Résumés
Résumé
Pour plusieurs aspirants entrepreneurs, trouver une « bonne » opportunité est une étape difficile. Arriver à reconnaître une opportunité nécessite, au niveau individuel, un certain nombre de connaissances et d’informations, de même qu’une certaine dose de créativité. Pour pallier ces limites individuelles, une avenue intéressante est de mettre à contribution des groupes ou une collectivité pour identifier des opportunités, ce qui permet de multiplier les connaissances et favorise la créativité. C’est le pari qui a été fait dans certains milieux, en réunissant différents groupes d’acteurs dans des démarches structurées afin de reconnaître des opportunités dans leur environnement. Bien qu’intéressantes, ces démarches posent la question suivante : le processus de reconnaissance d’opportunités peut-il être abordé comme un processus collectif ? Pour Tremblay et Carrier (2006), il s’agit d’une avenue non seulement pertinente pour la pratique, mais justifiable d’un point de vue théorique. Ceci étant dit, on connaît peu les facteurs influençant un tel processus et permettant d’en assurer le succès. Afin de répondre à cette question, une étude exploratoire par théorisation enracinée a été réalisée à partir de cinq cas de démarches collectives. Au final, l’étude a permis d’illustrer le processus collectif de reconnaissance d’opportunités et certains facteurs permettant d’en maximiser les retombées. Les résultats permettent de confirmer les rapprochements entre identification d’opportunités et créativité et offrent des repères pour orienter l’action des intervenants et conséquemment, d’améliorer les retombées de telles pratiques.
Mots-clés :
- Opportunité,
- Processus collectif,
- Créativité,
- Idéation,
- Théorisation enracinée
Abstract
For many aspiring entrepreneurs, finding a « good » opportunity is a difficult step. Getting to recognize an opportunity requires, at the individual level, a number of knowledge and information, as well as a certain amount of creativity. To overcome these individual limits, an interesting approach is to involve groups or communities to identify opportunities, thereby increasing information and generate creativity. This is the bet that has been made in some territories, bringing together different groups of actors in structured approaches to recognize opportunities in their environment. Although interesting, these approaches pose the following question : Can we address the opportunity recognition as a collective process ? For Tremblay and Carrier (2006), it is not only relevant for practice, but also from a theoretical point of view. That being said, little is known about the factors influencing this process. In order to fill this gap, an exploratory study was conducted. Using grounded theory, five cases of collective process were analyzed. The study illustrates the collective opportunity recognition process and identifies some factors influencing the success and benefits of those processes. The results confirm the links between opportunity recognition and creativity, and provide benchmarks to guide the actions of practitioners and consequently, improve the impact of such practices.
Keywords:
- Opportunity,
- Collective process,
- Creativity,
- Ideation,
- Grounded theory
Resumen
Para muchos empresarios, encontrar una « buena » oportunidad de negoció es una etapa bastante difícil. Tener la capacidad de reconocer una oportunidad necesita, al nivel individual, ciertos conocimientos e informaciones así que una dosis de creatividad. De manera a disminuir estos límites individuales, una avenida interesante es de poner a contribución grupos o colectividades para identificar las oportunidades, lo que permitirá multiplicar los conocimientos y favorecer la creatividad. Es lo que hicieron en ciertos medios, reunir grupos de actores a dentro de una gestión estructurada al fin de reconocer oportunidades a dentro de sus ambientes. Aunque interesantes, estos procesos nos trae la pregunta siguiente : El proceso de reconocimiento de oportunidades puede estar tratado como un proceso colectivo ? Para Tremblay y Carrier (2006) no es nada más que una avenida pertinente para la práctica, pero justificable de un punto de vista teórico. Esto dicho, no conocemos mucho los factores que influyen un tal proceso y que permiten asegurar el éxito. Al fin de contesta esa pregunta, un estudio exploratorio por teoría arraigada fue realizado a partir de cinco casos de procesos colectivos. Al final, el estudio permitió ilustrar el proceso colectivo de reconocimientos de oportunidades y ciertos factores que permiten maximizar los beneficios. Los resultados permiten confirmar la relación entre la identificación de oportunidades y creatividad y ofrece referencias para orientar el acción de los participantes y por consecuencia, mejorar los beneficios de estas prácticas.
Palabras clave:
- Oportunidad,
- Proceso colectivo,
- Creatividad,
- Ideas,
- Teoría fundamentada
Corps de l’article
Introduction
En matière de création d’entreprise, on suppose généralement qu’il est du ressort de l’aspirant-entrepreneur d’identifier une opportunité d’affaires. Pourtant, le manque d’informations, de connaissances et de créativité empêche certains individus de reconnaître une opportunité présentant un potentiel intéressant (Tremblay et Carrier, 2006). Il n’est pas rare que des individus souhaitant démarrer une entreprise ne sachent pas quelle opportunité d’affaires exploiter. Or, comme le font remarquer Tremblay et Carrier (2009), même s’ils sont conscients de la difficulté de leurs clients à identifier des opportunités, les organismes de développement économique offrent peu de soutien aux entrepreneurs dans cette étape cruciale du processus.
Au Québec, certains organismes régionaux ont commencé à expérimenter de nouvelles méthodes pour soutenir l’identification d’opportunités. Ils ont ainsi amorcé des démarches de recherche d’opportunités mettant à profit la collectivité. Les initiateurs de ces démarches ont jugé pertinent de faire appel au savoir, à l’expérience et à la créativité de différents membres de leur communauté pour créer des banques d’opportunités potentiellement accessibles aux personnes songeant à lancer leur entreprise. Ces opportunités peuvent par la suite être exploitées par des entrepreneurs potentiels et par conséquent, générer du développement entrepreneurial dans un milieu. Cependant, comme l’ont soulevé Carrier et Tremblay (2009), malgré l’intérêt que peuvent présenter ces pratiques collectives d’identification d’opportunités, il existe actuellement peu de repères pouvant orienter les acteurs de développement économique dans leur mise en place de façon à en assurer l’efficacité.
Plusieurs travaux théoriques et empiriques portent aujourd’hui sur le thème de l’identification d’opportunités, une étape cruciale dans toute création d’entreprise. Un examen de cette littérature montre une grande diversité dans les façons de représenter ce processus. Certains modèles reposent sur le traitement de l’information (Herron et Sapienza, 1992), d’autres sur la cognition (Gaglio, 1997 ; Krueger, 2000), d’autres encore mettent plutôt l’accent sur les actions prises pour « créer » des opportunités (De Koning, 2003 ; Hills, Shrader et Lumpkin, 1999 ; Saranson, Dean et Dillard, 2006 ; Sarasvathy, 2001 ; Smith et Di Gregorio, 2003). Bien que certains aient ouvert la possibilité d’envisager collectivement le processus d’identification d’opportunités (Hills, Shrader et Lumpkin, 1999 ; Lichtenstein et Lyons, 2001 ; Lounsbury, 1998 ; Tremblay et Carrier, 2006), les modèles adoptent encore essentiellement une perspective individuelle, offrant ainsi des repères limités pour appréhender l’étude de l’identification d’opportunités en contexte collectif.
C’est dans cette optique qu’une étude exploratoire a été réalisée. L’objectif de cette recherche est de mettre en évidence les caractéristiques d’un processus collectif de reconnaissance d’opportunités, ainsi que les facteurs en influençant les résultats (opportunités identifiées). Pour ce faire, une démarche de théorisation enracinée a été réalisée à partir de cinq cas de démarches collectives de reconnaissance d’opportunité. L’intérêt de cette étude est double. Sur le plan théorique, elle permet de développer une meilleure connaissance du processus collectif d’identification d’opportunités, en dégageant notamment les composantes et les facteurs l’influençant. Par ailleurs, sur le plan pratique, de telles connaissances permettent d’offrir des repères pour la mise en place de ce type de processus de façon à maximiser les retombées, et ainsi favoriser le développement d’activités économiques nouvelles.
