Résumés
Résumé
Cet article propose une conceptualisation alternative de l’entrepreneuriat culturel. Partant d’une étude qualitative par entretiens semi-dirigés menée dans l’industrie musicale de minorités linguistiques, il offre un modèle inscrit dans la perspective de la pratique, qui tient compte de la relation mutuellement constitutive entre le contexte et les pratiques entrepreneuriales. Ce modèle émerge des histoires de 35 entrepreneurs musicaux. Il invite à observer les pratiques telles qu’elles répondent aux tensions induites par un contexte social, entre la création musicale et la subsistance, par exemple, et telles qu’elles transforment ce contexte. Il a conduit à identifier 14 pratiques qui permettent aux entrepreneurs d’assurer la viabilité de la création et de la production de musique vocale dans leur langue. En révélant la logique relationnelle qui sous-tend l’émergence de ces pratiques, l’article rejoint les efforts de théorisation de l’entrepreneuriat culturel. Il élargit et diversifie aussi nos connaissances de cet entrepreneuriat en dévoilant des pratiques informelles déployées dans des contextes sociaux marginaux. Comprendre ces pratiques peut s’avérer utile à tout organisme ou toute personne en position de soutenir les entrepreneurs culturels de ces contextes.
Mots-clés:
- Entrepreneuriat culturel,
- Perspective de la pratique,
- Industrie de la musique,
- Minorités linguistiques,
- Contextes sociaux marginaux
Abstract
This article proposes an alternative conceptualization of cultural entrepreneurship. Based on a semi-structured interview study conducted in the music industry of linguistic minorities, it offers a model in line with the practice perspective, that considers the mutually constitutive relationship between the context and the entrepreneurial practices. This model emerges from the stories of 35 musical entrepreneurs. It invites to pay attention to the practices as they answer tensions induced by the context, between musical creation and subsistence, for example, and as they transform this context. It led to identifying 14 practices that allow entrepreneurs to ensure the viability of creating and producing vocal music in their language. In revealing the relational logic underlying the emergence of these practices, the article contributes to the efforts undertaken for theorizing cultural entrepreneurship. It expands and diversifies knowledge on this entrepreneurship by unveiling informal practices implemented in marginal social contexts. Understanding these practices may be relevant for any person or organization able to support cultural entrepreneurs from these contexts.
Keywords:
- Cultural entrepreneurship,
- Practice perspective,
- Music industry,
- Linguistic minorities,
- Marginal social contexts
Resumen
Este artículo propone una conceptualización alternativa del emprendimiento cultural. Se basa en una investigación cualitativa realizada por entrevistas semiestructuradas conducidas dentro de la industria de la música de minorías lingüísticas. Ofrece un modelo desde la perspectiva de la práctica, que toma en cuenta la relación constitutiva entre el contexto y las prácticas empresariales. Este modelo surge de las historias de 35 emprendedores musicales. Observamos las prácticas a medida que responden a las tensiones inducidas por el contexto social, entre la creación musical y la subsistencia, por ejemplo, y como las tensiones transforman este contexto. El articulo condujo a identificar 14 prácticas que permiten a los emprendedores asegurar la viabilidad de crear y producir música vocal en su propio idioma. Se une también a los esfuerzos de teorización del emprendimiento cultural revelando la lógica relacional que subyace el surgimiento de sus prácticas. Amplia y diversifica nuestros conocimientos sobre este tipo de emprendimiento, revelando prácticas informales desplegadas en contextos sociales marginales. Realzar estas prácticas puede ser útil para todos los organismos en posición de apoyar a emprendedores culturales en dichos contextos.
Palabras clave:
- Emprendimiento cultural,
- Perspectiva desde la práctica,
- Industria de la música,
- Minorías lingüísticas,
- Contextos sociales marginales
Corps de l’article
Introduction
L’entrepreneuriat culturel fait l’objet d’un intérêt croissant dans la littérature (Patten, 2016 ; Swedberg, 2006 ; Woong et Wyszomirski, 2015). Un recensement systématique des écrits (Hausmann et Heinze, 2016) révèle une définition ouverte de l’entrepreneur culturel[2]. Elle inclut des artistes travailleurs autonomes souvent forcés d’agir en tant qu’entrepreneurs en raison de conditions de travail changeantes dans les secteurs culturels (Ellmeier, 2003) jusqu’à des propriétaires d’entreprises culturelles multinationales (Rae, 2005). Ces entrepreneurs ont en commun de mettre en oeuvre des activités qui visent la viabilité économique de la production de biens et services dotés principalement d’une valeur esthétique et symbolique au travers d’une entreprise (Klamer, 2011). Au-delà de cette définition ouverte, certaines tendances se révèlent dans la façon dont on définit ces entrepreneurs. Elles peuvent être attribuées au fait que la plupart des connaissances développées sur l’entrepreneuriat culturel proviennent du monde anglo-saxon (Andres et Round, 2015 ; Caves, 2000 ; DiMaggio, 1982 ; Enhuber, 2014 ; Neff, Wissinger et Zukin, 2005 ; Wilson et Stokes, 2005). Ces tendances conduisent à une compréhension incomplète de l’entrepreneur culturel, que des efforts de conceptualisation qui puisent à d’autres sources pourraient compléter.
La littérature tend en effet à mettre l’accent sur les entrepreneurs regroupés dans des métropoles créatives. À part quelques exceptions dans des recherches sur la créativité (Grandadam, Cohendet et Simon, 2013), les entrepreneurs représentés dans cette littérature créent une culture déterritorialisée qui cible un marché international par une diffusion dans les médias de masse anglophones. Les entrepreneurs culturels ainsi dépeints apparaissent souvent homogènes sur le plan social, culturel et économique ; ce sont des individus créatifs, jeunes, innovants, individualistes et prédisposés à l’entrepreneuriat, dans un esprit d’exploration de soi et d’épanouissement personnel (Coulson, 2012 ; Leadbeater et Oakley, 1999 ; McRobbie, 2002). L’entrepreneur culturel au centre de la littérature correspond à une vision utopique (Banks et Hesmondhalgh, 2009) à laquelle une foule d’entrepreneurs culturels ne peuvent s’identifier (Coulson, 2012). Parce que les entrepreneurs culturels qu’elle met en scène sont issus de contextes similaires, cette littérature tient peu compte des particularités liées aux contextes sociaux dans lesquels ils déploient leurs pratiques. Par conséquent, la littérature sur l’entrepreneuriat culturel apparaît acontextuelle.
Cette littérature accorde d’ailleurs peu d’attention aux contextes sociaux marginaux auxquels s’intéresse cet article, soit des sociétés qui existent en marge de sociétés plus grandes ou plus puissantes (Boucher et Thériault, 2005). C’est le cas des minorités linguistiques, minorités nationales et petites sociétés. Les entrepreneurs culturels de ces contextes doivent composer avec des conditions précaires pour la production culturelle. En réponse à la fragilité, l’on y observe de la créativité qui conduit à la mise en place de modèles de développement alternatifs (Boucher et Thériault, 2005). Une étude menée dans les industries créatives de petites sociétés postsocialistes révèle que des pratiques informelles et non économiques, comme l’entraide, le troc et l’échange de bons services, pallient la précarité radicale du travail dans ces sociétés (instabilité d’emploi, faible accès au capital, absence d’avantages sociaux et de filet social) (Alacovska, 2018).
Afin de contribuer à une compréhension plus complète de l’entrepreneuriat culturel, je suggère dans cet article qu’une relation mutuellement constitutive lie les pratiques entrepreneuriales et le contexte social. C’est ce que propose la perspective de la pratique (Schatzki, Knorr-Cetina et von Savigny, 2001) et, plus précisément, le champ d’étude de l’entrepreneuriat par la pratique (Champenois, Lefebvre et Ronteau, 2019). Mon objectif consiste à conceptualiser l’entrepreneuriat culturel en tenant compte des liens qu’il entretient avec un contexte social marginal. Cela revient à étudier des pratiques entrepreneuriales variées dans leur contexte spécifique, en demandant comment et pourquoi ces pratiques sont réalisées de telles façons et en m’intéressant à leurs conséquences. Je pose ainsi la question suivante : comment les pratiques mises en oeuvre par les entrepreneurs culturels de contextes sociaux marginaux interagissent-elles avec leur contexte ?
Le présent article repose sur une recherche qualitative menée dans l’industrie musicale de minorités linguistiques, où les relations entre les pratiques entrepreneuriales et le contexte social se révèlent particulièrement évidentes. Les minorités linguistiques sont des groupes de personnes numériquement inférieurs au reste de la population de leur État. Ils s’en distinguent par leur langue, mais également par une tradition et des mécanismes qui leur sont propres en matière de gouvernance et de développement économique, artistique, culturel et communautaire (Cardinal et Forgues, 2015 ; Thériault, 2007). Ces mécanismes structurent les pratiques entrepreneuriales qui se développent dans les minorités linguistiques, pratiques qui influencent à leur tour l’autonomie de ces dernières, notamment l’autonomie culturelle.
En étudiant les relations entre les pratiques entrepreneuriales et le contexte social, cet article participe de deux façons aux efforts de conceptualisation de l’entrepreneuriat culturel (Patten, 2016). Premièrement, il dégage de l’analyse des données un modèle cohérent avec la perspective de la pratique, qui met au centre de l’analyse les pratiques d’entrepreneurs culturels telles qu’elles répondent aux tensions induites par un contexte marginal et qu’elles le transforment. Deuxièmement, il offre un inventaire des pratiques que ce modèle permet de repérer dans l’histoire de 35 entrepreneurs culturels de minorités linguistiques. Cet inventaire diversifie nos connaissances des pratiques associées à l’entrepreneuriat culturel.
