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Introduction

La tendance à considérer l’entrepreneur comme vecteur de croissance économique a notamment conduit au cours des dernières années les pouvoirs publics à s’interroger sur les objectifs à se donner pour favoriser le développement des économies (Facchini, 2007). De ce point de vue, les universités et grandes écoles ont rapidement été identifiées comme ayant un rôle à jouer dans ce processus (Honig, 2004). En 2013, le plan d’action Entrepreneuriat 2020 « Raviver l’esprit d’entreprise en Europe[1] » de la Commission européenne présentait l’éducation à l’entrepreneuriat comme « l’un des investissements les plus rentables » face à un contexte de crise économique et un taux élevé de chômage parmi les jeunes. En France, l’entrepreneuriat chez les jeunes a été récemment consacré comme une priorité nationale. Les initiatives allant en ce sens se sont multipliées depuis une dizaine d’années, notamment à travers le plan national en faveur de l’entrepreneuriat annoncé en 2013, PÉPITE (plan étudiant pour l’innovation, le transfert et l’entrepreneuriat[2]). Ce dernier s’inscrit dans la continuité des conclusions tirées des Assises de l’entrepreneuriat, tenues à l’initiative du gouvernement en avril 2013, sur le constat d’un défaut de culture entrepreneuriale en France, lié au manque de formation à l’innovation et l’entrepreneuriat des jeunes. Le plan vise ainsi une diffusion plus large de l’esprit d’entreprendre des jeunes dans l’enseignement supérieur et in fine, une meilleure insertion professionnelle avec notamment un plus grand nombre de jeunes diplômés créant leur entreprise. L’un des volets du PÉPITE est la création d’un statut national étudiant-entrepreneur (SNEE) qui s’adresse à la fois aux étudiants inscrits dans un établissement supérieur et aux jeunes diplômés souhaitant bénéficier d’un accompagnement dans l’un des 32 pôles du réseau national PÉPITE. Dès 2015, PÉPITE France a été créé parallèlement à ces mesures gouvernementales, grâce à des fonds publics et privés, afin de fédérer les actions nationales et de capitaliser sur les bonnes pratiques. Une chaire PÉPITE France a été mise en place pour structurer un observatoire d’impacts du dispositif avec différents travaux de recherche (Boissin, 2018a, 2018b ; Gabay-Mariani, 2020).

L’étudiant-entrepreneur fait l’objet d’une attention croissante, tant de la part du monde académique que de la part des praticiens. On observe un véritable engouement chez les chercheurs pour l’étudiant-entrepreneur, à qui est dédié un nombre croissant de travaux, parfois critiques, dans le domaine de l’accompagnement à la création d’entreprise étudiante (Chambard, 2013, 2014 ; Hannon, 2015 ; Leyronas et Loup, 2015 ; Robinson, Neergaard, Tanggaard et Krueger, 2016 ; Boissin, Favre-Bonté et Fine-Falcy, 2017 ; Degeorge, 2017 ; Bonnard et Giret, 2017 ; Authier, Brenet et Schieb-Bienfait, 2017 ; Holienka, Gál et Kovačičová, 2017 ; Jacquemin et Lesage, 2018 ; Aadland et Aaboen, 2018 ; Gabay-Mariani et Boissin, 2019 ; Hägg et Kurczewska, 2019). L’objectif de ces recherches est bien souvent d’identifier les méthodes, les compétences et les pratiques éducatives les plus à même de favoriser et de stimuler l’entrepreneuriat chez les jeunes de l’enseignement supérieur. Au-delà des approches originelles sur la culture entrepreneuriale des jeunes (Léger-Jarniou, 2008), il s’agit désormais d’intégrer l’accompagnement de l’engagement dans le projet entrepreneurial des étudiants et des jeunes diplômés (Boissin, 2018a, 2018b, 2018c ; Gabay-Mariani, 2020). Or, malgré cet intérêt croissant, les contours de la définition de l’étudiant-entrepreneur demeurent opaques, ce qui rend difficile la délimitation précise d’une offre d’accompagnement adaptée à cette population et le développement de principes communs d’éducation et de formation (Champy-Remoussenard, 2015).

Les réflexions sur l’accompagnement entrepreneurial, qui se sont structurées depuis une dizaine d’années en un véritable champ de recherche en France, ont pointé le risque de standardisation des pratiques (Chabaud, Messeghem et Sammut, 2010) et la nécessité de prendre en compte la diversité des publics d’entrepreneurs. La conception de l’entrepreneur et le système de valeurs orientent par ailleurs la structuration des programmes d’accompagnement entrepreneurial. Les idéaux-types proposés par Jacquemin, Lesage et Verzat (2018) distinguent à ce titre la planète humaniste, donnant l’opportunité d’entreprendre au plus grand nombre et la planète digitale, plus proche de la culture libérale anglo-saxonne, qui se concentre avant tout sur l’accompagnement des projets à fort potentiel de croissance, notamment dans une logique d’identification de profils pertinents (sourcing) pour de grands groupes ou des investisseurs privés. Leur réflexion pose en creux la question du modèle d’étudiant-entrepreneur au coeur de ces planètes d’accompagnement.

Cette question est d’autant plus cruciale qu’elle recoupe celle de la structuration des écosystèmes éducatifs entrepreneuriaux dans lesquels l’étudiant-entrepreneur tient une place centrale. Pour Theodoraki, Messeghem et Rice (2018), un écosystème entrepreneurial est un système mettant un certain nombre d’acteurs en interaction (acteurs politiques, institutionnels, organismes de soutien, universités, associations professionnelles, organismes financiers) autour d’une finalité commune. Toutain, Gaujard, Mueller et Bornard (2014) caractérisent les spécificités des écosystèmes éducatifs entrepreneuriaux. Elles rejoignent la notion d’environnement capacitant (Fernagu-Oudet, 2012, 2016). Liu (2018) va plus loin en proposant la notion d’environnement émancipant. Ces contributions mettent en avant l’importance de l’écosystème dans lequel l’étudiant-entrepreneur prend part pour que celui-ci s’engage réellement dans un processus d’apprentissage et de construction d’identité professionnelle. On voit là tout l’enjeu de définir le périmètre définitionnel de l’étudiant-entrepreneur pour construire des écosystèmes éducatifs entrepreneuriaux vertueux.

Or, force est de constater que le principe d’un étudiant-entrepreneur unique n’est en effet pas sans poser problème. Le public étudiant est en lui-même extrêmement hétérogène, ne serait-ce que de par la grande diversité des types d’établissements existants (universités – et en leur sein des îlots relativement autonomes comme les IUT, IAE, etc. –, grandes écoles, écoles privées, formations mises en oeuvre par l’Éducation nationale comme les classes préparatoires et BTS…). En 1964, Bourdieu et Passeron, dans leur étude sociologique des étudiants de l’université, pointaient déjà la grande difficulté de rattacher sous un même vocable des individus n’ayant pour seul point commun que la pratique universitaire, mais dont les cursus, conditions de vie et rapports à l’institution scolaire variaient sensiblement d’un étudiant à l’autre. L’entrepreneur divise quant à lui plus qu’il ne réunit, si bien qu’il n’existe pas de définition communément acceptée de ce concept, mais des acceptions répondant à des problématiques de recherche (Tounès et Fayolle, 2006 ; Fayolle, 2004). Longtemps associé à la création d’une organisation nouvelle (Gartner, 1988), l’entrepreneuriat a pu également être envisagé plus largement comme un processus d’identification et d’exploitation d’une opportunité d’affaires (Shane et Venkataraman, 2000) ou encore de création de valeur nouvelle (Bruyat, 1993) pouvant se réaliser sous des formes variées (association, reprise d’entreprise, intrapreneuriat). Il ressort par ailleurs de travaux récents une injonction à saisir le phénomène entrepreneurial dans sa diversité (Welter, Baker, Audretsch et Gartner, 2017), en mettant la focale sur des formes d’entrepreneuriat plus ordinaires que les entrepreneurs à succès, sur lesquels la littérature s’est longtemps concentrée.

La littérature consacrée à l’étudiant-entrepreneur a, de plus, jusqu’alors produit des définitions insatisfaisantes de cet acteur désormais central des écosystèmes d’éducation entrepreneuriale. Soit focalisées sur le moment antédiplôme (studentpreneur, Marchand et Hermens, 2015), soit sur la phase postdiplôme (graduate entrepreneuship), elle a produit des approches segmentées et séquentielles, ne tenant pas compte de la complexité du processus entrepreneurial (Sammut, 2001). Les rares définitions de l’étudiant-entrepreneur le caractérisent par ailleurs avant tout comme un créateur d’entreprise innovante (Marchand et Hermens, 2015), excluant d’autres modèles et trajectoires entrepreneuriales.

Dès lors, quels contours donner à la définition de l’étudiant-entrepreneur, en tenant compte de la diversité des modèles d’étudiants, d’entrepreneurs et de trajectoires entrepreneuriales existantes ? Nous proposons d’examiner dans un premier temps les définitions de l’étudiant-entrepreneur que nous offre la littérature sur le sujet. Nous confrontons dans un deuxième temps ces définitions à une enquête qualitative exploratoire conduite auprès de 30 étudiants-entrepreneurs, évoluant aux marges du dispositif PÉPITE France, nous permettant de saisir les représentations et les pratiques de ces acteurs pour affiner notre conception de l’étudiant-entrepreneur. Nous discutons dans une dernière section les principaux résultats de cette étude et proposons finalement un cadre d’analyse élargi de l’étudiant- entrepreneur. Nous présentons enfin les contributions, implications pratiques et perspectives de notre travail.

