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Introduction

À un premier niveau d’analyse, la défaillance de l’entreprise est interprétée comme un signe d’échec, mettant en cause les compétences ou l’intégrité de sa direction. Des éléments de contexte nuancent cette première lecture. Dans leur article de 1995, « Finance et PME : quels champs pour quels enjeux ? », Belletante et Levratto soulignent que le taux de mortalité plus élevé des PME reflète en partie des conditions plus strictes d’accès au financement externe. Eisdorfer et Hsu (2011) démontrent, dans la suite des travaux d’Evans (1987), que les secteurs plus innovants ont un taux de mortalité plus élevé.

L’analyse comparative internationale met en évidence l’effet de plusieurs autres déterminants technologiques, organisationnels et légaux de la probabilité de défaillance d’une entreprise (Papillon, 2013).

La dimension financière de la défaillance a suscité depuis longtemps l’intérêt des banques et fournisseurs à crédit. Des agences d’information sur la santé financière des entreprises ont vu le jour dès le milieu du xixe siècle, par exemple Dun et Bradstreet. Une tradition de recherche a émergé à partir des travaux de Beaver (1966) et Altman (1968) ; Zhou et Lai (2017) en est un exemple récent. Des sources plus analytiques d’information se sont développées, proposant des indicateurs avancés et des modèles de prévision. Cela a élargi les perspectives de la finance corporative, conçue comme lieu de synthèse des meilleures pratiques, surtout préventives et ex ante à la défaillance.

Les entreprises défaillantes comme objet de recherche en sciences de la gestion ont également suscité l’intérêt des spécialistes du management et du changement organisationnel, comme en témoigne la recension récente de Schweizer et Nienhaus (2017). De plus, les juristes spécialisés dans le droit des entreprises en difficulté, par exemple Chaput en France (1981, 1986) ou Roe aux États-Unis s’y sont particulièrement intéressés. Leurs préoccupations rejoignent les sciences de la gestion, quand cette dernière va au-delà de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et est abordée dans une perspective transactionnelle. Cette recherche a les mêmes préoccupations sur la qualité du droit et plus spécifiquement sur l’application de ce droit au monde des PME. Elle a été précédée par une quarantaine d’études de cas d’entreprises en difficultés.

La défaillance ou la faillite, comme le soulignaient Adams et Brock (2004), ne détruit pas systématiquement les actifs. Une issue possible de la défaillance est la liquidation. Les actifs sont alors dispersés parmi plusieurs acheteurs ou acquis en bloc ; des actifs très spécifiques peuvent être perdus, par exemple des savoir-faire liés à des processus physiques ou à l’organisation (Besanko, Dranove, Shanley et Schaefer, 2011). L’alternative est la réorganisation.

À partir des années quatre-vingt, les réorganisations sont devenues un phénomène courant du milieu des affaires. Ceci comporte une négociation à la baisse des obligations du débiteur. À titre d’illustration, AbitibiBowater, devenue Produits forestiers Résolu, a obtenu une réduction d’environ 90 % de son endettement obligataire, passé de plus de huit milliards à moins d’un milliard. Les salaires et les fonds de pension peuvent également être l’objet d’une réduction des obligations de l’entreprise. Une estimation conservatrice pour 2010 chiffre les pertes financières des créanciers d’entreprises insolvables à près de 40 milliards au niveau canadien, et ce montant doublerait si on ajoute les pertes des entrepreneurs et dirigeants propriétaires (Papillon, 2012). Ceci inclut le coût administratif des procédures, la réorganisation ayant un coût plus élevé, de 7 % du montant total des créances en moyenne, comparativement à 3 % pour les liquidations (Papillon, 2012). Une entreprise peut connaître des difficultés pour des événements en dehors de son contrôle ; bien que gérée de façon compétente et honnête, elle est malchanceuse. Par ailleurs, les difficultés peuvent inciter des dirigeants à manipuler les données et résultats financiers (Rosner, 2003). Si le contrôle des actifs par des dirigeants incompétents ou malhonnêtes se prolonge, les pertes financières augmentent et les coûts d’agence du financement externe de l’entreprise seront plus élevés.

Avec le financement par dette, et selon le contexte légal, les prêteurs et créanciers peuvent retirer la gestion des actifs au débiteur quand des clauses contractuelles ne sont pas respectées. Plusieurs pays du monde ont dans leur droit des mesures similaires à celles du chapitre 11 du Code américain de la faillite permettant la suspension du droit des créanciers et maintenant les dirigeants en contrôle des actifs. C’est le cas du droit canadien avec la loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC), une loi de tradition (common law), et la loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI), une loi de tradition civiliste. La procédure LACC est limitée aux entreprises avec des dettes dépassant cinq millions de dollars. Jusqu’au début des années quatre-vingt, la LACC avait été très rarement utilisée. Les tribunaux changent radicalement les choses à partir de la récession de 1981 (Ziegel et Baird, 1997) : 219 applications de la LACC sont rapportées pour 1983-2005 (Sarra, 2006) et pour 2010, 296 entreprises et sociétés affiliées ont demandé la protection de la LACC. Les réorganisations suivant la LFI sont plus nombreuses. Plus accessible depuis la réforme de 1992, leur nombre aurait doublé, voire triplé (Fisher et Martel, 2003). Selon les qualificatifs utilisés dans la caractérisation des systèmes nationaux encadrant l’insolvabilité commerciale et les réorganisations (La Porta, Lopez-de-Silanes, Shleifer et Vishny, 1998 ; Berkovitch et Ronen, 1999 ; Banque mondiale, 2003 ; Fisher et Martel, 2012), le droit canadien, en restreignant le droit de créanciers prioritaires de s’approprier les actifs donnés en garantie, serait passé de procréancier à prodébiteur.

