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Introduction

Prenant appui sur une vision collective de l’entrepreneuriat, cet article s’intéresse à la transformation entrepreneuriale dans un contexte géographique spécifique (Marti, Courpasson et Barbosa, 2013), favorisé par le déploiement graduel du capital social provenant tant d’acteurs étrangers et autochtones que de la communauté avec l’aide d’institutions hybrides (Hindle, 2010). Au sens de création de valeurs individuelles et collectives socioéconomiques (Julien et Marchesnay, 2011), consécutives à l’identification d’opportunités (Sarasvathy, Dew, Ramakrishna Velamury et Venkataraman, 2003), l’entrepreneuriat peut contribuer à la transformation socioéconomique d’un territoire aux frontières floues vers un écosystème entrepreneurial particulièrement dynamique et moderne ; c’est-à-dire une communauté économique soutenue par l’interaction d’individus et d’organisations intérieures et extérieures qui n’aurait pu atteindre cette transformation socioéconomique sans cet apport du capital social (Adebayo et Nassar, 2014).

Or, bien que cette idée du capital social comme intermédiation du processus entrepreneurial soit généralement admise (McKeever, Anderson et Jack, 2014), pouvant entraîner la mutation d’un territoire où l’on trouve un grand nombre d’entreprises plus ou moins isolées ainsi que de pratiques disjointes vers un nouvel état plus coordonné et plus productif (Lanciano-Morandat et al., 2009), beaucoup d’éléments y afférents résistent à l’analyse et requièrent un éclairage à la fois explicatif et illustratif (Anderson, Park et Jack, 2007 ; Light et Dana, 2013). En effet, si les relations sociales et le contexte culturel soutenus justement par ce capital social sont souvent discutés dans l’émergence des projets entrepreneuriaux (Bruton, Ahlstrom et Li., 2010 ; Jennings, Greenwood, Lounsbury et Suddaby, 2013), leurs applications et les modalités pour ce faire font souvent l’objet de descriptions déficientes et incomplètes (Gedajlovic, Honig, Moore, Payen et Wright, 2013). On peut citer en exemple la tendance des travaux à aborder de manière homogène les trajectoires et les configurations des corrélations entre le capital social et le phénomène d’entrepreneuriat sans tenir compte de l’hétérogénéité des contextes ainsi que des contingences environnementales et institutionnelles dans lesquelles évoluent les entrepreneurs (Stam, Arzalanian et Elfring, 2014).

Notre travail s’inscrit dans le besoin d’éclairage quant à l’intelligibilité du rôle de capital social dans le développement entrepreneurial en se focalisant sur la problématique suivante : comment le capital social, favorisant un système d’engagement collectif des acteurs entrepreneuriaux, a permis la transformation dynamique d’un écosystème entrepreneurial ? Autrement dit, nous souhaitons expliciter de quelle manière le capital social a contribué à la transformation d’un écosystème entrepreneurial traditionnel dans un contexte géographique spécifique vers un écosystème autrement plus dynamique et moderne. Ce faisant, nous nous situons dans le courant considérant l’entrepreneuriat en tant que phénomène social endogène et donc contextualisé (Korgaard et Andersen, 2011). Il s’insère dans l’idée que les activités économiques sont encastrées dans des relations sociales généralement proactives renvoyant à la notion de territoire (Dejardin, 2010 ; Beugelsdjik et Maseland, 2010). Ce qui sous-entend que les activités entrepreneuriales dépendent tant des individus qui y sont engagés que des structures sociales qui les supportent (Lanciano-Morandat et al., 2009) et aussi des liens de proximité qui les complètent (Bouba-Olga, Carricazeau, Coris et Ferru, 2015). Dans cette optique, le phénomène entrepreneurial s’apprécie en termes d’écosystème situé, comme l’explique Dew, Grichnik, Mayer-Haug, Read, Brinckmann (2015), regroupant des actions certes individuelles, mais aussi interdépendantes et interconnectées (Anderson, Dood et Jack, 2012), complétées par le soutien communautaire, de telle sorte que l’action de plusieurs acteurs puisse transformer ce contexte. Dès lors, ce sont les interconnexions, plus précisément les interactions qui stimulent l’évolution ou le développement entrepreneurial (Marti, Courpasson et Barbosa, 2013), complétées par le capital social, soit les différentes ressources physiques ou abstraites disponibles pour mieux agir et favoriser les échanges et l’innovation (Semrau et Hopp, 2016) ; ce capital social assurant la consolidation et la sédimentation des entreprises sur le territoire tout en accélérant leur coévolution (Gedajlovic et al., 2013).

Eu égard à ce positionnement ontologique, notre recherche se focalise sur un contexte socioéconomique particulier, pris comme unité d’analyse, dans le but de démontrer que même dans ce cas, soit une écologie tropicale d’altitude, celui-ci peut être démarré par des acteurs extérieurs et, par la suite, capitalisé pour devenir une opportunité entrepreneuriale collective, amenant les entrepreneurs locaux à s’auto-organiser et à mobiliser du capital social individuel, collectif et territorial, transcendant les intérêts individuels de profit à court terme, aidés par d’autres acteurs institutionnels et attirant des entrepreneurs extérieurs, pour finalement générer cet écosystème entrepreneurial dynamique.

Notre propos s’organise en quatre parties. Dans une première partie, nous discutons des soubassements théoriques fondant nos réflexions. Par la suite, nous présentons le cadre opératoire de la recherche et la méthodologie utilisée. Quant à la troisième partie, elle expose et détaille les résultats. Le tout étant suivi d’une discussion et d’une conclusion quelque peu critique sur notre travail.

1. Les fondements théoriques

1.1. Le capital social : un stock de ressources influant sur l’entrepreneuriat

Nous mobilisons la notion de capital social qui permet de rendre compte de l’encastrement des activités économiques dans un contexte social particulier (Lanciano-Morandat etal., 2009) et, dont l’entrepreneuriat constitue l’un des domaines d’opérationnalisation (Stam, Arzalanian et Elfring, 2014 ; McKeever, Andersen et Jack, 2014 ; Geindre et Dussuc, 2015). Le parti pris de mobiliser la grille de lecture offerte par le capital social plutôt que celle des ressources territoriales ou des SYAL[1], par exemple, est justifié par sa force explicative des dimensions du contexte (organisationnel, institutionnel, temporel) dans la recherche sur l’entrepreneuriat, telle que soutenue par Gedajlovic et al. (2013).

1.1.1. Le capital social : un concept multidimensionnel

De façon courante, le capital social est décrit comme l’ensemble des normes et des réseaux multipliant les ressources qui facilitent l’action collective (Woolcock et Narayan, 2000). De manière conceptuelle, Bourdieu (1980, p. 2-3) le définit comme « l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance et d’interaction, […], [expliquant] l’appartenance à un groupe comme ensemble d’agents qui ne sont pas seulement dotés de propriétés communes […], [mais] unis par des liaisons permanentes et utiles ».

Comme l’expliquent Geindre et Dussuc (2015), le capital social consiste en un stock potentiel de ressources, c’est-à-dire des ressources potentielles incorporées dans la structure sociale pouvant être mobilisée en cas de besoin. Dans cette perspective, il constitue « l’investissement d’un individu dans ses relations avec d’autres » (Lin, 1995, p. 701). Ces ressources résultant de ces interactions ou favorisant celles-ci peuvent être concrètes, comme le fait de soutenir la sous-traitance territoriale avant celle extérieure, même si elle peut être quelque peu plus coûteuse, comme nous l’avons vérifié (Razafindrazaka, 2012).

