Résumés
Résumé
L’inscription de l’ancrage territorial (AT) dans les composantes d’une politique de RSE conduit parfois au développement d’un discours prosélyte en direction des chefs d’entreprise. Il importe que les chefs d’entreprise puissent adopter une attitude critique permettant de prendre en compte l’intérêt de l’entreprise à participer à des actions collectives. Comment analyser, du point de vue d’une PME, la nature éventuellement stratégique des ressources issues de l’AT ? Dans un premier temps, cet article analyse, de façon théorique, la capacité des ressources issues de l’AT à permettre la création d’un avantage concurrentiel durable. Une grille d’analyse s’appuyant sur le modèle VRIO de Barney est proposée. Elle met en évidence les caractéristiques des interactions entreprise/territoire sur lesquelles peut se fonder la dimension stratégique de ces ressources. Dans un second temps, quatre études de cas de PME ancrées sont menées afin de valider la capacité opérationnelle de cette grille d’analyse et de l’adapter.
Mots-clés:
- Ancrage territorial,
- Avantage concurrentiel,
- Légitimité,
- Stratégie,
- Territoire
Abstract
The inclusion of territorial anchoring (TA) in the components of a CSR policy sometimes leads to the development of a proselytic speech towards business leaders and entrepreneurs. It is important for business leaders to adopt a critical attitude in order to consider the SME’s interest of participating in collective actions. How to analyze the nature of the strategic resources generated by TA from an SME’s point of view? Firstly, this paper theoretically analyzes the sustainable competitive advantage that resources generated by TA are able to create. An analysis grid based on the Barney’s VRIO model is proposed. It highlights the characteristics of SME/territory interactions based on the possibility of relying on the strategic dimension of these resources. Secondly, the authors carry out four SME case studies to validate the operational capacity of this analysis grid and to adapt this tool.
Keywords:
- Territorial anchoring,
- Competitive advantage,
- Legitimacy,
- Strategy,
- Territory
Resumen
La toma en cuenta del anclaje territorial (AT) como componente de una política de RSE puede llevar a un discurso prosélito en dirección de los empresarios. Es importante que ellos puedan adoptar una actitud crítica para tener en cuenta el interés de la empresa por participar en acciones colectivas. ¿Cómo analizar, desde el punto de vista de una PyME, la natura potencialmente estratégica de los recursos del AT? Este artículo analiza, la capacidad de los recursos del AT para crear una ventaja competitiva sostenible. Propone una matriz de evaluación basada en el modelo VRIO de Barney. Destaca las características de las interacciones empresa/territorio en las cuales se puede basar la dimensión estratégica de estos recursos. De primer paso, se construye esta matriz de manera teórica. Luego, se llevan a cabo cuatro estudios de casos de PyME ancladas en su territorio para validar la capacidad operativa de esta matriz y completarla.
Palabras clave:
- Anclaje territorial,
- Ventaja competitiva,
- Legitimidad,
- Estrategia,
- Territorio
Corps de l’article
Introduction
Les institutions publiques tentent de promouvoir l’ancrage territorial (AT) des entreprises. Ce dernier fait parfois l’objet d’un discours prosélyte. Les entreprises sont invitées à s’inscrire dans le cadre d’actions collectives territorialisées. C’est par exemple le cas pour les entreprises susceptibles de s’insérer dans un pôle de compétitivité. Elles sont également incitées à intégrer l’idée d’une responsabilité individuelle vis-à-vis de leur territoire d’implantation. À titre d’exemple, la norme ISO 26000 concernant la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) fait de l’AT un objectif explicite. La prise en compte de l’intérêt collectif, au travers des enjeux territoriaux, conduit à des recommandations fortes en direction des chefs d’entreprise. Le risque existe d’assimiler l’intérêt collectif à l’intérêt de chacun des membres oeuvrant au sein de ce collectif.
La littérature académique a mis en évidence les avantages que l’entreprise peut retirer de l’AT, c’est-à-dire de la coproduction de ressources nouvelles grâce à des collaborations territorialisées. Ces ressources peuvent permettre la création d’un avantage concurrentiel pour l’entreprise (Saives, Desmarteau et Kerzazi, 2011 ; Le Gall, Bougeard-Delfosse et Gentric, 2013 ; Béfort et Nieddu, 2017). Comme le montrent de nombreux travaux sur le territoire, ces ressources sont rattachées à un point précis de l’espace et peuvent apparaître spécifiques et non transférables (Becattini, 1992 ; Porter, 1998 ; Carluer, 2006 ; Dujardin, Louis et Mayneris, 2018). Certains travaux soulignent pour leur part les risques liés à un AT lorsque celui-ci devient source d’immobilisme (Suire, 2003), d’enfermement sur des traditions (Courault, 2005) et de manque de relations extraterritoriales (Bathelt, Malmberg et Maskell, 2004 ; Boschma, 2005 ; Bélis-Bergouignan et Corade, 2008).
La littérature a porté son attention aux bénéfices, et dans une moindre mesure, aux limites de l’AT. Toutefois l’intérêt stratégique d’une situation d’AT ne peut être analysé de l’extérieur de l’entreprise. Ainsi, le fait que des ressources soient spécifiques ne signifie pas qu’elles procurent un avantage concurrentiel ; le fait qu’une entreprise soit territorialisée ne signifie pas que l’avantage concurrentiel issu de ressources locales soit durable ; le fait que l’entreprise n’ait pas de relations socialisées hors du territoire n’implique pas qu’elle soit sclérosée. Tant du point de vue académique que managérial, il est important de disposer d’un outil analytique permettant d’évaluer, pour l’entreprise, la dimension stratégique des ressources issues de l’AT.
Il importe pour le dirigeant de distinguer, dans les ressources issues de l’AT, les vertus que celles-ci peuvent avoir pour le territoire et celles qu’elles peuvent présenter pour son entreprise. Une grille d’analyse de la valeur stratégique des ressources est nécessaire à l’évaluation de celles-ci afin de se détacher des sollicitations de l’environnement et de mieux prendre en compte l’intérêt stratégique de l’AT pour l’entreprise. À notre connaissance, une telle grille d’analyse stratégique de l’AT n’a pas été proposée à ce jour.
Les ressources doivent être évaluées, dans le contexte spécifique de l’AT, afin de déterminer si elles peuvent participer à la construction d’un avantage concurrentiel durable. Nous avons tourné notre réflexion vers le cas de PME. En effet, la compréhension de la stratégie et de l’AT y sont plus simples à analyser. De plus, la formalisation des objectifs et des stratégies étant souvent faible au sein de PME, il est possible d’envisager que les risques de confusion entre choix stratégique et pression de l’environnement soient accrus. La question de recherche posée est alors la suivante : comment évaluer, du point de vue d’une PME, le potentiel stratégique des ressources issues de l’ancrage territorial ?
Cette question conduit à s’interroger sur la définition des ressources issues de l’ancrage et sur la façon d’évaluer leur potentiel stratégique.
