Résumés
Résumé
Le focus des scientifiques et des politiques se porte assez volontiers sur les cas de forte croissance (FC) continue, les « gazelles de course » définies comme des entreprises affichant quatre années successives de forte croissance (selon la définition proposée par Birch, 1979). L’État, en soutenant ces travaux et ces trajectoires, voit là certainement un moyen de rencontrer rapidement ses propres objectifs (de puissance industrielle, d’exportation, d’emploi, etc.). Cependant, ce focus sur la FC continue ne contribue-t-il pas, d’une part, à façonner une vision erronée du développement d’une PME, vue comme « une forme organisationnelle qui doit nécessairement grossir rapidement pour devenir une ETI (Entreprise de Taille Intermédiaire) », et d’autre part, à alimenter des raisonnements simplistes tels que « les firmes qui croissent fortement en continu sont plus performantes que les autres » ? De fait, peu d’études réalisées sur le thème de la FC traitent de son aspect continu ou discontinu. Qu’en est-il exactement de la supériorité d’un processus continu sur un processus discontinu ? Un processus discontinu présente-t-il d’autres atouts ? Les entreprises gérant une FC discontinue ont-elles les mêmes caractéristiques et capacités que ces « gazelles » ?
Afin de mieux comprendre la nature des différences entre ces deux processus de croissance, cet article propose de comparer un échantillon d’entreprises en FC continue, correspondant classiquement à la notion de gazelles, un échantillon en FC discontinue, ainsi qu’un échantillon témoin sans croissance, sur des variables démographiques (âge et taille) et des variables financières (l’accès aux ressources financières et la performance financière). Cette analyse descriptive préliminaire permet de constater que la forte croissance continue et la forte croissance discontinue ne nécessitent pas les mêmes dispositifs d’aides de la part des organismes publics et ouvre des perspectives d’approfondissement.
Mots-clés :
- Forte croissance,
- Performance,
- PME,
- Croissance discontinue
Abstract
Researchers and politicians are prone to focus on the issue of firms with continuous fast growth, the “gazelles”, defined as companies which show four successive years of high growth (according to the definition proposed by Birch, 1979). The public authorities, by their support to these researches and these firms’ trajectories, certainly see a rapid way to meet their own objectives (in terms of national industrial strategies, exports, employment, etc.). However, this focus on the continuous high growth may contribute to (1) shaping an erroneous view of the development of SMEs, seen as “an organizational form which must necessarily grow rapidly to become an intermediate-sized enterprise” and, (2) nurturing simplistic arguments such as “firms that enjoy continuous high growth perform better than others”? In fact, few studies on the topic of the high growth firms deal with the issue of the continuous growth versus the discontinuous growth. As a consequence, this paper aims to answer to different questions: Is a continuous process better than a discontinuous one? What are the strengths of a discontinuous high growth process? Do the firms that manage a discontinuous fast growth process exhibit the same features and capabilities as the “gazelles”?
In order to better understand the differences between these two growth processes, this research paper aims to compare a sample of firms with continuous high growth, which correspond to the classical notion of gazelle, to a sample of firms exhibiting a discontinuous rapid growth. We also use a control sample comprised of non-growing firms. Comparisons are made on demographic variables (age and size) and financial variables (access to financial resources and financial performance). This preliminary descriptive analysis shows that the continuous high growth and the discontinuous high growth do not require the same kind of support from the public authorities. The paper ends with directions for further research.
Keywords:
- Fast growth,
- Performance,
- SME,
- Discontinuous growth
Resumen
La atención de los científicos y de los políticos se enfoqua en el fuerte crecimiento continuo de ciertas empresas, conocidas con el apodo “Gazelles” y definidas como compañías que muestran cuatro años consecutivos de fuerte crecimiento (de acuerdo con la definición propuesta por Birch, 1979). El Estado sostiene estas investigaciones y este tipo de trayectorias porque siente una medida para encontrar sus proprios objetivos (potencia industrial, las exportaciones, el empleo, etc) ¿Sin embargo, este enfoque en FC continuo no contribuye por parte en la formación de una opinión errónea sobre el desarrollo de las PYMES, vista como “una forma de organización que necesariamente debe crecer rápidamente hasta convertirse en una Empresa de Tamaño Intermedio”? ¿No contribuye también a creer ese razonamiento simplista de que “las empresas que están creciendo fuertemente y de manera continua encuentran mejor rendimiento que los demás”? En realidad, existen pocos estudios sobre el tema del FC considerando su apariencia continua o discontinua. ¿Un FC continuo es siempre más interesante que un FC discontinuo? ¿O el FC discontinuo tiene otras ventajas? ¿Las empresas en contexto de FC discontinuo parecen a las “Gazelles”?