Étant un stock, le capital social demande une activation pour en disposer (Barrère, Barthélémy, Nieddu et Vivien, 2005). Dans l’optique de l’utilisation faite par un acteur individuel de ses relations avec d’autres et des bénéfices que celles-ci lui apportent, le capital social s’identifie comme un bien privé (Bourdieu, 1980). Dans cette lignée conceptuelle, le capital social est un actif individuel qui met en situation favorable un individu pour négocier en accroissant son pouvoir et son influence (Geindre et Dussuc, 2015). Ce capital permet à un individu de faciliter la réalisation de ses objectifs grâce à l’obtention d’informations utiles et à l’identification d’opportunités. Par contre, dans l’optique d’un ensemble permettant de développer et de maintenir des ressources relationnelles augmentant, par exemple, la productivité des membres, le capital social est vu comme un bien collectif (Fukuyama, 1997). Ce capital social collectif englobe tout ce qui a trait à l’organisation sociale facilitant la coordination et la coopération pour un bénéfice mutuel (Putnam, 1995). Il est constitué de déterminants sociaux, telles des règles du jeu ou encore d’un esprit entrepreneurial relativement partagé dans la communauté, et il facilite l’action des individus. Il est productif en rendant possible l’accomplissement de certaines fins qui ne seraient pas possibles en son absence (Coleman, 1988). Dans cet ordre d’idées, Sibony (2016) définit le capital social comme les ressources inhérentes aux relations sociales qui facilitent l’action collective.

De ces différentes conceptualisations, on retiendra deux caractéristiques intrinsèques du capital social, soit 1) un ensemble de règles informelles permettant de mieux orienter sinon coordonner les actions socioéconomiques ; et 2) des ressources diverses facilitatrices pour stimuler ces actions. En ce qui nous concerne, à la suite de Hindle (2010), nous recherchons les dimensions contextuelles du capital social sur le phénomène d’entrepreneuriat, ce qui nous amène à retenir une définition du capital social, tel un ensemble des ressources actuelles ou potentielles, tangibles et intangibles, c’est-à-dire des normes et règles informelles permettant de mieux orienter sinon coordonner les actions socioéconomiques, encastrées dans un territoire et disponibles au travers du réseau de relations possédé par les acteurs ; l’accès à ces ressources ayant des conséquences généralement positives pour l’agir entrepreneurial (Plociniczak, 2003).

L’idée générale du capital social est que les relations donnent accès à des ressources. Cependant, cette relation n’est pas mécanique. Elle est surtout fonction de la capacité des acteurs à transformer des relations contingentes en relations utiles. Le capital social consiste en un arrangement des ressources humaines pouvant faciliter leur agir dans l’objectif d’améliorer des flots futurs de revenus (Lam et Ostrom, 2010). En ce sens, le capital social est bénéfique pour l’entrepreneuriat s’il favorise la réciprocité. Par contre, l’effet pervers du capital social sur l’entrepreneuriat peut se manifester s’il existe trop de conformité dans les relations. Ainsi, le capital social ne constitue un catalyseur de l’entrepreneuriat que s’il favorise l’esprit de production de valeurs et de revenus. S’il ne fait que privilégier l’esprit de communautarisme, il peut s’avérer un inhibiteur de l’entrepreneuriat (Light et Dana, 2013).

1.1.2. L’opérabilité du capital social : trois fonctions conjointes (unissant, liant, reliant[2])

Le capital social possède trois fonctions, soit d’unir, de lier et de relier. En premier lieu, les liens qui unissent des acteurs de même statut au sein d’un contexte spécifique (firmes concurrentes de même niveau agissant sur une chaîne de valeurs) sont dits horizontaux et forment le capital social « unissant ». En second lieu, les liens verticaux entre des acteurs ayant des statuts ou des places différentes au sein d’un contexte territorial spécifique (firmes complémentaires ou sous-traitantes) constituent le capital social « liant ». Ces deux premiers aspects (unissant et liant) incarnent la relation complexe de coopétition (Brandenburger et Nalebuff, 2011), combinant coopération et compétition en vue de la constitution des rentes dans une logique d’interactions. En dernier lieu, la capacité de l’ensemble des parties prenantes à se connecter à tout ce qui est extérieur ou nouveau à leur contexte territorial est vue comme du capital social de type « reliant ». Cette troisième facette, caractérise une dynamique particulière ou complémentaire d’apprentissage, soit une dynamique comprise comme la capacité des acteurs à modifier leur comportement et à mettre en oeuvre de nouvelles solutions en fonction des transformations de leur environnement (Asselineau et Cromarias, 2011).

Spécifions que notre terrain d’observation se situe dans une région malgache, ce qui nous oblige à bien expliquer les relations sociales de ce contexte touchant ce rôle du capital social, ce que nous ferons plus en détail plus loin. Mais pour tout de suite, il faut expliquer la notion de fihavanana, concept typiquement malgache, intraduisible en d’autres langues (Razafinjatovo, 2009) et sur lequel nous reviendrons à plusieurs reprises. Cette notion traduit une forme de pacte social basé sur les liens du sang direct ou indirect. Rajemisa-Raolison (1972) le définit comme étant un ensemble des relations particulières s’établissant entre les habitants d’un espace géographique, les amenant à s’assister mutuellement comme s’ils étaient parents (havana), et ce même dans des relations tant non marchandes que marchandes. C’est pour entretenir le flux vital social que le Malgache mobilise le fihavanana. Ce dernier se manifeste par des actes de solidarité, d’entraide, de partage et d’aide, même dans des rapports conflictuels et concurrentiels. De notre point de vue, la mobilisation des dimensions de ce fihavanana, et des liens issus des proximités (géographiques et organisées) forme du capital social sous ses différentes dimensions sur lequel nous reviendrons par la suite dans l’application.

1.2. Du capital social à l’écosystème entrepreneurial : interaction et contexte

Nous devons maintenant préciser ce que nous entendons comme écosystème entrepreneurial (EE). Puisque celui-ci souffre encore d’imprécisions et ses déterminants ne font toujours pas encore l’objet d’un fond commun intégrateur (Stam, 2015). Parallèlement, les conditions d’émergence des écosystèmes entrepreneuriaux sont encore mal cernées (Acs, Audretsch, Lehmann et Lich, 2016). En tant que modèle de système productif local, Moore (1993) dépeint l’EE comme une communauté économique soutenue par l’interaction d’individus et d’organisations. Dans une acception plus étendue, l’EE se conçoit comme un environnement élargi dans lequel des acteurs hétérogènes, dotés de compétences spécifiques, sont susceptibles d’intervenir de façon plus ou moins liée et à des degrés divers dans un processus de création de valeur collectif (Mira-Bonnardel, Géniaux et Serrafero, 2012). Pour les besoins de cette recherche, on retiendra la définition proposée par Mason et Brown (2014) précisant que l’EE est un ensemble composé : 1) d’acteurs entrepreneuriaux, 2) d’organisations entrepreneuriales, et 3) d’institutions, pouvant se coordonner formellement et informellement pour aider à faire émerger et améliorer la performance entrepreneuriale générale au sein d’un environnement local spécifique.

