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Les enjeux traités
L’apparition de structures d’accompagnement s’est accélérée ces dernières années et s’assortit d’enjeux et de défis qu’il convient aujourd’hui de considérer. Comment assurer, sur un territoire donné, une cohérence globale du dispositif d’accompagnement tout en offrant une complémentarité de services aux porteurs de projets, en particulier aux étudiants fortement incités à se lancer par les programmes d’éducation à l’entrepreneuriat ? Il s’agit d’une problématique qui reste encore peu traitée par la littérature scientifique sur l’accompagnement entrepreneurial et qui interroge tous les acteurs de l’accompagnement, publics et privés. Pour ce dossier thématique, nous proposions aux auteurs d’orienter leur réflexion sur les notions d’écosystèmes et, plus précisément, sur celle des « écosystèmes éducatifs entrepreneuriaux ». Nous avions identifié deux enjeux majeurs intrinsèquement liés à cette question.
Le premier enjeu concerne la recherche d’une cohérence à travers une organisation écosystémique des structures d’accompagnement. La multiplicité des structures d’accompagnement et de leurs missions respectives se veulent complémentaires, mais se chevauchent (Alvedalen et Boschma, 2017 ; Spigel, 2017), ajoutant parfois de la confusion quant aux attentes des accompagnés (Mars et Ginter, 2012). La mission organisationnelle de ces structures d’accompagnement et les objectifs qu’elles poursuivent peuvent aussi entrer parfois en conflit avec les objectifs visés par les entrepreneurs (Jacquemin et Lesage, 2018). Afin de mieux comprendre les rôles multiples de ces structures d’accompagnement et d’en rechercher une cohérence globale, il convient de les situer dans leurs contextes (Spigel, 2017), d’où l’intérêt de faire appel au concept d’écosystème (Alvedalen et Boschma, 2017 ; Auerswald, 2015 ; Philippart, 2016 ; Surlemont, Toutain, Barès et Ribeiro, 2014). Ici, la dimension relationnelle représente la composante essentielle qui permet d’atteindre une cohésion au sein d’un écosystème entrepreneurial (Feld, 2012 ; Qian, Acs et Stough, 2012 ; Richez-Battesti et Petrella, 2013) et la formation de « communautés entrepreneuriales » (Malecki, 2011).
Le second enjeu renvoie à la nécessité d’assurer pour le porteur de projet un continuum de services au-delà des offres de chacune des structures d’accompagnement présentes dans l’écosystème. À cet effet, la littérature sur les écosystèmes entrepreneuriaux cite et s’appuie sur trois piliers : l’ancrage des réseaux dans les territoires (Christopherson et Clark, 2007 ; Nijkamp, 2003), l’importance du rôle des universités en matière de génération de connaissance (Huffman et Quigley, 2002) et finalement le rôle nécessaire des politiques pour la création et l’encadrement d’un environnement stimulant l’innovation (Asheim, Coenen et Vang, 2007 ; Isenberg, 2011). Aussi, le concept d’écosystème éducatif entrepreneurial (EEE) (Belitski et Heron, 2017 ; Duruflé, Hellmann et Wilson, 2018 ; Philippart, 2016 ; Toutain, Gaujard, Mueller et Bornard, 2014) nous paraît particulièrement porteur pour approfondir la problématique de la continuité de l’accompagnement (Clark, 2001 ; Fetters, Greene et Rice, 2010 ; Pittaway et Cope, 2007 ; Regele et Neck, 2012) et ce, tant au sein même des milieux éducatifs (du primaire à l’Université), qu’entre ces derniers et le territoire. Appliquer le concept d’écosystème au contexte de la formation à l’entrepreneuriat permet, selon Mueller et Toutain (2015), de préciser un « cadre conceptuel structurant » qui s’articule autour de cinq axes de questionnement : le contenu des programmes d’enseignement, les réseaux générés par le dispositif d’enseignement, les espaces d’apprentissage, le type de culture entrepreneuriale produite, les solutions pédagogiques privilégiées. S’il peut permettre d’analyser un dispositif de formation à l’entrepreneuriat en tenant compte du contexte de son environnement académique, professionnel et institutionnel, le concept d’écosystème éducatif entrepreneurial permet aussi de penser un continuum cohérent de services aux étudiants, de l’information à l’incubation, en passant par la sensibilisation, l’approfondissement et l’accompagnement pour s’adapter à la diversité des besoins.