Permettre la réorganisation d’une entreprise en difficulté est une décision en incertitude sujette à deux erreurs possibles : 1) tenter de redresser une entreprise non viable, 2) liquider une entreprise viable. Après la réforme de 1992 de la procédure LFI, le type 1 serait devenu quatre fois plus probable que le type 2 selon Fisher et Martel (2003) qui soulignent par ailleurs le défi, également abordé par Schweizer et Nienhaus (2017), d’identifier les entreprises vraiment viables. Les entreprises viables constituent un résultat et leur identification aux fins d’évaluation suit la logique d’une « gestion axée sur les résultats » devenue très populaire en administration publique ; cette gestion comporte diverses limites (Papillon, 2007). La présente recherche propose une nouvelle méthodologie d’évaluation des modalités d’accès aux procédures de réorganisation en tant que processus de sélection des entreprises admises à ces procédures et se focalise sur l’efficacité informationnelle de ce processus. Parmi les acteurs impliqués directement ou indirectement dans une réorganisation, le syndic, un agent privé, assume un rôle-clé dans le droit canadien. Il peut orienter l’entreprise en difficulté vers une procédure de liquidation ou l’accepter comme réorganisation. Sa décision devrait s’appuyer sur l’information disponible quant aux chances de réussite d’une réorganisation. La recherche, inspirée des travaux de Fama en finance, présente des tests statistiques pour évaluer si l’information accessible est utilisée pour minimiser les erreurs de sélection.

Afin de limiter la portée des erreurs de type 1, la procédure LFI comporte plusieurs étapes à franchir par le débiteur. Si le processus de sélection prend en compte l’information financière disponible alors l’issue d’une étape, succès ou échec, ne pourra pas être prédite par cette même information. La recherche ne présente pas un test formel de l’efficience informationnelle. Fama (1976) soutient que « des tests formels requièrent des modèles formels » qui définiraient ce que signifie le terme « reflète » dans l’expression « la procédure… reflète… l’information pertinente disponible » (Fama, 1970). Fama (1970) rappelle que la recherche empirique a précédé le développement de la théorie et plusieurs contributions récentes sont empiriques (Borges, 2010) sur les marchés boursiers de pays européens, Chen (2010) sur le marché de changes États-Unis/Taïwan…

La deuxième section décrit les étapes de la procédure LFI et présente des considérations théoriques sur les variables retenues pour l’analyse. La troisième section présente les données de l’étude et résume les résultats mitigés d’une première évaluation de l’efficience informationnelle à l’aide de modèles binaires. Un défi de la recherche est de dépasser une vision simpliste de la procédure LFI, vision supposant que le nombre de cheminements possibles dans la procédure est proche du nombre d’étapes. La quatrième section approfondit le phénomène des réorganisations sous la LFI ; près de 10 000 entreprises incorporées et plus de 5 000 entreprises individuelles ont utilisé la procédure LFI au cours de la période 1995-2007 et pour chaque catégorie d’entreprises, la recherche a identifié plus de 150 cheminements distincts. Cette identification, sous forme de classification, est utilisée pour définir de nouveaux modèles binaires et réévaluer l’efficience informationnelle. La cinquième section présente les résultats et la dernière section conclut.

1. Procédure de proposition de la LFI et principes d’utilisation

Formellement désignée par procédure de proposition, la procédure LFI était, avant 1992, initiée avec le dépôt d’une proposition aux créanciers par le débiteur. Son rejet entraînant immédiatement la faillite, le débiteur était réticent à s’engager dans une procédure à offre définitive aux créanciers. Des syndics de l’époque rapportent que la proposition temporaire était devenue une pratique fréquente au début des années quatre-vingt-dix. La proposition temporaire était une promesse du débiteur de déposer une proposition. La réforme de 1992 a officialisé cette pratique en permettant l’ouverture d’une procédure de proposition sur simple dépôt d’un avis d’intention, un tel dépôt mettant le débiteur à l’abri des recours des créanciers. L’avis d’intention doit recevoir l’aval d’un syndic, un agent privé licencié par le BSF. Le syndic est de ce fait un intermédiaire entre les créanciers et le débiteur.

La réforme de 1992 définit des étapes à franchir à l’intérieur de certains délais, afin que l’entreprise sans potentiel de redressement soit rapidement mise en liquidation. Ces étapes constituent le filtre prévu par la loi et sont au nombre de cinq. L’entreprise est définitivement sous probation au cours des trois premières étapes représentées à la figure 1 et qui sont : le dépôt de projections financières présentant un état de l’évolution de l’encaisse (ÉÉE), le dépôt de la proposition du débiteur aux créanciers, le consentement des créanciers. Ces étapes peuvent être qualifiées d’étapes guillotines, car si les délais ne sont pas respectés, l’entreprise est réputée avoir fait une cession de ses biens et devrait être mise en liquidation, le débiteur perdant alors le contrôle des actifs et le syndic en assumant dorénavant la gestion et la garde. Ces trois premières étapes visent à limiter la première des deux erreurs de sélection définies précédemment. Comme l’étude des cheminements des entreprises dans la procédure le montrera, les choses n’ont pas été aussi irréversibles dans la pratique, par exemple une proposition ne recevant pas un appui suffisant des créanciers sera parfois amendée et soumise de nouveau. Après la quatrième étape, soit l’homologation par le tribunal de la proposition, l’entreprise retrouve une autonomie partielle par rapport à ses créanciers. Si l’entreprise rencontre les conditions définies dans la proposition, c’est-à-dire si la proposition est exécutée sans qu’un avis de défaut d’exécution ne soit déposé par le syndic, alors la proposition réussit au sens strict de la loi et la radiation des dettes prévue est définitive. Suite à cette cinquième étape d’exécution de la proposition, l’entreprise retrouve l’autonomie, dont elle jouissait avant ses difficultés. Regardons de plus près les premières étapes.

Après l’avis d’intention, l’entreprise dispose d’un délai de 10 jours pour déposer l’ÉÉE et d’un délai de 30 jours pour déposer la proposition. Ce dernier délai est renouvelable avec l’accord du tribunal par tranche maximum de 45 jours pour un total maximum de cinq mois. L’assemblée des créanciers appelés à voter sur la proposition doit se tenir dans les 21 jours suivant le dépôt de la proposition, mais le vote des créanciers sur la proposition peut être reporté si les créanciers suspendent l’assemblée. La proposition devient effective, liant l’ensemble des créanciers concernés, si elle est acceptée par une majorité simple en nombre et une majorité des deux tiers en valeur des créances. La loi prévoit par ailleurs qu’à tout moment après avoir initié une procédure de proposition, l’entreprise peut déclarer faillite, on parlera alors de cession volontaire.