Cet article se divise comme suit. La première section effectue un retour sur la littérature. Dans un premier temps, l’état des travaux sur l’opportunité et le processus qui permet de l’identifier est présenté. Par la suite, la réflexion se poursuit sur le lien entre créativité et reconnaissance d’opportunités et sur l’apport de la créativité dans l’étude de la dimension collective de la reconnaissance d’opportunité. La deuxième section porte sur les considérations méthodologiques, présentant d’abord les principes de la théorisation enracinée, les détails relatifs à la collecte et l’analyse des données, pour terminer par une présentation sommaire des cinq cas à l’étude. Dans un troisième temps, les résultats sont présentés de façon détaillée avant d’être discutés dans la dernière section.
1. Contexte théorique
Dans le champ de l’entrepreneuriat, la dimension collective prend de plus en plus d’importance et les écrits y faisant référence se multiplient. Ce faisant, une précision s’impose. Il existe différentes conceptions de l’entrepreneuriat collectif. Certains font référence à la création d’entreprises « coopératives » ou « alternatives » (Yohanan, 2006). Pour d’autres, il s’agit plutôt de la création d’une entreprise par un groupe, par une équipe entrepreneuriale (Lounsbury, 1998 ; Reich, 1987). Finalement, d’autres encore l’entendent davantage dans le sens de « communauté entrepreneuriale » (Etzkowitz et Klofsten, 2005 ; Flora, 1998 ; Joyal, 2002). Or, la démarche sous-entendue dans un processus collectif d’identification d’opportunités ne constitue pas en soi un processus d’entrepreneuriat collectif, peu importe le sens qu’on lui donne. Les pratiques qui nous intéressent ne couvrent pas l’ensemble, mais bien une seule phase du processus entrepreneurial, c’est-à-dire, l’identification d’opportunités. Dans le cadre de la présente recherche, une pratique d’identification collective d’opportunités doit être comprise comme un « processus impliquant un ensemble d’individus issus d’un milieu donné travaillant en groupe pour identifier des opportunités entrepreneuriales viables pour ce milieu, ces dernières pouvant mener à la création de nouvelles activités économiques ».
1.1. L’opportunité et son identification
L’opportunité - c’est-à-dire la possibilité d’introduire sur le marché de nouveaux produits, services ou processus pouvant mener à un profit - est un concept central en entrepreneuriat. Les travaux de Shane et Venkataraman (2000) et Shane (2003) ont montré que l’identification d’opportunités constitue l’une des plus fondamentales habiletés que doit développer et maîtriser l’entrepreneur. Avant eux, de nombreux autres chercheurs avaient également présenté l’identification d’opportunités comme le point de départ incontournable de tout processus entrepreneurial (Ardichvili, Cardozo et Ray, 2003 ; Gartner, 1990).
Pour Alvarez et Barney (2007, 2010) et Alvarez, Barney et Anderson (2013), deux visions dominantes de l’opportunité sont présentes dans la littérature : les opportunités découvertes et les opportunités « construites dans l’action » (enacted). Dans la première conception, la reconnaissance des opportunités repose sur la vigilance des individus, alors que dans la seconde, l’opportunité est forgée au gré des actions de l’entrepreneur, elle est donc le fruit d’une création. Il est maintenant de plus en plus reconnu que les opportunités ont des formes multiples et que par conséquent, plusieurs mécanismes et processus permettent de les identifier (Short, Ketchen et Shook, 2010) ; par exemple, le traitement de l’information (Herron et Sapienza, 1992), la cognition (Gaglio, 1997 ; Krueger, 2000), et la créativité (Long et McMullan, 1984 ; Hills, Shrader et Lumpkin, 1999).
Pour Dimov (2007), l’opportunité est un produit créatif, qui prend inévitablement source dans une idée. Pour lui, le passage de l’idée à l’opportunité se fait dans un processus de « développement ». L’idée est le point de départ, mais c’est à travers différentes activités et actions que la viabilité de l’idée sera validée et deviendra « opportunité ». Ainsi, toutes les idées ne sont pas des opportunités. Elles constituent une condition nécessaire, mais non suffisante pour que les opportunités soient développées. D’ailleurs, Davidsson (2003) suggère plutôt de parler d’une « opportunité perçue », qui pourra ou non se confirmer suite à son évaluation et son exploitation. Cette nature insaisissable de l’opportunité a amené Dimov (2011) à proposer de s’intéresser notamment aux « idées » d’opportunités identifiées par les aspirants entrepreneurs, dans la mesure où ce sont ces idées qui sont susceptibles de devenir des opportunités une fois qu’elles auront été exploitées (c’est-à-dire que les entrepreneurs auront agi pour les concrétiser).
1.2. Créativité et identification d’opportunités
Au cours des années, plusieurs travaux ont montré l’importance de la créativité sur l’identification d’opportunités (Christensen, Madsen et Peterson, 1994 ; De Tienne et Chandler, 2004 ; Hills, Lumpkin et Singh, 1997). S’intéressant aux différents comportements qui mènent à la reconnaissance d’opportunités, Hills, Lumpkin et Singh (1997) ont constaté que la créativité était l’un des mécanismes permettant de faire émerger des opportunités. Des travaux ultérieurs (Lumpkin, Hills et Shrader, 2004 ; Hills, Shrader et Lumpkin, 1999) ont permis de confirmer son importance proposant même que la reconnaissance d’opportunités soit essentiellement un processus créatif. Dans la plupart des modèles de reconnaissances d’opportunités, la créativité constitue l’une des composantes. En effet, elle est reconnue pour avoir une influence sur la capacité d’identifier des opportunités (Long et McMullan, 1984 ; Hills, Shrader et Lumpkin, 1999 ; De Tienne et Chandler, 2004). Hills, Lumpkin et Singh (1997) soulignent l’importance de ce facteur ; 90 % des entrepreneurs rencontrés dans le cadre de leur étude ont attribué à la créativité un rôle déterminant dans l’identification de leurs opportunités d’affaires.
Les capacités créatives sont susceptibles de générer une organisation différente de l’information, permettant d’en tirer de nouvelles idées. Ward (2004) évoque entre autres la combinaison conceptuelle[1] et le raisonnement analogique[2] comme des processus créatifs permettant l’émergence d’idées nouvelles. Pour l’auteur, l’application de ce type de processus créatifs permet de maximiser l’utilisation des connaissances et de l’information, favorisant ainsi l’entrepreneuriat. De Tienne et Chandler (2004), soutenant le rôle déterminant de la créativité dans le processus d’identification d’opportunités, mettent l’accent sur la capacité de faire le lien entre les stimuli externes et les connaissances et capacités spécifiques de l’individu. Mais comme le rappellent Hansen, Lumpkin et Hills (2011), la créativité devrait non seulement figurer parmi les composantes, mais être vue comme inhérente au processus lui-même.
En matière de créativité, les auteurs réfèrent souvent à cette capacité à gérer et manipuler diverses matrices d’informations et à les combiner pour faire ressortir des idées nouvelles (Smith et Di Gregorio, 2003). Justement, pour Ko et Butler (2003), la simple vigilance aux idées nouvelles n’est pas suffisante pour identifier des opportunités d’affaires. Selon ces derniers, même si les individus demeurent alertes aux idées nouvelles dans le traitement des informations, c’est seulement en utilisant la pensée bissociative[3] qu’ils seront en mesure d’en faire ressortir des opportunités. Dans la même veine, Gaglio (1997) propose un modèle d’identification d’opportunités reposant sur l’utilisation d’heuristiques, notamment la simulation mentale (cogiter sur un événement passé ou futur) et la pensée contrefactuelle (une pensée qui va à l’encontre des faits établis). Selon elle, l’individu ayant identifié une opportunité utilise ces heuristiques d’une manière différente de celui n’en n’ayant pas identifiée.