Présentation des articles
Ce dossier thématique se compose de cinq articles qui permettent d’appréhender toute la complexité du concept d’écosystème entrepreneurial éducatif et d’adresser les enjeux évoqués.
Le premier article de Christina Theodoraki, intitulé Écosystème entrepreneurial académique : vers l’élaboration d’une stratégie écosystémique cohérente, offre une compréhension transversale d’un écosystème entrepreneurial éducatif et relativement fine des enjeux associés à l’élaboration d’une stratégie collective de tous les acteurs sur un territoire donné. Si la littérature insiste généralement sur le rôle moteur des universités, l’auteure focalise son attention sur celui des incubateurs académiques, qui agissent comme des intermédiaires clés pour créer un environnement favorable à la création d’entreprise, mais aussi pour assurer un pont entre ces entreprises accompagnées et leur environnement extérieur.
L’étude menée auprès de différentes parties prenantes d’un écosystème entrepreneurial local démontre la nécessité d’un alignement stratégique, à la fois interne et externe, prenant en compte les caractéristiques environnementales et culturelles. L’observation de cet alignement stratégique induit un protocole d’élaboration de la stratégie en cinq étapes qui vont de l’identification du positionnement stratégique de la structure d’accompagnement dans l’écosystème jusqu’au suivi et au contrôle. La proposition de cet outil dynamique de communication et d’aide à la décision est la contribution originale et sans doute principale de cet article. Cette étude s’inscrit ainsi dans la discussion sur les outils de prise de décision stratégique et autres tableaux de bord qui permettent de mesurer la performance des incubateurs et, plus généralement, de penser et de construire un écosystème entrepreneurial durable.
Le deuxième article d’Olivier Toutain et de Fabienne Bornard, intitulé Le rôle de l’enseignant-médiateur dans un système éducatif entrepreneurial, apporte un éclairage différent, mais complémentaire, sur le fonctionnement des écosystèmes éducatifs entrepreneuriaux. En s’intéressant au contexte de l’école primaire et secondaire dans neuf pays européens, les auteurs démontrent le rôle et la place centrale qu’occupent les enseignants dans l’émergence et le fonctionnement des écosystèmes éducatifs entrepreneuriaux.
Malgré la singularité des contextes d’étude, ils identifient des caractéristiques majeures communes pour définir le rôle et la fonction de « l’enseignant-médiateur » dans l’EEE. L’analyse des neuf cas considérés comme des cas exemplaires au niveau européen révèle aussi une position précaire de l’enseignant-médiateur et de l’EEE dans lequel il agit. L’absence d’intégration officielle dans le système éducatif d’une partie des formations à l’entrepreneuriat observées, les conflits internes avec la direction et les enseignants, les difficultés à mobiliser les entreprises et les professionnels externes, l’absence de reconnaissance du temps supplémentaire investi dans la fonction de médiation sont quelques indicateurs de cette précarité. Le continuum pédagogique et la cohérence de l’EEE doivent être ainsi renégociés en permanence par l’enseignant-médiateur, dont l’expérience accumulée au fil des années reste l’élément décisif pour le maintien et le développement de l’EEE. La recherche proposée par Oliver Toutain et Fabienne Bornard ouvre ainsi de nombreuses questions comme celles de la précarité des ressources allouées aux enseignants-médiateurs, qui doivent interpeller les acteurs publics et privés du monde scolaire sur les conditions de pérennisation des EEE. L’étude montre à ce stade que la légitimité et la responsabilité du portage de l’EEE reposent majoritairement sur les épaules de l’enseignant-médiateur, ce qui le rend très fragile avec une pérennité incertaine.
Le troisième article proposé par Laëtitia Gabay-Mariani et Jean-Pierre Boissin, intitulé De qui parle-t-on lorsqu’on parle d’étudiant-entrepreneur ? Proposition d’une définition élargie à partir d’une exploration aux marges de l’écosystème éducatif entrepreneurial PÉPITE France, permet de recentrer le débat de la cohérence et du continuum d’accompagnement dans les EEE autour de la figure de « l’étudiant-entrepreneur », de ses aspirations et de sa trajectoire singulière.