Dans ce qui suit, je présente un recensement des études sur l’entrepreneuriat culturel qui tiennent compte du contexte. Je souligne ce qui manque à ces études pour mettre en évidence les interactions entre les pratiques et le contexte. Puis, je mets en avant le potentiel de la perspective de la pratique et de la posture processuelle de contribuer à une conceptualisation alternative de l’entrepreneuriat culturel, qui tient compte de sa relation au contexte. J’expose ensuite les méthodes de collecte et d’analyse des données afin d’introduire les résultats de cette étude. Avant de conclure, les contributions du modèle proposé et des pratiques inventoriées sont discutées.
1. Entrepreneuriat culturel et contexte social
Quelques auteurs ont formulé des invitations à porter attention aux interactions entre l’entrepreneuriat culturel et son contexte social. Banks (2006) soutient qu’en s’attardant au lien avec le lieu et la communauté dans lesquels évoluent les entrepreneurs culturels, on peut observer des actions variées, motivées par une diversité de valeurs sociales, politiques, morales ou éthiques. Il invite à s’intéresser à des contextes sociaux où les valeurs néolibérales n’exercent pas la même influence sur les choix individuels de ces entrepreneurs, afin de prêter attention à leur capacité de penser et d’agir d’une façon qui contredit la rationalité de marché. Naudin (2017), en s’intéressant à l’expérience vécue de l’entrepreneuriat par des travailleurs culturels, note l’importance du milieu culturel local. Ce milieu situe les pratiques entrepreneuriales à travers les politiques liées à la culture et à l’entreprise, les réseaux locaux et les relations qui s’y créent. Preece (2014) reconnaît également que dans l’entrepreneuriat artistique, chaque communauté et circonstance requiert ses propres solutions. Tenir compte du contexte semble pouvoir conduire à une meilleure compréhension des pratiques des entrepreneurs culturels, mais peu d’études ont à ce jour intégré cette prise en compte.
Certaines recherches s’intéressent à la contribution de l’entrepreneuriat culturel au développement économique régional (Fleischmann, Daniel et Welters, 2017 ; Tremblay, 2009). Ces recherches éclairent cependant peu les pratiques mises en oeuvre par les entrepreneurs culturels pour réaliser cette contribution. D’autres recherches se penchent sur la construction de scènes ou de grappes créatives ancrées dans un territoire en marge des centres urbains (Emin et Guibert, 2017 ; Harvey, Hawkins et Thomas, 2012) ou émergeant d’initiatives communautaires à l’intérieur d’un contexte urbain (Grodach, 2011). Par exemple, Emin et Guibert (2017) s’intéressent à la façon dont différentes pratiques entrepreneuriales auto- organisées forment un contexte organisationnel situé localement et temporellement à travers les interrelations entre des acteurs qui la créent continuellement. Ils se demandent ce que produit ce contexte et de quelle façon l’action qui s’y tient le façonne. Ces recherches soulignent l’importance du milieu au sein duquel se réalise l’action, tel qu’il produit un contexte et qu’il le transforme.
Quelques études s’attardent enfin aux pratiques particulières mises en oeuvre dans les industries culturelles de contextes sociaux marginaux (Alacovska, 2018 ; Bissonnette et Arcand, 2018 ; Loacker, 2012). Par exemple, dans un article sur le milieu du théâtre autrichien, Loacker (2012) relève des pratiques de résistance des artistes et metteurs en scène. Ils résistent aux injonctions à se comporter de façon plus entrepreneuriale formulées par l’État qui finance les théâtres par des subventions (par exemple, penser les productions en fonction du marché, entretenir un réseau de contacts, promouvoir les spectacles, etc.). Pour résister à ces considérations, ces artistes et metteurs en scène développent des modes autonomes et flexibles d’organisation. Paradoxalement, ces pratiques relèvent de l’entrepreneuriat au sens où elles visent à assurer la viabilité économique des activités artistiques. Alacovska (2018) se penche quant à elle sur des sociétés postsocialistes, l’Albanie et la Macédoine. Elle s’intéresse à des travailleurs culturels qui, face à la précarité radicale qui caractérise leur travail dans ce contexte socioéconomique, mettent en oeuvre des pratiques animées de valeurs entrepreneuriales en vue d’obtenir reconnaissance et réussite. Cela les conduit à passer en toute fluidité de pratiques formelles à informelles, comme le troc, l’échange de bons services et l’entraide, et de pratiques marchandes à non marchandes, comme le travail au noir, ancrées dans des obligations de réciprocité et de mutualité. Dans ces études, les travailleurs ou entrepreneurs mettent en place des pratiques et modes d’organisation alternatifs en réponse à des facteurs politiques ou socioéconomiques afin de rendre leur art viable.
Ces études se révèlent éclairantes des liens que peut entretenir l’entrepreneuriat culturel avec le contexte social et d’une multitude de pratiques qui s’adaptent à chaque contexte. Cependant, aucune de ces études ne propose un modèle qui met au centre de son analyse la prise en compte des liens qu’entretiennent les pratiques d’entrepreneurs culturels avec le contexte social. Cela prive de la possibilité de comprendre l’émergence de ces pratiques dans leurs interactions avec le contexte. Jones, Svejenova, Strandgaard Pedersen et Townley (2016), qui s’intéressent aux agents qui mettent en oeuvre de nouvelles pratiques dans les industries créatives, invitent à davantage de travaux sur les interactions entre le contexte et les pratiques. C’est ce que je propose dans la suite de cet article, en vue d’offrir une conceptualisation alternative de l’entrepreneuriat culturel.
2. La perspective de la pratique de l’entrepreneuriat
En réponse au caractère généralement acontextuel de la littérature sur l’entrepreneuriat culturel, ainsi qu’en réponse à l’absence d’un modèle qui mettrait au centre de l’analyse les interactions avec le contexte social, tournons-nous vers la perspective de la pratique. Dans les sciences sociales, cette perspective s’intéresse à la relation mutuellement constitutive entre le contexte social et la pratique. Les théories qui en relèvent ont en commun de considérer que les pratiques produisent le contexte et que le contexte définit à son tour les pratiques (Reckwitz, 2002 ; Schatzki, Knorr-Cetina et von Savigny, 2001). Adopter une perspective de la pratique implique de prendre en considération le contexte particulier pour comprendre les pratiques.
Dans la perspective de la pratique, on conçoit la vie sociale comme une production continue qui émerge à travers les actions récurrentes des gens. On reconnaît l’importance des pratiques quotidiennes dans les opérations des organisations, par contraste avec d’autres approches qui mettent l’accent sur les structures tout en négligeant la capacité de l’action humaine. Les analyses menées dans cette perspective visent ainsi à expliquer comment les dynamiques des activités agissent dans différents contextes et à différents moments. Elles s’intéressent aux logiques qui sous-tendent la façon dont les pratiques sont produites, renforcées et modifiées, ainsi qu’à leurs conséquences intentionnelles ou non intentionnelles (Feldman et Orlikowski, 2011).
L’application de la perspective de la pratique en entrepreneuriat a donné lieu au champ d’étude de l’entrepreneuriat par la pratique. Son but consiste en l’avancement de l’entrepreneuriat par l’étude des pratiques comme unités de base de l’analyse (Champenois, Lefebvre et Ronteau, 2019). Les chercheurs de ce champ étudient la mise en place de pratiques entrepreneuriales variées dans leur contexte spécifique, partant de l’idée qu’on ne peut comprendre les pratiques que dans leur contexte social et culturel. Plusieurs se revendiquent de la théorie de la pratique de Bourdieu ainsi que de la théorie de la structuration de Giddens (1984). Cette dernière pose que les organisations et les institutions (le contexte) résultent des pratiques individuelles et que, réciproquement, celles-ci sont une expression des principes structurels qui animent celles-là. Ces chercheurs proposent une conception relationnelle de l’entrepreneuriat : l’entrepreneur et ses pratiques évoluent dans une relation de dépendance mutuelle avec le contexte.
Ils invitent de plus à s’intéresser aux pratiques de tous les jours des entrepreneurs (Steyaert, 2007). Ils recherchent la sagesse pratique (practical wisdom) (Flyvbjerg, 2001) de l’entrepreneuriat, soit les connaissances concernant la façon de se comporter dans chaque circonstance particulière, plutôt que des vérités générales (Johannisson, 2011). En outre, leur approche de l’entrepreneuriat s’avère fondamentalement processuelle (Champenois, Lefebvre et Ronteau, 2019).
2.1. Une approche processuelle de l’entrepreneuriat
Dans une posture processuelle, l’on conçoit l’entrepreneuriat comme l’organisation en train de se faire (Hjorth, Holt et Steyaert, 2015). Suivant cette posture, l’on ne place pas la focale sur l’individu entrepreneur, sur l’organisation qu’il a créée ou sur l’environnement et les opportunités qu’il présente, mais plutôt sur le processus de création d’une organisation. Gartner (1988) a d’abord proposé ce déplacement de focale en invitant à cesser de se demander qui est l’entrepreneur pour s’intéresser à ce qu’il fait. Il a mis l’accent sur la notion d’émergence organisationnelle (Gartner, 1993), qu’il définit comme le processus qui précède l’existence d’une nouvelle organisation. Cette notion s’avère cependant peu processuelle (Steyaert, 1997). Elle implique l’atteinte d’un résultat – une nouvelle organisation – au bout du processus, dans une tendance à réifier l’organisation en tant qu’entité (Steyaert, 2007). Une foule de chercheurs ont approfondi le changement de focale initié par Gartner en adoptant un spectre d’approches et de théories qui ont pour but d’appréhender le caractère processuel de l’entrepreneuriat (Steyaert, 2007). Chez ces auteurs, le processus de création de l’organisation va bien au-delà de ce qui précède le lancement de l’entreprise. Il désigne un processus perpétuel de création organisationnelle, partant de la prémisse que l’entrepreneur, dans ses interactions avec l’environnement, doit continuellement adapter son organisation à ce qui survient. L’entrepreneur suit une trajectoire ouverte et indéfinie marquée par le doute, l’hésitation et l’orientation (Nayak et Chia, 2011).