Figure 1

Étapes de la procédure de proposition LFI en amont de l’homologation du plan par le tribunal

Étapes de la procédure de proposition LFI en amont de l’homologation du plan par le tribunal

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Avec la réforme de 1992, un débiteur est moins hésitant à demander à un syndic qu’une procédure de proposition soit initiée. Cette demande doit être supportée par des informations financières minimales sur les actifs encore disponibles et le niveau d’endettement. Si ces informations contiennent des indications sur les chances de réussite de la procédure, la sélection sera efficiente au plan informationnel quand elle prend en compte ces indications dans la décision d’initier une procédure.

Une entreprise insolvable ne peut plus honorer ses obligations au fur et à mesure qu’elles sont dues. Sur le plan de la mesure, l’insolvabilité recourt à des variables de flux concernant les recettes et les dépenses. Une entreprise peut aussi être considérée comme insolvable quand la valeur présente de ses engagements est supérieure à ses actifs. Les informations financières minimales disponibles en début de procédure permettent de calculer un ratio actif/dette qui fournit une mesure du degré d’insolvabilité selon cette conception. Si le ratio est inférieur à 1, l’entreprise sera considérée comme insolvable. Plus ce ratio est petit, c’est-à-dire plus une entreprise est insolvable quand elle entre dans une procédure de redressement, plus son potentiel de redressement sera limité et moins les chances de réussite sont bonnes. En outre, la procédure impose des contraintes, par exemple les créanciers garantis se voient restreints dans l’exercice de leur droit de saisir les actifs donnés en sûreté et plusieurs catégories de créanciers doivent se prononcer collectivement sur la proposition qui leur est faite par le débiteur. Ces contraintes lient le sort des parties impliquées et les incitent à recourir à diverses stratégies pour défendre leurs intérêts. Plusieurs auteurs se sont intéressés aux résultats qui en découlent : Deloche et Chopard (2002) le font pour certains aspects du droit français en utilisant la théorie des jeux. Roe (1983, 1989) démontre comment il peut y avoir un prolongement coûteux – des créanciers garantis demandant alors une caution personnelle au débiteur afin de pouvoir gérer la chose. Baird et Picker (1991) soulignent comment les contraintes de la procédure peuvent permettre aux gestionnaires de consommer la valeur résiduelle de l’entreprise.

La taille de l’entreprise peut affecter la probabilité d’échec à certaines étapes. Le montant des actifs rapporté au moment d’initier la procédure donne une indication sur la taille. L’utilisation de cette indication dans l’analyse empirique peut permettre de cerner plus précisément l’effet du ratio actif/dette sur les chances de survie en cours de procédure. La prise en compte d’autres informations disponibles peut également permettre d’estimer plus précisément cet effet. Ainsi, les statistiques par secteur du taux de défaut indiquent des variations appréciables (BSF, 2006) ; cela peut s’expliquer par les barrières à l’entrée. Pour un secteur comme la restauration qui affiche un taux de défaut élevé, les barrières à l’entrée ne sont pas importantes. Continuellement, de nouvelles entreprises font leur entrée dans le secteur, et cette entrée force l’élimination d’un certain nombre d’entreprises existantes ; cette concurrence plus vive impliquera également une probabilité de défaut plus élevée pour une entreprise tentant de se redresser. Inversement, les entreprises manufacturières se distribuent parmi un grand nombre de sous-secteurs spécialisés et les barrières à l’entrée dans ces sous-secteurs seront généralement appréciables. Le taux de défaut pour le secteur est plus faible et la probabilité d’échec d’un redressement y est vraisemblablement plus faible. La localisation est un autre élément à prendre en compte.

Selon Gosselin et Papillon (2005) et la présente recherche, les taux de succès sont généralement plus élevés en périphérie que dans les zones centrales (Montréal et Toronto). La spécificité des actifs en périphérie étant plus élevée, compte tenu du nombre réduit d’utilisations alternatives, l’échec d’un redressement signifiera des pertes plus élevées, incitant vraisemblablement les parties impliquées à davantage de compromis en périphérie. De plus, la distinction centre-périphérie module vraisemblablement l’effet sur le taux de succès de la procédure, de variables comme le secteur ou la taille. La densité géographique de l’activité économique étant moins élevée en périphérie, la concurrence y sera généralement moins forte. En outre, pour offrir un produit au centre, une entreprise a moins besoin d’être intégrée verticalement en amont, car elle a accès à une plus grande diversité de fournisseurs. Ses besoins de financement seront donc généralement plus modestes et y seront plus facilement satisfaits. Par ailleurs, les facilités de financement de l’entreprise augmentent avec sa taille. L’effet « taille de l’entreprise » sur la probabilité de succès d’un redressement devrait donc être plus important en périphérie qu’au centre.

Au total, les chances de réussite d’une procédure de redressement de la LFI dépendent d’une variété de facteurs. En plus des informations financières minimales incluant des indications de la taille de l’entreprise, le secteur d’activité et la localisation sont aussi des éléments connus. Si, après avoir pris en compte l’effet de ces facteurs, le ratio actif/dette conserve une capacité de prédiction de l’échec de la procédure, alors la recherche conclura que la sélection ne se fait pas à la lumière de toute l’information disponible au moment où l’entreprise s’apprête à entrer dans la procédure et, donc, que le mécanisme de sélection n’est pas efficient au plan informationnel.

Le droit canadien des entreprises en difficulté, dont la LFI, s’applique en interaction avec des lois provinciales sur la propriété et la taxation de même qu’en interaction avec les politiques de soutien au démarrage d’entreprises, dont la portée varie d’une province à l’autre, ainsi que les incitations à s’incorporer. Ceci contribue à différencier le phénomène d’insolvabilité et le taux de succès de la procédure, particulièrement entre le Québec et les provinces du reste du Canada. L’analyse empirique regroupe donc les données en quatre zones géographiques qui distinguent à la fois la province de Québec du reste du Canada et la périphérie des zones centrales.