1. Construire un écosystème éducatif entrepreneurial : de la nécessité d’une définition partagée de l’étudiant-entrepreneur

1.1. L’écosystème éducatif entrepreneurial : de l’environnement capacitant à l’environnement émancipant

Comme évoqué précédemment, les dernières années ont vu l’émergence et la structuration progressive d’un écosystème d’éducation entrepreneuriale pour sensibiliser et accompagner les étudiants-entrepreneurs. L’écosystème entrepreneurial résulte de l’ensemble des acteurs entrepreneuriaux interconnectés, potentiels et existants, issus des organisations entrepreneuriales (entreprises, business angels, banques et autres acteurs privés du financement), d’autres institutions (universités, agences publiques) et de processus entrepreneuriaux (taux de créations d’entreprises, entreprises en forte croissance, entrepreneuriat en série (serial entrepreneurs), ambitions entrepreneuriales). Theodoraki, Messeghem et Rice (2018) soulignent l’importance de la vision partagée par l’ensemble des acteurs de l’écosystème entrepreneurial, généralement en lien avec la création et le développement d’entreprises sur un territoire localisé, et plus généralement la création de richesses sur celui-ci. Toutain et al. (2014) soulignent la spécificité des écosystèmes éducatifs entrepreneuriaux, dont la construction s’articule autour de cinq axes de questionnement spécifiques : (1) quels contenus des programmes d’enseignement ? (2) Quels réseaux sont générés par le dispositif d’enseignement ? (3) Quel type de culture entrepreneuriale est produit par l’écosystème ? (4) Quelles solutions pédagogiques sont privilégiées ? Et (5) quelle sorte d’espace d’apprentissage abrite le dispositif d’enseignement ?

Répondre à ces cinq questions revient à interroger son caractère capacitant. La notion d’environnement capacitant a été développée dans les travaux de Fernagu-Oudet (2012, 2016) dans le prolongement de la réflexion de l’économiste Sen (2009) sur les capabilités. Un environnement de formation capacitant y est envisagé comme mettant les individus en capacité d’utiliser les ressources qu’il leur apporte à des fins d’apprentissage. L’intention d’apprendre à entreprendre ne suffit pas, elle doit trouver un contexte favorable qui va constituer un facteur de conversion d’un potentiel d’apprentissage en capacité réelle (Fernagu-Oudet, 2012, 2016). Liu (2018) a proposé la notion d’environnement émancipant, pensé pour favoriser l’émergence et le développement des identités professionnelles des innovateurs radicaux et donc, par définition, en rupture avec les modèles éducatifs traditionnels de l’enseignement supérieur. Ces contributions mettent en avant l’importance de l’écosystème dans lequel l’étudiant-entrepreneur prend part pour que celui-ci s’engage réellement dans un processus entrepreneurial qui implique non seulement le développement d’une relation à un projet donné, mais également au métier d’entrepreneur en tant qu’identité professionnelle (Gabay-Mariani et Boissin, 2019, 2021 ; Gabay-Mariani, 2020). Pour être efficace, l’écosystème d’éducation entrepreneurial nécessite toutefois d’être en cohérence avec la subjectivité de l’ensemble de ses acteurs (Le Pontois et Foliard, 2018) et en particulier avec les aspirations personnelles des étudiants- entrepreneurs (Foliard et Le Pontois, 2017).

Le développement de principes d’éducation et de formation adaptés à l’étudiant-entrepreneur (Champy-Remoussenard, 2015) semble donc nécessaire pour asseoir des écosystèmes entrepreneuriaux capacitants, émancipants et vertueux.

1.2. Des étudiants-entrepreneurs, des planètes d’accompagnement ?

Le risque de standardisation des pratiques d’accompagnement entrepreneurial a toutefois été rapidement pointé dans les réflexions qui se sont structurées autour de cet objet d’étude au cours des dix dernières années (Chabaud, Messeghem et Sammut, 2010). L’accent a été mis sur la nécessité de prendre en compte la diversité des publics d’entrepreneurs (Lebègue, 2015), à travers la personnalisation de l’accompagnement visant notamment les femmes (Lebègue, 2015), les demandeurs d’emploi (Bayad, El Fenne et Ferry, 2016) ou autres entrepreneurs dits « contraints » (Tessier-Dargent et Fayolle, 2016) tels que les anciens détenus (Nakara et Bourdil, 2016) ou les immigrés (Lévy-Tadjine, 2004).

La conception de l’entrepreneur et le système de valeurs orientent par ailleurs la structuration des écosystèmes éducatifs entrepreneuriaux. Comme le montre Jones (2014) dans ses travaux sur les politiques anglo-saxonnes d’éducation à l’entrepreneuriat, celles-ci sont conçues pour s’adresser à un « entrepreneur fictif », en reprenant la notion d’étudiant fictif développée par Bourdieu et Passeron dans Les Héritiers, leur ouvrage critique de la reproduction sociale dans l’enseignement supérieur. Celui-ci correspond à l’étudiant tel qu’il devrait être, et qui se trouvera avantagé dans les processus de sélection et d’évaluation de ces programmes éducatifs. Pour Jones, les politiques d’éducation à l’entrepreneuriat excluent ainsi d’emblée des profils ne correspondant pas à ces critères. Cette réflexion trouve un écho dans les idéaux-types d’accompagnement entrepreneuriaux proposé par Jacquemin, Lesage et Verzat (2018). Les auteurs proposent de distinguer deux planètes d’accompagnement distinctes : humaniste et digitale. La planète humaniste se caractérise par une grande ouverture et offre l’opportunité d’entreprendre au plus grand nombre. La planète digitale, au contraire, est marquée par une plus grande sélectivité et est davantage imprégnée d’une culture libérale anglo-saxonne. Elle se concentre ainsi avant tout sur l’accompagnement de projets à fort potentiel de croissance, notamment dans une logique d’identification de start-up pertinentes (sourcing) pour de grands groupes ou des investisseurs privés. Ces deux planètes placeraient ainsi en leur coeur deux visions distinctes de l’entrepreneur, mais également de l’accompagnement entrepreneurial qui lui serait adapté. Les auteurs précisent toutefois que les étudiants-entrepreneurs pourraient jouer un rôle de charnière entre ces deux planètes souvent opposées, en s’inscrivant à la fois dans des espaces éducatifs de sensibilisation, d’incubation, voire d’accélération (Degroof, 2015 ; Lamine, Fayolle et Delanoë-Gueguen, 2015).

On voit donc tout l’enjeu de se doter d’une définition de l’étudiant-entrepreneur dans la structuration d’écosystèmes éducatifs entrepreneuriaux et dans la délimitation d’une offre d’accompagnement pour cette population, tenant compte de l’hétérogénéité des trajectoires, des aspirations et des modèles d’entrepreneuriat.

2. L’étudiant-entrepreneur dans la littérature

2.1. De l’intention à l’action : un focus sur l’étudiant, au détriment de l’entrepreneur

L’entrepreneuriat étudiant a été identifié par certains auteurs comme un phénomène émergent (Mars, Slaughter et Rhoades, 2008), alors que les établissements d’enseignement supérieur tendent à devenir de plus en plus « entrepreneuriaux » en formant et en accompagnant au sein d’incubateurs les étudiants à l’entrepreneuriat (Politis, Winborg et Dahlstrand, 2012 ; Rasmussen et Sørheim, 2006). Pour autant, le monde étudiant comme porteur de projets a relativement peu été investi jusqu’alors par la recherche. Des travaux existent certes sur l’academic entrepreneurship ou « acadépreneuriat », mais ils se concentrent sur la population des universitaires développant des projets entrepreneuriaux (Bercovitz et Feldman, 2008 ; Boissin, Grazzini et Tarillon, 2019) dans un objectif de transfert et de valorisation.

Les travaux consacrés au monde étudiant se sont essentiellement focalisés sur le développement de l’intention entrepreneuriale chez cette population. Dans une revue de la littérature existante sur le studentpreneur, Marchand et Hermens (2015) ont identifié onze travaux mobilisant cette approche sur les quatorze retenus. Les recherches réalisées sur la population étudiante se sont en effet longtemps concentrées sur l’évaluation de leurs aspirations entrepreneuriales, sous le prisme de leurs intentions (Tkachev et Kolvereid, 1999 ; Audet, 2004 ; Boissin, Chollet et Emin, 2009 ; Fayolle et Gailly, 2009; Boissin, Favre-Bonté et Fine-Falcy, 2017). Elles s’appuient pour la plupart sur les travaux de Krueger (1993) et Krueger et Carsrud (1993) et leur modèle de synthèse de l’intention entrepreneuriale, intégrant la théorie du comportement planifié (Ajzen, 1991) et les apports de Shapero et Sokol (1982) sur l’événement entrepreneurial. Si ces modèles d’intention ont prouvé leur robustesse pour sonder les représentations et l’appétence des étudiants pour la création d’entreprise (Boissin, Chollet et Emin, 2007), ils demeurent encore incomplets pour expliquer le passage à l’acte entrepreneurial (Schlaegel et Koenig, 2014). Récemment, Boissin, Favre-Bonté et Fine-Falcy (2017) ont intégré au modèle de l’intention entrepreneuriale la distinction entre les intentions à court terme et à long terme. Ils identifient ainsi trois sous-modèles d’intention : les étudiants qui ne souhaitent pas créer, les étudiants qui souhaitent créer à court terme, c’est-à-dire à la fin de leurs études, mais également un sous-groupe composé par ceux qui souhaitent créer à long terme, mais pas directement après leurs études. La mise en évidence de ces trois profils invite à considérer la diversité des trajectoires pouvant être empruntées par les étudiants désireux d’entreprendre. Gabay-Mariani et Boissin (2019) ont récemment confirmé que les étudiants-entrepreneurs pouvaient également se projeter de manière différenciée dans le processus entrepreneurial.

En sus, beaucoup des études sur l’intention entrepreneuriale portent sur les étudiants suivant des cours d’entrepreneuriat, non sur les étudiants créant des entreprises tout en suivant des cours (Marchand et Hermens, 2015). Les chercheurs se sont également intéressés à l’impact des cursus initiaux des étudiants dans le développement de leur intention entrepreneuriale (Boissin et Emin, 2007). Dans tous les cas, l’activité entrepreneuriale est abordée comme une projection, non comme une situation vécue par l’étudiant. Il ressort donc de travaux récents une injonction à saisir le processus entrepreneurial des étudiants, c’est-à-dire la manière dont ils convertissent leur intention en création d’entreprise (Nabi, Toeroe et Khendek, 2016) dans sa globalité (Hannon, 2005), dont les prémisses sont à chercher dans les contextes de l’enseignement supérieur. Dans le cadre de cette recherche, nous nous intéressons aux individus bénéficiant du statut national étudiant-entrepreneur (SNEE). Pour recevoir ce statut, étudiants et jeunes diplômés doivent justifier d’un projet entrepreneurial qu’ils pourront développer dans le cadre d’un pôle étudiant pour l’innovation, le transfert et l’entrepreneuriat (PÉPITE) au sein d’un établissement supérieur.