Para mejorar nuestro conocimiento sobre la naturaleza de las diferencias entre estos dos procesos de crecimiento, este artículo trata de comparar una muestra de empresas de FC continuo, lo que corresponde a la noción clásica de una Gazelle, una muestra FC discontinuo y una muestra de control sin crecimiento, sobre variables demográficas (edad y tamaño) y variables financieras (acceso a los recursos financieros y rendimiento financiero). Este análisis descriptivo preliminar muestra que el crecimiento continuo y el fuerte crecimiento discontinuo no requieren las mismas ayudas de parte de los organismos públicos y abre el camino a otros trabajos de investigaciones.
Palabras clave:
- Fuerte crecimiento,
- Rendimiento,
- PYMES,
- Crecimiento discontinuo
Corps de l’article
Introduction
Les PME à forte croissance (FC) sont source de nombreuses attentions de la part des organismes publics. Des études sont ainsi régulièrement commanditées afin de cerner au mieux les leviers et les freins de ce type de croissance, et de mettre en place des politiques de soutien favorables à ces entreprises. Les études de Julien (2000) pour le compte du gouvernement canadien, de Mustar (2002) pour l’OCDE, de Picart (2006) pour l’INSEE ou de Lefilliatre (2007) pour la Banque de France, en sont quelques exemples. Parallèlement, de nombreux auteurs se sont intéressés à ce type particulier de croissance dans un objectif de meilleure compréhension du phénomène (Julien, Carrier, Desaulniers, Luc et Martineau, 2002 ; Delmar, Davidsson et Gartner, 2003 ; Wiklund, Patzelt et Shepherd, 2009 ; Davidsson, Achtenhagen et Naldi, 2010). Une analyse de ces travaux permet de disposer d’un ensemble d’éléments récurrents et potentiellement explicatifs de la FC et des difficultés rencontrées par certaines entreprises en FC sur des périodes longues (généralement quatre années ou plus). À l’exception de quelques-uns (e.g. Julien, St-Jean, Audet, 2006), ces travaux ne font pas de distinction entre la FC continue et la FC discontinue. « Une des problématiques négligées dans la littérature est celle de la question de la régularité (ou de l’irrégularité) de la croissance au cours du temps. » (Delmar et al., 2003, p. 195, traduction libre). Or que sait-on des entreprises plus discrètes, mais qui, finalement, ont des trajectoires de croissance très dynamiques ? Sont-elles fondamentalement différentes des entreprises connaissant une FC de manière continue sans rupture ou ont-elles plutôt les caractéristiques des entreprises sans période de FC ? Les entreprises à FC discontinue sont-elles plus vulnérables ou au contraire plus solides ? Notre objectif est donc de comparer des entreprises à FC continue (« gazelles ») et des entreprises connaissant des épisodes de FC de manière discontinue, et ainsi de relever leurs différences potentielles. Cette première approche exploratoire de ces deux types d’entreprises repose sur une analyse statistique de deux groupes d’indicateurs : les indicateurs démographiques (la taille et l’âge) et les indicateurs financiers (ressources financières et performance financière)[1]. Trois échantillons d’entreprises ont été construits : un groupe d’entreprises à FC continue, un groupe d’entreprises à FC discontinue et un groupe d’entreprises sans aucune année de FC.
Après une clarification de la notion de FC et une discussion des spécificités potentielles des entreprises en FC, notamment en termes démographiques et financiers (partie 1), il sera exposé la démarche d’analyse retenue (partie 2), puis les constats et pistes de recherche résultant de ce premier travail (partie 3).
1. Définition et connaissance des entreprises en Forte Croissance (FC)
Forte croissance, hypercroissance, entreprises à fort potentiel, gazelles… la sémantique est riche pour désigner des entreprises présentant des taux de croissance généralement plus élevés que ceux de leurs consoeurs. Nous abordons dans cette première partie la définition de la FC retenue dans le cadre de notre étude, avant d’en présenter des descripteurs potentiels à travers une revue de la littérature.