2. Données de l’étude et analyse préliminaire

Les données utilisées pour la recherche ont été produites à partir de dossiers informatisés créés par le BSF à partir d’informations fournies par les syndics. Outre un code indiquant l’étape à laquelle il y a eu échec de la proposition, dans les cas d’échec, la base inclut des données financières sur le montant d’actif et le montant de la dette au moment d’entrer dans la procédure ainsi que les coûts directs de la procédure et les recettes qu’elles génèrent. Ces dernières informations apparaissent au dossier quand l’entreprise quitte la procédure. Certains dossiers étaient incomplets. Afin d’avoir des données financières fiables, quatre conditions ont présidé à la sélection des dossiers : 1) une dette supérieure à 1 001 $, 2) un actif supérieur à 1 000 $, 3) un actif inférieur à la dette, 4) un ratio du montant des recettes sur l’actif inférieur à 1,1. La première et la troisième condition attestent de l’état d’insolvabilité de l’entreprise. La deuxième et la quatrième condition attestent de la qualité de l’information sur l’actif inscrit au dossier ; la quatrième condition réfère aux recettes générées dans le cadre de la procédure afin de couvrir les frais de la procédure et ce qui est offert aux créanciers pour leur appui à la proposition. Près de la moitié, soit 4 529 dossiers des 9 800 entreprises incorporées pour lesquelles une procédure de proposition LFI a été initiée au cours de la période 1995-2007, ont satisfait les quatre conditions.

Le montant moyen annuel de la dette varie entre un minimum de 1,4 et 2,1 millions de dollars. L’actif est deux à trois fois moins élevé que la dette. La médiane, systématiquement inférieure à la moyenne, révèle une distribution de valeurs asymptotique à droite. La moyenne annuelle du ratio actif/dette oscille autour de 0,40, avec une légère tendance à la baisse au cours de la période ; il y a une dispersion appréciable autour de la moyenne. Le secteur d’activité et la localisation différencient les valeurs : la périphérie a des valeurs de dette et d’actif inférieures à celles pour le centre, mais elle a un ratio actif/dette plus élevé tandis que les dossiers d’« hébergement et services de restauration » ont en moyenne un actif quatre fois moins élevé que ceux de « manufacture ».

L’échec ou la réussite de la procédure à diverses étapes s’établit comme suit. L’échec pour non-dépôt de l’ÉÉE et pour non-dépôt d’une proposition représente respectivement 4,1 % et 17,1 % du nombre de dossiers. Environ un dossier sur deux (51,7 %) franchit les étapes instituées lors de la réforme de 1992 et obtient un vote favorable des créanciers sur la proposition déposée. Un dossier sur quatre (22,3 %) termine avec une proposition exécutée sans avis de défaut. Les taux de réussite à diverses étapes ont été recalculés par décile de valeurs du ratio actif/dette. Comme indiqué au tableau 1, le ratio différencie ces taux. Les entreprises du 10e décile qui regroupent celles ayant les ratios les plus élevés, c’est-à-dire les moins insolvables, ont des taux de réussite systématiquement plus élevés.

Tableau 1

Variations du taux de réussite du premier au 10e décile de la distribution des valeurs du ratio actif/dette

Variations du taux de réussite du premier au 10e décile de la distribution des valeurs du ratio actif/dette

Note : pour ce tableau et certains tableaux subséquents, les abréviations correspondent aux quatre zones géographiques suivantes : le grand Toronto (Centre – Can. h. Q.), la périphérie hors du Québec (Périphérie – Can. h. Q.), le grand Montréal (Centre – Pr. Q.) et la périphérie au Québec (Périphérie – Pr. Q.).

Source : estimation à partir des données du BSF et en utilisant les codes de sortie de procédure.

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Pour tester l’hypothèse de l’efficience informationnelle, des modèles binaires ont été utilisés. À chaque étape de la procédure, soit que le dossier franchisse l’étape « réussite » ou ne la franchisse pas (« échec »). Pour mesurer l’effet des variables financières sur ce résultat, une variable dépendante prenant la valeur 1 quand il y a réussite et la valeur 0 quand il y a échec a été définie, d’où le qualificatif de binaire appliqué aux modèles explicatifs de ce type de variables dépendantes. Les modèles estimés incorporent les variables indépendantes suivantes : le ratio actif/dette, le montant d’actif comme variable de contrôle pour la taille de l’entreprise, ainsi que d’autres variables de contrôle identifiant le secteur d’activité. L’hypothèse de l’efficience informationnelle sera retenue si le coefficient de la variable ratio actif/dette n’est pas significatif. La valeur prédite par les modèles binaires est une probabilité conditionnelle de réussite. Le coefficient d’une variable indépendante, si l’estimation du modèle se fait par régression linéaire, mesure directement son effet sur cette probabilité, mais le R2 sera très faible et les valeurs prédites de probabilité de réussite, augmentant de façon linéaire, peuvent sortir de l’intervalle [0,1] bornant la probabilité. Avec la régression logistique, l’estimation de la probabilité conditionnelle génère des valeurs dans l’intervalle [0,1]. Par ailleurs, les variations parmi les valeurs faibles des variables indépendantes ont peu d’effet.

Une évaluation préliminaire par Papillon (2008), utilisant le sous-ensemble de dossiers décrits précédemment, ne supporte pas l’hypothèse d’efficience informationnelle du processus de sélection de la procédure de proposition LFI : aussi bien en régression linéaire que logistique, le coefficient du ratio actif/dette est significatif, une baisse de sa valeur pouvant augmenter de façon notable la probabilité d’échec. La variable de contrôle identifiant le secteur n’a pas d’effet significatif. Les résultats varient en fonction des zones géographiques. Le plus grand accès à la procédure dans les zones « centre » pourrait être un facteur explicatif. Cette évaluation compare les entreprises ayant réussi l’ensemble de la procédure aux sous-groupes ayant échoué à l’une ou l’autre étape de la procédure ou ayant abandonné par cession volontaire. La cession volontaire survient le plus souvent parmi les premières étapes. Bien que la valeur du coefficient du ratio actif/dette soit moins élevée avec les modèles binaires pour les étapes plus avancées de la procédure, cette valeur demeure généralement significative. Pourtant, ces étapes visent à prendre en compte d’autres indicateurs du potentiel de redressement de l’entreprise en difficulté que ceux révélés par les données financières en début de procédure. Par exemple, le vote des créanciers peut être révélateur de la qualité de la relation du débiteur avec ses principaux fournisseurs. Pareillement, la période d’exécution de la proposition permet de valider le réalisme des prévisions de rentabilité, suite aux réductions de coûts accordées par la proposition. Par ailleurs, la cession volontaire est une décision du débiteur qui est vraisemblablement le mieux informé de la situation réelle de l’entreprise. Les résultats significatifs pour cet événement accréditeraient la conjoncture voulant que le débiteur utilise la procédure pour maintenir un peu plus longtemps son contrôle sur les actifs.