Ce processus de création organisationnelle doit être distingué du management. Ce qui relève de l’entrepreneurial se trouve aux limites du managérial : c’est ce qui ne se laisse pas complètement gérer (to become fully managed) parce que continuellement en cours (underway) (Hjorth, Endrissat et Noppeney, 2017). Steyaert (2007) suggère d’employer l’expression entrepreneuring (en entreprenant) plutôt que l’expression entrepreneurship (entrepreneuriat). Le gérondif invite à considérer l’entrepreneuriat dans une ontologie sociale du devenir, soit comme un mouvement qui se déploie et évolue en relation avec le contexte. Cette définition de l’entrepreneuriat en tant que processus perpétuel de création organisationnelle, que je retiens dans cet article, apparaît particulièrement adéquate pour construire de la théorie à partir d’entrepreneurs culturels de contextes marginaux, qu’un environnement précaire oblige à continuellement s’adapter en inventant de nouvelles pratiques.
Dans un recensement des écrits du champ d’étude de l’entrepreneuriat par la pratique, Champenois, Lefebvre et Ronteau (2019) soulignent que la perspective de la pratique ne s’est pas penchée sur l’entrepreneuriat dans les industries culturelles. Compte tenu de la nature des biens créés dans ces industries, liée à la culture et à la langue d’un contexte social, cette perspective semble toute désignée pour enrichir notre conceptualisation de l’entrepreneuriat culturel. Elle le semble d’autant plus considérant le caractère processuel des pratiques entrepreneuriales qui s’y déploient en raison du haut degré de précarité et d’incertitude que ces industries présentent (Bissonnette et Arcand, 2018). La perspective de la pratique et la posture processuelle de l’entrepreneuriat nous permettront donc de nous intéresser à la logique de l’émergence des pratiques d’entrepreneurs culturels de minorités linguistiques dans leur contexte spécifique afin qu’ils assurent la viabilité économique de leurs activités. Elles nous amèneront aussi à nous intéresser aux conséquences transformatrices de ces pratiques sur ce contexte.
3. Design de la recherche et méthodes retenues
L’industrie de la musique des minorités linguistiques s’avère particulièrement éclairante de la relation entre l’entrepreneuriat culturel et le contexte social. Dans les minorités linguistiques, l’entrepreneuriat est lié à l’autonomie culturelle (Landry, Forgues et Traisnel, 2010). La Catalogne, en Espagne, et les communautés francophones minoritaires du Canada constituent des sociétés reconnues en matière d’aspiration à l’autonomie culturelle (Boucher et Thériault, 2005). Ce sont néanmoins des types distincts de minorités linguistiques.
Les francophones du Canada en situation minoritaire parlent une langue internationale, mais la parlent dans des communautés qui représentent de 0,5 % à 31,8 % de la population de leur province. Ils ne représentent que 3,8 % de la population du Canada hors de la province du Québec, soit un peu plus d’un million de personnes (Corbeil, 2017). Ils font face à la menace d’assimilation de leur langue au profit de l’anglais. Cette menace prend notamment la forme de la baisse du poids démographique des francophones par rapport aux anglophones (Houle et Corbeil, 2017).
Moins de 10 millions de locuteurs à travers le monde connaissent le catalan. De 1939 à 1975, le dictateur Francisco Franco a banni son usage dans la vie publique en Espagne (Tresserras Gaju, 2013). Ce n’est que depuis 1975 que les Catalans peuvent à nouveau créer de la culture dans leur langue, bien que l’État espagnol ne reconnaisse toujours pas la diversité linguistique du pays (Zamorano et Rius-Ulldemolins, 2016). Malgré cela, les locuteurs catalans en Espagne sont principalement regroupés en Catalogne, communauté autonome qui représente 17 % de la population de l’Espagne et où le catalan correspond à la deuxième langue la plus parlée. Plus de deux millions de personnes, ou 37 % de la population de la Catalogne parle habituellement le catalan ou s’y identifie (Idescat, 2013).
Cette recherche se concentre sur les activités de création et de production de musique vocale dans la langue de ces minorités linguistiques. Par contraste avec la musique instrumentale, la musique vocale comporte des paroles susceptibles de lui conférer une connotation politique, historique et culturelle qui lie celui qui la crée à sa société, sa culture, sa langue, son passé et son devenir (Grenier, 1997). Dans l’industrie musicale de ces minorités linguistiques, le manque d’infrastructures pour soutenir la production et la diffusion de musique vocale dans la langue locale conduit des créateurs ou conduit leurs proches (amis ou membres de la famille) à devenir entrepreneurs. Ils créent une entreprise afin d’assurer la viabilité économique de leurs activités dans ces conditions. Devenir entrepreneur est ainsi synonyme de lancer une entreprise, mais aussi d’interagir continuellement avec le contexte social pour qu’elle puisse s’y déployer. Ce sont ces entrepreneurs qui font l’objet de cette étude. Nous verrons que de parler une langue internationale (le français) dans de très petites communautés ou de parler une langue rare (le catalan) dans une communauté plus dense entraîne des tensions communes pour les entrepreneurs musicaux, qui les conduisent à mettre en oeuvre les mêmes pratiques. Cela justifie d’analyser en commun des entrepreneurs musicaux de ces deux communautés.
3.1. Collecte de données par entretiens semi-dirigés
Cette recherche se compose de 50 entretiens individuels semi-dirigés menés dans les communautés francophones minoritaires de trois régions du Canada (Atlantique, Ontario et Ouest) et en Catalogne. Parmi les 50 répondants, 35 sont des entrepreneurs musicaux et 15 sont des experts de l’industrie musicale. Comme réparti dans le tableau 1, l’échantillon des 35 entrepreneurs rencontrés inclut 27 créateurs ayant lancé une entreprise pour encadrer les tâches liées à la production de la musique qu’ils créent. En plus de la création de leur musique, ils s’occupent de la production de son enregistrement, de son financement, de sa mise en marché et de sa promotion. Certains de ces entrepreneurs en viennent aussi à produire la musique d’autres créateurs. Les 8 autres répondants entrepreneurs sont des producteurs exécutifs ayant lancé leur entreprise pour produire la musique de plusieurs créateurs, souvent initialement des proches (amis ou membres de la famille). Ils ne sont pas eux-mêmes des créateurs, mais s’occupent des mêmes tâches susmentionnées liées à la production de la musique de 2 à 10 créateurs en moyenne.
Comme l’industrie de la musique de ces minorités linguistiques s’avère petite, créateurs et producteurs travaillent en étroite collaboration. En vertu de leurs tâches communes liées à la production, ils rencontrent des tensions similaires et mettent en oeuvre les mêmes pratiques au quotidien en réponse à ces tensions. La proximité qu’ils entretiennent dans un contexte où les ressources professionnelles manquent accentue ces similarités. Cela justifie d’analyser en commun ces créateurs et producteurs en tant qu’entrepreneurs.
J’ai conduit l’ensemble des entretiens entre l’automne 2015 et l’hiver 2017. Ils ont eu lieu en tête-à-tête, en français, en anglais ou en espagnol castillan et ont duré entre 45 minutes et 3 heures, pour un total de 60 heures. J’ai d’abord mené les entretiens avec les experts, soit des chercheurs ou des directeurs d’associations professionnelles de l’industrie de la musique de chaque minorité linguistique. Cela visait la compréhension du contexte dans lequel oeuvrent les entrepreneurs. Ces experts m’ont également menée vers de premiers créateurs et producteurs à rencontrer, suivant la méthode d’échantillonnage par effet boule de neige (Patton, 2002). Pour sélectionner ces répondants, la création ou la production de musique vocale en français au Canada ou en catalan en Espagne devait correspondre à leur principale activité professionnelle.
Les entretiens avec les entrepreneurs correspondent à des narratifs de pratiques (Rouleau et Balogun, 2011). Je les invitais à narrer leur parcours professionnel en faisant référence à ce qui, dans leur contexte linguistique minoritaire, favorise ou défavorise la création et la production de musique dans leur langue et la possibilité de vivre de ces activités. Adopter une telle approche narrative dans la conduite des entretiens met au jour l’entrepreneuriat dans une posture processuelle. En effet, cela revient à porter attention aux relations que les répondants établissent eux-mêmes entre les éléments sociaux et matériels de leur narratif, notamment entre le contexte et les actions qu’ils y entreprennent (Garud, Gehman et Giuliani, 2014). Cette interaction donne sa forme au processus de création organisationnelle. En effet, leur narration a révélé de quelle façon leur expérience de leur contexte linguistique minoritaire sous-tend l’émergence de leurs pratiques dans un processus perpétuel de création de l’organisation.