1.1. Définition et sources de la Forte Croissance
Le critère le plus souvent mis en oeuvre pour distinguer les entreprises en FC des autres reste le taux de croissance du chiffre d’affaires entre deux dates. Ainsi, la définition probablement la plus restrictive est donnée par Birch (1979) avec un taux de croissance de 20 % par an sur une période de quatre années consécutives. Dans le contexte français, seulement 0.3 % à 0.5 % des entreprises répondent à ce critère contre 3 % aux États-Unis (Picart, 2006), mettant ainsi en avant un déficit de gazelles. Plusieurs choix sont alors possibles afin de relâcher les contraintes sur la définition de la FC. Le premier consiste à baisser le taux de croissance attendu et retenir, comme Lefilliatre (2007), un taux de 10 % de croissance entre deux années. Le deuxième choix vise à prendre un taux de croissance global pour une période de plusieurs années, à l’instar de Betbèze et Saint-Étienne (2006) et à élargir la définition en retenant les entreprises présentant au moins 45 % de taux de croissance global sur quatre ans. Une troisième possibilité est de retenir un taux élevé de 20 % par an, mais sur une période plus courte. Cette option présente l’avantage de pouvoir disposer de types de forte croissance différents en fonction de la durabilité du phénomène, à l’instar de Picart (2006) ou de Birch (1979) avec la distinction gazelles de fond et gazelles de course, ou Lefilliatre (2007, différenciant les entreprises en FC pérennes de manière générale des entreprises en FC pérennes sur longue période[2].
Le taux de croissance permettant de classer une entreprise est souvent vu en correspondance avec le taux de croissance de son secteur d’activité. Ainsi, afin d’éviter le biais lié à la croissance du marché (Izosimov, 2008) qui peut permettre à une entreprise sur un secteur porteur de parvenir facilement à un taux de croissance de 20 %, certains auteurs privilégient des taux de croissance en valeur relative. Picart (2006) considère ainsi comme étant en forte croissance les entreprises se situant dans les 5 % d’entreprises les plus performantes en termes de croissance des effectifs.
Sur la base de ces définitions, nous retiendrons trois dimensions pour appréhender la FC : un taux de croissance annuel du chiffre d’affaires minimal entre deux années (en l’occurrence 20 %), une appréciation relative au secteur de ce taux et enfin la récurrence de ce taux. En effet, afin de limiter l’impact de la dynamique de croissance du secteur d’activité, nous ne retiendrons comme étant en FC que les entreprises qui se situent dans le quartile supérieur des taux de croissance des chiffres d’affaires de leur secteur d’activité (classification NAF en 100 secteurs). Ce critère permet de s’affranchir, en partie, de la problématique de la croissance du marché et de focaliser l’attention sur des entreprises faisant reposer leur croissance sur leur propre comportement. Par ailleurs, nous repèrerons, pour chaque entreprise, le nombre d’occurrences de ce taux sur une période de sept années (2002-2008). Ce faisant, il pourra être distingué dans la population étudiée différentes trajectoires de FC en fonction de sa répétition dans le temps : de la forte croissance ponctuelle (une année) à une forte croissance durable (de quatre à sept années).
Finalement, dans cette recherche, un épisode de forte croissance (FC) est donc défini par une croissance de plus de 20 % du chiffre d’affaires par an pour les entreprises appartenant au quartile supérieur de leur secteur d’activité en termes de croissance de ce chiffre d’affaires. Cet épisode peut être ponctuel (une année isolée), se reproduire rapidement ou non, dès l’année suivante, voire sur plusieurs années de suite donnant lieu à ce que nous appellerons des trajectoires de FC plus ou moins continues versus discontinues.
Sur le plan théorique, les travaux suggèrent que la FC sur la durée peut s’appuyer sur diverses dynamiques. Pour certains, dans la lignée des travaux de Penrose (1959), les explications sont à rechercher dans des stratégies de ressources (Pettus 2001). Pour d’autres, à l’instar des résultats de Parker, Storey et Van Witteloostuijn (2010), la performance des gazelles (en l’occurrence la durée de leur croissance) est plus liée à une dynamique de management stratégique (capacité des entreprises à ajuster en permanence leurs stratégies externes et internes) qu’à la seule mobilisation de certaines ressources ou à la réplication de prétendues meilleures pratiques d’une période à une autre. Wiklund et Shepherd (2003), quant à eux, mettent en avant le rôle de la volonté du dirigeant et de ses caractéristiques personnelles.