Les auteurs présentent le dispositif national PÉPITE (plan national pour l’innovation, le transfert et l’entrepreneuriat), mis en place en France depuis 2013, qui contient la création d’un statut national d’étudiant-entrepreneur et qui s’adresse à la fois aux étudiants inscrits dans un établissement supérieur et aux jeunes diplômés souhaitant bénéficier d’un accompagnement dans l’un des 32 pôles régionaux du réseau national PÉPITE. Ils analysent comment ce dispositif PÉPITE s’est inséré dans les EEE en s’évertuant à fédérer et articuler les différentes offres de formation et d’accompagnement proposées aux étudiants, de la sensibilisation à la formation, spécialisée ou non, des étudiants à l’entrepreneuriat en passant par l’accompagnement de « l’étudiant-entrepreneur », porteur de projet. Au terme d’une enquête qualitative exploratoire menée auprès d’étudiants-entrepreneurs issus principalement du programme d’accélération du dispositif PÉPITE, les auteurs proposent une définition élargie de l’étudiant-entrepreneur qui éprouve les limites des définitions déjà proposées dans la littérature tout en rendant compte de la réalité des trajectoires et des modèles entrepreneuriaux, ainsi que des aspirations personnelles des étudiants-entrepreneurs.
Les deux derniers articles du numéro thématique présentent des illustrations concrètes et originales de pratiques pédagogiques et d’accompagnement qui visent à assurer le « passage de frontières » et à permettre aux étudiants-entrepreneurs de se confronter aux différentes parties prenantes d’un écosystème entrepreneurial.
Plus spécifiquement, le quatrième article d’Estèle Jouison, Thierry Verstraete et Gérard Néraudau, intitulé Préincubation et méthode d’accompagnement pour l’entrepreneuriat étudiant : recherche-action ingénierique sur le terrain d’Ubee Lab, propose une étude empirique originale de type recherche-action ayant pour objectif de mettre en place une méthode d’accompagnement sur une phase du projet entrepreneurial encore peu explorée, soit celle de la préincubation.
Les auteurs montrent comment la méthode permet de professionnaliser le métier d’accompagnateur des salariés et de participer à leur reconnaissance dans l’écosystème de l’accompagnement entrepreneurial. Elle contribue à dissiper le flou des frontières entre institutions, à mieux distinguer les étapes de préincubation et d’incubation, à mieux percevoir ce qui est concrètement réalisé au sein d’un préincubateur et ainsi à préciser les rôles de chacun dans des partenariats entre acteurs de l’accompagnement, qui deviennent désormais envisageables. Cette recherche, menée au plus près du terrain, doit permettre d’éclairer les acteurs politiques sur les risques d’une vue trop macroscopique de l’écosystème, notamment lorsqu’il s’agit de tracer des frontières qui risquent d’être peu compatibles avec les réalités de l’accompagnement.
Le cinquième et dernier article, intitulé Apprendre dans les écosystèmes éducatifs entrepreneuriaux : le peer pour le meilleur, de Stéphane Foliard, présente le cas du Campus des Entrepreneurs, un programme de création d’entreprise qui permet aux étudiants de vivre pendant presque une année une expérience entrepreneuriale en équipe originale « hors les murs » au sein d’un écosystème entrepreneurial régional français.
Dans ce parcours expérientiel, l’auteur met en exergue l’importance du rôle éducatif des acteurs de l’écosystème entrepreneurial dans le processus d’apprentissage des étudiants, chacun de ces acteurs pouvant adopter une posture de mentorat informel, apportant support psychologique, conseils professionnels, jusqu’à devenir pour certains d’entre eux des « modèles de rôle » pour les étudiants. Si l’accueil de ces « professionnels » est dans l’ensemble favorable, l’étude montre que peu d’entre eux sont réellement enclins à ouvrir leur réseau d’affaires pour accélérer les projets d’étudiants. La relation reste déséquilibrée et ne permet pas aux étudiants d’aller jusqu’au bout de leur expérience entrepreneuriale collective. L’accès réel et durable à ces réseaux suppose pour eux l’acquisition et le développement de compétences, notamment interpersonnelles, qu’ils n’ont pas ou ne maîtrisent pas suffisamment et qu’il conviendrait d’intégrer davantage dans les programmes de formation et d’accompagnement à l’entrepreneuriat.
Contributions transversales et voies futures de recherche
Outre les contributions directes relevées dans chaque article, nous notons l’émergence de contributions plus transversales. Pour en rendre compte, nous mobilisons ici la grille de lecture suggérée par Hägg et Gabrielsson (2020) dans leur revue systématique de la littérature sur l’évolution de la pédagogie dans la recherche en éducation entrepreneuriale. Plus spécifiquement, nous empruntons la structure de questionnement « qui-fait-quoi-pour-qui-et-comment » (who-is-doing-what-for-whom-and-how) dans une approche dynamique pour mieux saisir les enjeux associés à la structuration et à l’évolution des écosystèmes entrepreneuriaux d’éducation.