Les ressources issues de l’AT doivent être différenciées des ressources disponibles sur le territoire. Il s’agit de distinguer entre une entreprise ayant une simple dépendance à des ressources localisées et une entreprise ancrée, c’est-à-dire pour nous une entreprise inscrite dans une action collective locale. L’AT est le processus et le résultat des interactions entre une entreprise et son territoire (Zimmermann, 1998, 2005 ; Bertrand, 1999 ; Bousquet, 2014). L’entreprise à laquelle nous nous intéressons dans cet article est une PME que nous considérons comme constituée par une organisation et la personne physique de son dirigeant (Reix, 2008 ; St-Pierre et Cadieux, 2011). Le territoire auquel nous nous référons est lui constitué par un espace géographique, une histoire, des acteurs et l’ensemble de leurs interactions (Torre, 2016). Dans une approche constructiviste, les contours de cet espace ne sont pas tant définis par une délimitation administrative que par la vision et l’usage que les acteurs en ont : « Les territoires n’existent pas comme tels, comme support de ressources disponibles ou ressources transférables […]. Les territoires sont révélés ou produits lors de processus interactifs générant la création de ressources nouvelles. » (Colletis, 2010, p. 236) Pour qu’il y ait AT, il faut non seulement que les ressources soient issues d’une action collective (May, 2008 ; Crague, 2015), mais il faut en outre qu’elles soient mises en commun. Cette notion de communauté de ressources fait que, au-delà de leur coproduction, ce qui caractérise les ressources issues d’un AT est d’être dépourvues de droits de propriété (Mendel et Bardet, 2009 ; Gomez, 2009). Enfin, les ressources issues de l’AT sont spécifiques et localisées (Zimmermann, 2005). Les actions collectives s’inscrivent dans un temps long (Courault, 2005 ; Zimmermann, 2005 ; Debarbieux, 2014).
L’évaluation du potentiel stratégique des ressources issues de l’AT porte sur l’analyse des spécificités des ressources coproduites localement et sur leur capacité à créer un avantage concurrentiel. L’attention portée à la nature des ressources d’AT, nous incite à mobiliser les travaux en stratégie relevant de la ressource based view (RBV) (Penrose, 1959 ; Wernerfelt, 1984). Ce corpus théorique est fondé sur la question de la nature des ressources mobilisées et de la rente qu’elles procurent. Dans le champ territorial, l’approche par la RBV a été adoptée par de nombreux auteurs (Bréchet et Saives, 2001 ; Rochette, 2012 ; Le Gall, Bougeard-Delfosse et Gentric, 2013 ; Pesqueux, 2014). Nous inscrivant dans cette approche théorique de la stratégie et ayant besoin d’un modèle d’évaluation de la nature stratégique d’une ressource, nous retenons le modèle VRIO. Largement utilisé en recherche, il présente un fort intérêt analytique et opérationnel qui répond à notre besoin de construire une grille d’analyse d’évaluation des ressources. Ce modèle décompose le potentiel de construction de l’avantage concurrentiel d’une ressource en proposant de distinguer sa valeur, sa rareté, son inimitabilité et la capacité de l’organisation à l’exploiter (Barney, 1991, 1995, 1997 ; Barney, Wright et Ketchen, 2001). À l’instar de Barney (1991), nous retenons le terme de « ressources » dans son acception large intégrant à la fois « l’ensemble des actifs, capacités, processus organisationnels, attributs de l’entreprise, informations, connaissances, etc. » (p. 101)[1]. Par rapport au modèle initial du VRIN[2], l’idée de non-substituabilité a été fondue dans celle de non-imitabilité.
Nous cherchons à identifier ce qui peut fonder la valeur, la rareté, la non-imitabilité d’une catégorie singulière de ressources, celles issues de l’AT. Bien que l’AT soit à la fois un processus et un résultat, nous nous limitons à l’analyse statique de ces ressources sans prendre en compte les aspects processuels qui leur permettent d’émerger.
Dans cet article, nous procédons en trois temps. Tout d’abord, nous construisons, à partir du modèle VRIO, une grille d’analyse permettant d’évaluer la qualité des ressources issues d’un AT afin de déterminer leur intérêt stratégique pour l’entreprise. Dans un deuxième temps, nous éprouvons la pertinence de cette grille d’analyse en l’utilisant dans quatre cas de PME fortement ancrées. Pour chacune, nous évaluons la nature stratégique ou non des ressources cocréées. Enfin, dans un troisième temps, nous proposons une synthèse des résultats que nous discutons.
1. Élaboration d’une grille d’analyse théorique
L’objectif est d’élaborer une grille d’analyse permettant de discuter la nature stratégique des ressources issues d’un AT. En premier lieu, nous caractérisons la nature stratégique des ressources en mobilisant principalement les travaux de Barney. Nous nous efforçons d’identifier les fondements de ces caractéristiques (valeur, rareté, non-imitabilité, capacité de l’organisation à les exploiter) dans la situation d’un AT, c’est-à-dire dans une action collective territorialisée (1.1.). Nous synthétisons ensuite notre propos en formalisant une grille d’analyse des ressources issues de l’AT. Cette grille est mobilisable du point de vue de la PME (1.2.).
1.1. Opérationnalisation du VRIO aux ressources de l’AT
1.1.1. La valeur des ressources d’AT tient aux apprentissages collectifs
La valeur des ressources tient à leur capacité, pour une entreprise donnée, à faire émerger des opportunités et à réduire des menaces (Barney, 1991).
Les ressources issues de l’AT ne sont pas des ressources existant à l’état naturel, telles que le climat d’une région ou la nature d’un sous-sol. La ressource d’AT tient au travail que les acteurs locaux ont effectué progressivement. Elle est le résultat d’une accumulation de compétences, de savoir-faire qui ont évolué parfois pendant des générations, grâce à une succession d’actions collectives. Ce qui fonde la nature des ressources issues de l’AT, c’est un processus d’apprentissage collectif (Mérenne-Schoumaker, 2011 ; Zimmermann, 2005 ; Carluer, 2006 ; Béfort et Nieddu, 2017).
La valeur des ressources coproduites par AT tient à ce que les phénomènes d’apprentissage permettent de saisir des opportunités ou neutraliser des menaces. Carluer (2006) établit une typologie des territoires d’ancrage en croisant l’intensité des phénomènes d’apprentissage et l’intensité des interactions entre acteurs. La valeur des ressources issues de l’AT tient aussi aux modalités de ces apprentissages, ceux-ci étant plus riches s’ils sont effectués au sein du territoire, mais en liaison avec des acteurs non territoriaux (Crevoisier et Jeannerat, 2009).
Dans les districts industriels, territoires à fort ancrage, les apprentissages impliquent les entreprises, mais également les individus. Comme l’écrivait Marshall, dès le xixe siècle, « les secrets de l’industrie cessent d’être des secrets ; ils sont pour ainsi dire dans l’air, et les enfants apprennent inconsciemment beaucoup d’entre eux » (Marshall, 1890, tome 1, p. 466). Ils peuvent aussi impliquer des institutions et des grandes entreprises ayant un fort niveau de recherche et développement. C’est le cas des clusters, où les phénomènes d’apprentissage débouchent sur un niveau élevé d’innovation (Porter, 1998). Les travaux sur les milieux innovateurs soulignent également le rôle des apprentissages collectifs pour saisir des opportunités. L’entreprise dispose de ses propres connaissances et capacités innovatrices, mais celles-ci sont essentiellement révélées par les relations engagées avec d’autres acteurs du milieu, notamment les clients et les fournisseurs (Tabariés, 2007).
Un apprentissage collectif induit des apprentissages individuels différents. C’est toutefois l’apprentissage collectif qui est central, car la question n’est pas seulement celle des apprentissages, mais celle de la ressource qui en émerge. La valeur de cette ressource est dissociée de l’importance des apprentissages individuels.
La valeur des ressources issues d’un AT doit donc être analysée en prenant en compte la nature, l’intensité et l’accumulation des apprentissages collectifs.
1.1.2. La rareté des ressources d’AT tient à la nature des coordinations
Une ressource est rare si elle n’est détenue que par un faible nombre de concurrents et qu’elle demeure durable entre les mains de ceux qui la détiennent (Barney, 1991).
