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Le manque de modèles de rôle a été maintes fois souligné comme un frein à l’entrepreneuriat féminin. Malgré une présence de plus en plus marquée de femmes entrepreneures à succès dans les médias, les exemples proposés offrent souvent une vision idéalisée de leurs parcours, bien éloignée de la réalité de terrain. Prenant le contrepied de cette perception héroïque de l’entrepreneuriat, cet ouvrage nous propose d’aller à la rencontre de « ces entrepreneures qui ne sont pas au CAC 40, qui ne font pas la couverture des magazines, mais qui contribuent à la vitalité économique de la France » (p. 8). C’est à travers les yeux et la parole de douze femmes que l’on découvre ainsi le quotidien du parcours entrepreneurial, relaté avec brio et sans fioritures par les différentes contributrices et contributeurs du livre.
Cet ouvrage est appréciable à plusieurs titres. Il participe d’abord à un effort de documentation de l’entrepreneuriat des femmes contemporain. Quand on sait l’invisibilité sociale dans laquelle sont tombées nombre de femmes d’affaires « oubliées de l’histoire économique », ce travail nous paraît plus que nécessaire et utile. Les trajectoires proposées donnent aussi à voir la diversité des profils et parcours entrepreneuriaux possibles pour les femmes en France. À cet égard, la méthode du récit de vie est puissante. Elle permet de saisir la manière dont les contextes – familiaux, d’études, sociaux… – influent sur les parcours individuels, mais aussi la façon dont les femmes, via leur entrepreneuriat, peuvent contribuer aux transformations sociétales. L’intérêt majeur de cet ouvrage réside dans la présentation de parcours vivants, concrets, tangibles, loin des mythes existants sur l’entrepreneuriat.
C’est avec une riche introduction que Typhaine Lebègue et Stéphanie Chasserio mettent le couvert et nous amènent à la découverte du contexte dans lequel s’inscrit l’entrepreneuriat des femmes en France. Cette introduction constitue une mine d’informations sur le sujet, incluant une vingtaine de dates clés ayant marqué l’évolution des droits des femmes, un portrait à la fois chiffré et qualitatif de leur engagement en entrepreneuriat ainsi qu’un panorama de dispositifs clés de soutien à l’entrepreneuriat féminin. La suite de l’ouvrage articule douze récits pluriels de femmes entrepreneures, regroupés en quatre grandes thématiques.
La première thématique, « Histoires de famille, l’entrepreneuriat en héritage », regroupe trois récits de vie contrastés. Ceux-ci relatent la manière dont des filles ont repris l’entreprise familiale, en décrivant de manière colorée et vivante leurs milieux familiaux et professionnels.
Le premier récit nous fait découvrir la fabrique des Anis de Flavigny, mais aussi celle de la succession familiale dans cette entreprise multigénérationnelle, où se mélangent saveurs d’antan et innovations au goût du jour. C’est une histoire particulière que nous narrent Valérie Ballereau et Sylvain Max, car quand Catherine Troubat prend la suite de son père, c’est de tout un village qu’elle prend en fait la succession…
La deuxième trajectoire est bien différente et relate la manière dont Gaëlle Pignet s’est forgé un avenir solide dans le milieu masculin du bâtiment, par ses expériences tant en dehors qu’au sein de l’entreprise familiale Girard & Fossez, fondée par son grand-père. Marie-Christine Barbot-Grizzo nous fait part des murs auxquels Gaëlle fait face avec volonté et ténacité, construisant à la fois des ponts avec son père, son frère et les employés de l’entreprise, tout en déconstruisant le genre…
Le troisième parcours est celui d’Adeline Lescanne, fille du fondateur de Nutriset, développant des produits pour prévenir la malnutrition dans les pays du Sud. Nazik Fadil et Khaled Saadaoui racontent de manière authentique son enfance, son implication dans des projets de développement et son entrée dans l’entreprise familiale où elle fait depuis rimer monde de l’entreprise avec valeurs et changement social…
La deuxième thématique, « L’entrepreneuriat comme une évidence », propose quatre récits de vie à nouveau bien différenciés en termes de profils et de contextes, reliés par l’urgence de saisir les opportunités et l’immense envie d’entreprendre chez ces quatre femmes.