L’évaluation précédente a deux limites importantes. Premièrement, les entreprises sont groupées en fonction des codes de sortie de la procédure, c’est-à-dire l’étape où il y a eu échec ou cession. Ceci entraîne une hétérogénéité, car les codes de sortie ne distinguent pas les divers cheminements dans la procédure incluant le mode d’entrée. Des entreprises entrent avec un avis d’intention, d’autres avec un état d’évolution de l’encaisse ou même une proposition, comme l’exigeait la loi d’avant 1992. De plus, des échanges avec des professionnels de l’insolvabilité ont suggéré une diversité de cheminements allant au-delà des modes d’entrée et de sortie. Deuxièmement, l’analyse suppose que la procédure de proposition vise le redressement. L’objectif de la réforme de 1992 est d’augmenter les chances de redressement d’entreprises viables bien qu’en difficulté en donnant les moyens au débiteur de s’opposer à la liquidation hâtive de son entreprise, mais dans certains cas, la procédure de proposition est utilisée dès le départ à des fins de liquidation ; ceci est une autre source d’hétérogénéité et de biais possible.

3. Multiplicité des cheminements au sein de la procédure

Les données informatisées du BSF fournissent sous forme de codes à deux chiffres des indications sur l’évolution d’un dossier d’insolvabilité au sein de la LFI, chaque code étant relié à une section de la loi. Afin de connaître la diversité des cheminements dans la procédure et de définir des sous-groupes plus homogènes de dossiers de succès et d’échec, une demande a été présentée au BSF pour un nouvel ensemble de données incluant tous ces codes. L’analyse ayant révélé qu’il peut y avoir jusqu’à six codes distincts pour un seul dossier, un nouveau code à douze chiffres a été produit, juxtaposant dans l’ordre chronologique les codes à deux chiffres du BSF. Le nombre de codes à douze chiffres fournit une mesure de la diversité des cheminements possibles : 179 codes distincts ont été identifiés pour les entreprises incorporées. Certains codes rassemblent un grand nombre d’entreprises. Par exemple le code 414423000000, qui désigne les entreprises ayant déposé un avis d’intention (code 41), un état de l’évolution de l’encaisse (code 44), mais ayant fait cession (code 23) avant de présenter une proposition aux créanciers, est rapporté pour 509 dossiers. Le code 414445464700, qui désigne les entreprises ayant fait l’objet d’un dépôt de proposition amendée, suivi d’un avis de défaut d’exécution, n’est rapporté que pour 47 dossiers. Plus de la moitié des codes ne regroupent que quelques dossiers.

Le cheminement de chaque séquence de codes à douze chiffres a été étudié pour en vérifier la cohérence et la vraisemblance, du point de vue de la LFI et de son application. Suivant un processus itératif de va-et-vient entre, d’une part, les multiples cheminements rapportés par les codes à douze chiffres et d’autre part, le contenu de la loi et le point de vue des gens impliqués dans son application, certains analystes du BSF et des professionnels de l’insolvabilité (syndics et avocats), les cheminements ont été classés en 40 catégories distinctes, mettant en évidence les étapes et mécanismes de contrôle prévus par la loi. Ces catégories ont reçu des codes à trois chiffres incluant une décimale. Une définition de chaque catégorie est présentée dans le tableau en annexe. La quarantième catégorie de cette classification est une catégorie résiduelle de dix-huit codes jugés incohérents. Les 117 dossiers qu’ils regroupent, soit 1,2 % du nombre total, ont été retirés aux fins de l’analyse statistique, de même que les dossiers de trois autres catégories regroupant quelques dossiers initiés sous la LFI et transférés, à une étape ou l’autre de la procédure de proposition, à la LACC. Excluant ces quatre dernières catégories, la nouvelle classification contient pour chaque mode d’entrée dans la procédure, deux catégories de réussite soient respectivement les propositions et les propositions amendées, exécutées sans avis de défaut. Ce sont des réussites au sens où une proposition a été éventuellement acceptée par les créanciers, et par le tribunal et a été exécutée sans avis de défaut. En amont de l’étape de dépôt d’une proposition, le nombre de catégories d’échec varie en fonction du mode d’entrée dans la procédure : il est de huit dans les cas de l’entrée par avis d’intention (11, 11,8, 11,9, …, 13,9), de quatre dans les cas d’entrée par dépôt d’un ÉÉE ou état de l’évolution de l’encaisse (21, …, 23) et tombe à zéro dans les cas d’entrée par dépôt d’une proposition. Les 36 catégories retenues dans la nouvelle classification permettent de définir une multitude de modèles binaires basés sur des scénarios d’échec et de réussite au contenu beaucoup plus homogène que dans l’analyse préliminaire. Le tableau 2 présente les seize modèles retenus pour l’analyse. La deuxième et la troisième colonne du tableau indiquent respectivement la ou les catégorie(s) définissant le scénario de réussite et le scénario d’échec.

Tableau 2

Modèles binaires définis à partir des catégories de cheminements

Modèles binaires définis à partir des catégories de cheminements
Source : catégories de cheminements définies au cours de la recherche.

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Les six premiers modèles s’appliquent aux entreprises qui initient la procédure avec un avis d’intention (Avis-1 à 6), les six modèles suivants s’appliquent aux entreprises qui initient la procédure avec un état de l’évolution de l’encaisse (ÉÉE-1 à 6) et les quatre modèles suivants s’appliquent aux entreprises qui initient la procédure avec le dépôt d’une proposition (Prop-1 à 4). Pour chacun des trois modes d’entrée dans la procédure, le premier scénario de succès inclut les propositions originales non amendées de même que les propositions amendées. Les autres scénarios de succès n’incluent que les propositions originales non amendées. Les échanges avec les créanciers entourant l’adoption d’un amendement amènent la prise en compte d’éléments qui ne peuvent être déduits des données financières disponibles en début de période. Ces éléments ne sont pas pertinents à l’évaluation de l’efficience informationnelle du mécanisme de sélection.

