Il y a un certain temps déjà, Cronin (1981) présentait les résultats d’une petite expérience extrêmement intéressante sur la citation. Après avoir amputé un texte de toutes ses références, il demanda à des experts du domaine d’indiquer par un astérisque les endroits où, selon eux, il devrait y avoir une ou des références. Alors que l’auteur de ce texte (dont le nom avait également été retiré) avait inclus dans son travail un total de 49 références figurant dans 34 phrases (que Cronin désigne par l’expression citational foci), les 19 participants n’ont suggéré que 27 endroits à l’intérieur de 21 phrases où, à leur avis, il fallait mettre des références (qu’ils n’avaient pas à nommer). Les phrases en question n’étaient pas toujours les mêmes – en fait, il y eut 25 nouvelles phrases dans lesquelles les répondants croyaient que l’auteur aurait dû ajouter des références –, tout comme le nombre de références qu’elles contenaient. En somme, il n’y avait vraiment pas de consensus entre l’auteur et les 19 répondants quant aux phrases qui devaient faire l’objet d’une citation et au nombre de références à inclure dans le texte. Plus encore, comme le note Cronin, on peut penser que même lorsque l’auteur et les répondants s’entendaient sur l’endroit où il devait y avoir une référence, le travail qui aurait été cité n’aurait vraisemblablement pas toujours été le même. Et rien ne permet de supposer que les résultats d’une telle recherche seraient très différents aujourd’hui. Bref, le caractère éminemment subjectif du processus de citation ne semble faire aucun doute. Bien sûr, la pratique de la citation ne relève pas d’une science exacte et, malgré quelques principes dominants (à ce propos, voir en particulier Belcher [2009], Campion [1997], Colquitt [2013] et Harzing [2002]), chacun semble posséder sa petite théorie de la citation, bien qu’elle soit généralement très implicite. De toute évidence, la décision de citer ou non une idée ou un travail ne repose pas toujours ou uniquement sur sa valeur intrinsèque et sur sa pertinence ; consciemment ou non, l’auteur se laisse souvent guider par d’autres motifs, dont certains ne seraient peut-être pas très avouables… Cela dit, l’absence d’une vision normative de la citation qui serait plus largement partagée chez les producteurs de connaissances n’est pas sans conséquences, dont celle de rendre difficile la reconnaissance à la fois de la valeur des idées ou travaux cités et de ceux qui en sont à l’origine. Pourtant, si on faisait davantage consensus entre nous sur ce qui devrait être cité et sur ce qui ne devrait pas l’être, il y aurait probablement moins de critiques à propos des effets auxquels cette reconnaissance peut contribuer à donner lieu, notamment sur le plan personnel (statut professionnel, rémunération, notoriété, etc.) et sur celui de la réputation des revues qui publient les articles dans lesquels figurent ces idées (on pense en particulier au fameux facteur d’impact des revues). L’objectif de cette chronique n’est pas de proposer une théorie générale de la citation, mais de présenter une vision globale de certains principes dans l’espoir de faire réfléchir et, éventuellement, de susciter un peu plus de consensus dans notre pratique de la citation. Ainsi, tout en m’appuyant fréquemment sur des propos tenus par d’autres, j’insisterai d’abord sur ce qui, à mes yeux, devrait être une règle fondamentale : il faut citer des idées, pas des personnes. Puis, il sera question des conditions préalables à une citation, c’est-à-dire des caractéristiques que devrait avoir une idée avant d’être susceptible de faire l’objet d’une citation. La troisième section décrira les buts de la citation, c’est-à-dire les raisons ou motifs de type « afin …
Parties annexes
Références
- Belcher, W.L. (2009). Writing your journal article in 12 weeks. A guide to academic publishing success. Thousand Oaks, Sage Publications.
- Campion, M.A. (1997). « Editorial. Rules for references : suggested guidelines for choosing literary citations for research articles in applied psychology ». Personnel Psychology, 50(1), 165-167.
- Colquitt, J.A. (2013). « From the editors. Crafting references in AMJ submissions ». Academy of Management Journal, 56(5), 1221-1224.
- Cossette, P. (2012). « La contribution théorique : une grande oubliée ». Revue internationale PME, 25(3-4), 7-15.
- Cronin, B. (1981). « Agreement and divergence on referencing practice ». Journal of Information Science, 3(1), 27-33.
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