Long et McMullan (1984) ont avancé l’idée que l’opportunité est la création de l’individu : elle ne peut exister sans lui. Ils identifient trois étapes dans le processus d’identification d’opportunités, soit la prévision, la vision et l’élaboration. Une première forme de créativité est présente dans la phase de vision permettant ainsi de percevoir le problème, et une seconde dans la phase d’élaboration, permettant de trouver des moyens de résoudre le problème. Dans la même veine, Hills et ses collègues (Hills, Shrader et Lumpkin, 1999 ; Lumpkin, Hills et Shrader, 2004) proposent un modèle créatif d’identification d’opportunités. S’inspirant des connaissances dans le domaine de la créativité, les auteurs intègrent dans leur modèle des étapes de préparation, d’idéation, d’incubation, d’élaboration et d’évaluation. Les résultats obtenus par Hills, Shrader et Lumpkin (1999), sur un échantillon de 165 entrepreneurs, confirment que le processus d’identification d’opportunités est un cas particulier de processus créatif. DeTienne et Chandler (2004) ont également montré qu’il est possible d’influencer le nombre d’opportunités générées par les étudiants et leur niveau d’innovation par la formation et le développement de leurs habiletés créatives.
1.3. Identification collective d’opportunités : un processus créatif ?
Hills, Shrader et Lumpkin (1999) qui ont présenté l’identification d’opportunités comme un processus essentiellement créatif, s’interrogent aussi sur sa possible dimension collective. Bien que les auteurs n’approfondissent pas la réflexion, il paraît justifié de se poser la question : puisque la créativité, notamment dans les organisations, est souvent recherchée à travers des groupes, le processus d’identification d’opportunités peut-il lui aussi reposer sur un groupe et ainsi devenir un phénomène collectif ? Poser la question, c’est déjà un peu y répondre.
Plusieurs travaux se sont intéressés à la créativité de groupe. En effet, l’interaction dans les groupes et équipes serait une source féconde d’innovations et d’idées créatives (Paulus, 2000, p. 237). La notion d’idéation, souvent associée à la créativité en groupe, est une activité cognitive qui repose sur deux processus principaux : l’accès à l’information et le traitement de l’information (Nagasundaram et Dennis, 1993) et parce qu’elle est favorisée par la diversité des stimuli, l’idéation est souvent réalisée en groupe (Paulus, 2000). En impliquant plusieurs individus, cela permet non seulement de mettre à contribution les capacités créatives de tous et chacun, mais surtout de générer une dynamique créative susceptible d’amener le groupe à identifier davantage d’idées nouvelles et d’opportunités.
Sans avoir porté directement sur l’identification d’opportunités, plusieurs travaux ont associé créativité et entrepreneuriat. Certains vont même jusqu’à parler de créativité entrepreneuriale plutôt que d’entrepreneuriat (Sternberg et Lubart, 1999). Dans cet esprit, Lee, Florida et Acs (2004) ont réussi à montrer que la création d’entreprises est plus forte dans les régions présentant un fort taux de créativité[4] ; pour eux, la créativité est donc un élément favorisant l’entrepreneuriat. Suivant la logique de ces auteurs, on peut poser l’hypothèse qu’un processus collectif d’identification d’opportunités d’affaires peut être grandement favorisé par l’action de personnes créatives dans un milieu. Bien que des rapprochements théoriques puissent être faits entre la reconnaissance collective d’opportunités et la créativité, à notre connaissance, aucune étude empirique n’est venue jusqu’à maintenant supporter cette idée. Pour cette raison, nous avons choisi d’explorer cet objet de recherche sans cadre prédéfini.
2. Cadre opératoire
Afin d’explorer le processus collectif d’identification d’opportunités, une stratégie de théorisation enracinée a été mobilisée. L’échantillon était composé de cinq cas de démarches et les données ont été collectées par le biais d’entretiens et de documentation. Les détails de la méthodologie de recherche sont présentés.
2.1. Une démarche de théorisation enracinée
De façon générale, les auteurs reconnaissent l’utilité de la théorisation enracinée dans le cas de nouveaux sujets de recherche ou quand la théorie est inadéquate (Eisenhardt, 1989). Nous avons à plusieurs reprises soulevé la nouveauté de l’identification collective d’opportunités. La théorisation enracinée offre la possibilité d’aborder l’exploration de ce nouveau sujet sans se contraindre à utiliser des théories pouvant être inadéquates.
Initiée par Glaser et Strauss (1967), la théorisation enracinée a pour objectif premier de générer une théorie « ancrée » dans les données empiriques ; elle traduit un souci de refléter le concret et correspondre à la réalité observée (Strauss et Corbin, 1998). Pour ce faire, l’approche traditionnelle de cette stratégie de recherche nécessite de faire table rase des théories existantes et d’aborder le sujet sans cadre préalablement défini. Comme Glaser (2002) le fait ressortir, la théorisation enracinée ne cherche pas à décrire une réalité ni à dépeindre le portrait d’un phénomène, elle cherche avant tout à générer une théorie ; au-delà de la description, elle vise l’abstraction, la conceptualisation. Certains ont cependant soulevé le problème de la conception « puriste » de la théorisation enracinée selon laquelle le chercheur doit faire table rase des théories existantes, et ce faisant analyser les données sans ancrage théorique initial (Sudabby, 2006). De façon plutôt pragmatique, Strauss et Corbin (1998) ont orienté leurs travaux sur le développement de procédures d’analyse de données. Pour ces auteurs, les chercheurs sont influencés par leurs travaux préalables et les écoles de pensée auxquelles ils adhèrent. Et contrairement à Glaser (1992) qui préfère faire table rase des connaissances existantes, Strauss et Corbin (1998) proposent plutôt de les utiliser comme source de comparaison. Comme ils le font remarquer, il ne s’agit pas de faire une recension exhaustive de la littérature, ou d’identifier au préalable les concepts qui émergeront – ce serait contraire à la philosophie de la théorisation enracinée – mais plutôt de comparer les concepts émergents à la littérature, de façon à identifier les similarités et les nuances.
2.1.1. L’échantillon
Selon la définition donnée à l’objet d’étude, nous avons cherché à répertorier, pour notre échantillon, « des démarches pour lesquelles un ensemble d’individus issus de différents groupes d’acteurs d’un milieu collabore pour identifier des opportunités entrepreneuriales viables pour ce milieu, ces dernières pouvant mener à la création de nouvelles activités économiques ». Au total, cinq cas de démarche ont été étudiés. Deux cas peuvent être qualifiés de « réussite », en fonction des opportunités identifiées et exploitées, alors que les trois autres ont obtenu des résultats plus mitigés. Par souci de confidentialité, le territoire sur lequel s’est déroulé chacun des cas n’est pas précisé. Précisons cependant que tous les cas de démarches ont été réalisés dans la province de Québec et ont tous été étudiés a posteriori.