Dans le premier récit, Lucie Bégin et Céline Barrédy racontent l’histoire trépidante d’Yseulys Costes. Fille de fonctionnaires, petite-fille d’agriculteurs, elle a « un peu par hasard » créé sa start-up 1000mercis. Ayant levé des fonds en plein éclatement de la bulle Internet, celle qui a été élue Femme Internet de l’année 2001 gère aujourd’hui la société de plus de 200 salariés dans le domaine du marketing et de la technologie…
Dans le deuxième récit, on découvre l’arrière du décor de la réussite entrepreneuriale de Coriolis Composites, entreprise dans le secteur de la robotique et des technologies composites créée par Clémentine Gallet et son compagnon. Typhaine Lebègue relate le parcours semé d’embûches de ces deux innovateurs avec de grands rêves, qui ont fini par décrocher un contrat avec Airbus, leur permettant de continuer l’aventure…
Le troisième parcours est celui de Stéphanie Morvan qui, après une première carrière comme responsable dans un groupe industriel, réalise son rêve en créant son entreprise Joker, dans le secteur des services à la personne. Stéphanie Chasserio, Corinne Poroli et Philippe Pailot dressent le portrait de cette femme engagée, qui a fait appel au capital-risque pour faire croître son activité, loin des stéréotypes sur ce secteur…
Dans le quatrième récit, Hanane Beddi et Nazik Fadil nous racontent le parcours atypique de Pascale Le Carpentier de Leusse, à la tête de Protecop. Autodidacte, forte d’expériences variées, celle-ci entre dans l’entreprise de son mari en tant que responsable de la commercialisation. Celle qu’on surnomme Mme Robocop partage avec générosité son vécu et la manière dont elle a su développer les activités à l’international…
La troisième thématique, « Tomber, se relever, entreprendre est une force », inclut trois récits de vie uniques, marqués par la capacité de ces femmes à surmonter, dépasser, contourner ou accepter les difficultés multiples liées à leurs parcours entrepreneuriaux.
On parle rarement de redressement d’entreprises en difficulté. C’est ce contexte que le parcours mouvementé de Sylvie Casenave-Péré nous permet de découvrir. Sophie Gay Anger nous emmène sur les traces de cette entrepreneure en série, dévoilant sans filtre ses succès, échecs, difficultés et bons coups lors de la reprise de Posson, en dépôt de bilan…
Avec Armelle, ce sont les méandres de la reprise interne et de la relève de direction que l’on suit. Nazik Fadil nous raconte avec justesse les réflexions et décisions au quotidien de l’entrepreneure au sein de Normalab, fabricant de matériel pour les laboratoires pétroliers. Un parcours tout sauf linéaire, entre reprise, rachat externe, rachat avec effet de levier, internationalisation et la naissance de ses quatre enfants…
La troisième histoire est celle de Christine Maros, qui crée Evolua Formation suite à une situation de rupture professionnelle et personnelle. Catherine Aubry et Lucie Bégin nous permettent d’accompagner cette entrepreneure au long de son parcours en creux et en bosses, au fil de ses rencontres qui vont lui permettre de développer à la fois ses activités et sa personnalité de dirigeante…
La quatrième et dernière thématique, « Entreprendre, l’aboutissement d’un cheminement personnel », nous invite à rencontrer deux entrepreneures qui illustrent la manière dont les expériences de vie peuvent contribuer à construire les parcours entrepreneuriaux.
Le premier récit livre la trajectoire captivante de Marie-Christine Oghly, entrepreneure en série dans le domaine de la mécanique des fluides. Bérangère Deschamps nous fait ressentir la détermination de cette entrepreneure à succès, mais aussi son engagement fort dans la cause des femmes, forgé au travers de son histoire familiale et de ses expériences dans des milieux masculins durant les années quatre-vingt…
Le second récit s’inscrit dans un secteur bien différent, celui de la santé, avec le parcours plein de rebondissements de Michèle Coste. Jeanine Billet partage l’histoire de cette infirmière de formation, que l’on voit cheminer au gré de ses multiples emplois et expériences de vie, jusqu’au rachat d’un premier, puis d’un second établissement de soins de suite et réadaptation, et à la création de l’entreprise des Acacias…
La conclusion de l’ouvrage reprend les principaux enseignements à retirer de ces douze parcours de femmes entrepreneures, tout en soulignant la diversité des possibles en matière d’entrepreneuriat, que ce soit en termes de motivations, d’identités, de cheminements, de stratégies, de pratiques managériales, de modèles d’affaires ou encore de relations avec les parties prenantes.
En résumé, cet ouvrage nous offre l’occasion de nous immerger dans les histoires de ces femmes entrepreneures, de vivre avec elles leurs parcours, de ressentir leurs difficultés, obstacles, défis et émotions. Il est également très concret, axé sur la réalité de terrain, truffé de conseils, de trucs et d’astuces pour démarrer et développer son entreprise. Les parcours présentés peuvent aussi servir d’illustrations et d’études de cas dans le cadre de cours ou de formations en entrepreneuriat. Enfin, « ces témoignages inspirants peuvent certainement servir de modèles réalistes et atteignables » (p. 174) pour les femmes et les hommes qui ont envie d’entreprendre ou sont en train de se lancer.
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