L’enjeu central de l’EE réside dans une interaction organique (Soto-Rodriguez, 2014), c’est-à-dire d’essence relationnelle, contenant des relations interpersonnelles et des stratégies interorganisationnelles, et créant des dynamiques entre individus et organisations. Il peut être ainsi abordé sous une double dimension enchevêtrée, soit idéelle et matérielle. Tour à tour, il est un cadre d’actions collectives identifiant des communautés d’intérêts et un espace géographique où s’inscrivent des pratiques, des représentations, des valeurs et des stratégies d’acteurs, porteurs d’enjeux entrepreneuriaux, selon des temporalités et des échelles multiples. Il constitue, pour les chercheurs, une grille de lecture de l’articulation des dynamiques entrepreneuriales et territoriales. Dans cette optique, l’approche par l’EE privilégie comme unité de raisonnement les TPE[3] et les PME[4] dans un environnement régional. Cette approche fait partie de la lignée des travaux, sur la concentration géographique des firmes, facilitée par les interactions de toutes sortes (Bouba-Olga, Ferru et Guimond, 2012). Ce qui nous permet de soutenir qu’un contexte géographique particulier peut se transformer en un écosystème entrepreneurial notamment grâce à l’activation du capital social à travers des interactions multiples.

Il nous reste enfin à préciser ce que nous entendons : 1) par interactions à l’origine du capital social, et 2) par contexte. D’une part, le terme d’interaction, dans son étymologie, suggère l’idée de réciprocité d’action de plusieurs éléments (Marc et Picard, 2003). L’idée vise à résoudre le paradoxe de l’unité dans la diversité ou celui de l’un et du multiple (Park et Burguess, 1921). L’interaction est entendue comme « l’ensemble des actions qui, dans un certain contexte, se répondent les unes les autres pour engendrer une situation ou une réalité à observer et à analyser » (Marc et Picard, 2003, p. 191). D’autre part, Mercier et Oiry (2010, p. 29) définissent le contexte comme « l’ensemble des éléments présents dans une situation ». Garfinkel (1984) est plus précis en expliquant qu’il constitue l’environnement localement et socialement organisé et donc situé par des actions concertées. Le contexte est ainsi composé d’éléments de nature très différente. Ils peuvent être (Oiry etal., 2010, p. 86) : 1) de nature physique (environnement, saison, paysage, infrastructure) ; 2) de nature sociale (acteurs individuels ou collectifs et leurs actions) ; 3) de nature culturelle (représentations, valeurs) ; 4) de nature structurelle (organisations et institutions, lois, règles, sociales).

Enfin, cette recherche se situe dans une approche contextualisée de l’entrepreneuriat soutenant la relation de réflexivité liant l’action et l’acteur au contexte. Ces trois variables agissent donc les unes sur les autres. Ce qui conduit à considérer le contexte comme un véritable acteur des systèmes sociaux auxquels l’entrepreneuriat appartient[5].

2. Cadre opératoire et méthodologie

2.1. Contexte d’observation

Le choix du champ d’observation doit être en cohérence avec la posture épistémologique de la recherche, laquelle reflète le positionnement des chercheurs vis-à-vis du projet de connaissance. Sur ce point, cette recherche adopte une double approche épistémologique, permettant de rendre compte des réalités complexes telles que le phénomène entrepreneurial (Koenig, 1993). Ce qui permet de croiser constructivisme et interprétativisme pour la construction des connaissances. Dès lors, nous essayons de comprendre les représentations d’autrui, afin de décrire l’action qui se déroule en procédant par l’argumentation. En accord avec cette posture, nous avons opté pour un devis de type qualitatif qui est approprié à la nature exploratoire de la recherche ainsi qu’à l’objectif de recherche consistant à comprendre comment et de quelle manière le capital social peut induire la transformation d’un écosystème entrepreneurial (Pratt, 2009). Dans cette disposition d’esprit, nous allons extraire du sens plutôt que d’établir des pourcentages statistiques (Paillé et Mucchielli, 2013).

L’étude de cas unique à multi-acteurs s’avère appropriée pour une recherche, dont l’unité d’analyse est constituée d’un contexte au sein duquel sont enracinés des entrepreneurs et divers autres acteurs (McKeever, Andersen et Jack, 2014), en ce qu’elle offre les possibilités d’examiner les mécanismes et les spécificités d’un phénomène et de disposer ainsi d’une perspective holistique dans la lecture du contexte observé (George et Bennet, 2009). L’étude de cas unique est permise si le cas présente une opportunité de recherche élevée pour cause de forte originalité (Yin, 2009). Ainsi, ce cas peut servir de modèle instrumental pour une nouvelle interprétation de l’objet de recherche (Stake, 1994). Ici, c’est la capacité à faire du sens de ce cas et de montrer sa pertinence à répondre à la question posée qui est intéressante. Enfin, précisons qu’à travers la triple fonction du capital social discuté plus haut, nous le mobilisons pour cette recherche à cause de sa force explicative pour comprendre la démarche entrepreneuriale (Geindre et Dussuc, 2015). Également, comme le suggèrent Marti, Courpasson et Barbosa (2013) et tel que nous l’avions retenu, il peut servir d’intégration du niveau collectif et du niveau individuel dans l’étude sur le processus d’apprentissage entrepreneurial pour soutenir la transformation de l’écosystème.

D’abord, nous avons effectué un premier séjour (de juin à septembre 2005) dans la région de Vakinankaratra, c’est-à-dire traversé par l’Ankaratra qui est un massif volcanique. Il s’agissait d’une immersion dans la culture locale de cette région située sur les Hautes Terres de Madagascar, le long de la RN7[6], aux fins de disposer d’une première appréhension de la culture en observation. Ce séjour a servi pour cerner ce contexte et le mettre à profit à l’aide de séances de travail avec les autorités régionales, en plus des rencontres informelles avec des acteurs clés de la région. C’est lors de ce séjour que nous avons appris l’histoire laitière de Vakinankaratra permettant ainsi de produire les premiers éléments de réponses à la problématique de recherche (Hlady-Rispal, 2002).

En effet, bien que la fertilité de sols volcaniques confère une vocation agricole à la région de Vakinankaratra[7] avec des communes majoritairement rurales, cette région est qualifiée comme le deuxième pôle industriel du pays après la capitale (OCDE, 2008). Ce dynamisme régional s’explique par une condition climatique d’exception qui a permis l’introduction de l’élevage bovin laitier dans les années 1960, créant une activité laitière intensive (Penot et Razanakoto, 2012), laquelle donnera naissance à un écosystème entrepreneurial inédit.

2.2. La collecte de données

Par la suite, nous avons effectué un deuxième séjour de quatre mois, de juin à septembre 2008. Celui-ci a été consacré à collecter de nouvelles données à partir 1) d’entretiens informels et 2) d’un entretien en groupe témoin. Dans le premier cas, nous avons interrogé cinq enseignants et éducateurs ayant travaillé dans la région, une chercheure ayant fait sa thèse de doctorat en géographie sociale dans la région, dix employés (anciens et actuels) des différentes institutions, et dix entrepreneurs hors du secteur laitier. Ceci a été fait à partir d’une grille pour approfondir l’histoire laitière évoquée lors du premier séjour de contextualisation. Dans le deuxième cas, quatorze acteurs entrepreneuriaux et membres d’organisations entrepreneuriales, identifiés lors de la première période de contextualisation, ont fait partie de ce groupe. La rencontre avait pour but de dresser un portrait du phénomène de l’entrepreneuriat régional et celui plus spécifique de l’entrepreneuriat laitier. À la suite de ces divers entretiens, nous avons pu identifier deux informateurs clés (selon la définition de Miles et Huberman, 2003), pour jouer le rôle de validation et d’authentification tout au long de la recherche. Ces entretiens ont permis également de disposer d’une description pointilleuse du contexte, notamment les principaux éléments révélateurs des trois niveaux du capital social dans la région (individuel, collectif, territorial).