Cependant, chaque entretien capte à un moment donné seulement la narration qu’offrent les répondants de leur histoire et des pratiques qui la composent. Ainsi, cette méthode ne nous dit pas si les répondants évoquent l’ensemble de leurs pratiques. Ils s’engagent peut-être tous les jours dans des pratiques dont ils n’ont pas conscience ou que la conversation qui s’installe entre nous ne les amène pas à révéler. En cela, je suis Orlikowski (2002) qui, face à la même limite, affirme suivant Giddens que les répondants sont « knowledgeable and reflexive, and that they tend to know more about (and can give a reasonable account of) what they do than researchers give them credit for ».
3.2. L’analyse des données
3.2.1. Le codage thématique
Tous les entretiens ont été enregistrés et transcrits mot pour mot. Le codage thématique des données verbatims a respecté la stratégie de la théorisation enracinée, qui vise à amener les connaissances empiriques tirées du quotidien à un niveau conceptuel afin de générer de la théorie orientée sur la pratique (Corbin et Strauss, 2008). En matière de codage, cela consiste à comparer systématiquement des éléments de données verbales et à construire graduellement un système de catégories avec des dimensions et propriétés pertinentes (Langley, 1997). Ce travail représenté dans la figure 1 m’a amenée à identifier douze tensions initiales rencontrées par les entrepreneurs en lien avec leur contexte social, regroupées sous trois tensions transversales à toutes les histoires. Ces tensions sont relatives 1) aux ressources, 2) à la carrière et 3) à l’art.
Ce codage a aussi révélé des thèmes récurrents relatifs au rôle de pratiques mises en oeuvre en réponse à ces tensions. J’identifiais une pratique dans les entretiens lorsque le répondant parlait d’une activité qui répond à un problème ou à un désir dans son processus de création organisationnelle. Cette pratique exerce un effet sur ce processus, soit de faire cofonctionner les pôles d’une tension, par exemple la création musicale et la subsistance. Le répondant mène cette activité de façon répétée. De plus, l’activité sollicite des ressources du contexte social et exerce une influence sur celui-ci. Conformément à l’approche narrative adoptée dans les entretiens, ce sont les entrepreneurs qui interprétaient cette influence sur leur contexte. Cependant, ce que les experts avaient exprimé dans les premiers entretiens corroborait cette influence. De plus, plusieurs répondants d’un même contexte se connaissent et s’exprimaient sur l’influence qu’exercent les pratiques des autres répondants dans leur communauté, ajoutant ainsi un niveau de confirmation. Une attention particulière à la façon dont des ensembles de pratiques sont liés aux tensions préalablement identifiées a révélé des motifs d’interactions entre les tensions, les pratiques et leur influence sur le contexte qui se sont avérés communs à tous les contextes étudiés.
3.2.2. La méthode des histoires
Pour mieux saisir ces motifs, j’ai rédigé 35 histoires de 5 à 8 pages, qui rendent compte du parcours de chaque entrepreneur. Chaque histoire respecte la narration que l’entrepreneur a lui-même offerte de ses pratiques et qu’il présente comme répondant aux tensions qu’il rencontre. Les histoires laissent place aux extraits d’entretiens, ce qui donne à voir le caractère mouvant et indéterminé des frontières entre les motifs d’interactions rendus pourtant bien distincts pour fin de présentation des résultats (Langley, 1997). Malgré son unicité, chaque histoire suit la même structure. Elle décrit 1) la façon dont le contexte social de minorité linguistique motive ou contraint un créateur ou le proche d’un créateur à devenir entrepreneur culturel, 2) les tensions induites par le contexte social et les pratiques qui répondent à ces tensions ainsi que 3) l’influence de ces pratiques sur le contexte.
3.2.3. L’émergence de produits conceptuels
L’écriture d’histoires est reconnue comme une façon de construire des théories valides localement sur l’entrepreneuriat (Gartner, 2010 ; Hjorth, 2007 ; Hjorth, Holt et Steyaert, 2015 ; Steyaert, 1997). Au fil du codage des données et de l’écriture des histoires, un modèle représentant les interactions entre le contexte, les tensions et les pratiques, ainsi qu’un inventaire des tensions, pratiques et influences rapportées sur le contexte ont émergé. Ce modèle et cet inventaire correspondent à des produits conceptuels des études processuelles (Langley et Tsoukas, 2010).
Partant de ces produits, les résultats vous sont présentés en trois étapes. La première introduit le modèle qui représente les interactions entre le contexte linguistique minoritaire, les tensions et les pratiques. Des extraits des entretiens avec les entrepreneurs appuient cette introduction. La seconde présente les histoires de deux entrepreneurs à titre d’illustrations de l’articulation de ce modèle dans le processus de création organisationnelle. Cela conduit, dans une troisième étape, à exposer l’inventaire des tensions, pratiques et influences rapportées sur le contexte, ainsi qu’à articuler les termes de cet inventaire dans le modèle.
La présentation, préalablement à l’exposition de l’inventaire, de deux histoires d’entrepreneurs a pour but de remplacer une description de chacune des composantes de l’inventaire hors de leur contexte. Le fait de présenter ces composantes comme elles s’articulent dans la complexité et l’unicité de deux histoires se révèle cohérent avec la définition processuelle de l’entrepreneuriat adoptée dans cet article. Cette démarche permet d’apprécier en contexte la logique de l’émergence des pratiques, dans le mouvement sous-jacent à l’organisation en train de se faire. Nous voyons les pratiques émerger à travers les interactions de l’organisation avec le contexte, sur une trajectoire ouverte et indéfinie qui donne lieu à certains résultats non prémédités.
J’ai sélectionné les deux histoires présentées parmi les 35 histoires écrites pour leur représentativité des pratiques identifiées dans l’ensemble des entretiens. Autrement dit, ce sont les deux seules histoires qui, une fois combinées, couvrent l’éventail complet des composantes de l’inventaire. En choisissant d’autres histoires, en présenter plus de deux se serait avéré nécessaire pour couvrir toutes ces composantes. En annexe 1, des citations tirées de l’ensemble des entretiens avec les entrepreneurs offrent des illustrations supplémentaires de ces pratiques.
4. Résultats
4.1. Un modèle d’analyse émergent
Le modèle présenté dans la figure 2 explique la logique de l’émergence des pratiques des entrepreneurs rencontrés en relation avec leur contexte marginal. L’ellipse au centre de la figure représente le processus de création organisationnelle. Les flèches de gauche indiquent que le contexte marginal induit des tensions, représentées par les trois lignes verticales. Les tensions s’érigent en travers du processus de création organisationnelle et menacent de l’interrompre. Si les entrepreneurs réussissent à poursuivre ce processus, c’est parce qu’ils inventent continuellement des pratiques – les ovales entourant les lignes verticales – qui leur permettent de faire cofonctionner les pôles de ces tensions. Les flèches de droite indiquent que ces pratiques exercent à leur tour une influence sur le contexte : elles le transforment pour qu’il devienne plus propice à la continuation du processus de création organisationnelle. Les paragraphes qui suivent décrivent ce modèle de façon plus détaillée.
Ce modèle part de la prise en compte des caractéristiques des contextes sociaux marginaux et des défis qu’ils imposent aux entrepreneurs culturels. Les communautés francophones minoritaires du Canada et la Catalogne présentent plusieurs similarités en ce sens. Seule une petite population parle la langue minoritaire sur le territoire. Le potentiel de diffusion des productions culturelles dans la langue locale s’avère donc limité, tout comme le potentiel d’exportation. On note un manque de ressources et d’infrastructures pour la production culturelle, de même que des aides institutionnelles qui ne sont pas toujours adaptées aux besoins des entrepreneurs culturels de la minorité. Dans ce contexte, la viabilité des activités de création et de production de musique vocale dans la langue locale, de même que le succès à l’échelle nationale et internationale s’avèrent beaucoup plus difficiles à atteindre que pour un entrepreneur culturel en contexte majoritaire.
4.1.1. Devenir entrepreneur
L’ellipse au centre de la figure saisit d’abord la décision des 35 entrepreneurs rencontrés, en lien avec les caractéristiques du contexte, de devenir entrepreneurs afin de s’occuper des tâches liées à la production de leur musique ou de la musique d’autres créateurs. Leur processus de création organisationnelle prend la forme d’une ellipse plutôt que d’une trajectoire linéaire afin de mettre en valeur la nature mouvante de ce processus, marqué par le doute, l’hésitation, l’orientation. Une créatrice explique cette décision : « Je suis devenue entrepreneure par défaut, parce qu’il y a peu d’entrepreneurs intéressés à développer des carrières musicales en français dans la région, en Ontario. Personne n’a les fonds pour promouvoir les jeunes créateurs et leur donner l’encadrement nécessaire. » (Josée[3], créatrice, Canada, Ontario)
D’autres deviennent entrepreneurs parce qu’ils sont amis de créateurs qui ne trouvent, dans leur contexte, aucune infrastructure professionnelle pour encadrer la production de leur musique : « J’ai décidé de travailler avec ces artistes francophones parce qu’il y avait un potentiel, mais on sentait qu’ils n’étaient pas encadrés, qu’il manquait beaucoup de choses pour les aider à devenir professionnels. » (Claire, productrice, Canada, Atlantique) ; « Nous avons lancé cette entreprise tout simplement parce que nous avions des amis qui voulaient faire paraître un album, mais ne trouvaient pas de maison de disque. » (Mael, producteur, Catalogne)
Cette ellipse saisit surtout ce qui va au-delà de la décision de lancer une entreprise et qui conduit ces individus à se maintenir en mouvement pour répondre continuellement aux tensions induites par le contexte social. Les lignes verticales qui croisent l’ellipse au centre de la figure représentent ces tensions. Des entrepreneurs culturels de tous les contextes sociaux peuvent rencontrer de telles tensions, mais elles sont vécues plus intensément en contextes marginaux.