Pour chaque mode d’entrée, les trois derniers scénarios d’échec réfèrent à des circonstances d’échec survenant après le dépôt d’une proposition. Les modèles Avis-4, ÉÉE-4, Prop-1 et Prop-2 utilisent un scénario d’échec qui combine toutes les catégories reliées à ces circonstances. Les modèles Avis-5, ÉÉE-5 et Prop-3 ont pour scénario d’échec le rejet par les créanciers de la proposition qui leur est soumise par le débiteur. Les modèles Avis-6, ÉÉE-6 et Prop-4 ont pour scénario d’échec un défaut d’exécution de la proposition. Les scénarios d’échec des six autres modèles, Avis-1 à 3 et ÉÉE-1 à 3, réfèrent à des circonstances d’échec dans les étapes de la procédure avant le dépôt d’une proposition. Les modèles Avis-1 et 2, de même que les modèles ÉÉE-1 et 2, combinent toutes les catégories reliées à ces circonstances. Le scénario d’échec des modèles Avis-3 et ÉÉE-3 est le non-dépôt d’une proposition.

La deuxième limite de l’analyse préliminaire présentée à la section précédente concernait l’utilisation de la procédure de proposition à des fins de liquidation. Les échanges avec des syndics ont révélé qu’il n’était pas exceptionnel qu’un créancier garanti important accepte de prendre les frais du syndic à sa charge, afin de réaliser une proposition dite « de liquidation ». La question de savoir si l’information disponible est utilisée afin d’évaluer les chances de réussite de l’entreprise insolvable, du point de vue de son redressement, ne se pose alors pas. Aux quatre conditions déjà présentées, une cinquième condition a donc été ajoutée. Les frais de syndics rapportés dans les dossiers doivent être supérieurs à zéro. L’absence de rémunération explicite pour le syndic est utilisée pour retirer de l’analyse les dossiers pour lesquels l’efficacité informationnelle du processus de sélection n’est pas un enjeu.

Il est bon de noter par ailleurs que l’utilisation d’une procédure de réorganisation à des fins de liquidation peut soulever des enjeux éthiques. Ce sera le cas si le propriétaire de l’entreprise, en collaboration avec son institution financière lui fournissant du financement sur garantie, utilise une procédure de redressement pour liquider et racheter son entreprise libérée des dettes non prioritaires. L’article récent de Paterson (2017) discute ces enjeux à partir de cas de PME britanniques. Le droit français des entreprises en difficulté est très sensible à ces enjeux. La plus grande codification du droit canadien, avec les amendements adoptés en 2009 et inspirés en cela du droit français, témoigne d’une même sensibilité. La cinquième condition est d’autant plus pertinente que les données de la présente étude couvrent une période précédant ces amendements.

Aussi longtemps qu’un débiteur s’achemine vers une proposition, et franchit une nouvelle étape, de nouvelles informations sont versées dans son dossier informatisé du BSF. Un nouveau relevé des dossiers avec tous les codes de cheminement ayant été fait postérieurement à celui des données utilisées dans l’analyse préliminaire, il a été possible d’inclure tous les dossiers ouverts entre le début de 1995 et la fin de 2006, et qui ont été fermés avant le début de 2008. Ceci implique que les dossiers encore ouverts à la fin de 2007 ne sont pas retenus pour l’analyse. Ceci assure une période minimale d’un an à tous les dossiers pour compléter la procédure, limitant ainsi le biais de fin de période, découlant du fait que les dossiers qui complètent la procédure rapidement sont généralement des dossiers de réussite.

Au total, 9 800 entreprises incorporées ont initié une procédure de proposition entre 1995 et 2007. La condition de fermeture des dossiers réduit ce nombre à 8 328 et quand on ajoute les cinq conditions précédentes, le nombre de dossiers retenus pour l’analyse chute à 3 916. Il est important d’apprécier, du point de vue de l’hypothèse de recherche, l’effet de sélection découlant de l’imposition des cinq conditions. Si cette sélection introduit un biais, il importe qu’il soit dans le sens du non-rejet de l’hypothèse de l’efficience informationnelle, accréditant d’autant les résultats de l’analyse s’il y a rejet. En d’autres termes, est-ce que la sélection augmente la probabilité de réussite ? Le tableau 3 indique que la sélection augmente la probabilité de réussite pour treize des seize modèles définis au tableau 2. Pour les trois autres modèles, Prop-1, Prop-2 et Prop-4, la diminution de la probabilité de réussite est inférieure à 0,04.

Tableau 3

Probabilité de réussite dans les modèles binaires avant et après la sélection

Probabilité de réussite dans les modèles binaires avant et après la sélection
Source : estimation basée sur le nombre de dossiers dans les divers scénarios de réussite et d’échec des modèles binaires basés sur les catégories de cheminements définies au cours de la recherche.

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4. Évaluation de l’efficience informationnelle de la sélection

L’estimation de chacun des modèles binaires du tableau 2 au niveau de chacune des quatre zones géographiques implique 64 régressions. Dans un premier temps, l’évaluation de l’hypothèse de l’efficience informationnelle s’est faite en procédant à l’estimation de ces 64 modèles moins un, soit ÉÉE-6 au niveau de la zone « Centre – Can. h. Q. » à cause d’un nombre insuffisant d’observations. Cette estimation, au moyen de la régression logistique, a incorporé une variable de contrôle pour la taille : le montant d’actif.