À l’aide des informations révélées lors de ces entretiens (informels et de groupe), nous avons constitué l’échantillon de la recherche selon la procédure d’échantillon utile avec laquelle « des environnements, des personnes ou des événements particuliers sont choisis délibérément afin de fournir des informations importantes qui ne peuvent pas être aussi bien obtenues en suivant d’autres choix » (Maxwell, 1999, p. 128).

Ce qui nous a permis de procéder à une troisième étape de la collecte des données, qui s’est déroulée pendant un nouveau séjour de quatre mois (de janvier à avril 2009). Dans cette étape, de nouveaux entretiens semi-dirigés[8] ont été réalisés en face à face auprès de dix-neuf acteurs entrepreneuriaux[9], dans le secteur laitier, à l’aide d’une grille[10], avec enregistrement accepté au préalable par chaque interlocuteur. Les questions ont été posées de façon heuristique et émergente à des fins de reconstruction ex ante du capital social.

Au total de ces trois périodes, cette étude de cas multi-acteurs a été menée sur une période discontinue de douze mois en observation non participante à l’aide d’un corpus de 45 entretiens individuels et un de groupe. Au cours du premier trimestre de l’année 2015, un quatrième retour a été effectué sur le terrain pour demander aux personnes qui vivent le phénomène leur avis sur la compréhension et l’exactitude du construit portant sur ce dernier à l’aide de récits que nous expliquons ensuite (Yilmaz, 2013).

Les données primaires ont été complétées par des sources secondaires telles que des archives, des documents anciens, des rapports de développement et des publications scientifiques, qui ont permis une triangulation pour compléter les éléments permettant de définir et d’opérationnaliser le capital social, c’est-à-dire les facilitateurs, les typologies et les résultats induits par ce capital social.

2.3. Analyse des données

Notre posture constructiviste-interprétativiste se prête à une approche basée sur la phénoménologie, prenant son origine dans des travaux philosophiques de Husserl et de Heidegger cités par Smith (2011). La phénoménologie a pour objectif de décrire le sens accordé à un phénomène, afin de comprendre ses significations (Smith, 2011). Il existe deux outils d’analyse issus de la phénoménologie : l’analyse interprétative phénoménologique et le récit phénoménologique. Le premier outil consiste en une analyse thématique tandis que le second procédé consiste en une mise en histoires simples, construites et organisées (Cook, Cook et Landrum, 2013). De notre point de vue, l’aspect dynamique essentiel dans une perspective phénoménologie, est plus difficile à explorer avec l’analyse thématique. Par conséquent, nous avons opté pour le cycle d’analyse de récits phénoménologiques, dont le style narratif permet de montrer le cheminement idéographique et herméneutique de notre recherche. Nous avons alors adapté la méthode d’analyse initiée par Giorgi (1975) et citée par Ntebutse et Croyere (2016) comprenant quatre étapes subséquentes : 1) le protocole descriptif (transcription intégrale des propos) ; 2) l’identification des unités de signification (identifier les déterminants du contexte du phénomène) ; 3) le développement du contenu des unités de significations (écriture des récits) ; 4) la synthèse (écriture d’un récit d’ensemble).

Avec cette méthode d’analyse de données, nous avons mis en récit chacun des dix-neuf entretiens semi-directifs auprès des acteurs entrepreneuriaux du secteur laitier. Le récit de chaque entrepreneur laitier lui a été envoyé pour validation. Par la suite, l’exercice d’un récit d’ensemble a été réalisé en combinant quatre corpus de données : 1) le récit de chaque entretien auprès des dix-neuf acteurs entrepreneuriaux du secteur laitier, 2) les discours retenus lors des entretiens informels et du groupe témoin, 3) les observations sur le site, 4) les archives et les documents anciens. Ce récit d’ensemble a été transmis aux deux informateurs clés identifiés lors du séjour en 2008, pour vérifier si l’observation représentait vraiment ce que l’on voulait observer (Antoine et Smith, 2016).

3. Résultats

3.1. Le capital social, facilitateur de l’entrepreneuriat et s’exprimant dans un contexte géographique spécifique

3.1.1. Un contexte géographique activé en tant qu’opportunité entrepreneuriale

Comme nous l’avons expliqué, la région de Vakinankaratra bénéficie d’un climat tempéré dans un pays tropical. Cette condition écologique d’exception a permis l’introduction de l’élevage bovin laitier dans les années 1960. Ce type d’élevage, qualifié d’intensif à cause de sa finalité en valeur marchande (le lait), se situe à l’opposé des formes traditionnelles, contemplatives et extensives d’élevage auxquelles était accoutumée la population locale à cette époque, formes qui n’étaient pas dotées d’une fonction marchande, mais plutôt d’un objectif d’autosubsistance. Ainsi, cette nouvelle forme d’élevage a permis de faire passer de simples éleveurs plus ou moins isolés au statut d’entrepreneurs modernes à l’intérieur d’un système collectif, avec comme objectif de créer une valeur ajoutée à base d’esprit d’entreprise. Ce qui les amenait à prendre des risques en se soumettant à diverses obligations comme bâtir une étable couverte et dallée, se réserver des surfaces arables pour les cultures fourragères, et se soumettre à l’activité manuelle de la traite biquotidienne. Évalués à 10 000 éleveurs, les acteurs d’élevage de Vakinankaratra assurent maintenant une production journalière de 60 000 litres de lait.

Pour devenir entrepreneur, il a fallu des apprentissages individuels au niveau des pratiques, soit : 1) la conduite d’élevage ; 2) les conditions de traite ; 3) l’alimentation animale ; et 4) la sélection des races. Le tout relevant à son tour d’un savoir-faire collectif d’éleveur laitier avec un ancrage géographique fort, savoir devenu depuis un élément du capital social adossé à la région. Tout ceci a été possible grâce à l’introduction de la race laitière PRN[11], par une ferme-école[12] appuyée par la mission luthérienne norvégienne locale. Un employé de la ferme-école raconte les péripéties de ces relations sociales d’apprentissage : « Ce sont les anciens étudiants qui ont été les premiers à prendre des risques en acceptant de pratiquer l’élevage intensif […]. Puis les paysans ont observé et imité […]. Il fallait tout inculquer, tout montrer. La culture des fourrages était difficile ; les gens nous disaient : on n’a pas de temps pour ça ; les bêtes, on les laisse brouter çà et là, alors qu’on doit s’occuper de nos rizicultures pour notre riz quotidien […]. Ensuite, ils ont changé d’avis quand ils ont vu la quantité de lait produite par les vaches de nos anciens étudiants […]. Après quoi, ils nous ont approchés. On leur disait qu’il leur fallait un terrain d’un demi-hectare par vache, pour que la monte avec notre taureau puisse être pratiquée. Puis, ils nous ont amenés à constater de visu le terrain. Une fois la monte réalisée, ils ne cultivaient pas de fourrages […]. La construction des étables aussi était une autre histoire. Quand on leur prévenait que nous allions venir visiter les étables, tout était propre avec le toit en chaume. Puis petit à petit, ce chaume était enlevé pour nourrir le bétail, l’étable n’était plus couverte […]. Il fallait donc recommencer… »