Qui ? Le rôle « pivot » des « enseignants-médiateurs » dans les EEE
Comme le soulignent Foliard, Pontois, Fayolle et Diermann (2018), il existe encore très peu d’études sur le rôle des instructeurs, et des professeurs en entrepreneuriat en particulier, et de la perception qu’ils ont des méthodes d’enseignement (Toding et Venessaar, 2018). Qui plus est, lorsqu’elles existent, elles sont très descriptives. L’ensemble des auteurs reconnaissent dans ce numéro la place prépondérante des enseignants-chercheurs dans les dispositifs de formation et d’accompagnement des étudiants-entrepreneurs, qu’ils s’agissent d’étudiants encore en formation ou de jeunes diplômés. De « transmetteurs », les enseignants sont devenus des concepteurs et « coordinateurs » de programmes de formation et d’accompagnement qu’ils ont tâché d’enrichir au fur et à mesure en les rendant plus orientés vers la pratique entrepreneuriale. Dans ce cheminement, ils ont adopté un rôle de médiateur quasi incontournable dans les écosystèmes entrepreneuriaux.
Ils sont désormais les « passeurs de frontières », les seuls sinon les plus aptes à relier les étudiants avec les praticiens, les accompagnateurs et les mentors, les responsables de structures d’accompagnement/ou de financement, toutes les parties prenantes internes ou externes de l’écosystème (éducatif) entrepreneurial qui comptent et qui vont permettre à l’étudiant-entrepreneur d’accélérer son apprentissage et ses effets d’expérience pour poursuivre son parcours et éventuellement réussir à développer son projet entrepreneurial.
Si les enseignants-chercheurs occupent dans les faits une place centrale et jouent un rôle pivot dans cet EEE, ils souffrent néanmoins d’un manque criant de reconnaissance au sein comme en dehors de leur institution d’appartenance. Un manque qui se traduit d’abord par les difficultés qu’ils peuvent éprouver à faire reconnaître le temps supplémentaire investi dans leur fonction de « médiateur » et, plus généralement, d’accompagnateur d’étudiants ou de jeunes diplômés désireux d’entreprendre.
Cette insuffisance de reconnaissance générale pose la question de la responsabilité du portage des EEE qui, malgré la mise en place de dispositifs nationaux comme le réseau PÉPITE en France, repose encore principalement sur les épaules d’un enseignant-chercheur qui doit toujours battre des pieds et des mains pour défendre sa légitimité. Ce constat nous amène à nous interroger davantage sur le rôle et les fonctions de l’enseignant-chercheur en entrepreneuriat, de son positionnement dans l’institution comme en dehors dans l’écosystème entrepreneurial. Ainsi, les questions de recherche suivantes restent ouvertes. Que recouvre réellement ce rôle de médiateur pour l’enseignant-chercheur ? Quels acteurs doit-il a priori relier et surtout comment ? Quelle est sa légitimité à assurer cette fonction de « passeur de frontières » ? Peut-il être reconnu vraiment en tant que tel par les autres parties prenantes de l’écosystème ? Quels mécanismes de reconnaissance pouvons-nous identifier ? Autant de questions qui nous amènent de manière plus pragmatique à imaginer un statut national d’enseignant (-chercheur) entrepreneur qui, à l’instar du SNEE, permettrait de clarifier le rôle, de définir les fonctions et de préciser le positionnement des enseignants-chercheurs dans l’EEE tout en assurant leur formation pour garantir leur légitimité et leur reconnaissance.
Quoi ? Le contenu des programmes de formation et d’accompagnement
Sur la conception des programmes et leur mise en oeuvre, et la manière dont ils varient dans le temps et l’espace, la plupart des études disponibles sont menées et discutées dans des contextes isolés (Hägg et Gabrielsson, 2020). C’est encore le cas dans ce dossier thématique, où les articles proposés s’inscrivent principalement dans un contexte culturel français et s’intéressent à des initiatives ou pratiques menées dans des écosystèmes éducatifs spécifiques régionaux. L’article de Toutain et Bornard présente toutefois une étude qualitative comparative menée conjointement dans neuf pays européens, ce qui est relativement rare en éducation entrepreneuriale (Walter et Block, 2016). Les quatre autres articles permettent néanmoins d’offrir une vue d’ensemble particulièrement intéressante, parfois longitudinale, et multispatiale des programmes de formation et d’accompagnement en cours sur un territoire donné.