Dans un AT, une ressource est rare si les conditions de sa coproduction, c’est-à-dire les apprentissages collectifs engagés, sont eux-mêmes rares. La question posée est donc celle de la rareté de ces conditions de coproduction. Celle-ci tient à la singularité des acteurs, mais aussi à leur capacité à travailler ensemble, c’est-à-dire à leur capacité à se coordonner. Moins les coordinations sont aisées à mettre en place, plus la ressource qui en est issue présente de rareté.
On perçoit immédiatement que les ressources localisées et non transférables présentent une plus forte rareté que des ressources disponibles sur le marché puisqu’elles nécessitent a minima une proximité géographique avec des partenaires locaux. Toutefois, la seule proximité géographique ne suffit pas forcément à assurer les apprentissages (Boschma, 2005). Une proximité organisationnelle peut être déterminante (Pecqueur et Zimmermann, 2004). Elle se caractérise par des interactions directes entre les acteurs. Elle se traduit soit par l’intégration à des réseaux, soit par l’existence de contrats. Une proximité institutionnelle peut également venir renforcer et pérenniser les coordinations entre acteurs locaux. Elle se caractérise par des interactions indirectes et peut prendre plusieurs formes. Il peut s’agir de l’appartenance non intentionnelle à une même communauté, de l’adhésion intentionnelle à un même groupe, de la soumission à des normes exogènes qui s’imposent aux acteurs, ou encore de la soumission à des standards définis par les acteurs eux-mêmes. La figure 1 schématise ces différentes proximités.
Les proximités conjointes permettent la création de rapports de confiance entre partenaires, favorisent les phénomènes de réputation, permettent d’accroître la circulation d’informations tacites, font émerger des conventions locales communes (Pecqueur et Zimmermann, 2004 ; RERU, 2008 ; Torre et Wallet, 2014 ; Serval, 2017 ; Bousquet, Verstraete et Barbat, 2018).
Au final, ces différentes proximités permettent de soutenir des coordinations spécifiques rares. Si une ressource est susceptible de ne pas émerger dans l’hypothèse où toutes les proximités nécessaires ne sont pas réunies, alors elle sera d’autant plus rare lorsqu’elle parviendra à être constituée.
La rareté des ressources issues d’un AT doit donc être analysée en prenant en compte la spécificité des coordinations, et notamment la multiplicité des proximités sur lesquelles celles-ci reposent.
1.1.3. La non-imitabilité des ressources issues de l’AT tient à la nature des coordinations, à l’histoire du territoire et au rôle des institutions
La non-imitabilité des ressources, ou plus précisément l’impossibilité de les imiter parfaitement, tient au coût que les entreprises non détentrices doivent engager pour obtenir des ressources similaires. Ce coût d’imitation, ou cette impossible imitation, peuvent tenir aux circonstances historiques uniques, à une ambiguïté causale, à une forte complexité sociale ou à des brevets (Barney, 1991).
L’apparente fatalité des trois premières de ces causes n’est qu’apparente et ne réduit pas l’intérêt qu’il y a à les connaître. L’histoire est certes échue, mais l’entreprise peut en réactiver les acquis (Safiullin, Gafurov, Shaidullin et Safiullin, 2014). L’ambiguïté causale est par définition un objet qui échappe à l’analyse, mais elle peut être renforcée afin d’accroître la non-imitabilité des ressources (McIver et Lengnick-Hall, 2017). La complexité sociale rend les territoires uniques ce qui accroît la singularité de leurs ressources (Beylier, 2016).
Des coordinations faisant appel à une imbrication de formes multiples de proximité sont source de complexité sociale. Par exemple une proximité physique associée à une proximité de réseau peut réduire le risque perçu de sélection adverse. La mise en oeuvre de coordinations équivalentes (contrat, contrôle, assurances) peut entraîner des surcoûts et réduire l’imitabilité des ressources.
La singularité de l’histoire d’un territoire et d’une entreprise peut rendre une ressource imparfaitement imitable (Barney, 1991) en raison des coûts d’accès à des ressources, des particularités géographiques ou climatiques, des découvertes, etc. L’histoire du territoire peut également favoriser l’ambiguïté causale qui rend difficile l’identification des ressources clés et nécessite l’imitation de l’ensemble des composantes associées, source de surcoût.
Les institutions tendent à organiser des conditions uniques en apportant des supports aux entreprises ancrées de façon restrictive, par exemple les pôles de compétitivité (numéro spécial de la Revue française de gestion, 2008). Elles peuvent également protéger juridiquement certaines ressources locales par des labels, rendant la duplication illégale, ou en créant des marques territoriales, rendant la substitution coûteuse.
La non-imitabilité des ressources issues d’un AT doit donc être analysée en prenant en compte l’existence de proximités difficilement substituables, mais aussi le rôle de l’histoire et des institutions du territoire.
1.1.4. L’organisation doit avoir les capacités à transformer les ressources issues de l’AT
La valeur, la rareté, la difficile imitation des ressources ne participent à la construction d’un avantage concurrentiel que si l’organisation est en mesure de les transformer et d’en tirer de la valeur. Cette capacité repose sur l’organisation du reporting au sein de l’entreprise, c’est-à-dire sur l’identification des acteurs qui échangent régulièrement des informations et les modalités de ces échanges. Elle repose également sur les dispositifs, formels et informels, qui permettent à l’entreprise de contrôler que les actions soient alignées sur les objectifs stratégiques. Enfin, elle repose sur les mesures d’incitation ou de compensation, matérielles ou symboliques, par lesquelles l’entreprise obtient l’engagement de ses salariés dans les actions souhaitées (Barney, 1997).
Le fait que les ressources considérées ici soient issues d’un AT ne nécessite pas une adaptation particulière des critères retenus dans le modèle VRIO. En revanche, l’AT conduit à un rapprochement étroit entre l’entreprise et certaines parties prenantes externes. Ces dernières montrent une implication forte dans la conduite du projet de coproduction, tout comme des salariés peuvent montrer une implication forte au sein de leur entreprise (Leibenstein, 1966).
Dans l’analyse d’un AT il importe de considérer le reporting[3] sans se limiter aux échanges internes et en considérant le rôle que certaines parties prenantes externes peuvent jouer dans ce domaine. Il en va de même pour les mesures de contrôle et d’incitation.
1.2. Proposition d’une grille d’analyse
En synthèse des points développés précédemment, nous présentons dans le tableau 1 les critères d’analyse retenus dans le modèle VRIO et leur adaptation à l’analyse des ressources issues d’un AT. Cette grille d’analyse montre que la valeur de la ressource coproduite tient à la valeur des apprentissages collectifs. En l’absence de valeur de ces ressources, l’entreprise est en situation de désavantage concurrentiel.
Si la ressource présente de la valeur, mais repose sur des combinaisons proxémiques simples (faible rareté), l’AT n’apportera qu’un équilibre concurrentiel.
Ce n’est que si les actions de coproduction reposent sur des proximités multiples que l’entreprise pourra espérer obtenir un avantage concurrentiel.
Celui-ci pourra être durable si la ressource est faiblement imitable, c’est-à-dire si l’imitation ou la substitution des proximités est coûteuse, si l’histoire du territoire a créé un contexte historique unique, si les facteurs clés de coproduction sont masqués par une ambiguïté causale ou encore si les institutions rendent l’imitation prohibée ou difficile.
Dans tous les cas, l’avantage concurrentiel n’est effectif que si l’entreprise et ses proches parties prenantes externes disposent d’un système d’information, de contrôle et de politique compensatoire adaptés.