2.2. « Graduate entrepreneurship », « studentpreneur » : des approches segmentées de l’étudiant et de l’entrepreneur

À l’inverse, Marchand et Hermens (2015) constatent que si les succès des entrepreneurs ayant créé leur entreprise pendant ou juste après leurs études, tels que Steve Jobs, Bill Gates ou les fondateurs de Google, ont été largement étudiés, peu de travaux ont été consacrés à ces individus en tant qu’étudiants. Nombreux de ces jeunes entrepreneurs à succès ont d’ailleurs arrêté leurs études pour se lancer dans cette aventure entrepreneuriale. Ainsi, un courant entier de la littérature, notamment anglo-saxonne, s’est intéressé au graduate entrepreneurship. Il s’intéresse aux étudiants qui créent une entreprise à la fin de leurs études (Hannon, 2005 ; Hegarty et Jones, 2008 ; Nabi et Holden, 2008 ; Fenton et Barry, 2014). Or, cela peut suggérer que l’entrepreneuriat étudiant est un processus séquencé dans lequel l’étudiant devient entrepreneur après ses études, et non pendant (Nielsen et Gartner, 2017).

Dans cette perspective, des auteurs ont proposé le concept de studentpreneur pour désigner les individus qui suivent des cours dans l’enseignement supérieur tout en conduisant un projet entrepreneurial (Marchand et Hermens, 2015). Certains travaux se sont depuis concentrés sur la construction identitaire des studentpreneurs, notamment la façon dont ils articulent leur double identité d’étudiant et d’entrepreneur avec les contextes dans lesquels ils évoluent (Nielsen et Gartner, 2017). Il en ressort que l’identité entrepreneuriale peut parfois prendre le pas sur son identité d’étudiant, positionnant l’individu en rupture avec le contexte universitaire. Ces zones de conflit entre l’identité d’étudiant et celle de l’entrepreneur ont également pu être mises en lumière par Jacquemin et Lesage (2018). Cela participe à consacrer davantage la représentation d’un conflit fondamental entre le monde académique et le monde entrepreneurial, mis en avant dans les travaux de Jones sur l’entrepreneur fictif (2014).

Le graduate entrepreneur ou le studentpreneur procèdent tous deux d’approches segmentant le moment antédiplôme et postdiplôme : dans le premier cas n’est considéré que l’ancien étudiant, dans le second l’étudiant en cours d’étude.

2.3. Logiques de ressources, création d’entreprise innovante : premiers jalons d’une définition de l’étudiant-entrepreneur

En dépassant la dichotomie des statuts d’étudiants et d’entrepreneurs, quelques auteurs ont posé les premières bases d’une définition de l’étudiant-entrepreneur, en déplaçant la focale sur d’autres caractéristiques.

Certains travaux ont ainsi cherché à mettre en lumière la spécificité des étudiants-entrepreneurs par rapport à d’autres catégories d’entrepreneurs. Politis, Winborg et Dahlstrand (2012) ont par exemple suggéré que les logiques de ressources mises en oeuvre par les étudiants, telles que l’effectuation et le créacollage (bootscraping), constituaient un trait distinctif de cette population d’entrepreneurs. Privés de capital initial, de par leur jeunesse et leur faible ancienneté professionnelle, ils seraient ainsi plus à même de construire leur projet en se basant sur des logiques plus expérimentales, visant à réduire les coûts initiaux. La question des ressources mobilisées par l’étudiant dans son projet de création a notamment été mise en avant dans les travaux consacrés au développement de l’entrepreneuriat dans le contexte de l’enseignement supérieur. Les étudiants-entrepreneurs y sont décrits comme des étudiants « utilisant les salles de cours, les labs comme des plateformes, des ressources et des subventions pour construire des produits, processus et services commercialisables » (Mars, Slaughter et Rhoades, 2008, p. 644). Ils peuvent continuer de développer leur entreprise en interaction avec leur établissement d’origine après l’obtention de leur diplôme (Politis, Winborg et Dahlstrand, 2012). Cette approche, si elle constitue une voie prometteuse, ne suffit toutefois pas à distinguer les étudiants-entrepreneurs d’autres populations d’entrepreneurs, qui peuvent également suivre ces mêmes logiques de ressources, notamment lorsqu’ils sont serial entrepreneurs (Sarasvathy, 2001).

Le caractère innovant du projet entrepreneurial a également pu apparaître comme un trait caractéristique dans les définitions proposées de l’étudiant-entrepreneur. C’est en tout cas le parti pris par Marchand et Hermens (2015) pour qui le studentpreneur conduit un projet au stade de l’incubation, générant des revenus, et innovant ; l’innovation s’opposant dans leur conception à « la reproduction d’une entreprise traditionnelle ». En creux, c’est une conception de l’innovation associée à des perspectives de croissances rapides, calquée sur des modèles de développement type start-up, qui irrigue la définition du studentpreneur. Or, cela participe non seulement à en écarter les tenants d’un entrepreneuriat plus traditionnel, mais également d’autres formes entrepreneuriales telles que la reprise d’entreprise ou la création d’organisation à but non lucratif.

Cet examen de la littérature s’intéressant à l’étudiant-entrepreneur révèle les limites des conceptions existantes de celui-ci. Elles ne tiennent en effet pas compte de la complexité des trajectoires entrepreneuriales empruntées par cette population ni de la diversité des modèles d’entrepreneurs. La question des logiques de ressources mobilisées par les étudiants-entrepreneurs demeure toutefois une voie intéressante, bien qu’elle nécessite d’être complétée par d’autres critères pour souligner la spécificité de cette population d’entrepreneurs.

3. Le dispositif français PÉPITE, un terrain idéal pour rencontrer l’étudiant-entrepreneur ?

3.1. Contexte de l’étude

Nous avons choisi de réaliser notre enquête au sein du dispositif PÉPITE France. Le réseau national PÉPITE est aujourd’hui composé de 32 pôles PÉPITE qui offrent pour la plupart un réseau d’accompagnement, un espace de travail et un accès facilité à des aides financières aux étudiants de l’enseignement supérieur (Hurault, 2018).

Figure 1

Le statut national étudiant-entrepreneur dans l’écosystème éducatif entrepreneurial (Boissin, 2018c)

Le statut national étudiant-entrepreneur dans l’écosystème éducatif entrepreneurial (Boissin, 2018c)

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Leur taille, en termes d’effectif d’étudiants-entrepreneurs, varie sensiblement d’un pôle à l’autre : en mai 2018, le nombre d’étudiants-entrepreneurs recensés dans les pôles PÉPITE pouvait aller de 2 à 333. Les pôles divergent également dans la densité du maillage de relations dans lequel chaque pôle PÉPITE prend place. Certains pôles PÉPITE intègrent par exemple divers établissements (universités, IAE, grandes écoles, écoles privées), quand d’autres sont exclusivement concentrés sur un établissement universitaire. Le tissu des établissements de l’enseignement supérieur demeure hétérogène en matière de culture entrepreneuriale (Weil, 2018). Par ailleurs, l’implication d’acteurs de l’écosystème entrepreneurial, tels que les structures d’accompagnement, les acteurs financiers (entreprises, business angels, banques et autres organismes du financement, organisme de soutien), les acteurs politiques et institutionnels, les organisations privées (réinsertion professionnelle, intrapreneuriat) ou encore les associations professionnelles (Theodoraki et Messeghem, 2014), peut ainsi varier d’un pôle PÉPITE à l’autre (Hebinger et Sebti, 2018).

Les pôles PÉPITE ont vu leurs effectifs croître depuis leur création – elle-même graduelle selon les régions – entre 2014 et 2019. Ceux-ci ont connu une augmentation de 1 000 par an au niveau national. Cette augmentation n’est pas nécessairement brute dans la mesure où certains étudiants-entrepreneurs ont pu bénéficier du statut national étudiant-entrepreneur durant plusieurs années consécutives. La figure 2, réalisée à partir des effectifs recensés entre 2014 et 2019, permet d’apprécier cette évolution.

Figure 2

Évolution du nombre d’individus détenteurs du SNEE

Évolution du nombre d’individus détenteurs du SNEE
Source des données : Chaire PÉPITE France (observatoire impacts).

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Cette croissance des effectifs détenteurs du SNEE a accompagné la structuration de l’offre au sein des pôles PÉPITE. Elle s’est encore une fois réalisée de manière graduelle, avec des degrés d’avancement différenciés selon les pôles. Initialement pensés comme des espaces de sensibilisation, de formation-accompagnement et d’incubation pour les détenteurs du SNEE, les pôles PÉPITE ont ainsi pu développer des programmes d’accélération (Degroof, 2015 ; Lamine, Fayolle et Delanoë-Gueguen, 2015) appelés « PÉPITE Starter ».

Le programme PÉPITE Starter Île-de-France (aujourd’hui « PÉPITE Start-up », Ginoux-Defermon, 2018), hébergé à la Station F[3] avec le soutien de la région Île-de-France et de Schoolab[4], accompagne par exemple tous les six mois une nouvelle promotion d’étudiants-entrepreneurs issus des huit pôles d’Île-de-France (3EF, HESAM, PON, Paris-Centre, PSL, CreaJ, PEIPS et Vallée de Seine). Il s’adresse aux étudiants-entrepreneurs les plus avancés, pouvant travailler à plein temps sur leur projet pendant cinq à six mois. Il mêle les apports de compétences et d’expertises d’un accélérateur de start-up tel que Schoolab, aux spécificités d’un accompagnement-formation largement ouvert au public étudiant, se situant ainsi à la frontière entre une planète d’accompagnement plutôt digitale et une planète plutôt humaniste. La figure 3 présente le déroulé type d’un programme PÉPITE Starter. Les six pôles PÉPITE Grenoble oZer, Bretagne, Pays de la Loire, Centre, Alsace et PSL ont notamment pu être en avance de phase dans la proposition de ce type d’accompagnement dont les pratiques ont été partagées dans le cadre de la chaire PÉPITE France.