2.1.2. Les méthodes de collecte de données
Comme pour la plupart des méthodologies qualitatives, la théorisation enracinée peut faire appel à plusieurs sources de données de même qu’à plusieurs méthodes de collecte de données. D’ailleurs, cette utilisation de plusieurs méthodes est suggérée par plusieurs auteurs pour favoriser la triangulation des données (Yin, 1994 ; Locke, 2001). En plus de permettre un meilleur accès aux données, la triangulation augmente la validité des résultats puisque les données obtenues auprès des différentes sources peuvent être comparées et confrontées et ainsi assurer un reflet plus conforme à la réalité. Son principal avantage est de permettre la convergence et de réduire le risque que les conclusions reflètent seulement les biais systématiques ou les limites d’une méthode spécifique ; elle procure ainsi une assurance de validité et de généralisation plus grande (Maxwell, 1996 ; Yin, 1994). Deux techniques de collecte de données ont été utilisées : l’entretien semi-dirigé et la consultation d’archives (compte rendu, rapport, dépliant, couverture médiatique, etc.). En faisant appel, pour chaque cas, à plusieurs répondants et en consultant la documentation complémentaire, nous avons été en mesure de valider certains éléments, assurant ainsi une analyse plus juste des données. L’entretien semi-dirigé, bien qu’il soit plus souple et flexible que l’entretien dirigé, nécessite toutefois une bonne préparation. En ce sens, un guide d’entretien a été préparé. Pour les entretiens initiaux, la grille d’entretien comprenait six thèmes : le contexte de l’implantation, le travail préparatoire, la structure, l’idéation, l’évaluation des idées, les résultats et le bilan de la démarche. Pour chacun des cas, de 2 à 12 personnes ont été rencontrées. Au total, pour l’ensemble des cinq cas, ce sont 27 entretiens qui ont été réalisés, d’une durée allant de 45 minutes à deux heures et plus d’une quarantaine de documents consultés.
2.1.3. La méthode d’analyse de données
La totalité des entretiens réalisés et des notes d’entretiens ont été retranscrits. Tout le matériel a par la suite été importé dans un projet NVivo, logiciel d’analyse de données qualitatives. Avec ce logiciel, un projet global a été créé, dans lequel étaient répertoriés les cinq cas étudiés. Les comptes rendus intégraux et les documents ont été classés sous le cas correspondant. En catégorisant ainsi les documents et les comptes rendus intégraux, il a été possible de comparer les cas entre eux sur certaines variables et de générer des matrices. Voulant respecter le principe de théorisation enracinée suggérant de ne pas utiliser de catégories préalablement définies, nous avons codé chacun des comptes rendus intégraux, l’un après l’autre, extrait par extrait, sous forme de noeuds. Le noeud est une terminologie utilisée par NVivo qui représente un contenant dans lequel sont emmagasinés des extraits de documents associés à un thème commun. Un noeud peut être créé pour identifier un processus, un fait, un concept, etc. Cette première étape correspond à la codification ouverte proposée par Glaser et Strauss (1967).
Une fois les différents comptes rendus intégraux d’un même cas codés en noeuds, ces derniers étaient classifiés dans un arbre de noeuds. L’arbre de noeuds permet de regrouper des codes selon une certaine logique hiérarchique, allant du plus général au plus spécifique. Il aide à dégager les concepts clés et à regrouper les codes relatifs à des éléments factuels et ceux référant davantage aux relations et aux variables d’influence, facilitant ainsi l’analyse des données. Cette étape de la codification se rapproche de ce que Glaser et Strauss (1967) décrivent comme la codification axiale. Une fois la codification ouverte de tous les comptes rendus d’un cas complétée, une première démarche d’élaboration d’arbres de noeuds était amorcée. Par la suite, l’ensemble des comptes rendus d’un autre cas était codifié. À ce moment, de nouveaux codes pouvaient émerger et affecter la structure de l’arbre de noeuds, obligeant à revenir sur ce qui avait été fait. De plus, pour compléter l’analyse, nous avons mobilisé la méthode des matrices proposée par Miles et Huberman (2003). Il nous était ainsi possible, par exemple, de comparer l’attitude des participants lors de l’évaluation d’idées pour chacun des cinq cas, et de l’illustrer par les extraits.
2.1.4. Description des cas à l’étude
Cas MONTS. Un organisme en développement économique décide de mettre en place une activité de mobilisation autour de la réalisation de son plan stratégique. Pour ce faire, il entreprend une démarche impliquant des gens du milieu dans le but d’identifier des projets d’affaires porteurs pour la région, lesquels projets s’inscriront dans les objectifs stratégiques de l’organisme pour les cinq années à venir. Pour entreprendre son projet, la direction fait appel à une ressource externe (consultant) afin de coordonner l’activité de consultation publique. Quelques mois plus tard, le plan stratégique est déposé, comprenant au total 16 objectifs tirés des projets générés et sélectionnés par les différents comités de consultation. Les résultats de cette expérience ont été mitigés.
Cas TEMPÊTE. Alors que la région connaît un certain niveau de morosité, un organisme entreprend un projet intitulé « Opportunités d’affaires ». L’objectif est fort simple : dégager une banque d’opportunités d’affaires potentielles pour de futurs promoteurs intéressés à démarrer une entreprise dans la région. Dans une première phase, la population d’affaires a été sondée sur les besoins non comblés des entreprises de la région et les produits et services manquants et la population en général a été invitée à soumettre ses idées dans le cadre d’un concours. Dans un deuxième temps, intervenants et gens d’affaires ont été réunis dans le cadre d’un souper « Tempête d’idées » pour identifier des idées d’affaires porteuses. Au final, plus d’une quarantaine d’idées ont fait l’objet d’études de préfaisabilité et ont été répertoriées dans une liste diffusée au grand public. Cette expérience peut être qualifiée de succès.
Cas CHANTIER. Inspiré par sa participation à une conférence sur le développement économique, un homme d’affaires remporte une campagne électorale sur le thème de la prise en charge du développement économique par la population. Il propose à ses concitoyens d’amorcer un important changement de mentalité : « Maîtres de notre développement ». C’est dans ce contexte qu’une vaste initiative prend forme. Suscitant la mobilisation des gens d’affaires du milieu et de la population en général, la démarche entreprise cherche à identifier et soutenir le développement de projets pouvant générer de l’activité économique dans la communauté. Elle poursuit notamment l’objectif de recueillir 1000 idées de projets d’entreprise, espérant que de ce nombre, certains se concrétisent. Les résultats de cette expérience ont été mitigés.
Cas IDÉE. C’est dans le cadre de la planification stratégique d’un organisme de développement économique que le plan IDÉE prend forme. Tous les quatre ans, l’organisme doit réaliser un exercice stratégique. Avec l’arrivée d’un nouveau directeur, et constatant le manque d’ancrage dans la plupart des exercices de planification, l’organisme décide de modifier son approche. Il projette alors de reprendre les orientations identifiées dans la planification précédente, et entreprend une vaste consultation auprès des citoyens, de façon à identifier et à prioriser des projets de développement concrets. De l’exercice, 39 projets ont été retenus et font partie d’un plan détaillé de développement réparti sur cinq ans. Cette expérience peut être qualifiée de succès.
Cas BOA. S’inspirant d’une démarche réalisée dans une autre région, un organisme de développement économique entreprend de développer une banque d’opportunités d’affaires pour sa région. Nous sommes alors à une époque de grands changements, offrant de nouvelles possibilités sur le plan économique. Voulant faire ressortir les idées de projets potentiels dans la région, l’organisme organise une activité regroupant des partenaires et des gens d’affaires pour cibler des opportunités d’affaires potentielles. Les résultats de cette expérience ont été mitigés.
3. Résultats
L’analyse des différents cas a permis de dégager cinq grandes phases dans la mise en place d’un processus collectif d’identification d’opportunités : la structuration, la préparation, l’idéation, l’évaluation et l’appropriation. Chacune de ces phases a pu être observée dans les cinq cas de démarches sur lesquels nous nous sommes penchés. Ces dernières sont illustrées à la figure 1.