4.1.2. Des tensions et des pratiques pour faire cofonctionner leurs pôles
Des tensions au niveau des ressources placent les entrepreneurs rencontrés entre la possibilité de créer et produire de la musique dans leur langue et celle de subsister. Ainsi l’expriment deux entrepreneurs canadiens qui ont toujours persisté à créer et produire leur musique en français malgré les défis que cela comporte dans un contexte majoritaire anglophone : « Des fois, je me dis que j’aurais juste dû dès le début composer ma musique en anglais. Tu sais, la population francophone de l’Atlantique n’est pas énorme. On parle d’une population assez vieille aussi. Alors les jeunes, ils sont juste un petit pourcentage de la population et le pourcentage de cette population-là qui consomme en français est encore plus petit. » (Jacob, créateur, Canada, Atlantique) ; « Je peux facilement comprendre pourquoi il n’y a pas beaucoup d’entreprises comme la mienne, ici. C’est important pour notre culture, mais il n’y a pas d’argent à faire. » (Virginie, productrice, Canada, Atlantique)
Un créateur catalan va dans le même sens, en faisant particulièrement référence à l’attitude de la population catalane à l’égard de la musique : « Vivre de la musique, c’est très difficile, dans ce pays. Il y a une mentalité conservatrice et la musique n’est pas prise au sérieux, c’est plutôt vu comme un loisir. Quand tu es musicien en Catalogne, tu dois choisir entre la musique et le travail. Mais moi, quand je fais de la musique, je travaille ! Alors ici, c’est dur d’être reconnu comme musicien et de vivre de ses activités musicales. » (Vicenç, créateur, Catalogne)
Ce contexte induit aussi des tensions au niveau de la carrière, entre le désir de rester dans sa communauté et celui d’investir dans sa propre carrière et de connaître du succès, comme l’exprime ce créateur : « Comme bien d’autres Franco-Ontariens, je pourrais déménager au Québec ou en France, signer avec un labelet devenir juste artiste. Plein de gens me demandent pourquoi je ne déménage pas à Montréal ou à Paris. Parce que je suis Franco-Ontarien, je veux rester ici. J’essaie de construire en Ontario. » (Noah, créateur, Canada, Ontario)
Un producteur catalan parle des créateurs dont il produit la musique et qui, jusqu’à récemment, croyaient impossible de concilier la création en catalan et le succès : « C’était un effet de la minorisation. Être catalan, c’était être un déchet, alors pour la plupart des groupes, c’était mieux de chanter en anglais ou en espagnol, pour aller plus loin. » (Aleix, producteur, Catalogne)
Pour ce producteur, choisir de travailler avec ces créateurs limite la possibilité de rencontrer certaines formes de succès avec son entreprise : « Nous savons que nous n’allons jamais avoir de grosses cotes d’écoute, de gros chiffres de vente pour notre musique. Si personne ne cogne à la porte des stations de radio et ne va voir les programmateurs de festivals ou les directeurs de magasin avec ces albums, ils ne joueront jamais nulle part. » (Aleix, producteur, Catalogne)
Les entrepreneurs rencontrés expriment de plus des tensions artistiques, entre leur désir de préserver leur langue minoritaire et leur culture, d’une part, et leur désir d’embrasser les codes des genres musicaux modernes, d’autre part. La préservation de leur langue et de leur culture passe habituellement par des genres musicaux précis, le folklore traditionnel au Canada et la chanson de contestation en Catalogne, mais les genres musicaux modernes interpellent ces créateurs. Ils leur donnent la possibilité d’accroître la portée de leur musique hors de la communauté. Un créateur de l’Atlantique parle de cette tension en lien avec la musique rock indépendante qu’il crée en français : « Les gens ici sont encore très attachés à la musique traditionnelle, le folklore, le rigodon. Quand on arrive avec quelque chose d’un peu plus indépendant, du rock, de la pop, c’est plus difficile à présenter au public, ils se demandent d’où ça vient. » (Jessie, créateur, Canada, Atlantique)
Un créateur de musique punk rock en catalan exprime une tension semblable : « Il y a six ans, personne ne chantait ce genre musical en catalan. Parce que le catalan, pour les gens, ça ne sonne pas agressif. Ça sonne doux, gentil. Et parce que les gens sont habitués à ce que l’espagnol soit la langue principale […]. Personne ne demandait de cette musique en catalan. » (Vicenç, créateur, Catalogne)
Ces tensions mettent en péril le processus de création organisationnelle. Pourtant, les entrepreneurs rencontrés demeurent dans ce processus et persistent à créer et produire de la musique vocale dans leur langue et dans leur communauté depuis cinq, dix, voire quinze ans. C’est que ces entrepreneurs mettent en oeuvre des pratiques qui font cofonctionner les pôles des tensions induites par le contexte social afin de continuer à avancer dans ce processus. Ces pratiques n’agissent pas seulement sur les tensions, dont elles font cofonctionner les pôles. Elles exercent aussi une influence sur le contexte ; elles le transforment pour le rendre plus propice à la viabilité des activités de création et de production de musique vocale dans la langue minoritaire et, ce faisant, à la continuation du processus de création organisationnelle.
Dans ce qui suit, les histoires de deux entrepreneurs sont présentées à titre d’exemples de la façon dont les pratiques répondent aux tensions et dont elles influencent le contexte. Ces pratiques apparaissent en gras afin de faciliter leur repérage. Leur présentation ne correspond pas à un ordre donné sur une ligne du temps. Le travail d’analyse a plutôt consisté à les ordonner en fonction des tensions dont elles participent à faire cofonctionner les pôles.
4.2. Histoires d’entrepreneurs culturels
4.2.1. Iris, Vancouver, Canada (Ouest)
Devenir entrepreneur culturel : au début de sa carrière de créatrice musicale, Iris se sent seule en Colombie-Britannique, où elle ne trouve aucune infrastructure professionnelle pour encadrer ses activités. Dans cette province de l’Ouest où les francophones représentent 1,4 % de la population, elle décide de créer de la musique en français, envers et contre tous. Elle dispose des compétences pour créer en anglais, mais affirme : « Je suis idéaliste, je suis passionnée par le français et je crois que c’est possible de vivre en français. » Elle se demande si elle pourra bâtir sa carrière musicale dans sa communauté ou si elle devra déménager dans un contexte francophone majoritaire pour y arriver, comme tant d’autres artistes francophones. Elle raconte : « C’est le plus gros défi, c’est très difficile de rester, mais j’avais décidé de rester et de travailler avec ma communauté. » Par conséquent, elle relève ses manches et lance sa propre entreprise pour encadrer la production de sa musique.
Tensions au niveau des ressources – pratiques d’adaptation : dès les débuts de son entreprise, Iris rencontre une tension sur le plan des ressources, entre créer et produire de la musique en français depuis sa communauté et en tirer des revenus suffisants pour subsister. Puisque personne ne peut l’aider à organiser ses tournées et à produire ses albums, elle décide de s’occuper de ses affaires. Elle raconte : « Moi, j’adore organiser, alors on s’est retrouvées trois chanteuses, on a vendunos spectacles, on a fait des affiches, de la promotion, on est rentrées dans une van et on y est allées. On a tout fait toutes seules et ça a bien fonctionné. » Cela lui permet également de garder un maximum des revenus générés plutôt que de les partager avec un gérant ou une maison de disque. Durant quelques années, elle produit ses propres albums et concerts, mais les revenus demeurent faibles. Cependant, elle comprend que l’expertise qu’elle acquiert, par apprentissage dans l’action, peut bénéficier à sa communauté. Elle choisit donc de faire une pierre deux coups, soit de diversifier ses activités au sein de son entreprise afin de partager ses connaissances tout en diversifiant ses sources de revenus. Elle en vient ainsi à produire les albums et concerts d’autres créateurs francophones de sa communauté, ainsi qu’à donner des ateliers d’écriture de chansons. Peu à peu, un modèle d’affaires propice à sa subsistance se dessine, mais par tâtonnement, c’est-à-dire sans jamais pouvoir prévoir les entrées d’argent, en s’adaptant aux opportunités et aux défis qui se présentent dans l’atteinte de cet objectif.
Iris n’a jamais appris à occuper toutes les activités qu’implique le développement d’une entreprise musicale. Sans formation offerte à proximité, elle doit tout apprendre par elle-même. Comme elle ne trouve aucune autre entreprise musicale francophone dans sa communauté, elle apprend des modes d’organisation des entreprises musicales anglophones, par analogie. Elle s’approprie ainsi des connaissances d’un contexte pour les transférer à un autre contexte, par un processus d’imitation créative : « Comment elles font pour ne pas faire faillite quand elles n’ont plus de cashflow ? Quels sont les domaines d’activités qu’elles couvrent ? Du disque, de la réalisation, de la production de spectacles aussi. Ah bon ! Alors j’ai calqué ce qui se faisait du côté anglophone tout en essayant de garder cela francophone. » Elle s’aperçoit que la production musicale francophone en situation minoritaire présente ses particularités – différents réseaux, possibilités, comportements, habitudes et sensibilités du public –, dont elle doit tenir compte. Elle se penche aussi sur des entreprises francophones des milieux du théâtre et du cinéma de sa province et tire de leurs modèles d’autres apprentissages.