Le dispositif national PÉPITE, en créant un statut national étudiant-entrepreneur et en ouvrant des espaces d’incubation, puis d’accélération de projets entrepreneuriaux, a ouvert la possibilité à des profils variés de revêtir un statut d’étudiant-entrepreneur. Il nous paraissait ainsi pertinent de positionner notre enquête dans un tel contexte, pour dépasser les définitions restrictives identifiées dans la littérature et bâtir des environnements adaptés à la diversité des formes de l’entrepreneuriat étudiant.

Figure 3

Contenu des grandes étapes du programme PÉPITE Starter (Altès-Mathieu, Authier et Hebinger, 2018)

Contenu des grandes étapes du programme PÉPITE Starter (Altès-Mathieu, Authier et Hebinger, 2018)

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3.2. Une enquête qualitative exploratoire auprès d’étudiants-entrepreneurs positionnés aux marges du dispositif PÉPITE France

Afin d’appréhender la figure de l’étudiant-entrepreneur au sein de ce dispositif, nous avons réalisé une enquête qualitative à visée exploratoire. Les recherches exploratoires permettent d’appréhender une réalité méconnue (Pellemans, 1999). Elles visent à « générer des hypothèses » (Van der Maren, 1996, p. 191), autrement dit, à examiner une réalité pour y découvrir quelles similarités et quelles disparités peuvent s’y manifester. L’utilisation d’une démarche qualitative semblait pertinente dans la mesure où sa mise en oeuvre permet de décrire une situation circonscrite et de fournir des précisions pouvant servir de base à des recherches explicatives plus poussées (Poupart, Groulx, Laperrière, Mayer et Pires, 1997).

Nous avons choisi de réaliser des entretiens semi-directifs. Cette technique d’enquête qualitative a l’avantage de favoriser « le témoignage spontané et non contraint » (Jolibert et Jourdan, 2006, p. 17) et donc l’exploration de phénomènes émergents.

Notre enquête a été conduite auprès de 30 individus conduisant des projets entrepreneuriaux détenteurs du statut national étudiant-entrepreneur (SNEE). La liste des entretiens est disponible en annexe de ce document. Notre échantillon comptait 18 hommes (59 %) et 12 femmes (41 %). Les interviewés, âgés de 19 à 30 ans, étaient pour la plupart étudiants ou jeunes diplômés. La majorité se situait à un niveau d’études master, même si certains avaient arrêté leurs études ou, au contraire, les avaient poursuivies en doctorat. Les établissements d’origine étaient en majorité des grandes écoles ou des IAE, principalement dans des cursus de commerce/sciences de gestion ou d’ingénieurs. Nous nous sommes concentrés principalement sur des individus ayant une position de fondateur dans leur projet entrepreneurial. La plupart d’entre eux se situaient à un stade de développement naissant (Vidal-Rousselin, 2018).

Bien que l’ensemble de nos interviewés aient pour dénominateur commun le statut national étudiant-entrepreneur, nous avons positionné l’essentiel de notre enquête aux marges du dispositif PÉPITE France, notamment dans ses programmes d’accélération (PÉPITE Starter). Nous avons notamment pu suivre pendant six mois, entre janvier et juillet 2018, une promotion du programme PÉPITE Starter Île-de-France à la Station F. Ces espaces, minoritairement représentés au sein du dispositif, se prêtaient bien à notre ambition d’élargir la définition de l’étudiant-entrepreneur à d’autres profils et modèles d’entrepreneurs. Nous avons également intégré dans notre échantillon des individus ayant bénéficié du SNEE, mais n’en étant plus titulaires au moment de l’entretien. Notre approche s’est voulue différenciée sur cet aspect afin de retracer les trajectoires et de comprendre les pratiques et les représentations des acteurs. Deux de nos interviewés ont ainsi été interrogés à deux reprises, à près d’un an d’intervalle. Enfin, quatre entretiens ont été réalisés avec d’anciens étudiants-entrepreneurs.

Les entretiens ont été réalisés entre octobre 2017 et septembre 2019. La majorité d’entre eux ont été conduits entre janvier et avril 2018. L’essentiel des entretiens été réalisés en face-à-face, dans un lieu neutre où la liberté de parole était possible, à l’exception de deux entretiens réalisés par téléphone pour des raisons de disponibilité et d’accessibilité géographique. De plus, quatre entretiens furent collectifs, réunissant l’équipe fondatrice d’un projet, afin de favoriser les échanges et de croiser leurs regards. Les entretiens ont duré entre 19 minutes et 1 h 16. Ils ont suivi une trame similaire à l’aide d’un guide d’entretien semi-directif que nous avons élaboré, disponible en annexe (Annexe 2).

Celui-ci nous a permis d’aborder plusieurs thématiques en lien avec les caractéristiques de l’étudiant-entrepreneur identifiées dans notre revue de littérature. Nous avons notamment cherché à retracer les trajectoires des étudiants-entrepreneurs en les interrogeant sur la genèse et l’évolution de leur projet. Il s’agissait notamment de déterminer à quel moment de la vie de l’étudiant-entrepreneur le projet avait été initié et, notamment pour ceux qui n’étaient plus étudiants-entrepreneurs au moment de l’entretien, comment celui-ci avait été poursuivi à l’issue de l’obtention de leur diplôme. Afin de déterminer dans quel modèle d’entrepreneuriat les porteurs de projets se situaient, nous les avons également questionnés sur leurs motivations initiales, ainsi que sur les perspectives et la croissance qu’ils entendaient donner à celui-ci. En lien avec les définitions mobilisées par Politis, Winborg et Dahlstrand (2012), nous avons également intégré des questions relatives aux logiques de ressources employées par les étudiants-entrepreneurs, notamment sur les investissements qu’ils avaient réalisés. Enfin, dans une visée exploratoire, nous avons également intégré des questions relatives à l’accompagnement et à l’impact que celui-ci pouvait avoir sur la conduite du projet entrepreneurial. L’ensemble des entretiens a fait l’objet d’enregistrements audio, avec l’accord préalable des interviewés. Ils ont ensuite été analysés par codage, essentiellement exploratoire, visant à faire émerger des thématiques à partir du discours des participants extrait des retranscriptions.

4. Principaux résultats

4.1. Des étudiants-entrepreneurs qui ne sont plus vraiment étudiants ?

Un premier constat porte sur le statut pédagogique des étudiants-entrepreneurs interrogés dans notre enquête. Au niveau national (Boissin, 2018a), 80 % des étudiants-entrepreneurs sont en cours d’études, se situant au niveau master ou équivalent. La majorité des étudiants-entrepreneurs que nous avons interviewés est composée de jeunes diplômés, titulaires d’un master 2. Certains d’entre eux se sont réinscrits à l’université dans le cadre du diplôme d’université D2E pour bénéficier des avantages du statut national étudiant-entrepreneur (SNEE) et pour postuler au programme d’accélération PÉPITE Starter. Si certains étaient déjà rattachés au dispositif PÉPITE durant leurs études et ont prolongé ce statut, beaucoup ont pris le SNEE dans l’objectif premier de bénéficier de locaux et d’un accompagnement gratuit ou à faible coût dans le cadre du programme PÉPITE Starter à la Station F. En ce sens, ils s’écartent de la stricte définition du studentpreneur proposée par Marchand et Hermens (2015). Leur affiliation à l’université est ainsi davantage un prolongement de leur statut pédagogique que de leur activité universitaire dans la mesure où ils n’assistent plus nécessairement à des cours dispensés par un établissement d’enseignement supérieur.

Le SNEE, s’il participe à élargir la définition de l’étudiant-entrepreneur aux jeunes diplômés, confirme l’impasse conceptuelle à limiter l’étudiant à une assiduité à des cours ou à l’obtention d’un diplôme dans l’enseignement supérieur. Tous les étudiants-entrepreneurs interrogés dans le cadre de nos entretiens avaient en effet rencontré leurs associés et initié leur projet entrepreneurial avant d’être diplômés. Les phases de sensibilisation, de préincubation et d’incubation que couvre le programme PÉPITE n’étaient alors que le simple prolongement d’un processus long de développement entrepreneurial.

4.2. Étudiant-entrepreneur ou entrepreneur étudiant ?

Les étudiants-entrepreneurs peuvent en effet présenter les stigmates d’une condition étudiante qui s’exprime en particulier dans les logiques de ressources qu’ils mobilisent et dont ils bénéficient grâce à leur statut. C’est le cas de ceux qui développent leur projet en parallèle de leurs études, mais également des jeunes diplômés s’étant réinscrits pédagogiquement à l’université par le biais du statut-national étudiant-entrepreneur (SNEE). Ce statut leur donne ainsi accès à des bourses étudiantes, des prêts étudiants ou encore à des réductions étudiantes pour les frais de transport (carte Imagin’R) ou alimentaires (accès aux restaurants universitaires). Ils ont également la possibilité d’être employés à temps partiel, grâce à leur statut d’étudiant. Plus marginalement, certains entrepreneurs naissants inscrits en doctorat peuvent s’appuyer sur leur bourse de thèse ou leur contrat doctoral pour mener en parallèle leur projet.

Nombreux sont les individus interrogés qui vivent dans l’attente de pouvoir tirer un revenu du projet qu’ils développent grâce à des aides parentales quand ils n’habitent plus chez eux. Certains étudiants-entrepreneurs combinent le statut d’apprenti et d’associé dans leur propre start-up. Plus rares sont ceux qui ont contracté des prêts bancaires, notamment étudiants, pour mener leur projet. La plupart sont ainsi dans des logiques de ressources servant à couvrir leurs besoins vitaux, leur permettant de réinvestir les éventuels revenus générés dans le développement de leur entreprise.