D’abord, dans une première phase de structuration, l’initiateur met en place un comité de pilotage qui définira les modalités de la démarche : technique utilisée, participants impliqués, modalités de recrutement. Ce comité est aussi en charge de trouver les ressources (financières et matérielles) nécessaires pour supporter la réalisation de la démarche d’identification d’opportunités. En ce qui a trait à la structuration, l’étude des cas a permis de constater que la plupart des démarches émanaient d’une volonté organisationnelle, c’est-à-dire qu’elles étaient initiées par un organisme. Toutefois, dans le cas CHANTIER, une double volonté a été identifiée. D’une part, on retrouve une dimension communautaire, dans la mesure où le mouvement est issu d’un citoyen. Puisque ce même citoyen est devenu maire en cours de route, il a donné une dimension politique à la démarche. Par ailleurs, en matière d’ancrage, alors que certaines démarches étaient plutôt ponctuelles, comme dans le cas BOA, d’autres étaient continues, comme dans le cas CHANTIER. Dans ce dernier cas, il ne s’agissait pas d’un événement dont le début et la fin étaient planifiés, mais plutôt de la mise en place d’un mouvement en constante évolution. Finalement, le niveau de formalisation s’est avéré plus ou moins élevé selon les cas. La démarche entreprise dans le cas CHANTIER était nettement plus formalisée par sa structure plus développée (hiérarchie et modalités de fonctionnement).
Par la suite, une phase de préparation est prévue pour s’assurer d’obtenir le maximum d’informations pertinentes pour l’action des groupes qui interviennent par la suite dans le processus. Cette phase peut être plus élaborée, comme dans le cas MONTS, ou encore très réduite comme dans le cas CHANTIER. Il s’agit le plus souvent de recherche d’informations relatives aux secteurs d’activités de la région, aux problématiques vécues dans le milieu, ou encore aux tendances actuelles dans l’environnement. Dans cette étape, certaines démarches ont fait appel à des gens du milieu pour établir un diagnostic stratégique très approfondi, lequel a servi à alimenter l’idéation. Ainsi, la responsabilité de cette phase reposait sur une mobilisation du milieu, l’approche était celle du diagnostic stratégique, et le niveau de complexité assez élevé, dû à l’ampleur des informations recueillies. Dans d’autres cas, la responsabilité relevait de l’organisme initiateur de la démarche, par une approche de moindre complexité menant à un relevé sommaire les tendances actuelles afin de stimuler la réflexion des participants. Dans une autre option envisagée, on invitait les participants à soulever des problématiques particulières, et ce, au moment même de l’idéation.
La troisième phase est celle de l’idéation. C’est au cours de cette phase que l’on cherche à faire émerger des idées d’affaires porteuses. Cette phase varie considérablement selon les cas en ce qui a trait au type d’animation, à la composition des groupes ou aux techniques utilisées. De plus, alors que certaines démarches ont prévu une seule rencontre entre les participants (TEMPÊTE, BOA, IDÉE), d’autres ont opté pour une démarche de plus longue haleine, reposant sur une série de rencontres (CHANTIER). En ce qui a trait à l’idéation, toutes les démarches ont prévu un exercice collectif favorisant une dynamique d’interactions, mais certaines y ont ajouté la possibilité pour des individus, d’alimenter la banque d’idées. Par exemple, dans le cas TEMPÊTE, les citoyens ont été invités à soumettre des idées d’entreprises ou de projets par le biais d’un concours. Dans le cas CHANTIER, l’apport de la population a aussi été sollicité en mettant à leur disposition différents moyens de soumettre des idées (téléphone, courrier électronique, fiche à remplir au local de permanence, etc.). La plupart des démarches ont utilisé les principes du brainstorming pour faire émerger des idées. Toutefois, il a été possible de dégager différents processus cognitifs sous-jacents à l’idéation. Trois processus cognitifs ont été privilégiés : la déduction, l’induction et l’abduction. Dans chacune des démarches, plusieurs de ces processus cognitifs ont été mis à profit. Les cas MONTS et IDÉE y sont allés d’un raisonnement à la fois déductif et inductif : sur la base de l’analyse des problèmes du milieu et des ressources en place, on a tenté de déduire des opportunités potentielles. Certains, comme les cas BOA et TEMPÊTE, ont adopté un raisonnement inductif et abductif, c’est-à-dire reposant davantage sur les observations et l’intuition des participants, notamment quant aux besoins non comblés. Finalement, dans le cas CHANTIER, certaines tables ont travaillé à partir des problèmes identifiés en adoptant un raisonnement plutôt déductif ; d’autres groupes ont plutôt eu recours à l’intuition des participants, adoptant alors un raisonnement abductif. Le tableau 1 présente des extraits d’entretien illustrant les trois types de raisonnement observés.
Finalement, la phase d’idéation se caractéristique aussi par la logique présente lors de cette phase : certains cas ont plutôt suivi une logique multisectorielle, en combinant dans un même groupe des gens de différents secteurs. Au contraire, le cas MONTS par exemple, a opté pour une logique sectorielle ; finalement, pour d’autres démarches, ce sont plutôt les grandes thématiques ou les orientations retenues dans la phase de préparation qui ont eu une influence, notamment dans la composition des groupes.
Vient ensuite l’évaluation des idées, c’est-à-dire le processus par lequel les opportunités seront à proprement parler identifiées. Il s’agit alors de trier et de prioriser les idées émergeant de la phase d’idéation et de déterminer lesquelles constituent des opportunités. Cette évaluation est réalisée sur la base de critères plus ou moins définis selon les cas. Par exemple, dans certaines démarches, des études de préfaisabilité étaient réalisées, notamment en validant le potentiel des idées auprès d’experts du domaine (dans le cas TEMPÊTE par exemple). Dans d’autres cas, les critères étaient moins en lien avec le potentiel ou la pertinence des idées que la rapidité avec laquelle l’idée pouvait être exploitée. Dans le cas CHANTIER notamment, les opportunités avec promoteur et permettant des résultats concrets à court terme étaient favorisées. Par surcroît, alors que l’évaluation et la priorisation relevaient d’un comité restreint dans la plupart des cas, certains ont opté pour une approche collective, réalisée en plénière avec les participants aux activités d’idéation. Une fois les idées générées, la phase d’évaluation a parfois fait appel, selon le cas, à la mobilisation de membres de la collectivité, alors que dans d’autres cas, la responsabilité incombait aux seuls membres de l’organisation responsable de la démarche. Les critères pouvaient également varier : certains favorisaient les idées avec promoteurs intéressés, d’autres la pertinence. Certaines démarches ont tenu compte de l’adhérence de la collectivité aux idées, alors que pour d’autres, c’est la possibilité d’exploiter l’opportunité à court terme qui a prévalu. La validation des idées a parfois reposé sur l’avis d’experts, alors que d’autres cas ont plutôt opté pour une recherche d’information documentaire.
Une dernière phase est celle de l’appropriation des opportunités. En effet, une fois les opportunités identifiées collectivement, elles doivent « trouver » preneur auprès d’entrepreneurs potentiels. Dans certains cas, les opportunités étaient diffusées : on créait un outil (banque, inventaire, etc.) dans le but d’orienter des entrepreneurs existants ou éventuels dans le choix de leur projet d’entreprises. Pour d’autres cependant, l’appropriation était favorisée par un accompagnement de l’entrepreneur dans la mise en place de l’opportunité. C’est ainsi par exemple, que dans le cas CHANTIER, des tables produits ont été instaurées autour de 36 opportunités auxquelles des promoteurs étaient rattachés et présentant un potentiel intéressant à court terme. Cette phase inclut donc la promotion des opportunités et la recherche de promoteurs pouvant les exploiter. La durée de cette phase varie également, allant de quelques mois à quelques années.
