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Ce plus récent ouvrage de Louis Jacques Filion, Vision, relations et imagination – Clés du succès de l’entrepreneur, constitue la deuxième édition du bouquin original, paru en 1991. Il faut dire, d’entrée de jeu, que j’avais grande hâte de lire ce livre, qui campe le concept de vision en entrepreneuriat, lequel est grandement utilisé et accepté de nos jours. À l’époque de ma thèse, j’avais lu l’article publié dans International Small Business Journal par le professeur Filion et qui résumait quelques-unes des grandes idées de ce livre, sans avoir pu en apprécier les détails, les exemples et toute la richesse que permet le format du livre.
Il faut également souligner que la recherche sur laquelle repose ce livre s’ancre dans une démarche en pensée systémique, en particulier sur la méthode des systèmes d’activités humaines, laquelle s’articule avec la méthodologie des systèmes souples de Peter Checkland de l’Université Lancaster, qui a été le directeur de recherche de l’auteur à l’époque (1983-1988). Plus d’une centaine d’entrepreneurs dans une vingtaine de pays ont été étudiés pour permettre à Louis Jacques Filion de proposer, par induction, le processus visionnaire des entrepreneurs.
Au moment même où William Gartner énonçait en 1988 une position qui allait modifier le paradigme du champ de l’entrepreneuriat en affirmant « who is an entrepreneur? Is the wrong question », Louis Jacques Filion réalisait déjà un travail colossal pour comprendre comment l’entrepreneur se comporte et démarre des entreprises. Son travail en cours d’élaboration était déjà orienté dans cette direction. Pour l’auteur, une vision est un futur désiré que l’on compte réaliser. Il s’agit d’un concept excessivement riche puisqu’il comprend la notion d’intentionnalité en entrepreneuriat, mais permet aussi d’y attacher (sans l’exprimer ainsi) la notion d’opportunité entrepreneuriale, proposée environ une décennie plus tard par Shane et Venkataraman, conceptualisée à nouveau en 2015 par Per Davidsson. Le concept de vision s’ancre également dans la cognition entrepreneuriale, dont il s’agit probablement de l’une des premières contributions importantes dans cette sous-discipline.
Également, il convient de mentionner que, pour Louis Jacques Filion, l’entrepreneuriat est une profession, un métier. En ce sens, il est aussi l’un des précurseurs à considérer l’entrepreneuriat comme une carrière à part entière et non comme un accident de parcours. Pour lui également, l’entrepreneuriat et la concrétisation d’innovations ne font qu’un. Ainsi, tant que la personne est animée d’une volonté d’innover et de concrétiser ses idées, elle devient par le fait même une personne intrapreneure (si elle le fait dans un cadre salarié) ou une personne entrepreneure (si elle est à son propre compte).
Pour en venir au livre en tant que tel, il s’articule en deux sections de quatre chapitres chacune. La première section pose les différentes idées qui permettent d’illustrer la vision entrepreneuriale et son contexte, plus large de l’entrepreneur, ses relations et son caractère innovateur. La deuxième section amène une perspective processuelle et articule comment la vision entrepreneuriale et les processus innovants se déploient. Plus spécifiquement, le premier chapitre traite de la définition de l’entrepreneur, en offrant des éléments historiques et étymologiques pour en comprendre le sens et l’évolution. L’innovation et la capacité à se mettre en action pour saisir des opportunités sont au coeur de cette définition pour l’auteur, où un entrepreneur est une personne qui imagine, développe et réalise des visions. Sans clore les différents débats académiques sur ces questions, les éléments présentés ont le mérite d’offrir une perspective descriptive faisant grandement écho à la pratique et au « terrain ». Il faut d’ailleurs souligner que cet ancrage constitue un trait distinctif de cet ouvrage, et probablement même de la démarche de l’auteur dans ses différentes contributions au champ au fil des ans.
Le deuxième chapitre aborde les différentes caractéristiques de l’entrepreneur. Au nombre de neuf, elles correspondent aux éléments qui permettent de soutenir un agir entrepreneurial, à savoir : la culture entrepreneuriale, les rêves, l’intuition, l’engagement, la différenciation, le travail intense et constant, le mode d’apprentissage particulier basé sur la passion, des systèmes de relations internes et externes originaux et un leadership innovant. Chacune de ces caractéristiques est décrite et appuyée par de nombreux exemples provenant d’entrepreneurs connus, mais parfois d’autres qui le sont moins. L’auteur se permet des réflexions pour approfondir l’articulation entre la caractéristique énoncée et les exemples donnés. Cela permet de nuancer et d’approfondir les idées de la section, en plus d’éviter que le livre ne soit trop « académique ». Étant un pédagogue réputé, Louis Jacques Filion s’assure que ses idées soient comprises par quiconque s’intéresse à l’entrepreneuriat. Cela transcende le livre et pas seulement la section.
Le troisième chapitre discute de l’agir entrepreneurial en présentant d’abord quatre phases de l’activité entrepreneuriale, suivi de cinq perspectives réflexives pour se préparer à l’activité entrepreneuriale. Les quatre phases présentées résument assez bien la démarche de saisie d’une opportunité entrepreneuriale, à savoir : scruter le futur, discerner les tendances émergentes, imaginer des réponses potentielles puis passer à l’action. Les perspectives réflexives regroupent différents éléments liés à la culture entrepreneuriale, les valeurs, certains déterminants individuels et les soutiens relationnels qui appuient les premiers balbutiements d’une vision entrepreneuriale. Tout comme la section précédente, ces éléments sont appuyés de nombreux exemples et de commentaires pour aider à les circonscrire et les comprendre dans un contexte plus large.
Le quatrième chapitre fournit les éléments clés pour comprendre le concept de vision et sa place dans la démarche entrepreneuriale. On y aborde trois catégories de visions. D’abord émergentes, ces visions alimentent alors la vision centrale, laquelle sera ajustée par différentes visions complémentaires, dans ce qu’il convient de nommer le processus visionnaire. Ce processus est ensuite décliné en quatre phases dans le cinquième chapitre, puis on y présente différents éléments complémentaires stimulant la vision. Le sixième chapitre amène une perspective plus concrète sur la manière de développer les visions, en insistant sur les différents niveaux de relations qui alimentent celle-ci : niveau primaire (famille, proches, amis, etc.), secondaire (connaissance, réseautage, association, etc.) et tertiaire (cours, colloques, voyages, réseaux sociaux, etc.). Le septième chapitre fournit plusieurs exemples de l’imagination innovante en action ainsi que les six étapes pour alimenter celle-ci, puis le dernier chapitre ouvre sur des réflexions périphériques au concept de vision (son impact dans la société, les avantages et tensions de cultiver ses visions, etc.). Le livre s’accompagne également d’annexes qui fournissent notamment des exercices pour développer le processus visionnaire.
En somme, ce livre permet d’approfondir le concept de vision et de l’ancrer dans une perspective plus large qui ouvre sur les processus créatifs, innovants et entrepreneuriaux. Loin d’être destinés exclusivement à un public académique, les nombreux exemples d’entrepreneurs et d’innovateurs provenant du Québec, mais aussi de plusieurs autres endroits dans le monde, rendent la lecture agréable pour quiconque s’intéresse aux comportements des entrepreneurs, et plus spécifiquement aux processus cognitifs qui alimentent leurs actions. Dans cette perspective, l’ouvrage réédité de Louis Jacques Filion saura probablement rejoindre un vaste public qui souhaite comprendre comment pensent et agissent les innovateurs et les entrepreneurs qui les entourent. Bonne lecture !