L’apprentissage collectif est le fruit des relations intenses avec des allers-retours en rejets et adoption de la part des éleveurs. Ce qui a tissé des liens durables qui matérialisaient le capital social dans la région. L’employé de la ferme-école poursuit : « Et c’était comme ça jusqu’à ce que nous nous sommes apprivoisés. On ne pouvait pas faire des visites systématiques. On était limité par nos moyens de locomotion et par le nombre restreint d’employés […]. Mais les gens ont fini par accepter. Nous étions à 1 000 litres par jour à l’époque, et nous sommes passés à 60 000 litres en ce moment […]. Ces apprentissages collectifs ont entraîné des ruptures collectives dans les représentations, ce qui transparaît par l’adoption de l’élevage produisant de la rente et visant ainsi à générer de la valeur marchande. En somme, l’objectif de chaque éleveur est de générer des ressources financières individuelles, ce qui devient possible grâce à l’adoption par toute la communauté des nouvelles pratiques d’élevage. Une fermière s’explique : « … Je me suis investie dans l’élevage laitier parce que je savais que c’est bénéfique par rapport à d’autres activités traditionnelles, telle la culture de pommes de terre, celle de légumes… Avec le lait, l’argent on le voit, on le touche… »

Au fur et à mesure de l’évolution de l’élevage laitier intensif, une deuxième catégorie d’entrepreneurs est apparue avec les fromagers artisanaux. Ces fromagers sont des paysans qui ont su tirer profit de la disponibilité de lait, tout en résolvant en partie la question de la conservation du lait, et en procurant ainsi des revenus supplémentaires. Concrètement, ces fromages artisanaux développés par imitation auprès d’un missionnaire suisse qui a habité dans la région dans les années 1970 se sont multipliés. Au début, deux employés, ayant travaillé chez ce dernier, ont diffusé la fabrication de fromage à pâte dure, qui ne nécessite pas de la réfrigération pour la conservation. Un de ces deux artisans-fromagers raconte : « … j’ai travaillé deux ans chez le missionnaire suisse. Il m’a appris sur le tas… Quand j’ai voulu partir, cela n’a pas causé de problèmes… J’ai fait du fromage chez moi ainsi que du beurre de manière artisanale… Des voisins sont venus me voir, et ont imité ce que je faisais. Pour moi aussi, cela ne m’a pas posé de problème. Maintenant, je fais vivre 5 000 personnes extérieures » (tant en amont qu’en aval). Concernant la mise en marché, les fromages artisanaux sont acheminés dans la capitale régionale (Antsirabe) ou celle nationale (Antananarivo), où se trouvent les consommateurs finaux qu’est la population citadine. Également, des échoppes de fromages artisanaux se sont implantées le long de la RN7, qui est un lieu de passage pour ceux voyageant dans la partie sud du pays où il n’existe pas de production laitière à cause du climat désertique. Ici, encore la diffusion d’une pratique introduite par un missionnaire étranger a été facilitée par des apprentissages individuels, aboutissant à un savoir-faire reconnu par la communauté régionale.

La troisième conséquence de l’accroissement de la production laitière a été l’arrivée de deux agro-industries dans la décennie 1980. Ces entreprises fabriquent des fromages de type générique selon des procédés industriels. La bipolarisation de la fabrication fromagère (artisanale et industrielle) a constitué une opportunité d’émergence d’un troisième type d’entrepreneurs : il s’agit des fromagers semi-industriels. Ils disposent de laiteries de petite dimension et fabriquent des fromages de spécialité. Ces fromagers occupent un segment nouveau sur le marché local et national, celui du haut de gamme. Avec l’arrivée de ces fromagers semi-industriels, la région de Vakinankaratra dispose maintenant d’une gamme complète de fromages pour se positionner en tant qu’espace de marché fromager à différents niveaux (Penot et Razanakoto, 2012) : national (Madagascar) ; régional (océan Indien) ; continental (Afrique orientale et australe). Cet enchaînement successif de l’émergence de trois catégories d’entrepreneurs laitiers avec des ambitions entrepreneuriales diversifiées fait apparaître un écosystème entrepreneurial, articulé autour de TPE, de PME, ainsi que des deux grandes entreprises. Par ailleurs, dès que l’élevage s’est intensifié, les règles communautaires pures ont été dépassées. Dès lors, les relations ont pris l’allure d’actions entrepreneuriales collectives au service de la production d’une ressource marchande, plutôt que de relations de type nucléaire (face-à-face). La configuration relationnelle devient une transmission et une mise en oeuvre de normes d’une situation marchande.

En résumé, nous pouvons voir comment le déploiement du capital social, au travers de l’introduction d’apprentissages collectifs et de nouvelles pratiques (élevage laitier bovin), a finalement produit de nouvelles façons de faire sans cesse renouvelées et en séquences d’activités complémentaires (fromagerie artisanale, fromagerie générique, fromagerie de spécialité), facilitant ainsi l’émergence d’un système productif laitier suivant la logique d’intégration verticale. Par la suite, constatant les retombées positives en matière de profits individuels, les acteurs entrepreneuriaux ont été incités à continuer à renouveler ces façons de faire collectives (regroupement en coopérative, professionnalisation du métier de lait), engendrant par ces pratiques soutenues par le capital social, la transformation d’une chaîne de valeurs vers un écosystème entrepreneurial qui met en exergue les interactions agissantes sur le phénomène d’entrepreneuriat. Le tableau 1 résume la construction synchronique et diachronique des éléments du capital social discutés précédemment et affectant la transformation de l’écosystème.

Tableau 1

Historique, types de capital social et effets de ce dernier sur l’écosystème

Historique, types de capital social et effets de ce dernier sur l’écosystème
Source : auteurs.

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3.1.2. Les interactions

3.1.2.1. Liens favorisant l’élevage : interaction intraéleveurs et interéleveurs et techniciens

L’essor de l’élevage laitier a aussi résulté des interactions entre les entrepreneurs-éleveurs, ainsi que des facilitations quotidiennes données par les agents d’encadrement technique, deux éléments du capital social ayant aidé à cette transformation.

En premier lieu, l’entrée des industriels de l’agroalimentaire a conduit les entrepreneurs- éleveurs à se regrouper en trois coopératives complémentaires et inclusives pour diverses raisons, dont le besoin de gérer collectivement les relations marchandes au sein de l’écosystème entrepreneurial et de régler diverses tensions nées de la pluralité des logiques d’actions et de rationalités différentes (Bloodgood et Chae, 2010). Comme l’expliquait le notable, fondateur d’une des coopératives : « Nous nous sommes regroupés, car il y avait des retards de paiement de la part d’une laiterie industrielle […]. Nous n’avons pas reçu d’aide […] [Cette réaction a porté fruit, ce qui fait que] nous avons été cités en exemple par le président de la République de l’époque. Cela a montré que les gens voulaient se réunir […]. Les éleveurs, les représentants étatiques, les responsables des agro-industries, les collecteurs, ont respecté les dirigeants de la coopérative. Nous sommes considérés comme un acteur incontournable du lait ; nous sommes reconnus en tant que tels. […] Nous sommes nés d’un problème. C’est dans le problème que nous devons nous renforcer. Quand il n’y a pas de crise, les gens ne sont pas créatifs. »

Ces trois coopératives d’éleveurs laitiers, de nature volontariste et délibérée, sont encore en activité, à cause des ambitions entrepreneuriales qui sont à leur origine. À Madagascar, comme dans la plupart des pays en développement, les coopératives, en contexte rural, résistent rarement à l’usure du temps en raison de l’absence de volonté d’entreprendre ensemble. En effet, les regroupements en coopératives sont le plus souvent imposés aux paysans par des organismes de développement pour bénéficier des fonds. Ces coopératives naissent souvent suivant une opportunité de subvention, mais pas nécessairement d’opportunité entrepreneuriale selon Barry (2013), ce qui fait qu’ensuite elles meurent. Sur ce point, le vacher, gros éleveur, précise : « […] je suis devenu membre de CELPRO pour profiter de l’usage en commun du matériel agricole comme le tracteur. ». À l’origine de ces coopératives se trouvent deux entrepreneurs expérimentés locaux[13], chefs de file, jouant le rôle d’inspiration et de moteurs (Oiry et al., 2010), pour faciliter le déploiement du capital social, fondement des interactions entre les entrepreneurs-éleveurs.

