L’esprit humain a besoin de faire des séparations et des distinctions dans le monde qu’il observe. Il classe, hiérarchise, compare et discrimine ainsi les phénomènes pour mieux les isoler et les appréhender. Bien que cette intelligence analytique soit à la source de la démarche scientifique et procure à l’esprit humain une capacité inouïe d’explication, de conceptualisation et de théorisation, elle conduit parfois à séparer des réalités inséparables et, conséquemment, à vider de son sens ce qu’elle cherche à observer. Et si cela était vrai dans la désormais traditionnelle distinction entre la recherche et l’enseignement universitaire ? Dans le monde universitaire, là où précisément cet esprit analytique est cultivé et encouragé, les séparations sont aussi présentes, notamment pour distinguer les disciplines entre elles, souvent avec d’excellentes intentions et d’indéniables résultats, mais parfois aussi avec des maladresses. Ainsi, qui n’a jamais vécu les interminables débats auxquels conduit la réorganisation des départements au sein d’une faculté ? Qui doit aller avec qui ? Quelles disciplines peut-on ou doit-on regrouper ? Ces découpages sont également nombreux dans le domaine de la recherche pour cartographier les méthodes de recherche où l’on distingue et même oppose les quantitatifs aux qualitatifs, les constructivistes aux positivistes, etc. Rien de très nouveau ni de très dysfonctionnel dans ces façons de faire qui reflètent simplement une façon de penser propre à l’esprit humain et qui génère souvent de sains débats et d’intéressantes recherches. Cependant, ces découpages ne servent pas qu’à organiser ou penser, mais forment aussi dans de nombreux cas la base de l’identité d’un professeur d’université. L’appartenance à une discipline ou à un courant de recherche ou de pensée est ainsi fondatrice de cette identité et de sa légitimité. Nous avons même besoin de cette appartenance pour nous affirmer comme professeur. Les milieux universitaires nous imposent d’ailleurs fréquemment de nous situer à l’intérieur d’une discipline ou d’un domaine scientifique. Si ces distinctions apportent de l’ordre et font partie des pratiques courantes dans le milieu universitaire, certains autres découpages en revanche posent problème lorsque, plutôt que de rajouter du sens en séparant, ces distinctions en font perdre en appauvrissant les composants qu’elles distinguent. Selon nous, la distinction entre la recherche et l’enseignement est de ce point de vue problématique. Bien sûr on comprend que cette séparation soit nécessaire tant ces activités universitaires exigent une gestion différente. Mais elle va parfois trop loin et conduit à une scission de l’identité des professeurs qui se demandent souvent à quel saint se vouer. On aime à penser que la recherche et l’enseignement appartiennent à un même continuum. D’une certaine façon, c’est l’essence même de l’Université que de construire ces liens vertueux. Pourtant, ils apparaissent aujourd’hui comme deux mondes différents avec leur propre logique et leurs propres règles. Nous pourrions presque dire qu’ils sont aussi peuplés d’habitants de plus en plus distincts. Alors qu’ils pourraient constituer le socle identitaire du professeur et être intimement liés l’un à l’autre comme les deux ventricules d’un coeur, force est de constater que la distance entre ces deux sphères est parfois si éloignée que l’appartenance à l’un des mondes semble rendre de plus en plus impossible l’appartenance à l’autre. Le concept d’enseignant-chercheur n’aurait donc pas survécu, semble-t-il. Même si le terme figure encore sur certaines cartes professionnelles ou sur l’annonce de l’ouverture de certains postes, la réussite et la reconnaissance dans les deux mondes relèvent à présent d’un véritable numéro d’équilibriste et exigent de certains professeurs de faire le grand écart. Étonnante distinction lorsque l’on sait qu’un professeur d’université, par son métier et ses aspirations, a souvent choisi d’appartenir à ces deux mondes en pensant qu’ils ne feraient …
Parties annexes
Références
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