Alors que des travaux sur les trajectoires de croissance se développent et mettent en avant la possibilité de discontinuités (Diambeidou et Gailly 2011), peu de travaux se focalisent encore sur ce qui pourrait, finalement, distinguer une trajectoire de FC d’une autre et en l’occurrence une trajectoire continue d’une trajectoire discontinue. Les critères les plus couramment utilisés, dans le cadre d’analyses statistiques pour appréhender la FC sur une longue période en général, sont des caractéristiques démographiques et des caractéristiques financières. Nous reprendrons ces critères pour tenter de différencier les deux trajectoires citées sans oublier pour autant que les explications de la forte croissance sont, elles, bien entendu plus multidimensionnelles et complexes.
1.2. Les caractéristiques démographiques des entreprises en forte croissance : la taille et l’âge
Quel que soit le pays étudié, les études descriptives constatent le plus souvent un lien entre la taille, l’âge et le taux de croissance (Mustar, 2002). À travers l’observation d’un échantillon de 2 120 entreprises en FC (10 % de croissance du chiffre d’affaires par an sur quatre ans), Lefilliatre (2007) montre par exemple que leur âge médian est de 9 ans contre 15 ans pour les entreprises sans FC. Picart (2006) aboutit à une conclusion similaire avec un âge médian de 9 ans pour les gazelles de course contre 17 ans pour les entreprises à croissance moyenne. Il apporte cependant un éclairage supplémentaire en expliquant cette jeunesse par une volatilité très forte des taux de croissance chez les jeunes entreprises. Il n’en demeure pas moins que la FC est bien évidement, également présente chez les entreprises plus anciennes, mais dans une moindre proportion (Ambroise, Perez, Prim-Allaz, Tannery et Teyssier, 2011).
Si la plupart des études réalisées pour le compte d’organismes publics mettent en avant la jeunesse et la petite taille comme l’une des caractéristiques de la FC, les recherches académiques sont moins unanimes. Ces dernières partent, pour la plupart, de la loi de Gibrat (1931), postulant qu’il n’existe pas de lien entre la taille et le taux de croissance. Selon cette loi, la croissance devrait donc être vue comme un phénomène aléatoire, non prévisible et indépendant de la date de création de l’entreprise. Cependant, de nombreuses recherches empiriques entrent en contradiction avec cette loi et indiquent le plus souvent une relation négative entre la taille et le taux de croissance (e.g. Wagner, 1992 ; Davidsson et Delmar, 1998). Moreno et Casillas (2007) montrent ainsi, à travers la construction de neuf fonctions discriminantes, que le premier facteur explicatif de la croissance est la taille, avec une corrélation négative, avant même l’accès aux ressources financières. D’autres travaux, moins nombreux, montrent à l’inverse une relation positive entre ces deux éléments. De manière générale, il est possible de reprendre l’assertion de Delmar et al. (2003, p. 196, traduction libre) : « Même si l’on ne peut toujours pas déterminer le sens de l’influence de la taille des entreprises sur leur croissance, nous pouvons conclure que la taille a un effet sur la croissance. Une entreprise se développera différemment selon sa taille ».
Concernant le secteur d’activité, de nombreuses études statistiques montrent la prépondérance du secteur des services aux entreprises dans les entreprises en forte croissance (Picart 2006, Lefilliatre 2007, Mustar 2002). Dans l’étude de Lefilliatre (2007), les entreprises à FC pérennes sont davantage présentes dans le secteur des services aux entreprises, des transports et des biens d’équipements. Les entreprises à FC pérennes sur le long terme, sont, quant à elles, davantage présentes dans le commerce et les services en général. Les recherches plus académiques focalisent leur attention principalement sur le secteur des hautes technologies, comme Westhead et Storey (1997) ou Druilhe et Garnsey (2000), sans faire de comparatifs sectoriels. Cependant, à travers la lecture des différentes études descriptives citées jusqu’à présent, le constat de la présence des entreprises à forte croissance dans tous les secteurs s’impose.
En résumé, la plupart des recherches montrent un lien entre la taille et l’âge, même si la nature de la corrélation diffère selon les travaux. Les entreprises jeunes sont généralement de plus petite taille que les entreprises plus anciennes et disposent donc proportionnellement d’une capacité à croître plus importante.
1.3. Les caractéristiques financières des entreprises en Forte Croissance
La performance des entreprises sur la durée peut être mesurée selon différents axes. Il est notamment possible de faire la distinction entre la croissance de l’entreprise et la rentabilité financière (Steffens, Davidsson et Fitzsommons, 2009). La croissance de l’entreprise étant dans ce travail notre variable dépendante, l’accent sera mis ici sur la dimension financière, à travers l’accès aux ressources financières et le niveau de performance financière.