En second lieu, avec la multiplication du nombre d’éleveurs, un organisme autonome de vulgarisation a été mis sur pied, en 1972, dans la région, soit le FIFAMANOR[14], étant donné l’ancrage de la race PRN dans la région, les autorités malgaches de l’époque se sont adressées à une autre institution norvégienne[15] pour ce nouveau projet de développement agricole, notamment dans la production laitière. Cet organisme a facilité l’essor de l’élevage laitier, avec des actions portant : 1) sur le troupeau (alimentation, reproduction, santé, conduite d’élevage) ; et 2) sur le lait (hygiène, rendement et qualité). Ainsi, les activités d’apprentissage et de suivi de l’élevage laitier ont favorisé la régularité et l’intensité des liens entre chaque éleveur et chaque agent d’encadrement technique. On observe alors une collaboration active qui aide les entrepreneurs-éleveurs à améliorer la performance technique de leur exploitation. Le petit cheptel et le vacher sont de même avis sur la complicité créée entre les éleveurs et FIFAMANOR : « […] sans FIFAMANOR, le lait serait abandonné depuis longtemps […] ».

3.1.2.2. Liens facilitant la collecte : interactions entre les éleveurs et les collecteurs

À cause de la distance physique séparant les éleveurs installés dans les zones montagnardes et les transformateurs situés sur les zones aménagées dans la partie centrale de la région, une chaîne de collecte s’est mise en place faisant apparaître un nouveau type d’entrepreneurs : les entrepreneurs-collecteurs. Ces nouveaux entrepreneurs sont de trois types. Premièrement, on trouve des collecteurs règlementaires, facilitant les liaisons pour l’ensemble des acteurs implantés sur leur trajet laitier (laiteries, éleveurs, transformateurs artisanaux, autorités locales). Deuxièmement, il existe des collecteurs spéculateurs qui pratiquent la collecte durant la saison à forte production (novembre-juin). Ce type d’intermédiaire ne sert pas la transformation locale, mais assure plutôt l’approvisionnement en lait frais de la capitale nationale. Troisièmement, les cyclistes-trayeurs complètent le tableau, en participant dans certains cas à la traite, contribuant à la pérennité de la chaîne en accédant essentiellement aux zones enclavées. Un cycliste-trayeur parle de son rôle : « J’habite dans un hameau sur les vallons loin de la route secondaire par laquelle passe le collecteur avec sa voiture, je récupère chaque jour le lait de cinq fermiers qui habitent dans le même hameau que moi ainsi que celui des deux autres qui habitent dans un autre village sur le chemin. Ils ne peuvent pas se déplacer pour transporter le lait, car ils doivent faire les travaux des champs ; donc je leur suis utile. Je ne fais pas de profit sur le lait, mais ils me rétribuent pour le service que je leur rends. Je ne suis pas moi-même éleveur, ce n’est pas mon métier, mais nous sommes tous parents, on s’entraide. Je fais ça pour le fihavanana. Je fais chaque jour à peu près 10 km aller-retour à vélo transportant le bidon de lait. Je dois faire cela même s’il pleut. La bicyclette m’appartientet c’est moi qui dois assurer la réparation lorsqu’il y a des problèmes […]. Ce que je fais est nécessaire pour que les éleveurs puissent écouler le lait quotidiennement ».

Le dispositif de collecte est nécessaire pour le bon fonctionnement de la mécanique de l’écosystème entrepreneurial. C’est une coordination située impliquant des liens de type vertical avec trois acteurs d’entrepreneuriat : 1) les éleveurs, 2) les collecteurs, 3) les transformateurs. Les relations de collecte sont stables et durables[16]. Cette durée est significative de son utilité en tant que mécanisme faisant fi de la barrière de la distance métrique entre deux acteurs éloignés de l’écosystème entrepreneurial. À titre illustratif, nous caractérisons une relation en réseaux de type liant entre un collecteur, le laitier, et le groupe d’éleveurs implantés sur son trajet de collecte, selon la grille à quatre attributs de Granovetter (1973) : 1) la quantité de temps requis pour les transactions ; 2) l’intensité émotionnelle ; 3) la confiance mutuelle ; et 4) les services réciproques. Ainsi, le laitier exerce l’activité de ramassage de lait[17] depuis 1994, bénéficiant d’une réputation de bienfaiteur auprès des éleveurs.

Ce laitier évoque ces derniers en des termes paternalistes : « […] Mes éleveurs, mes gens, mon peuple […] ». À son initiative, il n’effectue qu’un contrôle de qualité sporadique auprès des éleveurs alors que la totalité collectée fait l’objet de test systématique à la livraison finale auprès des transformateurs : « […] Il existe une relation de confiance entre moi et les éleveurs ; quand on gagne la confiance des gens, ils acceptent facilement les conditions imposées. J’ai exercé ce métier pendant une quinzaine d’années, nous avons appris à nous connaître durablement […] ». Durant nos enquêtes, le laitier prend et livre des commandes en intrants d’élevage, dont les prix seront retenus sur le prix du lait. Le petit cheptel (petit éleveur), qui habite un hameau, apprécie ce service : « […] je n’ai pas à me déplacer à la ville […] ». Le laitier est prévenu par les éleveurs sur des faits susceptibles de lui nuire : « […] Mes gens m’ont avisé que des gens malhonnêtes se sont informés sur le jour du paiement pour me tendre des guets-apens […]. »

3.1.2.3. Liens au profit de la transformation : interactions entre éleveurs et transformateurs

Bien que l’activité de transformation artisanale soit saisonnière, on a pu constater la présence régulière des fromages artisanaux sur le marché. Les fromagers artisans s’approvisionnent en lait auprès des éleveurs de leur village. On comprend que chaque fromager a son éleveur-fournisseur attitré, qu’il ne paye qu’après un certain délai, en l’absence de tout contrat écrit. À quelques exceptions près, ce système fonctionne dans la mesure où les deux catégories d’entrepreneurs (éleveurs et transformateurs) visent un objectif commun : produire un revenu supplémentaire stable.