Ces pratiques d’adaptation l’aident à répondre à la tension entre créer de la musique en français dans sa communauté et subsister. De plus, cela crée dans son contexte social une entreprise musicale adaptée aux ressources disponibles localement, capable de soutenir la carrière d’autres créateurs francophones.
Tensions au niveau de la carrière – pratiques de développement : à mesure que se développe son entreprise, Iris fait face à une tension à l’égard de sa carrière, entre rester et investir dans sa communauté, d’une part, et connaître du succès, d’autre part. Elle comprend que beaucoup de travail doit encore être accompli dans sa communauté afin de bâtir une industrie de la musique assez solide pour que ses créateurs y obtiennent du succès, mais elle comprend aussi qu’avec son expérience, elle se trouve en bonne posture pour donner à sa communauté ce dont elle a besoin pour y arriver. Lorsqu’elle rencontre certains succès, plutôt que de quitter sa communauté pour aller se déployer ailleurs, elle se met à offrir du mentorat gratuitement à des créateurs plus jeunes de sa communauté. Elle leur donne des conseils sur leurs chansons, de l’aide avec leurs demandes de subvention. Elle devient même, pour son ami Jean, « comme sa gérante », sans rémunération : « J’ai fait ça pour essayer de l’aider, bien sûr, mais c’était aussi égoïste, pour ne plus être toute seule, dans le sens que l’union fait la force. Si on était capables de dire qu’on a déjà deux ou trois artistes francophones qui roulent à Vancouver, peut-être qu’on allait pouvoir accéder à des subventions. »
En offrant ce mentorat, elle donne à sa communauté, ce qui ralentit sa carrière individuelle. Cependant, elle consolide son industrie de la musique, ce qui y facilite sa propre carrière. De plus, aider d’autres créateurs francophones fait connaître ses habiletés artistiques, ce qui l’aide à devenir une créatrice musicale respectée et sollicitée. En ce sens, Iris répond alors à la tension entre investir dans sa carrière et investir dans sa communauté.
Tensions artistiques – pratiques d’affirmation : du point de vue artistique, Iris exprime une tension entre la musique créée dans sa communauté, principalement de la musique traditionnelle, et la scène musicale moderne et en français qu’elle souhaite construire. Iris se dit fière de créer moderne et local. Elle crée une musique qui reflète la réalité de sa communauté, en parlant de son territoire, de ses difficultés et de ses espoirs, mais elle le fait dans un genre musical, le pop rock alternatif, qui embrasse les codes des genres musicaux modernes et de leur diffusion et qui présente un potentiel commercial.
Comme beaucoup d’entrepreneurs musicaux francophones du Canada, elle déplore le faible appui des médias locaux pour cette musique et joue avec les médias. Elle mène des campagnes de promotion auprès des radios locales afin de les inciter à découvrir et jouer la musique moderne en français qui se crée dans sa communauté. De plus, pour attirer et développer la prochaine génération de créateurs et d’auditeurs musicaux francophones, elle enrôle la jeunesse en donnant aux enfants de sa communauté des ateliers d’écriture de chansons de tous genres musicaux en français. Elle en donne même lorsque cela l’oblige à refuser des opportunités de se donner en spectacle : « Écoute, la joie et la satisfaction que ça me donne de voir les enfants en train d’écrire des chansons en français, tu te dis que tu ne fais pas ça pour rien. » Elle retourne donc donner ces ateliers chaque année, même si cela ne la rémunère pas, parce que : « Il faut perpétuer, il faut ancrer quelque chose pour que ça devienne une habitude, que ça devienne normal de créer de la musique en français et qu’on puisse progresser. »
Dans son contexte, cela contribue à l’émergence d’une nouvelle génération de créateurs et d’auditeurs pour lesquels créer et écouter de tous les genres musicaux en français devient normal, ce qui ouvre des possibilités commerciales pour tous les créateurs musicaux francophones de la communauté.
4.2.2. Marti, Barcelone, Catalogne
Devenir entrepreneur musical : Marti est membre d’un groupe musical marquant de l’histoire récente de la musique catalane. Pourtant, la décision de se dévouer professionnellement à la musique et de devenir entrepreneur dans cette industrie « est une décision qui est survenue, que je n’ai pas cherchée, pour laquelle je ne me suis pas formé. Ce sont plutôt les circonstances qui ont concouru pour que ça se passe. » Alors qu’il poursuit une carrière en journalisme et que la musique correspond à une passion qu’il entretient en parallèle, Marti se rend compte qu’il peut aspirer à plus avec sa musique. Cependant, à la fin des années quatre-vingt-dix, aucune des quelques maisons de disque qui se consacrent alors à la musique vocale en catalan ne souhaite mettre en marché la musique que propose son groupe. La musique en catalan est alors associée à un acte de contestation, promu au travers de la chanson (nova cançó) depuis les années soixante-dix et du rock (rock català) depuis les années quatre-vingt-dix, alors que Marti et son groupe expérimentent de la pop indépendante en catalan. Ils lancent ainsi une entreprise pour encadrer la production de leur musique.
Tensions au niveau des ressources – pratiques d’adaptation : au début, les activités de son entreprise ne permettent pas à Marti de subsister tout en se consacrant à la création et à la production musicales. Il choisit alors d’occuper en parallèle des emplois administratifs dans différentes entreprises de l’industrie musicale, ce qui lui donne l’occasion d’apprendre dans l’action les rudiments de la gestion musicale. Surtout, le fait de diversifier ses activités professionnelles dans le secteur de la musique facilite la combinaison de ses deux carrières. En effet, son employeur comprend qu’il s’absente du travail pour aller en studio ou qu’il rentre tard le lendemain d’un concert, car « les entreprises dédiées à la musique sont plus sensibles à la réalité des musiciens, au fait qu’ils doivent concilier plus d’un travail ».
Après avoir produit deux albums de cette façon, Marti parvient à confier la production de son troisième album à l’une des rares maisons de disque catalanes de l’époque dans l’espoir de se délester des tâches administratives pour mieux se consacrer à la création. L’expérience se solde par une mésentente qui se révèle coûteuse, si bien que Marti se promet désormais de toujours s’occuper de ses affaires : « À ce moment-là, nous nous étions fait un nom, alors nous sommes vraiment devenus notre propre maison de disque. Je jouais parfois le rôle d’agent ou de vendeur de spectacles, j’appelais des gens, j’établissais des relations avec la presse. Tout cela était très amateur. » Marti utilise ce qu’il a appris à travers ses emplois dans l’industrie musicale et son expérience de journaliste pour faire avancer son entreprise par bricolage, soit en combinant les moyens existants qu’il a à portée de la main vers de nouveaux usages.
Il admet cependant qu’il avance « en faisant beaucoup d’erreurs ». Il reconnaît qu’une expertise extérieure à son entreprise lui permettrait d’avancer de façon plus réfléchie et, avant de lancer son cinquième album, demande de l’aide à un ami devenu gérant en Espagne. Ce dernier partage avec Marti ses connaissances et son expérience en marketing, en presse et en organisation de spectacles. Le groupe devient alors plus stratégique dans ses initiatives de production et de promotion de ses albums.
Grâce aux pratiques d’adaptation mises en oeuvre jusque-là, Marti se trouve fort d’une entreprise musicale adaptée aux ressources disponibles dans sa communauté, dont les revenus deviennent une part intégrante de ses revenus de subsistance.
Tensions au niveau de la carrière – pratiques de développement : Marti déplore cependant le peu d’infrastructures (maisons de disque, festivals, etc.) pour produire et diffuser la musique vocale en catalan. Cela place les créateurs face à la tension qu’il a lui aussi connue au début de sa carrière entre rester et investir dans leur communauté, d’une part, et connaître du succès, d’autre part. En réponse à cette tension, il choisit de participer à construire cette industrie de façon à ce qu’elle favorise le succès.
À l’époque où il lance son entreprise, aucun festival ne consacre sa programmation à la musique en catalan. Les festivals de musique en Catalogne mettent en avant de la musique en espagnol castillan avec parfois, en première partie, des artistes catalans qui jouent « dans des conditions misérables ». Marti met alors sur pied un festival qui donne la priorité à ces artistes, créant ainsi un service local de diffusion de la musique vocale en catalan. Lorsque le festival cesse ses activités en raison d’une diminution des aides publiques et des ventes, Marti note que plusieurs autres festivals ont pris exemple sur le sien. Ils mettent désormais en vedette des artistes catalans : « Notre festival a certainement aidé à ce que ça se passe […] à ce que le public voit les artistes catalans comme des artistes et non plus comme de petits groupes qui jouent avant les vrais artistes. C’est une des choses les plus importantes que nous avons accomplie et qui n’était pas préméditée. »
Son festival favorisait les collaborations entre créateurs, producteurs, gérants et diffuseurs en donnant lieu à des rencontres informelles entre ceux-ci. Il correspondait donc également à une initiative communautaire structurante en vue de consolider et dynamiser une industrie pour la musique vocale en catalan. Désireux de poursuivre cette initiative, Marti s’engage dans le développement d’un marché de la musique. Cet événement professionnel a pour but de susciter ces rencontres de façon plus formelle : « L’un de nos objectifs est d’arriver à ce que les gens se réunissent, échangent des connaissances, des opportunités ; qu’ils s’aident à monter une entreprise, qu’ils se fassent connaître des circuits […]. C’est notre grand défi : en faire une plateforme de cohésion, de dynamisation et de relations dans un secteur très petit et très touché par la crise, mais avec une grande volonté de s’épanouir et de s’internationaliser. » Il se sert en effet aussi de cette plateforme pour favoriser l’exportation de la musique catalane. Il se bute cependant aux défis qui se présentent à toutes les minorités linguistiques dans l’internationalisation de leur musique vocale en langue locale, faute des ressources financières disponibles compte tenu des coûts qui y sont rattachés. Il explique : « Nous invitons des programmateurs internationaux pour qu’ils voient la musique qui se fait ici […]. Ça a donné lieu à quelques groupes qui sont allés faire des tournées à l’extérieur de la Catalogne et qui ont commencé à travailler avec des agents dans d’autres pays, mais c’est très lent et très difficile. Et entre les vols et les autres frais, il reste peu d’argent. »
Marti se rappelle n’avoir pas trouvé en Catalogne de formation en matière de développement de projets et d’entreprises en musique alors qu’il construisait sa maison de disque. Pour participer à combler ce manque, il offre du mentorat gratuitement aux plus jeunes créateurs et producteurs catalans. Il raconte : « Je reçois constamment des courriels de gens qui me demandent de l’aide, qui me demandent ce qu’ils devraient faire avec leur carrière. Avec mon expérience, je peux les aider à s’orienter. Et je le fais toujours. Ce n’est rien de professionnel, je le fais par militantisme parce que je crois que c’est bien, parce que s’ils ont besoin d’aide et que je peux les aider, je dois les aider. »
Marti saisit donc toutes les occasions de consolider l’industrie de la musique catalane de façon à ce qu’elle lui permette, ainsi qu’à tous les entrepreneurs musicaux catalans, de rencontrer du succès plus facilement.