La formulation binaire des réponses portées dans le tableau 1 constitue une simplification analytique ; une réponse graduée peut être adoptée pour aborder une analyse de façon plus nuancée.
2. Étude empirique
Une fois présenté le choix opéré de la méthode des cas et sa mise en oeuvre, l’analyse de chacun des cas est restituée selon une structuration commune.
2.1. Une approche par études de cas
Dans cet article, nous proposons d’interroger la nature des ressources issues de l’AT. Notre visée est avant tout compréhensive. À cette fin, la méthode des cas s’avère particulièrement appropriée (Hlady-Rispal, 2002 ; Miles et Huberman, 2003).
Notre recherche s’appuie sur quatre études de cas d’entreprises fortement ancrées, c’est-à-dire répondant aux critères de l’AT précisés dans l’introduction.
Les cas étudiés ne concernent que des PME, ce qui constitue une limite empirique de notre approche. En revanche cela permet de saisir plus aisément un ensemble des facteurs concernés par l’AT (éléments organisationnels, stratégiques, humains et interactions). Nous tenions, en outre, à ce que le dirigeant soit en mesure d’expliquer les étapes de la construction de l’ancrage de l’entreprise et les différentes décisions qui ont concouru à cet AT. Nous avons donc sélectionné des PME de type entrepreneurial. Avec Gartner (1993), nous considérons l’entrepreneuriat comme l’action d’organiser une organisation. Nous avons retenu des PME dans lesquelles le dirigeant a initié et organisé l’AT de son entreprise. Ils ont eu une démarche active dans l’ancrage de celle-ci. Nous n’avons pas interrogé de dirigeants d’entreprise dans lesquelles l’AT est issu d’une longue tradition ou d’un non-choix. Toutes les entreprises ont une activité de conception, de production et de commercialisation afin d’avoir à traiter un large éventail de problématiques managériales.
Par ailleurs, nous avons introduit de la variété, conformément aux préconisations de Miles et Huberman (2003). Les critères de variété retenus sont :
le secteur d’activité, qui conditionne directement la nature des ressources et entraîne des logiques différenciées selon les branches d’activité (Colletis et Rychen, 2004) ;
le degré d’innovation, qui conditionne le choix des partenaires, l’importance des phénomènes d’agglomération et d’urbanisation sur l’acquisition des ressources, la nature des interactions et des échanges d’information (Audretsch et Feldman, 1996) ;
le type de territoire, dont la structure et les acteurs conditionnent les interactions possibles.
Nous avons choisi quatre types de territoire différents : un pôle de compétitivité (Mendel et Bardet, 2009), deux territoires ruraux (Fourcade, Muchnik et Treillon, 2010) institutionnalisés de façons différentes : l’un avec un pôle d’excellence rural, l’autre en AOP/IGP[4] (Frayssignes, 2005) et enfin un territoire faiblement structuré par des institutions (secteur diffus).
Nous avons mené seize entretiens en face-à-face, allant de 45 minutes à plus de 2 heures. Ces entretiens ont été enregistrés (Tableau 3). La méthode de triangulation a été sensiblement adaptée selon les cas.
Le guide d’entretien a été organisé de façon à comprendre le modèle d’affaires de l’entreprise et ses relations avec le territoire. Les grands thèmes étaient les suivants : l’entreprise, son métier, son histoire ; l’entrepreneur, son histoire, ses motivations ; le territoire, son histoire, ses caractéristiques ; les parties prenantes ; la création de valeur ; les actions collectives (historiques, apprentissages et transformations, ressources créées) ; le rôle des institutions ; les proximités, les modalités d’échange d’informations, les réseaux, les contrats, les affinités interpersonnelles et interorganisationnelles ; les conventions territoriales.
La codification et l’analyse des résultats ont été faites en mobilisant la grille d’analyse présentée dans le tableau 1. Les proximités ont été codifiées selon la typologie présentée en figure 1.
Pour chaque cas, nous avons identifié plusieurs actions collectives. À des fins de concision, nous avons choisi de ne présenter que deux ressources pour chaque entreprise. Il s’agit des ressources les plus significatives du point de vue de l’intensité de l’investissement des entreprises en termes de temps, d’implication personnelle du dirigeant, d’engagement financier, de mise à disposition du personnel et d’effort de conviction engagés en direction des partenaires.
2.2. Présentation et analyse des cas
Les récits des quatre cas sont anonymisés à la demande des dirigeants-entrepreneurs. Dans chaque cas, sont successivement présentés l’entreprise et ses objectifs stratégiques, son territoire, son AT, les ressources qui en sont issues. Une analyse des ressources selon notre grille d’analyse (Tableau 3) est ensuite proposée afin de conclure sur la capacité des ressources à produire un avantage concurrentiel. Nous précisions que nous ne concevons comme stratégiques que les actions répondant à une intention de satisfaire les objectifs de l’entreprise. Des actions engagées sans anticipation, mais s’avérant bénéfiques par la suite ne sont donc pas retenues comme stratégiques.
2.2.1. Le cas SudNégoce
Entreprise de production et de négoce de vin et de produits régionaux, SudNégoce a été créée par deux frères jumeaux âgés aujourd’hui de plus de 60 ans. Cette entreprise est constituée d’une conserverie, d’une exploitation vitivinicole de 27 hectares, d’une structure gérant des gîtes et d’une unité de négoce. Elle emploie 32 personnes. Actuellement, plusieurs membres de la famille des entrepreneurs y travaillent. L’objectif stratégique de SudNégoce est la pérennisation de l’entreprise et sa transmission à la génération suivante. La croissance et le niveau de profit demeurent des objectifs secondaires.
Le territoire est rural et faiblement industrialisé. Il se caractérise par l’existence d’un patrimoine historique important, des traditions locales fortes, un paysage préservé et attractif. Il est une destination touristique importante et jouit d’une image forte. Les filières vin et produits gras (produits dérivés de canards) sont traditionnelles, mais ont connu des mutations importantes. Les concurrents directs sont proches ; les concurrents indirects sont éloignés. Le milieu coopératif est présent. Une AOP a été mise en place dans le secteur du vin. Elle a une notoriété nationale. Une IGP a également été créée pour défendre les spécificités de la « filière gras ».
L’AT de l’entreprise tient à des actions collectives pour le développement de la qualité des produits et à des actions collectives commerciales. L’entreprise a participé à l’organisation d’une campagne d’évaluation des vins locaux. Sur la base du volontariat, les producteurs locaux ont soumis leurs vins à évaluation par leurs pairs. Les vins les plus typiques ont ainsi été identifiés et promus ; les autres écartés. Cette action a été prolongée par un recentrage des productions sur les cépages historiques du terroir. Une autre action collective a été engagée par l’entreprise pour réunir tous ses fournisseurs (vins, produits carnés, spécialités régionales) au sein d’une association favorisant les évaluations croisées des produits, l’échange de conseils, la mise en place de bonnes pratiques. Pour renforcer la cohésion collective, l’entreprise a accordé à ses fournisseurs actuels le pouvoir de mettre un véto à l’entrée de nouveaux fournisseurs qui seraient jugés trop peu qualitatifs. Dans le domaine commercial, elle a participé à l’organisation de missions collectives d’exportation et à l’organisation de stands communs lors de salons et foires. Les producteurs sont ainsi conduits à vendre leurs produits et ceux de leurs concurrents. Ces actions collectives se sont développées sur une période de plus de vingt ans. Les dirigeants ont été initiateurs des actions d’implication des producteurs dans les actions commerciales et dans le regroupement des fournisseurs en association. Ils ont été participants lors de l’évaluation des vins locaux. Le fait que l’un des patrons ait dirigé une interprofession l’a aidé dans son travail de coordination des actions collectives.