La présentation du dispositif national PÉPITE de Gabay-Mariani et Boissin permet ainsi de montrer la complémentarité de ce qui peut être proposé aux étudiants qui adoptent le SNEE aux programmes de formation et d’accompagnement proposés par les établissements d’enseignement et aux structures d’accompagnement dont ils dépendent. L’article de Theodoraki permet de montrer à cet égard comment, dans un écosystème éducatif entrepreneurial régional, les différents acteurs, parmi lesquels, les incubateurs en particulier, peuvent coopérer tout en se faisant concurrence, pour aligner leur dispositif d’accompagnement et assurer la meilleure continuité de services aux porteurs de projets. Dans la même lignée, les articles de Jouison, Verstraete et Néraudau et de Foliard proposent deux illustrations concrètes à travers la mise en place, respectivement, d’une méthode d’accompagnement au sein d’un préincubateur et d’une pratique pédagogique innovante, de la manière dont concrètement les acteurs de l’écosystème travaillent et se coordonnent pour offrir une expérience unique aux étudiants-entrepreneurs au sein de l’écosystème entrepreneurial.
Dans toutes ces contributions, la question de l’évaluation et celle de l’impact des formations comme des dispositifs d’accompagnement sont désormais centrales et sont intégrées dès la phase de conception des programmes. Ils s’inscrivent ainsi dans la discussion plus large de la performance des structures d’accompagnement et des outils de décision stratégique et autres tableaux de bord qu’on peut proposer aux responsables de ces structures, comme nous y invitent Messeghem, Bakkali, Sammut et Swalhi (2018).
Tous ces éléments de réflexion autour du « quoi » et du contenu des programmes militent pour un enseignement qui soit désormais centré autour du projet, et non plus simplement de l’apprenant, et qui invite le ou les porteurs de projets, comme tous ceux qui participent à leur formation et leur accompagnement, à adopter une posture plus réflexive et critique. Les pistes pour de futures recherches sont dès lors nombreuses. Comment assurer cette réflexivité dans la conduite du projet ? Quels programmes peuvent aider à décentrer l’entrepreneur par rapport à son projet et lui permettre d’adopter différentes postures ? Quels sont les principaux ressorts de cette autocritique ? L’intégration dans les programmes de nouvelles notions et d’outils de performance élargie et d’impacts, qu’ils soient sociaux ou environnementaux, contribue-t-elle réellement à l’amélioration des dispositifs de formation et d’accompagnement en place ?
Pour qui ? La cible des programmes et les besoins des apprenants
Le dossier thématique s’intéresse à un large panel d’apprenants, des écoliers de l’école primaire et secondaire jusqu’aux étudiants-entrepreneurs qui sont la cible privilégiée des travaux de recherche des auteurs de ce dossier thématique, sans oublier les entrepreneurs diplômés, plus expérimentés, qui sont accompagnés au sein des incubateurs.
Ainsi, trois articles ciblent les étudiants-entrepreneurs, en particulier l’article de Gabay-Mariani et Boissin, qui offre une définition plus large, intégrant à la fois la perception des étudiants-entrepreneurs eux-mêmes, mais aussi leurs aspirations et la réalité de leur parcours d’entrepreneur. Cet article, comme celui de Jouison, Verstraete et Néraudau, qui contribue parallèlement à circonscrire la notion de préincubation, permet de préciser les frontières entre différents types de profils, de distinguer plus judicieusement les stades d’avancement de projet et ainsi de définir avec plus d’acuité les attentes, les besoins et, in fine, les rôles de chaque partie prenante dans l’écosystème éducatif entrepreneurial.
Au-delà des cibles visées, les contributions permettent de mettre en exergue l’évolution du contenu des formations dispensées et des programmes d’accompagnement. Les acteurs se coordonnent aujourd’hui pour varier les méthodes d’apprentissage et pour offrir une expérience entrepreneuriale plus complète et continue aux étudiants en formation ou aux jeunes diplômés, et ce, quel que soit l’état d’avancement de leur projet. Cela démontre la prise en compte par les différents acteurs de la diversité des profils concernés et la nécessité d’éviter toute forme d’isomorphisme qu’on peut parfois observer dans le comportement d’entrepreneurs. À cet égard, et comme souligné par Hägg et Gabrielsson (2020), l’éducation à l’entrepreneuriat pourrait bénéficier de la reconnaissance et de l’intégration de plusieurs théories de l’apprentissage issues de la recherche sur l’éducation en entrepreneuriat des adultes par exemple, cible qui n’est pas traitée dans ce dossier thématique. À ce propos, les études sur des programmes de formation et/ou d’accompagnement qui mêlent plusieurs profils (formation initiale et formation continue, étudiants et cadres d’entreprise, étudiants provenant de différentes écoles, etc.) ou qui intègrent des porteurs de projets à différents niveaux de maturité restent extrêmement rares.