1.3.1. L’accès aux ressources financières
Parmi les ressources nécessaires au développement d’une entreprise, les ressources financières ont une place de choix dans les études sur la FC. La plupart aboutissent à l’idée que l’accès à ce type de ressources est un facteur favorisant la FC. Becchetti et Trovato (2002) montrent notamment que dans le cas des entreprises de moins de 1 000 salariés, celles ayant un accès plus important aux financements externes croissent plus vite que les autres. De manière générale, si le lien entre la présence de ressources financières et la FC est établi, la nature de ce lien reste mal expliquée. L’accès aux ressources financières est-il un facteur favorisant la FC, ou bien est-ce la FC qui favorise l’accès aux ressources financières ? Une des limites principales de la littérature sur la relation entre l’accès aux ressources financières et la FC est qu’elle est principalement focalisée sur des entreprises ayant réussi à dépasser cette contrainte et à trouver des financements pour soutenir la croissance. Elles n’ont, de fait, pas ressenti de façon sclérosante la présence de contraintes financières potentielles. Il ressort alors que les entreprises en FC étudiées ne sont pas contraintes financièrement (Vos, Yeh, Carter et Tagg, 2007).
Frein, moteur ou sans effet sur la FC, l’accès aux financements semble être lié à la taille et à l’âge (Beck et Demirguc-Kunt, 2006 ; Westhead et Storey, 1997). Ainsi, les entreprises les plus jeunes ont plus de contraintes financières. Or les entreprises en FC (sans distinction entre l’aspect continu ou discontinu) sont en général relativement jeunes, comme nous l’avons vu précédemment.
1.3.2. La performance financière
La croissance et la rentabilité de l’entreprise sont souvent théoriquement vues dans la littérature comme allant de pair (Sexton, Pricer et Nenide, 2000). Cependant, cette relation a été mise à mal par de nombreuses études empiriques montrant soit une absence de lien (Shuman et Seeger, 1986 ; Markman et Gartner, 2002), soit une corrélation négative entre ces deux critères de la performance. La croissance peut, en effet, être une source d’instabilité et de difficultés de toutes natures (organisationnelles, financières, etc.), pouvant mettre en péril la survie de l’entreprise (Hambrik et Crozier, 1985). Markman et Gartner (2002) proposent une étude statistique sur les entreprises en hypercroissance (de plus de 500 % en termes de croissance des effectifs sur cinq ans) et montrent qu’il n’existe pas de lien positif entre la très forte croissance et la rentabilité des entreprises. Ils expliquent ce phénomène par « l’effet retard », décalage entre les conditions mises en place et les effets sur la rentabilité de l’entreprise (cet effet serait supérieur à 5 ans). Cependant, les auteurs trouvent un lien négatif entre l’âge et la rentabilité, les entreprises plus jeunes étant plus rentables.
Steffens et al., (2009) tentent également de faire le lien entre la croissance et la rentabilité à partir d’un modèle basé sur les objectifs initiaux poursuivis par les entreprises. Dans le cadre d’une étude sur 3 500 petites entreprises, les auteurs montrent que les entreprises jeunes et les plus anciennes sont plus facilement au-dessus de la moyenne en termes de rentabilité si elles l’ont recherché dès le début de leur existence, que les entreprises ayant initialement privilégié uniquement la croissance au démarrage (dans une optique de rentabilité future). Le profit n’est donc pas la conséquence évidente d’une période de FC. La présence de la croissance n’entraîne pas automatiquement la rentabilité dans les années qui suivent. Au contraire, les entreprises ayant des taux de croissance supérieurs à la moyenne se retrouvent trois ans plus tard avec des niveaux de performance inférieurs (Davidsson, 2005). Globalement, la combinaison de la forte croissance et de la rentabilité ne semble donc pas aller de soi (Nicholls-Nixon, 2005). Les objectifs formulés par les dirigeants sont eux-mêmes, d’abord, plus ou moins exclusivement orientés vers l’un ou l’autre. En effet, de nombreux auteurs s’accordent à dire que les entreprises qui recherchent la croissance ne recherchent pas systématiquement la rentabilité (Stevenson et Jarillo, 1990 ; Brown, Davidsson et Wiklund, 2001 ; Ambroise et al., 2011), alors qu’une croissance profitable est une condition nécessaire à une croissance forte et rentable sur la durée (Davidsson, Steffens et Fitzimmons, 2009 ; Steffens, Davidsson et Fitzsimmons, 2009).