Parmi les ressources issues des actions d’AT de SudNégoce, nous retenons les deux plus emblématiques.
Ressource 1 : le savoir-faire permettant de préserver la typicité des produits.
Ressource 2 : les compétences et ressources commerciales, entendues comme la capacité à accéder au client et accroître la qualité perçue.
Dans le cas de SudNégoce, l’AT a permis de constituer des ressources nouvelles concernant les savoir-faire et les compétences commerciales.
« Les producteurs avaient planté de la Dame Noire, du Jurançon Noir, du Tannat, des cépages qui n’ont rien à voir avec les cépages historiques d’ici. […] Alors, ça a servi à ça d’agir ensemble : revenir sur les cépages historiques et faire un vin franc, c’est-à-dire un vin qui reste emblématique de notre terroir. » (dirigeant SudNégoce)
Une multiplication des proximités fait la rareté des apprentissages collectifs. L’organisation mise en place, notamment avec certaines parties prenantes externes, permet de valoriser ces ressources. Il est peu aisé pour des concurrents d’accéder aux mêmes savoir-faire, aux mêmes productions et aux mêmes soutiens commerciaux. L’AT a permis de créer un avantage concurrentiel durable favorable à la pérennisation de l’activité de SudNégoce. Les ressources constituées sont stratégiques.
2.2.2. Le cas Equi
L’entreprise Equi fabrique et commercialise des selles et accessoires d’équitation haut de gamme. Elle équipe près du tiers des cavaliers olympiques. Sa production est assurée en France et au Maroc. Nous considérons uniquement son ancrage en France au sein d’une partie du Périgord. L’entreprise commercialise ses produits essentiellement en Europe et aux États-Unis. L’entreprise emploie 60 personnes localement. Les objectifs stratégiques d’Equi ont été définis en concertation entre le dirigeant actionnaire et un fonds de pension qui est entré dans le capital de l’entreprise. Ces objectifs sont définis en termes de retour sur investissement et de croissance de l’activité.
Le territoire est rural et peu industrialisé. Il a une forte notoriété touristique, mais n’a pas de productions locales clairement identifiées. Il n’y a pas d’institution importante défendant l’image de spécificités locales. Les filières agricoles sont peu modernisées et connaissent peu de mutations. L’entreprise est physiquement isolée de ses concurrents. Un pôle d’excellence rural a été constitué autour des métiers du cuir. Les activités de ce pôle sont centrées sur les questions d’organisation de filière et pas sur la promotion des produits.
L’AT de l’entreprise s’est construit avec des partenaires essentiellement situés en amont de l’activité d’Equi. Un premier type d’action concerne l’amélioration de la qualité des peaux : 7 % seulement des peaux produites localement sont classées en premier choix, contre 70 % dans certains pays. Pour améliorer cette qualité, il faut transformer certains usages (comme la suppression des clôtures barbelées) et améliorer les savoir-faire (comme les traitements antiparasitaires, les soins aux animaux). Ces actions ne peuvent être que collectives (éleveurs, abattoirs, tanneurs, utilisateurs des cuirs, institutions), car les produits agricoles sont vendus selon des cours locaux. Si un éleveur seul améliore ses pratiques, il fera face à des coûts supplémentaires sans accroître son chiffre d’affaires. Une seconde action collective porte sur la valorisation des tannages végétaux au détriment des tannages au chrome, polluants, mais très majoritaires. L’action collective porte sur le changement des pratiques, mais aussi l’évolution de la demande de la part des industriels. Ces actions permettent de faire émerger un pôle d’excellence en même temps que le pôle d’excellence aide à fédérer des acteurs, généralement individualistes et ayant parfois des intérêts antagonistes. Ces actions collectives sont développées depuis 2010. Le dirigeant d’Equi a été un des initiateurs de ces actions. Sa position de client de la filière l’y a aidé, ainsi que le fait de ne pas avoir de rapport concurrentiel avec les autres participants.
Parmi les ressources issues des actions d’AT d’Equi, nous retenons les deux plus emblématiques.
Ressource 1 : l’amélioration progressive des savoir-faire et le changement des usages permettant d’améliorer la qualité des peaux.
Ressource 2 : l’émergence d’une production locale ayant les capacités et le désir de produire des cuirs non toxiques.
Les ressources liées au cuir (qualité des peaux, tannage végétal) ont de la valeur pour la collectivité (moindre déclassement des produits, avantage écologique). La rareté des savoir-faire et pratiques est variable. La difficulté à opérer des changements d’usage réduit l’imitabilité de ces savoir-faire.
L’entreprise n’est toutefois pas en mesure à ce jour de créer un avantage concurrentiel à partir de ces ressources. Les causes de cette incapacité sont difficiles à identifier.
« C’est compliqué de passer au tout végétal [cuir au tannage végétal]. Il y a des contraintes financières et techniques pour les fournisseurs et les collaborateurs en interne. Et puis c’est un sujet très politique. Ici Untel [nom d’une entreprise de luxe], ils ne jurent que par le tannage au chrome. » (dirigeant d’Equi)
Les ressources issues de l’AT sont non stratégiques. À ce jour, les ressources coproduites grâce à l’AT, en entraînant un surcoût, freinent l’amélioration du retour sur investissement et la croissance de l’activité d’Equi. Les actions collectives auxquelles l’entreprise participe ne sont pas alignées sur les objectifs.
2.2.3. Le cas Ecrin
Cette entreprise, créée en 1880 en Gironde à proximité de la forêt des Landes, a été rachetée en 1996. Depuis sa création, elle produit des caisses et coffrets en bois, notamment de pin, pour le secteur vinicole. Elle dispose également d’une filiale en Champagne. Nous analysons l’ancrage de l’entreprise en Gironde. Elle emploie aujourd’hui 45 salariés. L’objectif stratégique d’Ecrin est économique. Il s’agit d’accroître sa profitabilité afin de pouvoir réinvestir dans l’équipement industriel qui a fortement vieilli. L’amélioration de la profitabilité est recherchée au travers d’une amélioration de la productivité du personnel et de réduction des coûts.
Le territoire est situé en périphérie de l’agglomération bordelaise qui regroupe un bassin d’emplois de près d’un million d’habitants. Le territoire est leader sur les productions forestières résineuses en France et connaît peu de mutations. La filière n’a pas une image forte, sauf sur l’aval (secteur du vin). La filière bois est marquée par des traditions et des individualismes forts. Les acteurs se connaissent de longue date. L’entreprise est physiquement proche de ses concurrents. Les institutions professionnelles sont peu prégnantes sur l’activité de l’entreprise. L’essentiel du marché est situé au sein même du territoire.
L’AT de l’entreprise repose notamment sur des actions de valorisation des productions d’origine locale. Ecrin a fortement participé à la création d’un label « pin des Landes ». Celui-ci est gratuitement accessible aux scieurs et transformateurs locaux. L’action a été dynamisée par des entreprises et coordonnée par une organisation professionnelle. Une autre action vise à développer le savoir-faire des scieurs de première découpe afin qu’ils soient en mesure de fournir des produits adaptés à des entreprises telles qu’Ecrin et ses concurrents locaux (seconde découpe). Cette action s’est notamment traduite par la mise à disposition de salariés de ces dernières pour former les ouvriers des premières. D’autres actions collectives ont été engagées visant à valoriser les savoir-faire et à accroître l’implication des ouvriers de la filière. Il a ainsi été demandé aux ouvriers de collaborer à des actions sociales au niveau local. Parallèlement à ces actions collectives extérieures, des délégations de responsabilité ont été accordées en interne pour favoriser l’engagement des salariés. Ces actions collectives se sont développées ces toutes dernières années, mais ont restauré un lien avec les origines de l’entreprise. Le savoir-faire originel s’était développé avec la tradition viticole de la région. L’entreprise a d’ailleurs aujourd’hui repris son ancien nom. Le dirigeant a été initiateur des actions de formation des scieurs de premier rang et a participé à la création du label. Son engagement fort dans ces actions collectives est le fait d’une volonté individuelle et n’a pas été favorisé par une position particulière au sein de la profession ou du secteur.