Au niveau du « pour qui » et de la cible des programmes, de nombreuses questions restent encore en suspens et méritent d’être explorées. Quel est l’impact des formations auprès de publics d’adultes et plus expérimentés ? Quel est l’impact de la mixité et de la diversité des profils dans un programme de formation ou d’accompagnement ? Comment intégrer cette diversité au sein de projets et s’assurer qu’elle soit source d’apprentissage ? Comment réussir à faire travailler ensemble des porteurs de projets à différents stades de développement ou provenant d’écoles différentes ? Est-ce réellement une garantie d’apprentissage ? Comment déjouer la pression isomorphique inhérente à l’application des méthodes et boîtes à outils les plus usitées ? Comment intégrer ou associer d’autres approches, telles que le design par exemple, aux démarches existantes ?
Comment ? Les méthodes d’enseignement et leur évaluation
Les articles de ce numéro abordent tous directement ou indirectement la question de l’évaluation des méthodes d’enseignement et des dispositifs d’accompagnement et soulignent le besoin de développer des cadres d’évaluation des dispositifs plus appropriés. En France, le rapport de la CGE (Confédération des Grandes Ecoles) intitulé Incubateurs des établissement d’enseignement supérieur et de recherche et dynamique territoriale (2017)[1] et celui de l’IGAENR (Inspection Générale de l’Administration et de l’Education Nationale et de la Recherche) sur le plan PÉPITE intitulé La formation de l’esprit entrepreneur. Évaluation du plan PÉPITE en faveur de l’entrepreneuriat étudiant. Recommandations pour un passage à l’échelle (2019)[2] témoignent de cette préoccupation et ont fait de l’efficacité et de l’impact des méthodes d’enseignement et d’accompagnement en entrepreneuriat une priorité.
C’est une nécessité à la fois pour les étudiants-entrepreneurs, pour les enseignants-chercheurs, qui en ont fait également un domaine de questionnement clé, mais aussi vis-à-vis de toutes les parties prenantes de l’écosystème entrepreneurial, les décideurs politiques, les organismes de financement et la société dans son ensemble. Comme le souligne Hägg et Gabrielsson (2020), les études restent très fortement dépendantes du contexte dans lequel elles s’inscrivent et ne sont pas encore suffisamment fondées théoriquement ni suffisamment solides méthodologiquement pour pouvoir justifier l’impact de l’éducation entrepreneuriale dans différents contextes et différents programmes.
L’enjeu est aussi de pouvoir développer des pratiques d’évaluation qui n’évoluent pas au même rythme que la conception et la mise en oeuvre de nouvelles méthodes d’enseignement. Que pensons-nous réellement transmettre aux apprenants ? Quels impacts estimons-nous exercer à travers nos programmes ? Comment peut-on assurer la coconstruction de projets ? Avec quelles méthodes et quels outils ? Quels objectifs doit-on fixer au départ ? Et quel écart y a-t-il entre ces objectifs, ces aspirations et les résultats rapportés par les apprenants et d’autres parties prenantes de l’écosystème ? Comment peut-on faire évoluer les critères d’évaluation d’un projet en fonction de la nature et du développement des projets ? Ces questions s’inscrivent dans une démarche (auto)réflexive et relativement critique. Il s’agit de défier plus librement et profondément les allants de soi et les a priori associés aux mythes de l’entrepreneuriat et à l’éducation entrepreneuriale en général.
Synthèse
En s’appuyant sur Landström (2010), Hägg et Gabrielsson (2020) ont classé l’évolution des approches de recherche en éducation entrepreneuriale par décennie : une approche centrée sur les enseignants dans les années quatre-vingt, puis sur le processus dans les années quatre-vingt-dix, un centrage sur le contexte en 2000 puis sur l’apprenant en 2010.
Nous proposons de nous inscrire dans cette évolution et de proposer, à l’aune des contributions de ce numéro thématique, une approche centrée « projet » pour les années deux mille vingt. Cette proposition finale, reprise dans la dernière colonne du tableau 1, dessine autant de pistes et de questions prometteuses pour de futures recherches.
Parties annexes
Notes
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