L’âge, la taille, l’accès aux ressources financières ainsi que la performance financière sont ainsi souvent au coeur des études sur le phénomène de la FC. Cependant, peu d’entre elles permettent de comparer ces éléments en contextes de FC continue et discontinue. Notre objectif est donc de déterminer à travers nos échantillons si ces trajectoires de FC se distinguent sur ces critères.
2. Méthodologie
Un échantillon initial de plus de 17 000 PME a été retenu. Il est constitué d’entreprises implantées dans la région Rhône-Alpes[3] et observées sur la période 2002-2008, soit sept années, tous secteurs d’activité confondus. Ces entreprises devaient réaliser plus de 500 k€ de chiffre d’affaires en 2002 (afin de sortir de l’échantillon les très petites entreprises)[4] . Ces entreprises ont été identifiées et sélectionnées sur la base de données Diane[5]. Les effectifs étant peu fiables dans cette base, la taille n’a été mesurée que par le biais du chiffre d’affaires. Chaque entreprise a été classée en fonction du nombre total d’années de FC vécu sur la période d’observation puis en fonction du nombre d’années de FC successives. Le tableau 1 reprend le détail des sous-échantillons obtenus à partir de la population totale.
Par exemple, le sous-échantillon T2_4 est composé des entreprises ayant connu 4 années de FC sur la période 2002-2008, avec au maximum 2 années sans interruption. Le premier chiffre donne le nombre d’années de FC successives et le second le nombre total d’années de FC sur la période observée.
Afin de confronter FC continue et FC discontinue, deux sous-échantillons sont mobilisés, comparables quant au nombre total d’années de FC sur la période de 7 années considérée, à savoir les T1_4 (4 années discontinues de FC) et les T4_4 (4 années successives de FC) assimilables à des gazelles. Les résultats pour ces deux sous-groupes d’entreprises seront systématiquement comparés au sous-échantillon témoin T0 (sans aucun épisode de forte croissance sur les 7 années d’observation).
Afin de vérifier la validité des résultats obtenus sur les entreprises T1_4 (FC discontinue) et T4_4 (FC continue), des analyses complémentaires ont été réalisées. Dans un premier temps, la notion de continuité versus discontinuité a été testée sur des échantillons présentant un plus grand nombre d’années de FC (T2_5 versus T5_5) et un moins grand nombre d’années de FC (T1_3 versus T3_3). Les résultats obtenus sur les différences entre FC continue et FC discontinue sont similaires aux conclusions établies sur les échantillons T1_4 et T4_4. Dans un second temps, pour tester la pertinence du seuil retenu de 20 % de taux de croissance, choix fait à partir de l’analyse des travaux existants, des tests ont été faits prenant comme seuil 19 % puis 18 %. Les résultats montrent également une stabilité des conclusions.
Les variables financières retenues ont été sélectionnées parmi les indicateurs pré-calculés disponibles dans la base de données Diane. Sur les 41 variables proposées, 13 ont été retenues pour notre analyse[6], ce à partir d’une revue de la littérature sur les indicateurs les plus souvent sollicités dans les études de la FC, de l’étude des coefficients de corrélation entre indicateurs et enfin, après suppression des indicateurs affichant trop de données manquantes.
3. Analyses et résultats
L’objet des paragraphes suivants est désormais de comparer la FC continue et discontinue par l’intermédiaire des variables démographiques et des variables d’analyse financière.
3.1. Les variables démographiques
Les entreprises en FC continue (T4_4) sont significativement les plus jeunes des trois échantillons, avec une médiane de 8 ans, contre 18 ans pour les entreprises vivant des périodes de FC discontinue. La moyenne d’âge des T1_4 est plus proche de la moyenne d’âge des entreprises ne connaissant aucune phase de FC. Ces résultats sont concordants avec les constats issus de nombreuses études sur la jeunesse des entreprises en FC (e.g. Picart, 2006 ; Lefilliatre, 2007).
Les entreprises en FC continue présentent par ailleurs un taux de croissance moyen annuel plus élevé que les entreprises en FC discontinue (41 % contre 15 % en médiane), alors qu’elles ont le même nombre d’années de forte croissance sur la période observée. Ceci peut s’expliquer, soit par des taux de croissance annuels beaucoup plus élevés pendant les phases de FC, soit par des taux de croissance restant élevés entre les phases. Le niveau élevé du taux moyen annuel pour les T4_4 (FC continue) est également probablement lié, en partie, à la jeunesse des entreprises du groupe.