Quant aux transformateurs semi-industriels, fabriquant des fromages de spécialité, ils sont tous d’origine extérieure[18]. Leurs activités de transformation à but lucratif servent aussi comme une sorte d’investissement dans les lieux, investissement qui se manifeste par des actions directes sur le milieu visant à l’améliorer (Emilianoff, 2008). Une agronome malgache, originaire d’une autre région, est très éloquente sur ce point : « Nous ne sommes pas originaires de Vakinankaratra. Nous avons acheté ce terrain après notre retour de France. Nous nous sommes installés ici parce qu’il y avait du lait dans la région. On pouvait alors créer notre propre entreprise. Notre objectif était de travailler avec les paysans pour faire du développement rural. On était jeunes, on avait cette utopie ». Un maître-fromager[19] décrit davantage cet investissement dans les lieux : « Comment suis venu-je ici ? […]. Il y avait un pôle laitier, très important […]. J’ai pu voir le contexte. C’est-à-dire qu’il y avait une grosse demande en produits de qualité. […]. Il n’y avait pas beaucoup de diversité, dans les fromages alors que les paysans sont très doués pour l’élevage. Alors je suis resté. Je me suis positionné sur un marché local haut de gamme […] ».

Ces transformateurs semi-industriels ont pu se positionner sur le marché en profitant de la quantité et de la qualité offertes par le lait de la région. En même temps, leur installation a été facilitée par la capacité à s’ouvrir à la population locale. Ce qui a contribué à l’acceptation des « étrangers » (Marti, Courpasson et Barbosa, 2013) et surtout la captation de grande valeur ajoutée, apportée par les fromagers de spécialité. Ici, le capital social territorial contribue au renouvèlement et à la sophistication du savoir-faire laitier, attribué à la région. Ainsi à la suite du déploiement du capital social à Vakinankaratra, un écosystème dynamique s’est révélé, dont la figure 1 en dresse le portrait.

Figure 1

L’écosystème entrepreneurial laitier de la région de Vakinankaratra

L’écosystème entrepreneurial laitier de la région de Vakinankaratra

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4. Discussion et conclusion

L’écosystème entrepreneurial que nous venons de décrire relève d’un collectif d’acteurs formant un complexe dialogique favorisant leurs interactions, comme nous l’avons expliqué plus haut à la suite de Mason et Brown (2014). Pour l’essentiel, on retiendra que les entrepreneurs d’élevage et de transformation laitière incarnent ces interactions, dont la connexion est assurée par les entrepreneurs de collecte, le tout soutenu par un bon nombre d’intervenants gouvernementaux. Cet écosystème est constitué en très grande partie de très petites entreprises, dont le territoire d’implantation constitue l’environnement d’apprentissage (Moati, 2002). Notre analyse nous a permis d’observer que les ambitions entrepreneuriales individuelles n’ont pas empêché les divers entrepreneurs de dépasser l’objectif de profitabilité à court terme grâce au soutien des différentes déclinaisons du capital social, de mettre en place une configuration productive interactive à l’intérieur de cet écosystème, et surtout de maintenir celle-ci et d’accroître son potentiel de marché. L’absorption des nouvelles pratiques (élevage et transformation), l’acceptation de changements dans les représentations (créer de la valeur à partir d’un autre type d’élevage) et l’adoption de nouveaux comportements (identification d’opportunité entrepreneuriale et principe de coopétition) ont pu être acceptées individuellement par les acteurs entrepreneuriaux, car ils y ont rencontré leurs intérêts économiques, notamment en leur permettant de réaliser des revenus supplémentaires stables. Lesquels ont en même temps développé une action collective profitable à l’ensemble des parties prenantes. Cette construction collective a pu se réaliser parce que les acteurs locaux ont su résoudre les tensions en y trouvant des revenus pour la plupart sinon pour tous (Järvenpää et Wernick, 2011).

À titre de comparaison, une telle situation n’a pas pu se produire dans deux écosystèmes laitiers mexicains : Tizayuca et Tlaxco (situés au coeur du haut plateau mexicain). En effet, les études de ces cas ont démontré que les acteurs locaux ont tenté vainement de résoudre leurs conflits en limitant les interactions et en augmentant les mécanismes de contrôle, lesquelles n’ont fait qu’intensifier les tensions (Poméon, Boucher, Cervantès et Fournier, 2008). Ce que renforce l’étude de Mundler, Guermonprez, Jauneau et Pluvinage (2010) sur six zones laitières contrastées en France qui a montré que la réussite ou l’échec (quatre zones à réussite parmi les six étudiées) des dynamiques de restructuration laitière est fonction des paramètres d’interaction locale des éleveurs, lesquels peuvent se manifester sous diverses formes (groupements divers, valeurs, règles, conventions, normes partagées), en tant qu’expression de l’appropriation des innovations institutionnelles proposées pour revitaliser chaque secteur laitier local. Ces mises en perspective nous apprennent qu’une zone laitière ne s’envisage pas sous l’angle d’un contexte entrepreneurial tant qu’elle ne prend pas la forme interorganisationnelle fondée sur des relations interpersonnelles, basées sur des pratiques complémentaires et reliées (Marti, Courpasson et Barbosa, 2013).

Par ailleurs, les faits observés à Vakinankaratra ont fait apparaître différentes dimensions du capital social. Ainsi, des liens forts de type colle (intraéleveurs), à base d’affinités sociales et de complicité induite de la notion de fihavanana, ont permis l’activation des apprentissages collectifs, l’adhésion à de nouvelles relations de coopétition et le changement commun de représentations. Tandis que les liens verticaux de type liant entre les différents acteurs de l’écosystème entrepreneurial ont favorisé les échanges interacteurs et ont raffermi les nouvelles conventions de réciprocité dans les relations marchandes, auxquelles les paysans n’étaient pas habitués auparavant. Enfin, les liens de type lubrifiant, caractérisés par l’ouverture aux opportunités extérieures, ont facilité l’adoption de la race laitière bovine, l’installation des transformateurs (agro-industrie et semi-industrielles) et la dynamisation du système productif par la sophistication des produits finaux (fromages artisanaux, fromages génériques, fromages de spécialité). Finalement, l’articulation des trois liens : colle (cohésion), liant (réciprocité), lubrifiant (ouverture), fondés sur le capital social au sein de la région, ont facilité l’activation par de multiples acteurs dans des enchevêtrements d’actions et de conventions qui ont permis de transformer un système d’élevage laitier naissant dans les années 1960 en un écosystème entrepreneurial moderne inédit.

Dès lors, ce capital social a été entretenu pour ne pas s’effriter, car généralement c’est l’usage qui consacre sa valeur (Sirven, 2000). Cet entretien peut s’apprécier en termes de règles de jeu, lesquelles se sont matérialisées par des liens d’interdépendances (au niveau des organisations) et des liens interpersonnels (entre des individus.). Ceci est observable avec l’enchaînement successif et situé des activités de transformations sans qu’il y ait été fait appel aux interventions des pouvoirs publics. À notre avis, ce processus de « conformisation » réalise l’intériorisation des normes, c’est-à-dire des règles de jeu pour faire affaire dans la région. L’on peut aussi noter que dans cette région, les transactions se sont organisées dans des cadres sans formalisation contractuelle. On ne trouve ainsi que quelques manuscrits volatiles et falsifiables qui servent de preuve dans les opérations de collecte et de ramassage de lait. Par ailleurs, dans le souci de préserver la spécificité au point de vue du goût de leurs produits, les laiteries semi-industrielles se fournissent régulièrement auprès d’éleveurs sélectionnés et, à nouveau, sans formalisation écrite. D’un côté, les éleveurs ont respecté l’engagement verbal ; de l’autre, les autres laiteries semi-industrielles ne se sont pas approvisionnées chez ces éleveurs sélectionnés. Le tableau 2 synthétise tout ce qui est relatif aux liens au sein de l’écosystème.