Pour seulement quatre des seize modèles estimés à partir des modèles binaires Prop-1 à Prop-4, le coefficient du ratio actif/dette est significatif au moins à 10 % et pour seulement deux modèles, il le sera à 1 % de significativité. Pour seulement six des vingt-trois modèles estimés à partir des modèles binaires ÉÉE-1 à ÉÉE-6, le coefficient du ratio actif/dette est significatif, mais à 5 ou 10 %. Malgré un nombre d’observations élevé, pour aucun des quatre modèles estimés à partir du modèle binaire Avis-6, le coefficient du ratio n’est significatif. Dans ce modèle binaire, le scénario d’échec est le défaut d’exécution de la proposition, ce qui constitue la dernière étape de la procédure de proposition. Le coefficient du ratio devient un peu significatif avec les modèles estimés à partir du modèle binaire Avis-5, où le scénario d’échec est le rejet de la proposition par les créanciers. Il devient plus significatif avec les quatre modèles estimés à partir du modèle binaire Avis-4, dont les scénarios d’échec incluent les cas de cession volontaire après le dépôt d’une proposition. Enfin, le coefficient du ratio prend des valeurs généralement plus élevées et toujours significatives à 1 % pour les douze modèles estimés à partir des trois modèles binaires Avis-1 à Avis-3. Les scénarios d’échec de ces trois modèles impliquent les toutes premières étapes de la procédure de proposition, c’est-à-dire en amont du dépôt d’une proposition.

L’analyse préliminaire avait regroupé les dossiers, indistinctement de leur mode d’entrée dans la procédure. Aussi bien pour des scénarios d’échec dans l’aval de la procédure, par exemple un défaut d’exécution, que pour des scénarios d’échec dans son amont, par exemple le non-dépôt d’une proposition, le coefficient du ratio actif/dette avait obtenu des valeurs significatives. La nouvelle évaluation rejette une partie de ces résultats et précise la portée de ceux qu’elle confirme. Premièrement, c’est presque exclusivement avec les dossiers qui entrent dans la procédure avec un avis d’intention que l’hypothèse d’efficience informationnelle est rejetée. Deuxièmement, ce rejet est surtout au niveau des modèles binaires Avis-1, Avis-2 et Avis-3, c’est-à-dire les modèles où le scénario d’échec implique les premières étapes de la procédure.

L’information sur le secteur d’activité fournie dans les données du BSF distingue une vingtaine de secteurs d’activités, allant de l’agriculture à une catégorie résiduelle d’entreprises de services et l’administration publique. Pour des secteurs comme l’agriculture et la construction, l’importance de certaines lois et programmes gouvernementaux qui leur sont spécifiques module l’application des lois de portée générale en matière d’insolvabilité, comme la LFI ou la LACC. Pour les entreprises d’autres secteurs, comme les soins de santé et l’assistance sociale, bien souvent à la limite du secteur à but lucratif et du secteur communautaire, l’origine et l’issue d’un état d’insolvabilité feront intervenir certains facteurs n’entrant pas dans les calculs usuels de la rentabilité. Afin de réévaluer l’efficience informationnelle, l’analyse statistique n’a pas retenu ces secteurs et s’est concentrée sur cinq secteurs : manufacture, commerce de gros, commerce de détail, transport, hébergement-restauration. Ces cinq secteurs représentent près de 60 % du nombre total de dossiers. Les modèles Avis-1 à Avis-5 et les modèles Prop-1 et Prop-2 ont été réestimés avec les dossiers de ces cinq secteurs. Pour les autres modèles, le nombre d’observations n’était pas suffisant. Les résultats sont rapportés au tableau 4. Pour les variables dichotomiques de secteurs, le secteur commerce de détail a été utilisé comme secteur de référence et n’apparaît donc pas. Dans la colonne « bêta actif/dette », le premier chiffre est l’estimé du coefficient suivant la régression logistique et le deuxième chiffre, entre parenthèses, est la valeur du coefficient par régression linéaire. Dans la colonne « secteur », l’abréviation du nom du secteur apparaît quand son coefficient est significatif, avec le signe du coefficient entre parenthèses. Le secteur est très significatif pour plusieurs zones géographiques et plusieurs modèles. Tel que conjecturé dans la discussion sur les principes d’utilisation, l’effet de la variable secteur tend à être plus prononcé dans les zones centrales qu’en périphérie. Le test de l’hypothèse de l’efficience informationnelle conduit aux mêmes conclusions, c’est-à-dire son rejet dans les premières étapes du processus. Avec l’introduction de la variable secteur, les tests de l’hypothèse d’efficience informationnelle sont encore plus tranchants : l’hypothèse est systématiquement rejetée dans toutes les zones géographiques pour les trois modèles Avis-1, 2 et 3, mais ne l’est plus pour les autres modèles, sauf Prop-1, mais à seulement 10 % dans une seule zone. Le processus de sélection mis en place lors de la réforme de 1992 permettant aux débiteurs d’obtenir la suspension des droits des créanciers sans leur soumettre immédiatement une proposition ne serait donc pas efficient au plan informationnel.

La base de données couvre plusieurs années. Est-ce que le rejet de l’hypothèse d’efficience informationnelle est systématique tout au long de la période ou serait-il plus marqué dans certaines années ? Parmi les facteurs pouvant conduire à une variation dans le temps, on peut penser à l’effet d’apprentissage par les débiteurs et les syndics des règles introduites en 1992. Est-ce que dans cet apprentissage, un intérêt des débiteurs s’exerçant au détriment des créanciers serait de plus en plus effectif, amenant un rejet de plus en plus marqué de l’hypothèse à mesure que le temps passe ou est-ce l’inverse, un rejet de moins en moins marqué à mesure que le temps passe, avec des syndics plus aptes, compte tenu d’une plus grande expérience, à apprécier à partir des données financières les chances de succès de la procédure. La conjoncture économique peut être un autre facteur de variation dans le temps. L’année 2001 a connu un ralentissement de l’activité économique. Est-ce de nature à accroître la difficulté, pour les syndics, d’interpréter des données financières, et par conséquent est-ce de nature à conduire à un rejet de l’hypothèse d’efficience informationnelle sur la base des modèles binaires utilisés ici ? Une première réestimation des modèles binaires Avis-1, 2 et 3 pour deux sous périodes : 1995-2000 et 2001-2006, entraîne un rejet de l’hypothèse qui est plus marqué dans la deuxième période que dans la première période.