« À côté, j’ai un mi-temps de 18 heures chez Orcanta, grâce au statut d’étudiant. Quand tu n’es pas étudiant, les entreprises sont obligées de proposer un 25 heures, car elles ont l’obligation de fournir un salaire minimum. Je joue de cette situation, j’ai trouvé ce boulot en me positionnant en tant qu’étudiante. » (E26)

« En tant qu’étudiant-entrepreneur, j’ai encore le statut étudiant. Donc ce n’est pas mal, dans le sens où je bénéficie de la carte imagin’R, par exemple. Quand t’es entrepreneur, les dépenses annexes, ça t’impacte directement, surtout quand tu ne te rémunères pas. Avoir un statut qui permet de conserver les avantages étudiants, c’est juste un plus. » (E17)

« J’ai ma bourse de thèse. Je donne des cours particuliers, ça permet de bien arrondir les fins de mois. » (E9)

« Comme je suis étudiant-entrepreneur, j’ai des bourses encore. Je viens d’une famille modeste, donc je suis boursier échelon 5 depuis petit. Et j’ai fait un prêt étudiant en décembre de 15 000 euros, qui me permet de vivre sur Paris. C’est mon premier prêt étudiant, j’ai fait une école d’ingénieur publique. Ça me fait donc 20 000 euros pour vivre sur 7-8 mois pendant la création de la société. » (E13)

« Il y a le CROUS à 500 mètres. C’est 3,25 euros le repas. » (E11)

Ils peuvent également s’appuyer sur des ressources et des compétences issues de réseaux universitaires pour développer leur projet tel que l’aide et les conseils de leurs professeurs, la mobilisation d’étudiants sur des problématiques qu’ils rencontrent ou encore l’accès à du matériel permettant du prototypage peu coûteux, comme des imprimantes 3D (E17). L’ensemble de ces ressources contribue in fine à réduire les coûts engendrés par le développement de leur projet et leurs investissements personnels.

« Je suis restée en très bons termes avec les professeurs qui m’écoutent beaucoup, que je vois, qui me donnent des conseils, qui font en sorte de réaliser des projets étudiants pour me faire avancer sur certaines problématiques. C’est juste énorme, cette aide du corps enseignant qui n’a, entre guillemets, plus à s’occuper de moi, car je ne paie plus l’école, je ne suis plus étudiante à l’EDC. Et pourtant ils m’aident. » (E17)

Ces stratégies de ressources visant à limiter les coûts inhérents au projet se couplent bien souvent à l’adoption d’un style de vie consommant peu de ressources, pouvant s’inscrire dans la continuité de ce que ces entrepreneurs naissants ont vécu en tant qu’étudiants. Beaucoup d’entre eux vivent ainsi en colocation ou chez leurs parents, lorsque ceux-ci résident dans la ville où ils développent leur projet. Dans cette logique, beaucoup décrivent leur style de vie comme en prolongement de celui qu’ils avaient lorsqu’ils étaient encore étudiants.

« Et puis c’est beaucoup de pâtes, c’est avoir un train de vie qui consomme peu. » (E8)

« Après, je suis en coloc. Le seul truc, c’est que je n’habite pas Paris. Ça m’a permis d’économiser un bon loyer, car je n’ai pas la chance d’avoir des parents qui pourraient m’héberger. J’ai beaucoup de potes entrepreneurs qui sont chez leurs parents. » (E11)

« On a la chance de vivre encore chez nos parents donc on n’a pas de loyer… » (E15)

« On a la chance d’être encore chez nos parents. Ça aurait été plus difficile si on n’avait pas eu la chance d’avoir des parents qui peuvent encore nous suivre. » (E5)

En parallèle, certains entrepreneurs peuvent compter sur les ressources de leurs parents et sur leurs économies personnelles. Bien que cette situation apparaisse de façon marginale dans notre échantillon, ils peuvent également s’appuyer sur les gains réalisés à travers la vente ou la création d’une précédente société, dans laquelle ils détiendraient toujours des parts.

« Et puis, bah y’a quand même un peu les parents, qui mettent un petit peu. C’est leur façon de contribuer. 100 euros de temps en temps pour aider à clôturer le mois. » (E8)

« J’ai le soutien de mes parents, ce sont eux qui m’aident financièrement. » (E15)

« Je vis sur mes économies personnelles. Sinon, mes parents viennent à la rescousse. » (E10)

« Ma première société me permet de vivre. J’ai vendu la deuxième. Et puis, je vis encore chez mes parents, dont je ne m’occupe de rien d’autre. » (E25)

L’ensemble des stratégies et dispositifs visant à limiter les coûts et le risque auxquels les entrepreneurs naissants ont accès peut participer à leur donner le sentiment de n’avoir peu, voire « rien à perdre » à entreprendre. À cela peut s’ajouter une situation personnelle et/ou professionnelle pouvant représenter un moment opportun pour développer ce type de projet. Les étudiants-entrepreneurs de notre échantillon, en particulier, peuvent ainsi être au début de leur vie professionnelle et ont en ce sens tout à construire : la création de leur propre activité ne représenterait pas une rupture dans leur carrière et n’impliquerait de renoncer à des avantages ou à des statuts. Par ailleurs, leur situation familiale ou personnelle est généralement dénuée d’obligation, qu’il s’agisse d’élever ses enfants ou de rembourser un prêt immobilier. La possibilité de demeurer étudiant et de valider un diplôme avec le SNEE leur permet d’envisager plus sereinement de mener un projet entrepreneurial en parallèle de leurs études. Ils peuvent également profiter d’une année de césure pour se consacrer pleinement à leur projet et être en mesure d’en tester le potentiel. En outre, ils peuvent bénéficier d’une situation d’indemnités chômage pour perte d’emploi à l’issue d’un contrat d’apprentissage.

« Je suis encore chez mes parents. Je n’ai pas grand-chose à perdre. » (E18)

« Maintenant, on voit qu’il y a un potentiel de fou. Mais je me suis toujours dit : je n’ai rien à perdre. Si ça échoue, ce n’est pas grave. Je suis encore chez mes parents, je n’ai pas de besoins financiers. Donc c’est vraiment de l’expérience. » (E6)

« C’était pour limiter le risque. Dans le sens où c’était une formation en alternance, que l’on faisait dans notre boîte. L’idée, c’était de dire si la boîte marche, tant mieux. Et au pire, on a quand même une formation à l’ESSEC, donc ce n’est pas mal. On a quand même un diplôme en plus qui sera super valorisé. C’était une sécurité. Et comme c’était en entrepreneuriat, on s’est dit qu’on allait choper des tips, du réseau… On ne regrette pas ce choix. Ça nous a permis de lancer notre truc tout en limitant le risque. Et aussi se faire accompagner, car on n’avait pas non plus énormément d’expérience. » (E24)

« C’est marrant parce que j’ai vraiment tout sauf l’âme d’un entrepreneur. Je suis complètement risk adversed, stressée, j’ai toujours besoin de savoir où je vais. Et pour être entrepreneur, faut être tout le contraire. Quand je me voyais diplômée, je n’aurais jamais pensé monter une boîte. Et finalement, quand l’opportunité s’est présentée, je me suis dit je perds rien à le faire, donc je ne refuse pas quelque chose. Finalement ça s’est fait assez graduellement… je suis un peu passée par tous les stades. Quand j’ai commencé, j’étais étudiante, puis apprentie et aujourd’hui, je suis entrepreneure. En fait, c’est la première année où le risque est vraiment pris pour moi. Donc je me dis un peu que c’est maintenant ou jamais. » (E23)

I : pourquoi maintenant ou jamais ?

« Parce que je suis à un moment de ma vie où j’ai le moins à perdre. Je n’ai pas de maison, de crédit, de famille, pas de capital à perdre. Donc j’ai aussi la motivation à le faire maintenant aussi pour ça. » (E23)

Enfin, s’ils ont pour certains quitté les bancs de l’enseignement supérieur, la posture apprenante qui caractérise leur statut d’étudiant-entrepreneur participe à les ancrer dans une identité étudiante. Tous mettent en avant l’apprentissage permis par cette expérience entrepreneuriale, les poussant à développer des connaissances et des compétences dans des secteurs et coeurs de métiers nouveaux, que leur formation initiale ne leur avait pas permis d’aborder. Que ce soit pendant la période de substitution au stage ou que ce soit pour le postdiplôme, c’est en effet davantage l’accompagnement dans l’apprentissage par l’action entrepreneuriale qui se veut structurer la formation de l’étudiant-entrepreneur. Cet apprentissage est d’ailleurs l’avantage systématiquement mis en avant lorsqu’on les interroge. Il est souvent mis en rapport avec le temps et l’énergie investis, relativement à l’absence de revenu généré, comme une richesse exploitable ensuite pour se réinsérer sur le marché du travail ou commencer un nouveau projet en cas d’échec de celui-ci. L’expérience d’étudiant-entrepreneur peut ainsi constituer un prolongement de leur formation initiale, comme pourrait l’être un service civique, un VIE ou une année de césure. Beaucoup d’entre eux estiment ainsi développer à travers leur projet des apprentissages, des compétences et des réseaux professionnels qui leur permettent d’accroître leur propre valeur sur le marché du travail.

« J’ai fait un prêt. C’était un risque relativement important. Tout est relatif. Parce que je voulais aller à l’ESSEC, et pour trois ans, c’est 60 000 balles. Donc j’ai calculé… Ça aurait été plus cher de payer une école, donc au lieu de ça, j’ai fait ma boîte. J’ai fait l’école de l’entrepreneuriat ! » (E20)

« Pour moi, le principal bénéfice de monter ma boîte, c’est l’expérience. Je n’ai pas créé ça dans une logique financière, en me disant je vais créer des millions avec ça. On a un mentor qui nous a dit : “j’ai foiré ma boîte”, mais six mois après, il a eu des propositions d’embauches dix fois plus intéressantes que ce qu’ont eu ses potes qui étaient restés dans le salariat. Parce que les entreprises cherchaient des dirigeants, des gens qui savaient gérer des projets. […] À l’arrivée, si ça marche, c’est super, on aura un salaire. Mais si ça ne marche pas, on aura des compétences qui seront hyper recherchées sur le monde du travail. On le voit parmi nos potes qui ont fait le master Entrepreneuriat, beaucoup n’ont pas monté leur boîte, ils sont en train de galérer à trouver un travail. » (E22)

L’entrepreneur étudiant – plutôt qu’étudiant-entrepreneur – se caractériserait ainsi par des postures et des logiques de ressources caractéristiques d’une condition étudiante, marquée notamment par l’absence de rémunération et la tendance à s’appuyer sur des ressources liées au statut social d’étudiant. Il inscrit également la conduite de son projet dans une logique apprenante, dans la continuité de ses études.