3.1. L’apport du groupe dans le processus de reconnaissance d’opportunités
L’aspect central de la recherche se situe dans la dimension collective du processus étudié. Le recours aux gens du milieu est au coeur de l’originalité et de la pertinence d’une telle démarche. L’étude des cas a cependant montré que l’implication des différentes catégories d’acteurs a varié considérablement d’une situation à l’autre. Dans certaines démarches, des membres de la communauté d’affaires ont été introduits très tôt, alors que pour d’autres, leur apport a été limité à la phase d’idéation, c’est-à-dire la recherche d’idées à proprement parler. Le tableau 2 précise, pour chacun des cas, le niveau de diversification. Le tableau précise, pour chacun des cas, les groupes d’acteurs impliqués. Dans le cas MONTS, par exemple, une seule catégorie d’acteurs a été impliquée (les intervenants en développement économique) alors que dans la phase d’évaluation, quatre catégories différentes ont été impliquées (intervenants en développement économique, communauté d’affaires, population en général, représentants de ministères et organismes publics).
Ainsi, on constate que la dimension collective a été maximisée dans les cas MONTS et CHANTIER. En effet, dans ces démarches, la contribution du collectif a dépassé la phase d’idéation ; dans le cas MONTS, les phases de préparation, d’idéation, d’évaluation et de suivi ont fait appel à différents groupes d’acteurs. Dans le cas CHANTIER, les phases de structuration, d’idéation de même que celle du suivi ont été collectives. De façon générale, les phases de structuration, de préparation et d’évaluation semblent moins bien se prêter à l’implication de plusieurs groupes d’acteurs et à la dynamique de groupe, contrairement à l’idéation, l’évaluation et le suivi par exemple. Par ailleurs, les démarches ont fait le plus souvent appel à la communauté d’affaires dans la mise en place. La population en général, lorsqu’impliquée, l’était au niveau de l’idéation principalement. Cependant, dans les deux cas qualifiés de « succès », le collectif a surtout été impliqué pour l’idéation, les autres phases faisant appel à un moins grand nombre de catégories d’acteurs.
3.1.1. La composition du groupe dans le processus
Relativement à la composition du groupe, l’analyse a permis de faire ressortir une série de caractéristiques décrivant les participants à l’exercice collectif d’identification d’opportunités. Elles sont présentées dans le tableau 3. Pour chacune des caractéristiques identifiées, le profil recherché est précisé, de même que les motifs expliquant l’importance de la caractéristique dans le fonctionnement de la démarche.
Par exemple, l’étendue du réseau de contacts constitue une caractéristique recherchée chez les participants. Cette caractéristique est particulièrement intéressante pour assurer une bonne diffusion des opportunités retenues. Arriver à recruter des participants dont le réseau est étendu a également permis dans certains cas de favoriser l’accès aux ressources spécifiques pour l’exploitation de certaines opportunités. Finalement, lorsque venait le temps de susciter la participation aux activités d’idéation par exemple, le recrutement s’effectuait principalement par l’intermédiaire des réseaux de contacts des membres du comité de pilotage.
De manière générale, une grande étendue du réseau de contacts, un fort niveau d’implication et d’engagement, une grande expérience et des connaissances du domaine, des habiletés créatives et une dose de leadership ont constitué les caractéristiques recherchées par les organisateurs chez l’ensemble des participants. Toutefois, pour certaines caractéristiques répertoriées dans l’analyse des cas, c’est plutôt sur la diversité que les organisateurs ont misé. Comme le montre le tableau 3, dans les cas étudiés, une diversité dans l’âge, la provenance (domaines et fonctions) et le type de contribution a été recherchée.
3.1.2. Évolution du groupe selon les besoins
L’analyse a également fait ressortir une évolution dans la composition du groupe. Dans la phase d’idéation, le groupe cherche à faire ressortir des idées alors que dans la phase d’évaluation, il s’agit plutôt de vérifier le potentiel et la faisabilité des idées et finalement dans la phase de suivi, on cherche à diffuser les opportunités retenues et faciliter leur exploitation. La figure 2 illustre l’évolution de la composition des groupes au cours du processus collectif d’identification d’opportunités tel que suggéré par les résultats de l’analyse. Ainsi pour la phase d’idéation, la recherche de diversité et de capacités créatives serait prédominante dans la composition du groupe. Par la suite, pour réaliser le mandat d’évaluation, une grande connaissance et une grande expérience du domaine seraient nécessaires. Finalement, pour faciliter le suivi et le développement des opportunités retenues, une expertise pointue et un réseau de contacts étendu devraient être davantage recherchés.
Dans un premier temps, le processus doit être proposé, instauré par une personne ou un organisme. Il s’agit, dans la plupart des cas, d’une fonction assumée par un organisme de développement économique ou une personne y étant rattachée (comme le directeur dans le cas IDÉE). Les deux cas où le rôle d’initiateur a été le plus marquant sont CHANTIER et IDÉE. Dans le premier, c’est la vision et l’inspiration d’un élu du milieu qui a insufflé cette volonté d’entreprendre une démarche collective pour faire émerger des projets. Dans le second, le nouveau directeur de l’organisme, dans sa volonté de ramener l’organisme plus près des préoccupations de la population, a mobilisé l’équipe et les partenaires autour de l’initiative. Dans les autres cas, l’analyse n’a pas fait ressortir aussi clairement la fonction de « bougie d’allumage » de l’initiateur de la démarche. Toutes les démarches ont un initiateur, mais dans certains cas, l’analyse a fait ressortir l’importance de ce rôle plus fortement.
Une fois l’idée lancée et admise, une personne ou un groupe doit assurer le pilotage de l’exercice, en orientant le choix de l’approche et en assurant sa planification. Généralement, ce rôle repose sur un comité créé spécifiquement pour l’occasion, comme dans les cas MONTS et CHANTIER ; celui-ci a eu un rôle important à jouer. Cependant, dans les cas IDÉE et BOA, ce sont plutôt les ressources internes regroupées en comité, parfois supportées par le conseil d’administration, qui ont rempli ce mandat.
Une fois le pilotage assuré, il est nécessaire que quelqu’un assume la responsabilité de la dimension opérationnelle. Généralement, ce sont des membres d’organismes à vocation de développement économique qui ont assuré le bon déroulement des démarches. Il pouvait s’agir des ressources permanentes de l’organisme ou de responsables embauchés spécifiquement pour l’occasion. Les tâches et responsabilités afférentes à ce rôle d’opérationnalisation sont essentiellement associées aux aspects logistiques. Dans le cas CHANTIER, en raison de l’envergure de la démarche, le rôle d’opérationnalisation a été très important ; à certains moments, il s’agissait d’un travail à temps complet pour la ressource en place. Évidemment, l’ampleur des responsabilités de ce rôle est directement corrélée à l’envergure et la complexité de la démarche entreprise.
L’ensemble du processus, et plus particulièrement la phase d’idéation, repose sur la participation d’acteurs capables de créer une dynamique productive et créative. Ce rôle est au coeur de la réussite des démarches. Si certaines ont misé sur les ressources internes pour assurer la mobilisation et l’animation des séances, d’autres ont plutôt fait appel aux gens du milieu pour profiter de l’étendue de leur réseau et de leur force d’attraction. À la lumière des données recueillies, c’est dans le cas CHANTIER, où les gens d’affaires ont eu un impact important de mobilisation et d’animation, que ce rôle a été le mieux assumé.