Tableau 4

Statistiques d’estimation de modèles binaires incluant des variables identifiant les principaux secteurs d’activité des entreprises incorporées dans les secteurs sélectionnés, 1995-2006, 2007

Statistiques d’estimation de modèles binaires incluant des variables identifiant les principaux secteurs d’activité des entreprises incorporées dans les secteurs sélectionnés, 1995-2006, 2007

mf : manufacture * p < 10 % ; ** p < 5 % ; *** p < 1 %

tr : transport entreposage

cg : commerce de gros

hb : hébergement et restauration

Le chiffre entre parenthèses dans la colonne « bêta actif/passif » est la valeur du coefficient estimé par régression linéaire.

Note : le crochet dans la dernière colonne indique que la valeur du khi carré du test Hosmer et Lemeshow n’est pas significative ; cette valeur est rarement significative, même en prenant un niveau de 10 % (*) ; ceci indique que les valeurs prédites par le modèle binaire suivent un peu la distribution entre échec et réussite des valeurs observées, par décile des valeurs prédites de probabilité.

Source : estimation à partir des données du BSF et en utilisant les catégories de cheminements définies au cours de la recherche.

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Conclusion

La procédure de proposition de la LFI du Canada et les procédures similaires de réorganisation dans des pays comparables permettent une réduction importante des obligations contractuelles des entreprises en difficulté, encourageant ainsi la poursuite de leur activité, mais ce sont des règles d’exception qui suspendent les droits des créanciers et peuvent permettre aux débiteurs et gestionnaires incompétents ou malhonnêtes de continuer de dilapider les ressources de l’entreprise. Ceci multiplie les problèmes et coûts d’agence des autres parties prenantes à l’entreprise (salariés, investisseurs, fournisseurs, État…). Les amendements de 1992 de la LFI ont facilité l’accès à la procédure de proposition avec, pour conséquence, une augmentation appréciable du nombre de dossiers de proposition, ce qui met en cause le processus de sélection des entreprises pour lesquelles une procédure de proposition LFI est initiée.

Plus une entreprise est insolvable quand elle entre dans une procédure de redressement, moins les chances de réussite sont bonnes. Le ratio actif/dette est un indicateur pertinent du degré d’insolvabilité. Le bon sens suggère que la sélection d’entreprises à une procédure de proposition devrait s’inspirer de l’information disponible concernant les chances de réussite, particulièrement les données financières. S’inspirant de la théorie financière, la recherche a opérationnalisé une notion d’efficience informationnelle afin de vérifier s’il en est ainsi. Dans une sélection efficiente au plan informationnel, les indications fournies par les données financières devraient être prises en compte par le mécanisme. L’analyse statistique de près de 4 000 dossiers d’entreprises incorporées ayant initié une procédure de proposition rejette l’hypothèse de l’efficience informationnelle du mécanisme de sélection.

Doit-on soutenir qu’il serait souhaitable que le BSF définisse par voie de règlement ou directive administrative, à l’attention des syndics, un critère d’éligibilité à une procédure de proposition en termes de valeur minimum du ratio actif/dette ? Le droit des entreprises en difficulté de certains pays applique ce critère. La valeur minimale exigée du débiteur pour être admis à une procédure de redressement constitue une protection pour les prêteurs et créanciers. Certaines évaluations de la qualité du droit incluent des indices nationaux de protection des sources externes de financement des entreprises. La présence d’un tel minimum dans les pratiques administratives ou la réglementation d’un droit national augmente la valeur de l’indice et du même coup son rang dans le classement international (La Porta, Lopez-de-Silanes, Shleifer et Vishny, 1997 ; La Porta et al., 1998).

L’acceptation d’un avis d’intention par un syndic est une décision en incertitude. Il n’y a pas de valeur du ratio actif/dette qui sépare de façon parfaite les réussites des échecs. Les syndics sont des agents de première ligne dans la sélection et quelques facteurs pourraient expliquer pourquoi leurs décisions ne seraient pas nécessairement compatibles avec l’efficience informationnelle. Le syndic interprète les valeurs du ratio actif/dette à la lumière du nombre limité de dossiers, dont il a l’expérience. Ce nombre sera le plus souvent de l’ordre de quelques dizaines alors que les résultats statistiques présentés découlent de l’analyse de plusieurs milliers de dossiers. De plus, l’information n’est pas obtenue ou interprétée à un coût nul et il est possible que les modalités de rémunération des syndics n’incitent pas à une collecte optimale d’information et à son interprétation en temps opportun. En des termes plus généraux, les résultats de la recherche soulèvent la question des incitations et contraintes orientant les pratiques du syndic : sont-elles compatibles avec l’efficience informationnelle ?

Les données utilisées pour tester l’hypothèse de l’efficience informationnelle couvrent la période 1995-2007. Une première analyse des sous-périodes suggère que le rejet de l’hypothèse serait plus prononcé pour les dossiers initiés à partir de 2001. Est-ce là un effet d’apprentissage des débiteurs dans l’utilisation, à leur avantage, des amendements de 1992 ou plutôt l’effet du ralentissement de l’activité économique de 2001, qui aurait accru pour les syndics la complexité du travail d’interprétation des données financières ? Davantage d’analyse sera nécessaire pour trancher. Il serait également souhaitable de tester l’hypothèse d’efficience informationnelle au niveau des entreprises non incorporées ou individuelles, qui représentent au cours de la période étudiée le tiers du nombre total de dossiers LFI. Enfin, bien que ce soit contraire à l’esprit des amendements de 1992, la procédure de proposition peut être utilisée à des fins de liquidation plutôt que de redressement. L’analyse statistique en a tenu compte en imposant une cinquième condition de sélection. Selon certains professionnels consultés, cela ne suffirait pas à cerner tous les dossiers de proposition de liquidation.

La recherche s’est concentrée sur la procédure de redressement de la LFI utilisée par les petites ou moyennes entreprises. Les grandes entreprises auront recours à la LACC qui est largement de tradition common law. À l’origine, un court texte de loi confiait un large mandat au tribunal. Les réformes des dernières décennies ont introduit une codification s’inspirant de la LFI. De plus, pour les éléments moins codifiés de leur mandat, les juges canadiens appliquant la LACC ont eu tendance à démontrer une sensibilité aux préoccupations du législateur, exprimées lors des réformes de la LFI. Il y a donc lieu d’espérer que s’il s’avère souhaitable de procéder à des amendements de la LFI, ceci aura une résonnance dans l’application de la LACC.