4.3. Formes et trajectoires entrepreneuriales : des modèles d’entrepreneurs divers

Enfin, nous avons pu constater que même dans un programme comme PÉPITE Starter à la Station F, qui se présente officiellement comme le plus grand campus de start-up au monde, les étudiants-entrepreneurs ne s’inscrivent pas tous dans le modèle de référence de la start-up. Si beaucoup avouent tirer parti de l’imaginaire associé à ce lieu dans leurs interactions avec des interlocuteurs, peu relèvent véritablement de ce type de création d’entreprise. Sur les 22 étudiants-entrepreneurs interrogés issus de PÉPITE Starter à la Station F, 10 se situent ou se projetaient dans des logiques de croissance rapide, soutenue par des levées de fonds. Les autres envisageaient plutôt la gestion à long terme d’une petite entreprise dans le but premier de pouvoir vivre et dans une logique de rentabilité et de pérennité. Certains se disent même réticents à faire entrer d’autres parties prenantes au capital de leur entreprise ou à se tourner vers des sources externes de financement, quand ils ne se situent pas dans le développement de modèles associatifs, non lucratifs. Par ailleurs, sur l’ensemble de l’échantillon, certains étudiants-entrepreneurs s’inscrivent dans un entrepreneuriat plus traditionnel tel que l’ouverture d’un restaurant ou un service de location de vêtements. Certains étudiants-entrepreneurs ont d’ailleurs pu exprimer une souffrance en suivant le programme PÉPITE Starter, qui valorisait un certain type de développement d’entreprise (modèle start-up) dans lequel ils ne se reconnaissaient pas. Dès lors, définir l’étudiant-entrepreneur à travers la création d’entreprise innovante n’apparaît pas satisfaisant et le cantonne à un type d’organisation réducteur de l’ensemble des projets.

« On joue sur le côté start-up dynamiques, agiles. On surfe sur la vague start-up» (E5)

« Nous, on n’est pas une start-up traditionnelle. On n’est pas scalable, on n’a pas d’investisseurs… On est plutôt une petite entreprise. » (E6)

« Mais j’ai énormément de mal avec l’esprit, la culture du startupper. » (E7)

Il nous est apparu que les étudiants-entrepreneurs pouvaient se projeter de manière différenciée dans leur projet entrepreneurial. L’entrepreneuriat peut ainsi constituer un « métier » (E29), voire un « projet de vie » (E2), notamment en comparaison d’une carrière salariée plus classique. À l’inverse, d’autres envisagent la conduite d’un projet entrepreneurial comme un moyen de gagner en expérience et en compétences et de trouver un meilleur emploi sur le marché du travail. Ils entretiennent alors un rapport plus instrumental à leur expérience entrepreneuriale. Celle-ci peut alors être motivée par le constat d’un manque d’alternative professionnelle comparable.

« Pour moi, l’entrepreneuriat, c’est un projet de vie. Je ne me vois pas du tout salariée. Après, c’est vrai que la sécurité de l’emploi et financière, c’est toujours tentant. Mais je préfère galérer pendant deux ou trois ans et pouvoir entreprendre… » (E2)

« Je n’arrêterais pas. […] Pour moi, c’est plié, c’est réglé. J’ai trouvé ma voie. Je préfère faire que subir. Ça me met en santé, ça me met bien. Je me rends compte que je ne le fais même pas pour la start-up, mais pour moi. » (E20)

« On serait retourné bosser pour éponger cette dette-là et puis on aurait remonté un truc dans cinq ans… En tout cas moi, j’aurais remonté un truc dans cinq ans ou dix ans. Ça ne s’arrêtera jamais, je ne ferais pas autre chose. » (E8)

« J’ai été touché par l’entrepreneuriat. Si ce projet venait à se terminer, je réfléchirais sérieusement à entreprendre à nouveau. » (E21)

« Au sortir de mon diplôme, les postes auxquels j’avais accès en tant que junior étaient inintéressants. C’est pour ça que j’ai privilégié le service civique. Parce que certes, c’est une situation précaire, mais c’est là où les juniors peuvent avoir des missions qui correspondent à leur niveau, en tout cas dans mon secteur. Il faut trois à cinq ans pour avoir un poste de chef de projet, ce qui correspond à ma formation. Faire ce projet, c’était à la fois me créer une opportunité de faire quelque chose qui correspond à mon diplôme et à ma formation, et en même temps, me donner rapidement plus d’expérience dans le but d’avoir plus rapidement un poste intéressant derrière. […] Dire en entretien que t’as été capable de gérer l’implémentation d’un projet comme ça, ça apporte de la crédibilité, de l’expérience. » (E7)

« Et après, un autre avantage de cette situation, c’est vraiment l’apprentissage. J’apprends énormément de choses, parce que tu dois vraiment être un couteau suisse quand t’es entrepreneur. Donc même si ça ne marche pas, je peux retomber sur mes pattes. Parce que je serais hyper bancable sur le marché du travail, je ne saurais même pas par où commencer en termes de compétences, tellement j’ai appris de choses avec ce projet. Donc je n’aurais aucun mal à retrouver un job s’il le faut. Limite je trouverais un meilleur job que ce que j’aurais eu si j’y étais allée direct après mon diplôme. » (E23)

Par ailleurs, certains de nos interviewés sont conscients de leur relative jeunesse et de leur manque d’expérience. Cette situation peut les conduire à considérer leur projet actuel comme un vecteur d’apprentissage et un moyen de combler ces manques et d’être finalement plus aguerris lorsqu’il s’agirait de lancer ultérieurement un projet plus important à leurs yeux.

« J’ai un autre projet d’entrepreneuriat, je préfère attendre un peu avant de le lancer. Je me suis dit qu’en attendant, autant me lancer là-dedans pour créer la première entreprise. » (E4)

I : pourquoi ne pas se lancer tout de suite ?

« C’est un projet qui me tient à coeur, j’ai été confrontée à la maladie […]. Et du coup, je ne veux pas rater ce projet. Je préfère avoir de l’expérience, être plus mure, mature. À 19 ans, j’ai peur de me faire avoir. » (E4)

Enfin, certains étudiants-entrepreneurs peuvent entretenir un rapport plus poreux à l’alternative travail indépendant/salarié. Bien qu’ils puissent se sentir attachés à leur projet, ils n’excluent pas de chercher un emploi salarié si cela devait être nécessaire. Cette perspective n’est alors pas envisagée comme fondamentalement incompatible avec leurs aspirations professionnelles. Cela est notamment le cas lorsque leur formation initiale leur assure une alternative intéressante sur le marché du travail.

« En gros, si dans six mois, on voit que ça ne marche pas trop, on se posera vraiment la question. Je me demanderais s’il faut que je trouve un taf, d’autres moyens financiers. Faire DJ dans les mariages, 500 balles par mariage… Je peux en faire plusieurs et ça me finance un peu. Ça, c’est la partie “je veux rester libre”. Et la partie, tac ! Je prends un job et je ne sais pas ce que je fais. Mais je n’exclus pas de prendre un job, tu vois. » (E11)

La diversité des formes entrepreneuriales, mais également de la manière dont les étudiants-entrepreneurs s’y projettent, invite ainsi à envisager l’entrepreneuriat étudiant avant tout en termes d’expérience et d’apprentissage par l’action. Tous ne persévèreront en effet pas dans une démarche de création d’entreprise, mais tous auront tiré des enseignements de cette expérience.

5. Discussion

5.1. Pour une définition élargie de l’étudiant-entrepreneur : quatre propositions

Notre enquête nous a permis de confronter les définitions de l’étudiant-entrepreneur identifiées dans la littérature aux trajectoires, aux modèles d’entrepreneuriat et aux logiques de ressources déployées par des individus se situant aux marges du dispositif national PÉPITE. Nos résultats confirment les impasses dans lesquelles nous plongent des définitions trop restrictives de l’étudiant-entrepreneur.

Nos résultats remettent notamment en cause l’opposition entre jeunes diplômés et étudiants, les processus entrepreneuriaux des titulaires du SNEE prenant généralement naissance dans des contextes étudiants et se prolongeant ensuite après l’obtention du diplôme. Ils infirment les approches segmentées du graduate entrepreneur et du studentpreneur. Si la première ignore les prémices des trajectoires des étudiants-entrepreneurs, souvent initiées sur les bancs des établissements d’enseignement supérieur, la seconde ne définit l’étudiant-entrepreneur qu’à travers son assiduité à des cours universitaires. Notre enquête a également montré la diversité des situations pédagogiques pouvant exister au sein du même écosystème éducatif entrepreneurial : étudiant en cours de formation, étudiant consacrant un semestre au développement de son projet ou encore jeune diplômé (Tableau 1). Nous proposons ainsi de remettre en question un premier périmètre définitionnel de l’étudiant-entrepreneur.

Proposition 1 : l’obtention ou non du diplôme ne suffit pas à caractériser l’étudiant-entrepreneur

Notre enquête a également révélé l’impasse conceptuelle à restreindre l’étudiant-entrepreneur à la création d’une entreprise innovante (Marchand et Hermens, 2015). Nos interviewés, bien qu’ils soient pour la plupart issus du programme d’accélération PÉPITE Starter à la Station F, ne s’inscrivaient pas nécessairement dans ce modèle de création de valeur. Celui-ci coexistait avec d’autres formes entrepreneuriales telles que la création d’organisation à but non lucratif ou la reproduction d’entreprise plus traditionnelle (Bruyat, 1993). Par ailleurs, notre enquête a révélé que beaucoup d’étudiants-entrepreneurs ne se projetaient pas nécessairement à long terme dans la création d’une organisation et pouvaient au contraire considérer leur projet comme un moyen de développer des compétences valorisées sur le marché du travail (Tableau 1). Ils se situeraient donc davantage dans un esprit d’entreprendre que dans un esprit d’entreprise. Nous proposons en ce sens de remettre en question un second périmètre définitionnel de l’étudiant-entrepreneur.

Proposition 2 : l’entrepreneuriat-étudiant peut concerner une diversité de formes et de trajectoires entrepreneuriales

Si nos résultats mettent jusqu’ici surtout en avant la forte hétérogénéité de la population des étudiants-entrepreneurs, ils permettent également d’en dégager des caractéristiques définitoires. La première dimension va dans le sens de l’approche de Politis, Winborg et Dahlstrand (2012) et porte sur les logiques de ressources mobilisées par les étudiants-entrepreneurs. Notre enquête complète leurs résultats en affinant le type de ressources sur lesquelles les étudiants-entrepreneurs s’appuient principalement pour développement leur projet. Celles-ci sont liées à leur statut pédagogique (réductions liées à la présentation d’une carte étudiante), à leur statut social (absence de revenu, soutien parental) et à leur inscription dans un réseau universitaire (accès aux ressources de leur établissement d’enseignement supérieur). Nous proposons en ce sens le périmètre définitionnel suivant.