Parmi les ressources issues des actions d’AT d’Ecrin, nous retenons les deux plus emblématiques.
Ressource 1 : la mise en place d’un label identifiant les bois d’origine locale « pin des Landes ».
Ressource 2 : le renforcement des savoir-faire au niveau local, d’une part grâce à un accroissement des compétences des scieurs locaux, d’autre part grâce à une meilleure valorisation des compétences du personnel dans son coeur de métier et un renforcement de l’implication.
La contribution stratégique est différente pour les deux ressources d’AT que nous avons prises en compte.
En ce qui concerne la labellisation des produits, l’outil institutionnel fort que constitue un label ne suffit pas à rendre le produit rare. Pour cela, il faudrait que les clients locaux adhèrent à l’idée de sa spécificité.
« On est dans une logique où l’on met en place un système de valeurs, à tous points de vue. […] Ce label, il dit aussi qu’il y a cent cinquante ans de forêt cultivée et d’industrie utilisatrice dans le massif des Landes de Gascogne, aujourd’hui reconnu comme le patrimoine naturel des Aquitains. […] Les châteaux et les négociants l’utilisent peu. ça leur importe peu de dire d’où vient la caisse. » (dirigeant d’Ecrin)
Dans le cas de cette ressource, l’AT ne permet pas de dépasser un équilibre concurrentiel temporaire.
L’accroissement des savoir-faire présente surtout de la valeur dans le cas des salariés de l’entreprise et des fournisseurs. Ce n’est pas seulement la nature technique des savoir-faire qui a changé, mais la façon, dont ceux-ci sont exprimés (plus d’implication et d’autonomie des salariés par exemple). Cette ressource, détenue par les salariés est également la plus coûteuse à imiter (complexité sociale). L’entreprise s’est organisée pour mieux en tirer de la valeur (changement de système d’information, contrôle et incitation). L’AT, de ce point de vue, constitue un avantage concurrentiel durable.
2.2.4. Le cas LaserSystème
Cette jeune entreprise a été créée en 2001 par sept anciens salariés de Thalès. Elle conçoit et produit des lasers ultra-courts pour la recherche et l’industrie. Elle emploie 85 salariés. L’implantation à Bordeaux résulte de la volonté de se rapprocher de certains partenaires. L’entreprise est fortement intégrée à un pôle de compétitivité. L’objectif stratégique de l’entreprise est d’avoir une croissance industrielle rapide et de conserver une place parmi les leaders mondiaux de son secteur.
Le territoire est urbain et bénéficie d’un bassin d’emplois de près d’un million d’habitants. Il est attractif pour des cadres, ingénieurs et chercheurs. Il est doté de nombreuses institutions avec lesquelles les entreprises du secteur peuvent avoir des interactions fortes. Il y a une concentration significative d’entreprises et d’institutions (écoles, laboratoires de recherche, organisme de soutien à l’innovation) liées au secteur de l’optique et du laser. Les entreprises du secteur sont jeunes, très innovantes et en croissance rapide. Les rapports interpersonnels supplantent souvent les rapports interorganisationnels. Un pôle de compétitivité a un rôle actif d’animation et de développement de la filière. L’entreprise s’est implantée à Bordeaux pour bénéficier d’une proximité physique avec ces partenaires et institutions.
L’AT de l’entreprise tient notamment à la dissémination des résultats de sa recherche et développement. La réalisation d’avancées dans les technologies liées aux lasers ultra-courts contribue à faire émerger de nouveaux usages. L’implantation d’une école d’optique, la présence de laboratoires publics, la proposition de contrats de thèse, favorisent des externalités technologiques. Celles-ci sont appuyées par les actions d’un pôle de compétitivité construit autour d’importantes infrastructures publiques. Par ailleurs, des collaborations sont engagées avec des partenaires locaux des secteurs de la recherche et l’industrie. Chaque partenaire apporte une compétence, dans des conditions généralement informelles. La réflexion collective engagée à partir d’une recherche fondamentale peut se transformer en opportunité d’affaires. Ces actions collectives se sont développées dès la création de l’entreprise en 2001. Elles sont au coeur de son modèle d’affaires. Le dirigeant est participant à ces actions collectives qui sont co-initiées par l’ensemble des partenaires. Sa crédibilité professionnelle est essentielle pour s’insérer dans ces actions.
Parmi les ressources issues des actions d’AT de LaserSystème, nous retenons les deux plus emblématiques :
Ressource 1 : externalités technologiques liées au laser et à l’optique.
Ressource 2 : opportunités d’affaires pour les industriels locaux.
Les ressources coproduites reposent sur des apprentissages collectifs complexes, intenses et rapides. La proximité physique et la proximité de réseau sont nécessaires.
« Les relations de confiance, c’est très important. […] Et d’homme à homme, en face-à-face. […] C’est beaucoup plus facile ici, parce qu’on se croise sans cesse. Là, je suis dans des laboratoires universitaires, je vais à la machine à café et je rencontre des gens de mon métier. C’est comme ça que se crée. » (dirigeant de LaserSystème)
La territorialisation des ressources tient largement au rôle des institutions publiques (compétences non transférables car liées à des infrastructures publiques locales lourdes). Ces performances sont en rapport avec les objectifs de croissance industrielle et de leadership en R&D assignés à LaserSystème. L’AT permet la constitution d’un avantage concurrentiel durable.
3. Synthèse des résultats et discussion
À la suite de l’analyse intracas, nous présentons dans le tableau 8 une synthèse des évaluations effectuées de la dimension stratégique des ressources issues de l’AT de chaque entreprise.
Dans deux des quatre cas étudiés (SudNégoce et LaserSystème), l’AT permet de coproduire un avantage concurrentiel stratégique pour l’entreprise. Les ressources identifiées ont de la valeur, sont rares, coûteuses à imiter et l’entreprise dispose de capacités organisationnelles pour créer de la valeur à partir de ces ressources.
Dans le cas de l’entreprise Ecrin, la situation est plus contrastée. Le renforcement du savoir-faire local, mais surtout la prise de conscience de ce savoir-faire chez le personnel, a permis de créer de l’implication. L’entreprise valorise durablement celle-ci sous forme de gains de productivité. Cette dimension de l’AT permet de créer un avantage concurrentiel durable. Cependant, la labellisation des bois locaux ne présente pas une véritable rareté, car l’adhésion à ce label demeure faible et il reste un label parmi d’autres. Il ne suffit pas à différencier la ressource. L’AT ne permet d’atteindre qu’un équilibre concurrentiel temporaire.
Enfin, dans le cas d’Equi, les ressources coproduites ne sont pas stratégiques. Les collaborations engagées en vue d’améliorer la qualité des produits en amont de la filière ne suffisent pas à conférer de la rareté à la ressource. L’AT ne permet qu’un équilibre concurrentiel temporaire. Les matières premières plus écologiques (tannage végétal), à l’émergence desquelles l’entreprise collabore, présentent plus de rareté. En revanche, l’organisation n’est pas en mesure de créer un avantage concurrentiel à partir de cette ressource.