Tensions artistiques – pratiques d’affirmation : au début de sa carrière, la norme dans le milieu catalan de la musique pop indépendante consiste à chanter en anglais. De plus, la musique vocale en catalan correspond essentiellement à de la chanson de contestation : « Nous venions de passer toute notre vie à écouter de la musique en anglais, d’Angleterre, des États-Unis et les références que nous avions en catalan ne nous plaisaient pas. » Marti et son groupe ressentent une tension entre leur appel pour ces genres modernes et leur souci de préserver leur langue et leur culture minoritaires à travers leur musique. Ils souhaitent que créer et écouter de tous les genres musicaux en catalan devienne normal.
Ils incluent ainsi dès leurs premières expérimentations musicales des chansons pop indépendantes en catalan, qu’ils dissimulent à travers d’autres chansons en anglais. Ils se rendent compte que leur public apprécie les premières, auxquelles il répond avec plus d’enthousiasme. Marti et son groupe en viennent ainsi à ne créer qu’en catalan, en affirmant un style de musique singulier, à la fois moderne et local. Ils abordent en catalan des thèmes chers à leur culture, qui leur permettent de communiquer qui ils sont et de mieux entrer en relation avec leur public, mais dans une musique qui embrasse les codes de la pop indépendante.
Leur musique connaît du succès à la radio, mais elle fait figure d’exception, car les médias catalans diffusent très peu de musique vocale en catalan. Ainsi, Marti et son groupe jouent avec les médias afin d’utiliser l’attention dont ils jouissent pour frayer un chemin à d’autres créateurs de musique vocale en catalan. Par exemple, lorsqu’ils jouent dans des salles ou qu’ils donnent des prestations à la radio, ils invitent des groupes de musique peu connus à jouer avant eux afin de leur donner la possibilité d’atteindre le public. Ils aident ce faisant ces créateurs tout en valorisant la diversité de la musique vocale en catalan auprès des médias et du public.
Par ces pratiques d’affirmation, Marti reconnaît qu’il contribue à « la normalisation de la musique en catalan, à rejoindre de nouveaux publics avec cette musique ». Cela diversifie les genres musicaux que l’on entend normalement en catalan et ouvre des possibilités commerciales pour tous les créateurs musicaux de la communauté.
4.3. Inventaire des tensions, pratiques et influences rapportées sur le contexte
Ces deux illustrations de la logique de l’émergence des pratiques entrepreneuriales en relation avec le contexte ont donné lieu à l’identification de quatorze pratiques. Le tableau 2 inventorie les trois tensions ressenties de façon transversale par tous les entrepreneurs culturels rencontrés ; les pratiques qu’ils produisent en vue de faire cofonctionner les pôles de ces tensions ; ainsi que l’influence de ces pratiques sur l’industrie de la musique de leur contexte telle que les entrepreneurs la rapportent, souvent corroborée par les experts. Les pratiques sont regroupées selon les tensions auxquelles elles répondent et catégorisées selon ce qu’elles accomplissent pour en faire cofonctionner les pôles : adapter, développer, affirmer.
Ces pratiques se retrouvent en différentes combinaisons dans les 35 histoires. L’annexe 2 fait état de la présence en pourcentage de chaque pratique selon le type d’entrepreneur rencontré (créateur ou producteur) et selon le contexte (canadien ou catalan). On y voit que quelques pratiques sont présentes chez la majorité des entrepreneurs (80 % et plus), soit diversifier ses activités professionnelles et créer ou produire moderne et local. De plus, la plupart des pratiques sont réparties assez également entre les types et les contextes. Néanmoins, l’analogie se révèle significativement plus présente chez les producteurs, en raison de la nature plus organisationnelle de leurs activités qui les dispose à s’intéresser aux modes d’organisation mis en oeuvre dans d’autres contextes. Les pratiques qui consistent à construire des initiatives communautaires structurantes, à créer des services locaux de diffusion et à favoriser l’exportation s’avèrent également plus présentes chez les producteurs en raison de la nature collective de leurs activités (ils produisent toujours la musique de plusieurs créateurs). Cette nature les conduit plus facilement à initier des projets au service de l’industrie musicale tout entière.
À l’inverse, certaines pratiques s’avèrent exclusives aux créateurs, en raison de la nature plus créative de leurs activités. La pratique d’enrôler la jeunesse en est un exemple. Elle passe par des ateliers de création musicale comme en donne Iris ou par l’influence qu’exerce auprès des jeunes la musique que proposent ces créateurs. S’occuper de ses affaires correspond aussi à une pratique exclusive aux créateurs lorsqu’ils décident, par choix ou par nécessité, de gérer seuls leur carrière. Demander de l’aide est d’ailleurs plus répandu chez les créateurs, qui apprennent à s’occuper de leurs affaires. Enfin, enrôler la jeunesse et offrir du mentorat gratuitement sont des pratiques plus courantes au Canada qu’en Catalogne, possiblement en lien avec une tradition plus affirmée d’entraide et de coopération. À l’inverse, jouer avec les médias et favoriser l’exportation sont plus communs en Catalogne qu’au Canada, potentiellement en raison du caractère plus problématique de la diffusion de la culture catalane, peu soutenue par les médias de masse et les diffuseurs de spectacles.
Malgré ces nuances, ces pratiques relèvent dans toutes ces histoires de la même logique : faire cofonctionner les pôles de chaque tension afin que l’entrepreneur puisse continuer à se mouvoir dans son processus de création organisationnelle. La figure 3 montre de quelle façon ces tensions, ces pratiques et leur influence rapportée sur le contexte s’articulent dans le modèle présenté initialement (Figure 2). L’on y voit des exemples de facteurs du contexte qui se traduisent en tensions dans le processus de création organisationnelle. Les pôles des tensions sont exprimés aux deux bouts des lignes verticales qui s’érigent en travers du processus de création organisationnelle. Ces tensions donnent lieu à des pratiques qui visent à en faire cofonctionner les pôles. Ces pratiques exercent ensuite une influence sur le contexte.
5. Discussion et conclusion : la perspective de la pratique pour conceptualiser l’entrepreneuriat culturel
Je posais dans cet article la question suivante : comment les pratiques mises en oeuvre par les entrepreneurs culturels de contextes sociaux marginaux interagissent-elles avec leur contexte ? Pour y répondre, je propose un modèle inscrit dans la perspective de la pratique, qui place les interactions entre les pratiques et le contexte au centre de l’analyse de l’entrepreneuriat culturel défini comme un processus de création organisationnelle. Ce modèle émergeant d’une étude menée dans l’industrie musicale de minorités linguistiques révèle que les pratiques produites dans ce processus répondent aux tensions induites par le contexte et influencent à leur tour ce contexte. Les histoires rapportées permettent d’apprécier à l’intérieur de deux processus de création organisationnelle l’articulation de cette logique. La principale contribution de cet article, en adoptant la perspective de la pratique, consiste à approfondir notre compréhension des pratiques singulières dans lesquelles s’engagent les entrepreneurs culturels en lien avec leur contexte social.
5.1. D’un contexte qui contraint à un contexte que l’on transforme par la pratique
Dans la perspective de la pratique, Johannisson (2011) parle du contexte comme d’un « contexte organisant » qui présente des ressources et opportunités, mais également des contraintes. Cependant, ses frontières sont poreuses et des pratiques entrepreneuriales peuvent les transformer. Le modèle proposé dans cet article met en évidence la façon dont les entrepreneurs rencontrés dépassent la contrainte exercée par le contexte en le transformant.