Proposition 3 : la mobilisation de logiques de ressources typiquement étudiantes constitue un élément définitoire de l’étudiant-entrepreneur

Enfin, un élément inattendu a également émergé de notre enquête. Quelles que soient les trajectoires, les modèles ou les perspectives associés au projet, tous les étudiants-entrepreneurs se caractérisaient par l’adoption d’une posture apprenante et par la valorisation de leur expérience entrepreneuriale, notamment des apprentissages que celle-ci leur permet de réaliser. Cette dimension prime d’ailleurs parfois sur le processus entrepreneurial lui-même, tous ne souhaitant pas créer une organisation immédiatement après leurs études. Cet élément nous semble constituer un axe prometteur pour mieux appréhender l’étudiant-entrepreneur, que nous proposons d’intégrer à son périmètre définitionnel.

Proposition 4 : l’étudiant-entrepreneur est à appréhender avant tout dans une logique d’apprentissage et d’expérience

Ces propositions ont vocation à construire un cadre d’analyse de l’étudiant-entrepreneur dépassant les approches segmentées et restrictives que notre revue de littérature a mis au jour. Elles nous permettent de proposer la définition suivante : « L’étudiant-entrepreneur, (1) qu’il soit étudiant ou jeune diplômé, est avant tout un entrepreneur étudiant : (2) il conduit un projet de création de valeur au sein d’un (3) écosystème éducatif entrepreneurial lui procurant des ressources typiquement étudiantes, (4) tout en adoptant un style de vie et une posture apprenante qui l’inscrivent dans la continuité d’une expérience étudiante. »

5.2. L’étudiant-entrepreneur dans son écosystème éducatif entrepreneurial

Caractériser plus précisément de qui nous parlons lorsque nous nous référons à l’étudiant-entrepreneur participe à clarifier la vision partagée autour de laquelle interagissent les acteurs de l’écosystème entrepreneurial (Theodoraki, Messeghem et Rice, 2018 ; Le Pontois et Foliard, 2018), en particulier dans ses instances de gouvernance. Elle est également cruciale pour caractériser les principes d’éducation communs et les méthodes pédagogiques adaptées au profil des apprenants. Notre enquête met en avant toute la difficulté à réaliser ce travail, pourtant crucial pour construire un écosystème éducatif entrepreneurial (Toutain et al., 2014) capacitant (Fernagu-Oudet, 2012), du fait de la forte hétérogénéité des profils d’étudiants-entrepreneurs. Les individus s’inscrivant dans une démarche de création d’organisation (esprit d’entreprise) n’auront ainsi pas les mêmes attentes, ni les mêmes besoins que ceux qui envisagent le projet entrepreneurial avant tout comme une occasion d’expérience et d’apprentissages (esprit d’entreprendre). De même, des écarts peuvent exister quant aux niveaux d’avancement des étudiants- entrepreneurs, qu’ils soient aspirants, naissants ou créateurs d’entreprise (Rotefoss et Kolvereid, 2005). Les jeunes diplômés ayant initié leur projet au cours de leurs études et ayant eu le temps de le faire murir nécessiteront des ressources spécifiques (par exemple des formations en droit, finance ou encore en ressources humaines). Celles-ci ne seront pas les mêmes pour les étudiants se situant davantage aux prémices du processus entrepreneurial qui chercheront avant tout à définir l’architecture conceptuelle de leur projet (par exemple, des méthodologies d’idéation, d’effectuation ou d’analyse du marché).

Au-delà des contenus et des solutions pédagogiques privilégiés, le système de valeur régissant l’écosystème éducatif entrepreneurial peut placer l’étudiant-entrepreneur dans une planète d’accompagnement en contradiction avec ses aspirations personnelles. Les étudiants-entrepreneurs aspirant à créer une organisation au modèle de croissance rapide, fondé sur une proposition de valeur innovante, se retrouveront davantage dans une planète d’accompagnement digitale. Son fonctionnement sélectif permettra d’éprouver la pertinence de leur projet et de leur fournir des clés pour le faire évoluer (pivot) afin de correspondre aux attentes de leurs parties prenantes, en particulier de celles pouvant leur apporter du capital pour développer rapidement et à grande échelle leur idée. À l’inverse, un étudiant-entrepreneur cherchant à créer une entreprise à taille humaine, une organisation à but non lucratif, voire son propre emploi, à travers l’acquisition de compétences et de savoir-être, trouvera ses possibilités de construction professionnelle réduites dans ce type de planète. Il sera plus à même de développer cette potentialité dans une planète d’accompagnement humaniste, ouverte à la diversité des modèles d’entrepreneuriat. Il convient de noter ici la forte homogénéité sociale constatée dans des planètes d’accompagnement digitales, tel PÉPITE Starter à la Station F, composé en majorité de jeunes diplômés issus de grandes écoles de commerce ou d’ingénieurs, dont les mécanismes de sélection et d’évaluation ont déjà contribué à renforcer leur confiance en eux et leur sentiment d’autoefficacité. Envisager l’étudiant-entrepreneur dans une acception élargie peut ainsi permettre non seulement de consolider un écosystème éducatif entrepreneurial capacitant, mais aussi, et surtout émancipant (Liu, 2018).

5.3. Le dispositif PÉPITE : un écosystème éducatif entrepreneurial faisant exister l’étudiant-entrepreneur dans trois principaux continuums

De ce point de vue, le dispositif PÉPITE apparaît réconcilier ces planètes d’accompagnement aux principes et cultures a priori contradictoires. En replaçant les étudiants-entrepreneurs dans des trajectoires, il faut exister en son sein trois types de continuums :

  • de l’aspirant entrepreneur au créateur d’entreprise, en passant par l’entrepreneur naissant : en permettant à de jeunes diplômés de bénéficier du statut étudiant-entrepreneur, le dispositif fait exister en son sein des niveaux d’avancement différenciés, tenant compte des trajectoires longues et complexes que peuvent avoir les projets entrepreneuriaux. Il leur fournit notamment des ressources formatives adaptées à leur état d’avancement. Il prévoit par ailleurs qu’un même étudiant-entrepreneur puisse passer d’un stade à l’autre, mais également d’un espace d’apprentissage (sensibilisation, incubation, accélération) à l’autre ;

  • de l’esprit d’entreprendre à l’esprit d’entreprise : en créant des espaces d’apprentissage de sensibilisation, d’enseignement, d’incubation, puis d’accélération, le dispositif PÉPITE offre des solutions pédagogiques aux étudiants désireux de créer des entreprises aux perspectives de croissance ambitieuses, mais également aux étudiants cherchant à faciliter leur insertion professionnelle sur un marché du travail plus classique ;

  • de la planète digitale à la planète humaniste : en accueillant tout type de profils d’étudiants (de 18 à 55 ans, formation tout au long de la vie) et de projets, mais également en offrant des espaces d’accélération pour développer des modèles d’entreprise type start-up, le dispositif PÉPITE réconcilie des cultures d’accompagnement aux potentialités d’émancipation distinctes, mais complémentaires.

Le tableau 1 rend compte de ces continuums, en caractérisant la diversité des étudiants-entrepreneurs titulaires du statut national étudiant-entrepreneur.

Le dispositif PÉPITE s’inscrit avant tout dans une démarche humaniste d’accompagnement, qui veut s’adapter aux besoins des porteurs de projets, avec une finalité d’insertion professionnelle pérenne et en donnant l’opportunité d’entreprendre au plus grand nombre. Il constitue un écosystème éducatif entrepreneurial qui a vocation à la fois à développer les compétences entrepreneuriales des jeunes issus de l’enseignement supérieur, telles que la gestion, l’autonomie, la prise d’initiative ou encore la créativité, l’esprit entrepreneurial (esprit d’initiative qui supporte la propension à l’action, Pépin et Champy-Remoussenard, 2017), mais également à faire émerger de belles « pépites » qui n’ont pas à rougir face aux succès entrepreneuriaux de la Silicon Valley. Les projets accompagnés dans les PÉPITE peuvent par ailleurs donner lieu à de nombreux types de structures, de la microentreprise à la start-up, en passant par l’organisation à but non lucratif ou la transmission familiale. Leurs secteurs d’activité sont également variés. Cette diversité tend à s’estomper dans les volets sélectifs du PÉPITE, tels les programmes d’accélération ou le prix Pépite (Gabay-Mariani, 2018). Malgré cela, le dispositif se veut être une contribution à la mise en capacité du pouvoir d’agir et de choisir (Fernagu-Oudet, 2012, 2016) de l’étudiant et du jeune diplômé.

Tableau 1

Diversité des étudiants-entrepreneurs titulaires du statut-national étudiant-entrepreneur

Diversité des étudiants-entrepreneurs titulaires du statut-national étudiant-entrepreneur

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Conclusion

Contributions théoriques et méthodologiques

Notre recherche, en explorant les marges du dispositif national PÉPITE, propose une définition élargie de l’étudiant-entrepreneur. Elle éprouve ainsi les limites des définitions proposées dans la littérature à la réalité des trajectoires et des modèles entrepreneuriaux, ainsi que des aspirations personnelles des étudiants-entrepreneurs. Notre recherche synthétise, complète et précise ainsi la connaissance d’un objet de recherche émergent et déjà foisonnant. Notre cadre d’analyse peut servir de base à la construction de futures enquêtes lui étant dédiées. Il permet de ne pas restreindre a priori le périmètre définitionnel de l’étudiant-entrepreneur pour être au plus proche de son contenu empirique.

Notre recherche confirme également l’importance de ce travail de définition dans la construction des écosystèmes éducatifs entrepreneuriaux comme des environnements capacitants, voire émancipants. Elle invite à concevoir ses dimensions – contenus et solutions pédagogiques, espaces d’apprentissage, culture – (Toutain et al., 2014) en cohérence avec les étudiants-entrepreneurs « fictifs » ciblés par le dispositif d’apprentissage. Ces derniers peuvent se situer à des stades d’avancement, dans des types de projets et perspectives d’évolution nécessitant des ressources formatives différenciées. Ils peuvent également être inscrits dans des processus de construction d’identité professionnelle divergents, auxquels sont conditionnées les potentialités émancipatrices de l’écosystème éducatif entrepreneurial. Notre travail ouvre en ce sens des pistes pour aligner les différentes parties prenantes de l’écosystème entrepreneurial.