La grille d’analyse utilisée fait donc apparaître plusieurs ressources collectives, dont l’émergence a constitué un coût pour l’entreprise observée sans toutefois que cette dernière ne puisse la valoriser.
Quatre explications peuvent être proposées pour éclairer les cas dans lesquels l’entreprise investit dans la constitution de ressources peu ou pas stratégiques.
Première explication : une erreur d’évaluation est commise par l’entreprise sur l’utilité pour elle de la ressource coproduite. Dans le cas Ecrin, l’entreprise a déployé un effort de conviction auprès de ses confrères vini-caissiers et également en direction du marché constitué par les négociants et châteaux. Ces derniers sont réunis autour de valeurs communes, par exemple l’importance accordée au savoir-faire et au terroir. Toutefois, ces valeurs demeurent circonscrites au coeur de produit (le vin) et pas aux composants secondaires tels que l’emballage. Le marché n’associe pas une valeur spécifique au label créé.
Deuxième explication : la définition des actions n’est pas alignée sur les objectifs stratégiques. Il n’y a pas de systèmes de contrôle des objectifs et des résultats. Les tableaux de bord demeurent insuffisants. La mesure de l’écart entre les actions engagées et les objectifs stratégiques n’est pas faite. Dans les cas étudiés, les entreprises pour lesquelles l’AT permet de construire un avantage concurrentiel durable sont des entreprises dans lesquelles une procédure de contrôle est effectuée. Il est vraisemblable que cette explication tient à la faible structuration des processus au sein de PME et apparaîtrait plus difficile au sein d’une grande entreprise.
Troisième explication : la distinction entre objectifs de l’entreprise et préférences des dirigeants est insuffisante. Nous prenons en compte que les objectifs de l’entreprise puissent être de natures diverses, économiques ou non, qualitatifs ou non (Sergot, 2007 ; St-Pierre et Cadieux, 2011 ; Thévenard-Puthod et Picard, 2013 ; Bousquet, Barbat et Verstraete, 2016 ; Persais, 2016). Toutefois, les préférences personnelles de l’entrepreneur peuvent également le conduire à s’écarter des objectifs de l’entreprise pour construire sa réputation personnelle. C’est ce que nous observons dans le cas d’Equi. L’entreprise a un objectif de croissance et de profitabilité validé par les actionnaires. En revanche, les actions d’AT engagées répondent à des objectifs idéologiques du dirigeant, notamment de nature écologique. Dans une moindre mesure, nous observons le même décalage dans le cas Ecrin. L’objectif est d’accroître la profitabilité pour dégager une capacité d’investissement et les efforts de création d’un label relèvent en partie d’un choix personnel du dirigeant. Ces deux exemples démontrent que le profil politique des dirigeants entrepreneuriaux peut interférer avec les objectifs de leur organisation. La mise en oeuvre de la stratégie devient fortement dépendante de la façon, dont le dirigeant se montre sensible à certaines informations lorsque celles-ci lui permettent de construire une réputation personnelle en accord avec ses valeurs (Courrent, Spence et Gherib, 2016). Ces informations et la façon, dont il les traite peuvent l’amener à s’écarter des objectifs initialement fixés (Håkonsson, Burton, Obel et Lauridsen, 2012).
Une quatrième explication réside dans le fait que le territoire est un prisme au travers duquel l’entrepreneur évalue ses propres actions. Le territoire est un espace sous-tendu par des standards, des règles implicites, des croyances, des valeurs, des conventions, des normes sociales. Ces éléments constituent une grille de lecture qui dit la valeur de l’entreprise et de l’entrepreneur. La valeur de l’entrepreneur aux yeux de son environnement, c’est-à-dire sa réputation personnelle, n’est donc pas seulement établie au regard de sa capacité à atteindre les objectifs assignés à son organisation, mais aussi au regard de l’évaluation que l’environnement peut dresser de ses actions. Or, l’AT d’une entreprise est une forme de territorialisation évaluée favorablement par l’environnement (Frayssignes, 2005). Plus l’entrepreneur est imbriqué dans des proximités locales multiples, plus il est exposé à l’évaluation que les acteurs territoriaux font de son action. Le poids de cette évaluation pèse sur ses actes. Ces analyses rejoignent les travaux montrant que la nature des décisions du dirigeant varie avec son ancienneté sur le territoire (Mazouz, 2008). Dans tous les cas observés, la satisfaction personnelle du dirigeant à être localement « reconnu » semble un moteur de son engagement dans l’action collective. La réputation personnelle recherchée est d’être perçu comme « grand » au regard des valeurs locales, indépendamment de motivations morales. Une part de narcissisme entre dans cette motivation, à des degrés variables. Nous avons évalué celle-ci en fonction des déclarations des dirigeants. Pour une part, il s’agit de l’interprétation que nous faisons de leurs propos. Dans le cas Equi (et dans une moindre mesure dans le cas Ecrin), cette réputation locale ne permet pas, ou peu, de satisfaire les intérêts de l’entreprise. Elle ne constitue pas une ressource utile à l’entreprise. Cette constatation rejoint celle de Petrenko, Aime, Ridge et Hill (2016) qui constatent que le « narcissisme du dirigeant a un effet positif sur l’intensité et le type de RSE de l’entreprise ».
Toutefois, la reconnaissance locale qui accompagne l’AT, ne peut être systématiquement réduite à la construction d’une réputation personnelle du dirigeant, de nature morale ou narcissique. Dans plusieurs cas observés, la reconnaissance locale, à la fois du dirigeant et de l’entreprise, permet à l’entreprise de demeurer dans le jeu collectif. Nous appuyant sur Suchman (1995) et Bitektine (2011), il nous semble opportun de différencier les critères de réputation et de légitimité de l’organisation. La réputation est le jugement spécifique porté sur une entreprise, fondé sur des expériences passées, et qui permet aux parties prenantes d’anticiper ses comportements à venir. La légitimité est le résultat du jugement établi sur la base de normes et de valeurs admises localement qui permet de dire si une entreprise appartient au groupe d’organisations habilitées à participer à une action collective. Une entreprise peut être légitime sans bénéficier d’une réputation particulière. Par ailleurs, une entreprise ayant une réputation locale positive bénéficie d’une légitimité accrue. Cet accroissement de la légitimité permet soit de bénéficier plus facilement de l’adhésion des partenaires locaux qui peuvent mieux anticiper sur les comportements à venir de la PME, soit d’initier des actions collectives en facilitant l’exercice de conviction auprès des parties prenantes. Les entreprises SudNégoce et LaserSystème sont dans cette situation. Leur réputation accroît leur légitimité à s’inscrire ou initier des actions collectives.
Dans le cas d’Ecrin, la réputation positive de l’entreprise lui permet de faire accepter des décisions en dehors de ces actions d’AT. Elle a notamment fait admettre, en interne, des exigences importantes de hausse de la productivité. La réputation de l’entreprise et du dirigeant d’être des éléments moteurs de la défense des savoir-faire locaux et de la relocalisation des productions a aidé à faire accepter cette décision.
Dans les cas étudiés, la réputation contribue donc :
soit à renforcer la légitimité des PME. Ce résultat prolonge les observations de Windolph, Harms et Schaltegger (2014) et Pereira Eugenio, Costa Lourenço et Morais (2013) qui montrent que d’autres composantes de la RSE, comme le développement durable, sont également motivées par une recherche de légitimité. Cette légitimité accrue peut soit faciliter la coconstruction de ressources collectives stratégiques, soit faire accepter d’autres actions de l’entreprise sans lien avec l’AT ;
soit simplement à satisfaire le narcissisme du dirigeant (Petrenko et al., 2016).