En termes de chiffre d’affaires, les entreprises de type T4_4 (FC continue) sont légèrement plus petites que les T1_4 (FC discontinue) en 2002, mais à la fin des sept années d’observation en 2008, les deux groupes d’entreprises semblent être de taille équivalente. Ce constat s’explique probablement de nouveau en partie par l’âge des T4_4 au début de la période d’observation. Les T4_4 sont, au début de la période d’observation, plus jeunes et présentent donc logiquement un chiffre d’affaires plus faible. En revanche, et du fait de leur taux de croissance moyen supérieur, les chiffres d’affaires sont plus proches et la différence n’est plus significative à la fin de la période d’observation.
Concernant l’appartenance au secteur d’activité, le constat réalisé dans la littérature, sur la présence des entreprises en FC dans tous les secteurs avec une prédominance du secteur des services, se confirme en partie dans notre échantillon pour les entreprises en FC continue. Il est toutefois intéressant de noter que les entreprises en FC discontinue sont proportionnellement plus nombreuses dans l’industrie que celles en FC continue[8].
3.2. Les variables d’analyse financière
Les treize variables d’analyse financière retenues peuvent être regroupées en deux grandes rubriques : (1) les indicateurs de structure financière (équilibre financier, autonomie financière, taux d’endettement, poids des charges financières, besoin en fonds de roulement) et de liquidité et trésorerie (liquidité générale et trésorerie) et (2) les indicateurs de marge (taux de marge brute et taux de marge nette), productivité (productivité des immobilisations et productivité du capital investi) et rentabilité (rentabilité des capitaux propres et rentabilité économique). La période d’observation s’étalant sur sept années, nous avons opté dans un premier temps, pour une analyse de la moyenne de chaque indicateur sur cette période. Dans un second temps, nous reprenons les valeurs des indicateurs pris année par année (annexe A).
3.2.1. Structure financière et liquidité
Nous traiterons ici des indicateurs les plus significatifs (tableau 6) à savoir l’Équilibre Financier (EF) et l’Autonomie (AUTO). Les résultats montrent, en effet, que les entreprises des groupes en FC continue et en FC discontinue ne sont pas significativement différentes sur les autres indicateurs de structure financière et de liquidité.
Les entreprises à FC discontinue disposent de plus de ressources stables comparativement à leurs emplois stables que les entreprises à FC continue. Le test de Duncan (Duncan, 1955) permet de considérer que les T4_4 (FC continue) sont plus proches des T0 (absence de FC) en termes d’équilibre financier que les T1_4 (FC discontinue). Ce résultat est conforté par l’indicateur d’autonomie qui montre que les T1_4 disposent de plus de fonds propres que les T4_4 comparativement au total de leur bilan. Il est possible de faire le lien entre la relative importance des fonds propres des T1_4 et leur âge : ces entreprises seraient mieux structurées financièrement, notamment du fait de leur ancienneté.
En reprenant les données année par année sur les indicateurs significatifs (annexe A), il est possible de compléter ces constats par une approche plus dynamique. En effet, au cours de la période d’observation, les FC continues qui disposent de moins de fonds propres semblent améliorer leur situation en termes d’autonomie financière, avec un rapport fonds propres sur total du bilan plus favorable. L’amélioration de cet indicateur peut laisser supposer un renforcement des fonds propres. Sur la même période, les T1_4 restent cependant au-dessus des T4_4. L’indicateur d’Autonomie Financière est quant à lui assez stable sur la période. Les valeurs pour cet indicateur restent plus favorables aux entreprises en FC discontinue, montrant une plus grande capacité à financer leurs emplois stables par des ressources durables. L’observation par année permet de voir apparaître un autre indicateur (non significatif sur l’ensemble de la période). Il s’agit de l’indicateur de liquidité (LIQG). Les entreprises en FC continue montrent un indicateur de liquidité nettement inférieur aux deux autres groupes d’entreprises. Ce constat confirme que les entreprises en FC continue ont moins de liquidités que les autres entreprises. Les entreprises en FC discontinue ne présentent pas cette difficulté.
3.2.2. Marge, productivité et rentabilité
Il s’agit ici d’étudier les indicateurs de Productivité des Immobilisations (PRODIMMO), de productivité du Capital Investi (PRODCI), de Taux de Marge Nette (TXMN), de Taux de Marge Brute (TXMB), de Rentabilité des Capitaux Propres (RENTACP), de Rentabilité économique (RENTAECO). Sur l’ensemble des indicateurs étudiés (tableau 7), seuls les indicateurs Rentabilité des Capitaux Propres, Rentabilité Économique et Productivité du Capital Investi sont significativement différents entre groupes.
