire employé dans le domaine de la cybersécurité, les auteurs présentent avec brio les normes et les lignes directrices nécessaires pour la mise en oeuvre des bonnes pratiques de sécurité des systèmes d’information. La présentation de ces normes est bien faite, appropriée en longueur, et suffisamment bien expliquée pour savoir exactement quoi faire avec cette information. Un dirigeant d’entreprise qui souhaite comprendre le sujet et trouver les premiers pas dans ce domaine pourra, à la lecture de ce chapitre, avoir une bonne idée des grandes lignes et des principales références à consulter pour aller plus loin. Dans ce chapitre, les auteurs proposent une approche en quatre étapes pour la mise en oeuvre d’un système de sécurité informatique. Au contraire de la clé 5, la feuille de route proposée ne s’inspire pas des quatre premières clés discutées dans ce livre, mais plutôt sur les bonnes pratiques de gestion du risque : 1. Adoption d’un standard de sécurité pour aligner les décisions, 2. Identification et caractérisation des actifs TI à protéger, 3. Évaluation des risques de cybersécurité, 4. Mitigation des risques. Enfin, le chapitre conclut sur la priorisation des projets basée sur une matrice effort/effet afin de maximiser l’impact sur la cybersécurité à partir de ressources matérielles et financières d’une entreprise.
Conclusion
En conclusion, cet ouvrage offre une feuille de route intéressante pour les entrepreneurs et dirigeants de PME qui cherchent à réussir leur transformation numérique. Les auteurs, forts de leur expérience universitaire et de leur compréhension approfondie des enjeux liés à l’industrie 4.0, fournissent des clés stratégiques structurées, logiques et cohérentes. Ils insistent sur l’importance de commencer par définir clairement le « pourquoi » de la transformation avant de se précipiter vers le « comment ». De plus, ils mettent en avant la nécessité de mobiliser les bonnes ressources, d’investir dans le développement des compétences numériques, de cultiver le capital social et d’accorder une attention particulière à la gestion des ressources humaines. Enfin, ils soulignent l’importance de l’intelligence d’affaires et de la cybersécurité dans cette ère numérique en constante évolution. Ce livre constitue une ressource utile pour ceux qui cherchent à naviguer avec succès dans le monde complexe de la transformation numérique et de l’industrie 4.0, offrant des clés précieuses pour prospérer dans cet environnement en mutation rapide.