Nous soulignons toutefois l’existence de situations composites dans lesquelles la construction d’une réputation locale permet à la fois de répondre à des objectifs stratégiques et de satisfaire une motivation narcissique : Ecrin, SudNégoce et, à un degré moindre LaserSystème.
Dans cette configuration, où l’entreprise investit dans la constitution de ressources peu ou pas stratégiques, les proximités interviennent comme support pour diffuser une information sur la réputation ou la légitimité de l’entreprise. Dans l’immédiat, cette information ne constitue pas une ressource stratégique. Néanmoins elle est susceptible de favoriser des coordinations ultérieures.
Conclusion
La question de recherche visait à produire une grille d’analyse de la nature stratégique des ressources issues de l’AT d’une PME. Partant du modèle d’évaluation du VRIO, nous avons établi, d’un point de vue théorique, les caractéristiques du territoire et du lien avec l’entreprise sur lesquels se fondent la valeur, la rareté et l’inimitabilité des ressources issues de l’AT. D’une part l’utilisation empirique de la grille d’analyse établie sur cette base a permis de valider la pertinence de ces critères d’analyse pour évaluer la nature stratégique des ressources d’AT. D’autre part, elle a mis en lumière le rôle de la légitimité qui émerge systématiquement d’un AT. La légitimité apparaît comme une capacité de l’organisation à s’inscrire dans le processus de coproduction et de captation des ressources locales issues de l’AT. Elle constitue une composante de la variable « organisation » du modèle VRIO, appliquée aux PME ancrées, au même titre que la capacité à effectuer un reporting, un contrôle et des incitations. Ces observations permettent de compléter la grille d’analyse proposée initialement dans le tableau 1.
La littérature académique a montré l’intérêt stratégique de l’AT et, de façon moins fréquente, les limites possibles de celui-ci. Les limites mises en évidence dans la littérature reposent le plus souvent sur les effets de l’enfermement spatial, du poids des traditions et de l’immobilisme. Le travail réalisé montre que les limites de l’AT d’un point de vue stratégique peuvent également tenir au fait que l’entreprise investit de l’énergie dans la production de ressources collectives qu’elle ne valorise pas. Les cas étudiés mettent en évidence quatre raisons de cette non-valorisation, dans le cas de PME. Il peut s’agir d’une mauvaise évaluation de la valeur des ressources. Il peut y avoir une absence de contrôle de l’alignement des actions sur les objectifs. Cela peut résulter d’une confusion entre préférences du dirigeant et objectifs de l’entreprise. Enfin, cela peut tenir au désir narcissique du dirigeant qui recherche à acquérir une légitimité locale sans que cela n’accroisse la légitimité stratégique de son entreprise.
Par ailleurs, la littérature académique fait de l’AT un objet ambivalent. Il est à la fois une des composantes de la politique RSE d’une entreprise et un objet potentiellement stratégique ; ces deux dimensions pouvant être cumulatives. L’approche par les ressources, en se plaçant du point de vue de la PME, souligne la dissociation devant être faite entre l’intérêt collectif et individuel des ressources issues de l’AT.
D’un point de vue managérial, nous encourageons les dirigeants de PME à adopter une attitude critique vis-à-vis de l’AT afin de dissocier l’évaluation qui peut en être faite d’un point de vue extérieur, par l’environnement, et en interne, en se focalisant sur la capacité des ressources à répondre aux objectifs de l’entreprise. Dans le contexte spécifique de l’AT, l’analyse de la valeur stratégique des ressources par le modèle VRIO repose sur six questions :
quelle est la nature et l’intensité des apprentissages collectifs effectués ?
quelle est la variété et la non-substituabilité des proximités que mobilisent ces actions collectives ?
quel est le rôle des institutions locales (dans la mise en oeuvre des actions et pour rendre les ressources non imitables) ?
les spécificités de l’histoire du territoire sont-elles mobilisées dans la création des ressources d’AT ?
l’entreprise a-t-elle la capacité de créer de la valeur à partir des ressources issues de l’AT ?
quelle est l’utilité pour l’entreprise de construire une réputation locale ?
Le choix théorique du modèle d’analyse peut souffrir des critiques qui sont adressées à la RBV en général et au modèle VRIO en particulier (Priem et Butler, 2001 ; Kraaijenbrink, Spender et Groen, 2010). Dans ce cadre théorique, la principale limite empirique tient à notre choix de limiter nos observations à des cas de PME de type entrepreneurial dans lesquels l’AT est le résultat d’une action proactive du dirigeant. Ce choix répondait à notre volonté de nous limiter à des entreprises et des actions d’AT simples à comprendre, mais pour lesquelles nous pouvions recueillir un matériel abondant. Il est possible qu’il influe sur la nature des motivations des ancrages observés. La question de recherche posée n’est cependant pas une question, dont la portée doit être, par nature, limitée aux seules PME entrepreneuriales.
Une autre limite tient à ce que nous abordons les ressources d’AT de façon statique. Nous avons fait ce choix, car l’objectif était de mettre en évidence les fondements de leur nature stratégique et non les processus leur permettant d’émerger. Toutefois la grille proposée ne fait pas apparaître l’instabilité potentielle des ressources. En effet, d’une part les interactions sont changeantes et, d’autre part, les proximités sont instables dans le temps (Balland, Boshma et Frenken, 2015).
Enfin, ce travail peut être prolongé dans plusieurs directions. En premier lieu, la grille d’analyse peut être empiriquement testée dans le cas de l’AT de grandes entreprises, mais aussi de PME où l’AT est issu d’une longue tradition ou d’un non-choix. En second lieu, nous avons distingué plusieurs usages de la légitimité issue de l’AT, mais nous n’avons pas étudié la nature de cette légitimité. S’agit-il d’une légitimité pragmatique, morale, cognitive ? Ceci demeure à préciser pour mieux qualifier cette ressource issue de l’AT.
Parties annexes
Notes biographiques
François Bousquet, docteur en sciences de gestion (Université de Bordeaux), est professeur de marketing à l’ESC PAU Business School. Ses travaux de recherche portent sur les coordinations entre entreprises et leurs liens au territoire.
Valérie Barbat, docteure en sciences de gestion (Université de Bordeaux), est professeure associée à KEDGE Business School, au département Marketing. Ses travaux de recherche s’intéressent principalement à la coordination des décisions internationales et locales des PME.
Stéphanie Petzold, docteure en sciences de gestion (Université de Bordeaux), est professeure associée à KEDGE Business School, au département Marketing. Ses travaux de recherche portent sur le marketing et la stratégie des PME et, en particulier, des jeunes entreprises innovantes.
Notes
-
[1]
« firm resources include all assets, capabilities, organizational processes, firm attributes, information, knowledge, etc. controlled by a firm to conceive of and implement strategies that improve its efficiency and effectiveness » (Barney, 1991, p. 101).
-
[2]
Le modèle VRIN repose sur la valeur des ressources, sur leur rareté, sur leur inimitabilité et sur leur non-substituabilité.
-
[3]
Le terme de reporting est peu employé en PME, mais nous le conservons pour garder la terminologie généralement usitée concernant le VRIO. Il renvoie ici à tous les échanges d’information, y compris avec les parties prenantes externes, mais qui, en situation d’ancrage, se rapprochent des parties prenantes internes.
-
[4]
AOP : appellation d’origine protégée ; IGP : indication géographique protégée.
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