En parallèle au rôle de mobilisation, le déroulement des démarches collectives d’identification d’opportunités a été assuré par certaines personnes qui ont servi de support. Les personnes endossant ce rôle viennent appuyer les autres acteurs, notamment l’animateur et l’opérateur dans le fonctionnement des séances d’idéation (par exemple la prise de notes, la convocation des participants) ou encore la recherche d’informations pour la validation des idées, le développement d’outils de préparation (questionnaire, documentation, etc.). L’importance d’identifier un responsable de la logistique a par ailleurs été soulevée par le groupe d’experts interrogés. Par exemple, dans le cas MONTS, un consultant a été embauché pour venir en aide au comité de pilotage et à l’équipe interne dans le développement de questionnaires, dans le coaching des animateurs, etc. Ce dernier a aussi été utile pour compiler les idées recueillies et produire un rapport final. Dans le cas CHANTIER, le rôle de support a été endossé par les agents de liaison. Ces personnes avaient la responsabilité de prendre des notes lors des rencontres, et de produire les comptes rendus. Elles assistaient occasionnellement l’animateur des séances ou encore le coordonnateur pour la convocation des rencontres. Ce rôle de support s’est avéré important pour faciliter la participation des acteurs du milieu en diminuant leur niveau de responsabilités et la lourdeur de leur implication.
En cours de route, soit dans la phase de préparation ou celle d’évaluation, les démarches ont fait appel à l’expertise de différentes personnes pour valider les idées émergentes ou encore définir les tendances orientant l’idéation. Dans l’ensemble des cas, les démarches ont fait appel à des gens du milieu des affaires ou encore à des spécialistes dans des domaines précis. C’est sur la base de leurs connaissances des éléments commerciaux et techniques que les idées ont pu être validées. Pour passer de l’idée au projet concret, il a fallu pouvoir compter sur des développeurs pour assurer le passage à l’action. Certaines démarches ont beaucoup misé sur l’entrepreneur ou l’entreprise existante pour développer les idées (CHANTIER, TEMPÊTE et BOA), mais d’autres ont vu ce rôle endossé par des organismes ou des groupes de gens d’affaires (MONTS et IDÉE). Il s’agit d’un rôle important puisque c’est à travers lui que peuvent voir le jour les projets et que les répercussions deviennent palpables.
Finalement, le dernier rôle observé est celui de diffusion, surtout lié à la phase d’appropriation. Il s’agit ici de permettre la mise en relation de personnes ou de groupes pour faire avancer les opportunités retenues. Les gens d’affaires, dont le réseau de contacts est souvent important, sont particulièrement visés par ce rôle. Par exemple, dans le cas TEMPÊTE, les gens d’affaires ont utilisé leurs réseaux pour inciter certaines entreprises à exploiter des opportunités identifiées. Il en a été de même dans le cas CHANTIER. Au-delà de la recherche de promoteurs, le rôle de diffusion est aussi associé au fait de donner accès à certaines ressources dans le but de faciliter la mise en place des projets. Les cas CHANTIER, TEMPÊTE et IDÉE sont les cas où le rôle de diffusion a été le plus approfondi.
4. Discussion
L’objectif de cette étude était de mettre en évidence les caractéristiques d’un processus collectif de reconnaissance d’opportunités, ainsi que les facteurs en influençant les résultats (opportunités identifiées). Le modèle présenté à la figure 3 est un premier pas vers une meilleure connaissance de la reconnaissance d’opportunités dans une perspective collective, un thème qu’aucune étude empirique, à notre connaissance, n’avait encore directement abordé. En raison des limites de la recherche (nombre de cas notamment), on ne peut se permettre d’en généraliser les résultats. Il se dégage toutefois de cette étude des éléments originaux et porteurs pour les recherches futures.
4.1. Un processus créatif et multiforme
Sur le plan théorique, l’étude qui a suivi une approche par théorisation enracinée, a notamment permis de renforcer les rapprochements entre créativité et identification d’opportunités. Déjà, dans les modèles « individuels », la créativité constitue un élément central ; les résultats de cette étude confirment l’importance de la créativité également dans un contexte collectif.
La recension de la littérature a fait ressortir de nombreux modèles illustrant le processus par lequel un individu identifie une opportunité. Ces modèles reposent tantôt sur un processus de traitement de l’information (Herron et Sapienza, 1992), tantôt sur une habileté particulière (Kirzner, 1997), tantôt sur la cognition (Baron, 2006 ; Gaglio et Katz, 2001 ; Krueger, 2000) ou encore sur la créativité (Hills, Shrader et Lumpkin, 1999 ; Long et McMullan, 1984), mais aucun n’offrait de repères suffisamment développés pour aborder le processus dans une perspective collective. Le processus individuel qui se rapproche le plus de celui observé dans les cas étudiés est celui de Hills, Shrader et Lumpkin (1999) qui conçoivent la recherche d’opportunités comme un processus de créativité et qui compte lui aussi cinq étapes, dont quatre peuvent être mises en parallèle avec celles identifiées dans toutes les démarches collectives étudiées. Les résultats de notre analyse vont dans le même sens que les constats de Hansen, Lumpkin et Hills (2011), à savoir que non seulement la créativité est impliquée dans le processus de reconnaissance d’opportunités, mais que ce dernier est essentiellement un processus créatif. C’est donc dire que l’identification d’opportunités dans une perspective collective pourrait être conçue comme un processus de créativité, justifiant, par le fait même la mobilisation des modèles et théories liées à la créativité dans des travaux ultérieurs.
Par ailleurs, à l’intérieur de la phase d’idéation, il ressort que plusieurs processus cognitifs peuvent être mis à contribution : induction, déduction et abduction. Cette pluralité des mécanismes de reconnaissance d’opportunités est cohérente avec les travaux de plus en plus répandus défendant vision pluraliste de l’identification d’opportunité (Chandler, DeTienne et Lyon, 2003 ; Shane, 2003 ; Yu, 1998 ; Sarasvathy, Dew, Velamuri et Venkataraman, 2003 ; Vaghely et Julien, 2010). L’opportunité, tout comme le processus qui permet de la reconnaître sont des concepts très fragmentés (Hansen, Shrader et Monllor, 2011), qui peuvent être abordés selon différentes perspectives. Comme l’ont proposé Alvarez et Barney (2007), la reconnaissance d’opportunités apparaît comme un processus pouvant être vu comme une « découverte » ou encore une « création ». Le processus serait notamment influencé par les motivations de l’individu (Tumasjan et Braun 2012) de même que les normes sociales (Dana, 1995 ; Urban, Venter et Shaw, 2011). Il semble donc que cette pluralité existe également dans le processus collectif d’identification d’opportunités. D’autres investigations paraissent cependant nécessaires pour comprendre les facteurs qui agissent sur la « forme » du processus d’idéation. Pourquoi dans certains cas, l’induction est utilisée alors que dans d’autres, c’est plutôt un processus déductif qui a été privilégié ? Dans quel contexte l’un ou l’autre des processus est-il le plus approprié ?
4.2. Le difficile équilibre dans la composition des groupes
Les résultats de cette étude montrent également qu’il n’est pas simple de composer les groupes de façon optimale dans une démarche collective. Plusieurs expérimentations ont tenté de démontrer les effets de la diversité sur l’efficacité du groupe. Des études comme celle de Bantel et Jackson (1989) et de Thornburg (1991) ont montré que l’hétérogénéité favorisait la créativité et l’innovation. Cohen et Bailey (1997) font un retour sur les différentes dimensions relatives au travail en groupe et soulèvent quelques formes de diversité pouvant avoir un impact sur la dynamique de groupe : diversité des compétences, diversité des expériences, diversité dans la provenance professionnelle, diversité de l’âge, diversité de niveau d’éducation. Les groupes composés d’individus présentant des différences dans leurs expériences professionnelles, connaissances, habiletés et compétences, seraient plus innovants que ceux dont les membres sont similaires parce qu’elles permettent d’aborder le problème avec plusieurs perspectives (Paulus, 2000). Dans les cas étudiés, une attention a été portée à la composition des groupes, en assurant une grande variété des participants, ce qui a semblé favoriser l’émergence des idées.