Tableau 2

Liens horizontaux et verticaux en présence

Liens horizontaux et verticaux en présence
Source : auteurs.

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Cependant, il faut préciser que ce capital social peut avoir des incidences négatives dans le développement entrepreneurial comme nous l’avons souligné au début. Par exemple, on peut penser que cette forte logique communautaire chez les éleveurs pourrait entraîner certaines exclusions (Light et Dana, 2013). C’est ce qui est arrivé avec le développement d’un fort sentiment d’appartenance communautaire (notamment avec les agents d’encadrement de FIFAMANOR), lequel a créé une logique de proximité sociale facilitant la transmission des nouvelles techniques et la coordination des actions de développement laitier. En contrepartie, cela a causé le rejet, au cours des années 2000, de l’adoption d’une nouvelle race bovine allogène, réputée encore plus performante, à cause de la non-implication de FIFAMANOR. C’est donc là une conséquence négative d’un fort capital social tendant à discriminer les nouveaux arrivants ou des idées considérées comme trop nouvelles et ainsi risquées. En d’autres mots, lorsque des acteurs sont engoncés dans un tissu relationnel local fort sédimenté, il y a risque de choix pour des stratégies ou des comportements non optimaux (Portes et Landolt, 1996). Par ailleurs, l’activité de transformation a pu entraîner d’autres effets pervers du capital social. D’une part, profitant de ce fort esprit communautaire, des fromagers artisanaux indélicats se sont installés dans les villages laitiers pour simuler une proximité sociale et se sont fournis en lait auprès des éleveurs locaux en payant comptant. Une fois la confiance acquise, ils ont commencé à négocier des paiements différés auprès des éleveurs. Après un certain laps de temps, ces fromagers sont disparus en laissant derrière eux des impayés, en confondant ainsi la relation marchande avec celle non marchande adossée au fihavanana et expliquant que les gens ne devraient pas se quereller pour des questions d’argent.

En outre, nous avons remarqué que la propension à des agissements conjoints (unissant) ne s’observe pas entre les entrepreneurs de collecte. L’initiative inféconde d’un rassemblement renseigne sur cette situation. Cette expérience inaboutie prévoyait de renforcer une position d’influence auprès des autorités communales pour demander le filtrage des collecteurs saisonniers en période de pointe de façon à disposer d’un pouvoir de négociation auprès des transformateurs pour la fixation du prix du lait et des conditions de collecte. De notre point de vue, l’exacerbation des postures individualistes, et surtout l’absence dans ce cas d’entrepreneurs dotés de leadership, à l’instar des deux entrepreneurs-éleveurs à la source des coopératives d’éleveurs, explique ce manque de coopétition. Ce qui a limité la relation dans sa seule dimension marchande. Cette situation renforce l’idée du besoin d’activation et de facilitation pour déclencher l’effet bénéfique du capital social. En dernier lieu, précisons que les fromagers artisanaux ont des liens de type liant très lâches. Ce qui limite la circulation de l’information entre eux, et réduit leur capacité d’action collective. Pourtant, l’apprentissage collectif de ce nouveau métier a été possible dans les années 1970 grâce à la facilitation du missionnaire suisse. Ce missionnaire étant décédé, aucun acteur n’a réussi à prendre le relais pour y activer le capital social. À cause de cette absence, les transformateurs artisanaux n’ont pas pu exploiter en opportunité entrepreneuriale la typicité gustative des fromages artisanaux produits à partir du lait de Vakinankaratra. En quelque sorte, les fromagers artisans n’ont pu réussir à créer de la valeur nouvelle à partir d’une ressource disponible.

En conclusion, cette étude a mis en lumière qu’une écologie tropicale d’altitude peut être capitalisée en opportunité entrepreneuriale, créant un contexte innovant en amenant les entrepreneurs locaux à s’auto-organiser pour mobiliser du capital social à multiéchelle ; ce qui a permis ainsi de transcender les intérêts individuels de profit à court terme pour générer de l’entrepreneuriat collectif axé sur la préservation d’une ressource rare (une production relativement unique pour le pays, soit celle du lait et des fromages) et, dont le renouvèlement en continu des idées et des apprentissages sur toute la chaîne entrepreneuriale. Ce qui a supposé une certaine activation tant au niveau des individus que des organisations. Les faits observés à Vakinankaratra renseignent ainsi sur les acteurs et les modalités de construction diachronique d’un écosystème entrepreneurial, nous permettant d’apporter plusieurs éléments de réponses à notre problématique de recherche. Ainsi, la présence du capital social a favorisé la coopération et a renforcé l’assimilation d’une distinction particulière de la région. Par la suite, notre analyse a montré comment les acteurs ont opérationnalisé ce capital social en élargissant la production d’origine, le lait, avec des dérivés que sont les fromages. Nous avons pu alors argumenter de quelle manière ce capital social, notamment par sa capacité à transformer graduellement et entre eux les acteurs à une nouvelle façon de faire, a contribué à la transformation d’un contexte peu développé vers un écosystème entrepreneurial dynamique et particulièrement rentable comparé à l’ancienne situation économique. Cette analyse a ainsi permis d’expliquer que la région de Vakinankaratra présente un développement contextualisé lié au territoire particulier d’écologie tropicale d’altitude dans un pays en voie de développement. De même, cette contextualisation a été accentuée par un recours particulier des acteurs à un capital social spécifique et a consolidé la spécialisation dans l’industrie laitière de la région. Enfin, cela a démontré que le capital social cristallise des actes entrepreneuriaux individualisés vers un développement entrepreneurial, et non nécessairement les mesures incitatives pour des créations d’entreprises (Brière, Tremblay et Daoust, 2015).

Sur le plan théorique, la contribution majeure de cette étude a été de démontrer les types, les pratiques et le fonctionnement du capital social dans la mécanique d’un processus entrepreneurial à l’échelle d’un territoire spécifique lui permettant d’accentuer ses différences et donc sa contextualisation. En cela, les faits rapportés contribuent à saisir réellement la portée du capital social agissant sur l’entrepreneuriat. Plus précisément, nous avons décrit empiriquement la formation et les bénéfices de ce dernier en observant comment les entrepreneurs locaux sont parvenus à construire des arrangements leur permettant d’établir, de développer et de maintenir par la suite une configuration productive et de partager le bénéfice entre eux tout en développant un apprentissage partagé et en construisant des règles généralement acceptées par tous. Sur le plan pratique, au niveau des décideurs, nos résultats s’arrêtent aux enjeux, aux stratégies et aux modèles pour soutenir les entrepreneurs et l’entrepreneuriat. Ce qui constitue la contribution managériale de la recherche. Plus spécifiquement, l’apport de la recherche est de porter à la connaissance de la communauté scientifique des faits rencontrés dans un autre contexte que les économies développées, puisque les observations issues des pays en émergence et en développement méritent aussi d’être révélées (Stam, Arzalanian et Elfring, 2014).

En reconnaissant que toute recherche qualitative fait l’objet d’une interprétation subjective qui peut exacerber le spectre d’une illusion holiste accordant aux faits ou aux événements plus de convergences et de cohérence qu’ils en ont en réalité (Gilovich, 1991). En assumant cette limite, l’avenue de recherche future suggérée est d’enrichir les propositions initiées par l’analyse de nouveaux cas concrets dans un autre environnement et dans un autre contexte de développement, tout en élargissant au besoin les éléments du capital social.