Ces entrepreneurs ont conscience de s’inscrire dans un contexte social qui les contraint en raison du manque d’infrastructures professionnelles qui caractérise son industrie musicale et du peu d’opportunités d’y rencontrer du succès. Plutôt que de l’abandonner pour développer leur carrière ailleurs ou de la développer dans la langue de la majorité, ils choisissent de participer à transformer leur contexte. Cette transformation passe d’abord par le lancement d’une entreprise afin d’encadrer leurs activités de création et de production musicales. Ils correspondent en cela à certains des entrepreneurs culturels dépeints dans la littérature, forcés d’agir en tant qu’entrepreneurs en raison des conditions de travail dans les secteurs culturels (Ellmeier, 2003). Leur processus de création organisationnelle ne s’arrête cependant pas au lancement de leur entreprise : pour faire cofonctionner les pôles des tensions qu’ils rencontrent, ils inventent en continu des pratiques qui, à leur tour, exercent une influence sur le contexte.
Face à la tension entre créer et produire de la musique vocale dans la langue locale et subsister, les entrepreneurs inventent des pratiques qui adaptent leur processus de création organisationnelle aux ressources disponibles dans la communauté. Cela donne lieu à la création d’infrastructures professionnelles qui participent à combler ce manque dans l’industrie musicale. Ces infrastructures rendent possible la subsistance à partir de la musique vocale en langue locale non seulement pour celui qui les met en oeuvre, mais éventuellement pour d’autres créateurs et producteurs de cette musique. Comme ces pratiques s’accommodent aux ressources disponibles dans le contexte, elles se trouvent souvent en marge de pratiques formelles et économiques. Ces entrepreneurs apprennent dans l’action lorsque la formation formelle n’est pas offerte. Ils usent de tâtonnement pour s’orienter lorsque la prévision s’avère impossible. Ils font usage du bricolage, qui désigne l’utilisation de ressources écartées ou inutilisées pour de nouveaux usages (Baker et Nelson, 2005). Certains demandent de l’aide ou sollicitent des relations informelles pour combler des besoins en ressources.
Les pratiques de développement consolident l’industrie de la musique dans son ensemble. Elles répondent à des manques identifiés par l’entrepreneur dans son contexte afin d’y connaître du succès, mais facilitent ce faisant la carrière et le succès de chaque entrepreneur dans cette industrie. C’est le cas du mentorat offert gratuitement par Iris et par Marti, ainsi que du festival mis en place par ce dernier. Son festival donne aux créateurs de musique vocale en catalan la possibilité de se donner en spectacle dans de bonnes conditions et, surtout, incite d’autres festivals à mettre ces créateurs en vedette. Les pratiques d’affirmation visent, par l’affirmation plutôt que par l’imposition, à influencer positivement les perceptions des gens à l’égard de la langue et de la culture minoritaires. Elles normalisent une diversité de genres musicaux dans cette langue, ce qui ouvre des possibilités commerciales pour tous les créateurs musicaux de la communauté. En popularisant auprès des jeunes Canadiens le fait de créer de tous les genres musicaux en français lors de ses ateliers d’écriture, Iris éveille une génération de créateurs et de consommateurs potentiels de divers genres musicaux modernes dans cette langue.
L’inventaire de ces pratiques participe à la diversification de nos connaissances des pratiques associées à l’entrepreneuriat culturel. Il se joint aux efforts de chercheurs qui ont dévoilé de telles pratiques non économiques et informelles d’entrepreneurs ou de travailleurs culturels, comme le bricolage et l’entraide (Alacovska, 2018 ; Eikhof et Haunschild, 2006 ; Preece, 2014). Il contribue à cette conversation en approfondissant l’étude de ces pratiques en relation avec leurs sources dans le contexte social et avec leur influence sur ce dernier. Cet article montre ce faisant comment chaque pratique, en servant l’individu, sert également le collectif, car chaque individu comprend que son épanouissement individuel en tant qu’entrepreneur repose sur l’épanouissement de sa communauté. Dans une industrie de petite taille où les ressources manquent, « l’union fait la force », comme l’exprime Iris. Cette analyse remet en question le portrait individualiste souvent dépeint de l’entrepreneur culturel (Coulson, 2012 ; McRobbie, 2002). Elle va ainsi dans le sens des avancées d’auteurs comme Banks (2006), Alacovska et Bissonnette (2019). Ils mettent en évidence les valeurs morales, comme la compassion et la sollicitude, ainsi que les motivations collectives qui animent des travailleurs et entrepreneurs culturels telles que ces valeurs et motivations sont réconciliées avec des valeurs instrumentales et des motivations individuelles. La présente analyse approfondit ces avancées en montrant comment cette réconciliation d’intérêts individuels et collectifs se déploie tout au long d’un processus de création organisationnelle, comment elle agit sur le contexte et comment elle permet de continuer à se mouvoir dans ce processus.
5.2. Une conceptualisation alternative de l’entrepreneuriat culturel : comprendre pour agir
Sur le plan théorique, les pratiques identifiées et le modèle dégagé contribuent à une conceptualisation alternative de l’entrepreneuriat culturel, qui s’inscrit dans les efforts de le théoriser (Patten, 2016). Ce modèle invite à approfondir l’analyse des pratiques d’entrepreneurs culturels en tenant compte de la relation qu’elles entretiennent avec le contexte, ainsi que de la relation qu’elles créent entre l’individu entrepreneur et le collectif.
Dans de futures recherches, ce modèle pourrait s’appliquer à d’autres contextes. Cela apparaît particulièrement porteur pour l’entrepreneuriat culturel dans d’autres contextes marginaux comme les petites sociétés, les minorités nationales (Boucher et Thériault, 2005) et les contextes artistiques de la contre-culture. Des études ont révélé que ces derniers génèrent des tensions similaires à celles relevées dans cette recherche (Hook, 2012 ; Seca, 2001). La représentation graphique de ce modèle (Figures 2 et 3) ouvre la possibilité d’y introduire d’autres tensions et d’autres pratiques que celles inventoriées dans cette recherche. Les histoires offrent une contextualisation qui permet de s’imaginer de quelle façon cette logique d’émergence des pratiques pourrait s’articuler dans d’autres contextes. Elles montrent au lecteur, « par l’impression de déjà-vu qui l’habitera lorsqu’il lira le récit, la pertinence de ce qui est décrit pour d’autres situations qui lui sont plus familières » (Langley, 1997, p. 41). Elles participent à la contribution théorique de cet article en favorisant la transférabilité des résultats à des contextes susceptibles de révéler d’autres pratiques qui relèvent de la même logique.
Sur le plan de la pratique, cet article donne un aperçu de la façon dont les entrepreneurs culturels de contextes linguistiques minoritaires s’organisent pour rendre viables la création et la production culturelles dans leur langue. Cela semble pertinent pour les organismes de soutien à ces entrepreneurs. Les pratiques que ce modèle révèle, pour la plupart informelles et donc peu visibles, correspondent à ce qui permet à ces entrepreneurs d’avancer. En se dotant des moyens de les appréhender, les organismes de soutien pourront les soutenir pour ce qu’elles sont, en comprenant que les résultats auxquels elles donnent lieu peuvent difficilement être prémédités. Les retombées managériales de cet article ne devraient cependant pas consister à promouvoir ces pratiques et leur influence afin de les présenter comme solution au manque de ressources qui affecte les entrepreneurs culturels de contextes marginaux. Cette approche est d’ailleurs critiquée en ce qu’elle accroîtrait la précarité et les inégalités (Samdanis et Lee, 2019). Elles devraient plutôt consister à démystifier les moyens que ces entrepreneurs prennent pour avancer dans la précarité afin de mieux les soutenir. Surtout, comprendre les interactions de ces pratiques avec le contexte peut conduire à des actions éclairées sur ce dernier afin d’atténuer les tensions qu’il génère.
Enfin, dans le modèle proposé, c’est à travers les tensions que ce contexte induit que s’appréhende la relation entre pratiques et contexte. Tout contexte induit des tensions, mais tout contexte présente également des ressources et opportunités. Si les tensions apparaissent productrices de pratiques que ce modèle révèle, les ressources et opportunités qu’offrent les contextes marginaux s’avèrent potentiellement aussi productives. Par exemple, la créativité et la solidarité induites par la marginalité modèlent les pratiques d’une façon que l’on gagnerait à analyser.
Parties annexes
Annexes
Annexe 1. Extraits d’entretiens pour illustrer les quatorze pratiques inventoriées
Annexe 2. Présence de chaque pratique en % selon le type d’entrepreneur et le contexte
Note biographique
Joëlle Bissonnette est professeure en entrepreneuriat. Elle a étudié en littérature, communication et management. Ses expériences professionnelles dans l’industrie musicale l’ont amenée à s’intéresser à l’entrepreneuriat culturel dans les populations en marge. Ses travaux apparaissent notamment dans le Journal of Business Ethics et dans Artivate.
Notes
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[1]
Je remercie les rédactrices et le rédacteur de ce numéro spécial pour leur initiative et leur appui, ainsi que les trois évaluateurs anonymes pour leurs commentaires constructifs. Je suis éternellement reconnaissante aux entrepreneurs musicaux qui se sont si généreusement racontés à moi. Merci à la bourse d’études supérieures du Canada Vanier et au Conseil de recherches en sciences humaines du Canada qui ont financé cette recherche réalisée à HEC Montréal dans le cadre de mes études de doctorat.
-
[2]
Dans cet article, le genre masculin est utilisé comme générique, dans le seul but de ne pas alourdir le texte.
-
[3]
Tous les prénoms d’entrepreneurs employés dans cet article sont des prénoms fictifs visant à préserver l’anonymat des répondants. Une attention a néanmoins été apportée à ce que les prénoms qui leur sont attribués soient du même genre que leur prénom véritable, ainsi que d’une origine et d’une époque semblables, afin de ne pas donner une interprétation biaisée de leur identité.
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