Cependant, il semble important de faire évoluer la composition du groupe selon la phase du processus. Ainsi, à la lumière des analyses effectuées dans le cadre de cette étude, les compétences et la variété recherchées dans les acteurs impliqués ne sont pas linéaires, elle évolue selon les besoins rencontrés dans les différentes phases. Les étapes préliminaires (structuration, préparation) de même que l’étape d’évaluation ont avantage à être faites en groupe restreint, et réunir des personnes possédant une expertise plus pointue. C’est à l’étape d’idéation que la diversité du groupe, sur différents aspects (secteur d’activité, expérience, intérêt, emploi, âge, etc.) devrait être maximale. Des investigations supplémentaires sont cependant nécessaires pour confirmer la composition optimale selon les différentes phases du processus.
Une autre contribution de cette étude est de mettre en lumière des rôles permettant de soutenir les différentes phases du processus. En effet, l’analyse a permis de dégager huit rôles devant être assumés dans le cours du processus. Dans la plupart des cas étudiés, les rôles ont été joués par des personnes différentes. La diversité de rôles, devant être remplis dans le cadre d’un processus collectif, apparaît clairement. Reconnaître des opportunités dans un processus collectif n’est pas simple et doit être soutenu par l’engagement de plusieurs personnes. Or, il est possible de faire un parallèle avec le processus individuel. Cette multitude de rôles et d’acteurs nécessaires dans la démarche collective illustre d’une certaine façon pourquoi il est difficile pour un individu « seul » de reconnaître des opportunités ; plusieurs activités doivent être réalisées : il faut colliger de l’information, s’investir dans la recherche d’idées, utiliser des aptitudes créatives, pouvoir valider ses idées, etc. Dans un processus collectif, le réseau (mobilisé ici à travers une démarche structurée) vient pallier d’une certaine façon cette difficulté.
En plus des contributions au plan théorique, les résultats de cette recherche sont également de nature à intéresser les praticiens. Ils offrent par exemple aux intervenants en développement économique une vue d’ensemble de ces nouvelles façons de faire en matière de développement entrepreneurial et de reconnaissance collective d’opportunités. Ces démarches collectives peuvent constituer un levier intéressant pour générer des projets dans un milieu. Les résultats offrent des pistes pour encadrer la mise en place de telles démarches, et ainsi assurer un meilleur succès. La modélisation émergente se veut un outil permettant à ces acteurs de prendre des décisions adéquates pour mettre en place la démarche la plus optimale.
4.3. Un travail exploratoire à poursuivre
Évidemment, comme toute recherche, celle-ci comporte certaines limites. D’abord, sa nature exploratoire et le nombre restreint de cas étudiés en limitent la portée. De plus, il est possible que les répondants aient présenté un biais de recollection. En effet, les entretiens ont obligé les répondants à se replacer en contexte. Il est possible et probable qu’à des niveaux plus ou moins élevés, les répondants, en raison du recul, aient oublié des informations, aient modifié ou nuancé leur opinion et leur perception. De plus, la théorisation enracinée est une stratégie de recherche dans laquelle l’implication du chercheur dans l’analyse des données est très grande, introduisant la possibilité d’un biais. Finalement, les démarches retenues dans notre échantillon ne nous ont permis que de recueillir des informations rétrospectives. Ce faisant, la profondeur des données était plus limitée que ce que nous aurait permis l’observation.
C’est pourquoi il apparaît important et nécessaire de raffiner le modèle par des recherches supplémentaires visant notamment la phase d’idéation de ce type de démarches. Comme c’est le cas dans la plupart des organisations faisant appel à des techniques de créativité, l’ensemble des démarches a fait appel au brainstorming. De plus, malgré leur conscience de l’importance des règles de créativité et leur volonté d’utiliser les règles d’art du brainstorming, la plupart des organisateurs des démarches étudiées ont, jusqu’à un certain point, improvisé lors de la phase d’idéation. Bien qu’ayant fait appel à des personnes expérimentées en matière d’animation de réunion, aucune des démarches n’a eu recours à un animateur expérimenté dans l’utilisation des techniques de créativité et la connaissance des pratiques adéquates pour maximiser le potentiel de travail d’un groupe. Il nous semble important d’approfondir la recherche en ce sens, en vérifiant par exemple l’impact de l’utilisation de différentes techniques (autres que le brainstorming), de même que la contribution d’un animateur qualifié sur l’efficacité des exercices collectifs d’idéation, une dimension que nous n’avons pu couvrir dans notre recherche. Si la plupart des groupes ont été ponctuels, dans certains cas, comme le cas CHANTIER notamment, les groupes ont eu plusieurs séances de travail. Dans cette perspective, parce que le groupe développe une certaine cohésion, il peut devenir intéressant de tenter l’utilisation de techniques plus poussées, pouvant mener à des résultats plus créatifs et innovateurs, réglant par le fait même le problème de manque de créativité soulevé parmi les problèmes rencontrés lors de l’idéation. Encore une fois, d’un point de vue théorique et pratique, ces connaissances complémentaires permettraient d’améliorer l’efficacité des démarches.
Conclusion
Sur la base d’expériences vécues dans cinq milieux différents, le processus collectif de reconnaissance d’opportunités a été exploré. La recherche, suivant une méthode par théorisation enracinée, a permis dans un premier temps de faire ressortir les composantes des démarches et leurs caractéristiques. L’analyse a permis de supporter empiriquement le rapprochement avec le processus de créativité et a fait ressortir la nature multiforme du processus. L’étude a également mis en évidence l’importance du groupe, de sa composition et de son évolution à travers les différentes phases du processus. Les résultats offrent non seulement une contribution théorique sur un objet nouveau, mais également des repères pratiques pour guider les intervenants dans leur démarche pour stimuler l’identification collective d’opportunités.
Parties annexes
Note biographique
Maripier Tremblay, détentrice d’un DBA, est professeure à la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval. La reconnaissance d’opportunités, la créativité, les nouvelles générations d’entrepreneurs, les intentions entrepreneuriales et l’entrepreneuriat dans les pays en développement constituent ses intérêts de recherche.
Notes
-
[1]
Un processus par lequel des idées ou concepts a priori non liés sont mentalement combinés (Ward, 2004).
-
[2]
Application ou projection d’un savoir relatif à un domaine familier ou à un nouveau domaine moins familier (Ward, 2004).
-
[3]
Bissociation : combinaison ou rapprochement de deux idées (deux solutions), ou de deux technologies, pour en produire une troisième. Source : http://www.intelligence-creative.com/161_lexique_a_b.html.
-
[4]
Les auteurs ont utilisé l’Index bohémien pour mesurer le niveau de créativité, un index qui mesure la proportion de créatifs dans une société (artistes, bohémiens, inventeurs, etc.).
-
[5]
1) Intervenants provenant d’organismes de développement économique ; 2) Élus (maires, députés, etc.) ; 3) Membres de la communauté d’affaires ; 4) Membres de la population en général ; 5) Entrepreneurs potentiels ; 6) Acteurs du secteur financier ; 7) Acteurs de la R&D et du milieu universitaire ; 8) Représentants de ministères et organismes publics ; 9) Représentants du milieu sociocommunautaire et culturel.
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