Implications pratiques

En analysant la manière dont la figure de l’étudiant-entrepreneur structure les écosystèmes éducatifs entrepreneuriaux, notre travail propose également des pistes pour accompagner de manière globale les étudiants et les jeunes diplômés issus de l’enseignement supérieur. Il propose des pistes pour structurer des écosystèmes éducatifs entrepreneuriaux capacitants, émancipants et vertueux. En particulier, la lecture que nous proposons du dispositif national PÉPITE (Tableau 1) peut inspirer la définition d’une offre de formation et d’accompagnement de l’étudiant-entrepreneur qui ne soit ni redondante avec l’offre de l’enseignement supérieur (universités, grandes écoles, autres établissements, publics ou privés), ni avec celle des structures d’accompagnement existantes (incubateurs, accélérateurs, pépinière d’entreprise, etc.).

De ce point de vue, le dispositif national PÉPITE a fait la démonstration de son intérêt, en intégrant les structures existantes d’accompagnement et de financement dans sa gouvernance et au sein de comité d’engagement structurant le parcours de l’étudiant-entrepreneur. Par ailleurs, le statut national étudiant-entrepreneur a aussi été ouvert aux jeunes diplômés afin qu’ils puissent continuer à bénéficier d’une protection sociale, des avantages étudiants, voire de bourses sur critères sociaux ou d’allocation pour perte d’emploi pour les étudiants en contrat d’alternance, et de l’offre d’accompagnement-formation PÉPITE. Cette double intégration permet de replacer les étudiants-entrepreneurs dans des trajectoires, en leur proposant des passerelles entre différents espaces d’apprentissage (université, incubateur PÉPITE, accélérateur PÉPITE Starter, couveuses, accélérateurs externes indépendants ou d’entreprise, etc.), selon le stade d’avancement de leur projet. En cela, le PÉPITE envisage l’étudiant- entrepreneur au-delà de son assiduité à des cours dispensés dans un établissement d’enseignement supérieur.

Notre recherche invite également à prendre en compte la diversité des profils d’entrepreneurs, donc aux planètes d’accompagnement les plus appropriées à leurs besoins d’apprentissage et d’émancipation. De ce point de vue, l’intégration de planètes d’accompagnement digitales au sein du PÉPITE, dans des programmes d’accélération mis en oeuvre dans des espaces de travail partagés (coworking) (Lameta, Luisi et Pagni, 2018) et mobilisant un grand nombre d’acteurs non académiques (Dandoy, Salmon et Vidal-Rousselin, 2018), traduit les attentes de porteurs de projets cherchant à asseoir la légitimité d’un projet de création d’entreprise ambitieux. Notre enquête a d’ailleurs montré que ces derniers peuvent progressivement se détacher du vocable « étudiant-entrepreneur » dans leurs échanges avec les parties prenantes de leur projet (Jacquemin et Lesage, 2018), ce qui laisse entrevoir une limite à cette approche de l’accompagnement, sujette à des effets d’opportunisme (prendre le SNEE pour accéder au programme PÉPITE Starter, aux ressources et à l’écosystème de la Station F). L’homogénéité sociale pouvant par ailleurs caractériser ces dispositifs interroge : dans quelle mesure ces étudiants n’auraient-ils pas pu être accompagnés dans leurs établissements d’origine (écoles de commerce et d’ingénieurs), souvent pionniers dans la mise en oeuvre de formation à l’entrepreneuriat ? L’intégration de cet espace d’apprentissage à l’écosystème PÉPITE et sa plus forte articulation avec les espaces de sensibilisation, de formation et d’incubation ouvre toutefois l’opportunité de mêler au sein de ces programmes des étudiants aux profils sociodémographiques et horizons pédagogiques variés. De ce point de vue, les comités de sélection des programmes PÉPITE Starter intègrent des représentants des différents PÉPITE d’Île-de-France, pour faciliter la réorientation des projets des étudiants-entrepreneurs dans ces structures.

À l’extrême opposé du continuum, peuvent exister des étudiants cherchant avant tout à développer des compétences valorisées sur le marché du travail, quitte à différer dans le temps leur passage à l’acte entrepreneurial. Pour être capacitant et émancipant, l’écosystème éducatif entrepreneurial pourra ainsi se structurer autour de cet objectif. Le statut national étudiant-entrepreneur (Boissin, 2018c) avait ainsi pour premier objectif de rassurer les parties prenantes (notamment la famille et les enseignants de la formation) sur le devenir de l’étudiant quant à sa réussite d’études, tout en lui permettant de développer son projet entrepreneurial. L’engagement de l’étudiant-entrepreneur est ainsi reconnu par des équivalences de crédits (ECTS). Un tuteur enseignant issu de la formation en cours de l’étudiant lui est ainsi affecté afin qu’il ait un référent académique en capacité de valider ses équivalences dans son établissement. La mise en place d’une certification des compétences entrepreneuriales, PÉPITE Skills, offre également une reconnaissance de son parcours et rejoint les attentes du monde socioéconomique sur la traduction des diplômes sous forme de compétences et les directives européennes en matière de supplément au diplôme (parcours spécifique de l’étudiant) pour faciliter l’insertion professionnelle. Enfin, les jeunes diplômés titulaires du SNEE sont inscrits dans un diplôme étudiant-entrepreneur, le D2E, généralement rattaché aux établissements du PÉPITE local. Ce diplôme ne s’appuie pas sur une maquette pédagogique classique. Il est validé par le suivi des deux tuteurs (enseignant et praticien) avec des comptes rendus d’étape (dossier de suivi), un document de synthèse de fin d’année et une soutenance des réalisations de l’année (Delphin et Le Coarer, 2018). Au-delà du projet, ce parcours accompagnement-formation dans le cadre du diplôme étudiant-entrepreneur soulignera les compétences entrepreneuriales de l’étudiant pour son insertion professionnelle.

Enfin, notre recherche a mis en avant toute l’importance de l’apprentissage par l’action facilité par la conduite du projet entrepreneurial, qu’il soit fictif, naissant ou aboutisse à la création d’une nouvelle organisation. L’étudiant-entrepreneur est avant tout un entrepreneur étudiant, caractérisé par le fait qu’il conduise un projet. Si la majorité des étudiants-entrepreneurs sont toujours étudiants au moment où ils prennent le SNEE, leur formation s’appuie sur l’expérimentation d’un projet entrepreneurial avéré lors de sa sélection au comité d’engagement. Il s’agit d’amener le porteur de projet sur le terrain pour expérimenter son offre dans un processus de pédagogie inversée, d’apprentissage par l’action, proche des méthodes de développement agiles (lean start-up, design thinking) (Jacquemin et Lesage, 2018). L’étudiant est par ailleurs suivi par un tuteur académique et un tuteur praticien (entrepreneur, chargé de mission d’une structure d’accompagnement ou de financement). Le dispositif PÉPITE rompt en ce sens avec une vision dichotomique formation contre accompagnement (Jacquemin et Lesage, 2018) et promeut une conception intégrée de la formation-accompagnement. Ces tuteurs traduisent l’interaction avec l’écosystème éducatif entrepreneurial. Il constitue ainsi un accélérateur de la relation entre l’université, les entreprises et les institutions publiques, impliquant les étudiants, les enseignants-chercheurs, les entrepreneurs et les représentants publics. Ce type d’écosystème éducatif entrepreneurial participe in fine au positionnement de l’université entrepreneuriale (Audretsch, 2014), notamment en ce qui concerne sa contribution à la société et au développement économique : elle rejoint ainsi les nécessaires évaluations du transfert à la société (Audretsch et Belitski, 2013).

Limites et perspectives

Nous concluons finalement notre réflexion en confessant les limites que présente cette recherche.

Celle-ci se situe en effet dans une démarche exploratoire, qui plus est, positionnée aux marges du dispositif national PÉPITE. Notre approche a essentiellement visé à faire ressortir des similitudes et des disparités au sein de la population des étudiants-entrepreneurs pour mieux questionner le caractère flou et ambigu d’une figure unique de l’étudiant-entrepreneur. Notre échantillon n’est donc pas représentatif de l’ensemble des étudiants-entrepreneurs soutenus et accompagnés dans le contexte français du plan national pour l’entrepreneuriat étudiant. De futures recherches pourraient porter sur des échantillons plus représentatifs de la population nationale.

De plus, notre enquête est restreinte à un écosystème éducatif entrepreneurial : le dispositif national PÉPITE. Si celui-ci représentait un terrain d’étude de choix grâce au statut national étudiant-entrepreneur, il ne couvre pas l’ensemble des structures accompagnant l’étudiant-entrepreneur, qui demeurent aujourd’hui globalement fragmentées. De futures études pourraient également explorer, voire confronter les visions de l’étudiant-entrepreneur structurant différents écosystèmes éducatifs entrepreneuriaux. Il serait également intéressant de comparer notre lecture du dispositif national PÉPITE France avec des écosystèmes accompagnant les étudiants dans d’autres pays, afin d’apprécier les différences culturelles pouvant exister. Le statut national étudiant-entrepreneur ayant été transféré dans d’autres pays tels que la Belgique, le Liban, le Maroc ou la Tunisie, analyser ses différentes déclinaisons constituerait une voie prometteuse pour enrichir la manière de le concevoir.

Enfin, nous avons pris le parti de centrer notre approche sur les individus développant des projets, écartant les autres parties prenantes de l’écosystème d’accompagnement entrepreneurial au sein duquel ils évoluent. Or, leurs définitions respectives de l’étudiant-entrepreneur peuvent infuser la structuration de cet écosystème. Des recherches complémentaires pourraient permettre de compléter et d’approfondir la réflexion proposée dans cette contribution, en intégrant le regard d’autres acteurs des écosystèmes éducatifs entrepreneuriaux. Elles permettraient de prolonger la réflexion initiée dans cette recherche, en approfondissant la question des réseaux constitutifs de l’écosystème éducatif entrepreneurial.