Pour ces trois variables, les valeurs les plus élevées sont obtenues par les entreprises en FC continue. Ainsi, pour l’indicateur de Productivité du Capital Investi, le test de Duncan (Duncan, 1955) regroupe les T0 (absence de FC) et les T1_4 (FC discontinue) et les différencie des T4_4 (FC continue). Les T4_4 semblent générer davantage de richesses pour un niveau d’actif donné. Cependant, ce groupe a un écart-type nettement plus élevé, laissant supposer de fortes disparités entre entreprises de même type. À la lecture de l’indicateur de rentabilité financière, ces entreprises semblent générer plus de bénéfices pour un niveau de capitaux propres donné. Cependant, il existe également pour cet indicateur une très grande disparité entre entreprises du même groupe. La rentabilité économique va dans le même sens en montrant une capacité plus élevée pour les T4_4 à générer du résultat d’exploitation pour un niveau d’actif donné. Les entreprises en FC continue sont donc globalement plus rentables, mais ont cependant des comportements variés au sein du groupe.
L’observation par année permet de compléter l’analyse en relevant une tendance à la baisse de la productivité du capital investi pour les entreprises en FC continue. La productivité des entreprises à FC discontinue, quant à elle, est en dessous de celle des T0, pour 4 années d’observation sur les 7. La productivité de ces entreprises se distingue donc clairement de celle des entreprises à FC continue qui, bien qu’en légère diminution sur la période, reste toujours supérieure à celle des T0. Le constat de baisse pour les T4_4 se confirme à la lecture de l’indicateur de Rentabilité des Capitaux Propres. Les entreprises en FC continue ont donc tendance à être plus productives et plus rentables par rapport à leurs capitaux que les autres entreprises pendant leurs phases de croissance, mais cet écart semble se résorber au fur et à mesure de la période d’observation. Il est possible que l’augmentation des capitaux, vue à travers les indicateurs Équilibre Financier et Autonomie Financière sur la période pour les T4_4, se répercute sur les indicateurs de rentabilité par rapport à ces mêmes capitaux. Ces entreprises disposant de plus de capitaux sont proportionnellement moins rentables qu’au démarrage où elles disposaient de moins de capitaux. Concernant la rentabilité économique, les T4_4, se démarquent aussi très nettement des deux autres groupes au cours de la phase d’observation et présentent une rentabilité économique plus élevée. Ces écarts sont moindres en début et fin de période.
4. Discussion et perspectives
À l’issue de cette étude exploratoire, la FC continue et la FC discontinue ne semblent pas représenter deux étapes dans la vie d’une entreprise, mais plus probablement deux trajectoires de croissance distinctes. La FC discontinue caractérise ainsi des entreprises matures, avec une structure financière « solide » et des liquidités plus importantes. Elles se rapprochent du comportement des entreprises ne connaissant pas de croissance pour la rentabilité des capitaux propres et la rentabilité économique. La FC continue est l’apanage d’entreprises jeunes, présentant des taux de rentabilité importants pendant leur phase de croissance (tableau 8). Elles sont en phase de structuration financière et ont plus de problèmes de liquidités que les deux autres groupes d’entreprises. Toutefois, en fin de période d’observation, l’écart en termes de rentabilité tend à se réduire (annexe A). Ces entreprises à FC continue semblent d’une plus grande fragilité que les entreprises en FC continue. En effet, leur taux de disparition en 2009, c’est-à-dire l’année suivant notre période d’observation, est de 7,14 % pour les T4_4 contre 3 % pour les T1_4[9].
Les différences constatées permettent de mettre en lumière le rôle de certains leviers dans la FC et conduisent à proposer plusieurs pistes d’approfondissement et d’étude.
Il en va ainsi, par exemple, de la problématique de la profitabilité, peu étudiée dans la littérature sur la FC au profit de l’analyse de la rentabilité. Les entreprises en FC continue ne sont pas significativement plus endettées, tout en disposant de moins de fonds propres. De ce fait, la seule source de financement possible de leur activité serait donc leur capacité à générer du résultat en quantité suffisante pour faire face à leur croissance. Il serait intéressant d’étudier plus largement le rôle de la capacité de profitabilité des entreprises dans le maintien d’une FC sur la durée et la perception du dirigeant quant à l’utilisation de ce levier.
Cette réflexion en amène une autre sur la capitalisation. La vulnérabilité des entreprises en FC continue ne semble pas liée à un fort endettement, mais à une sous-capitalisation, constatée par ailleurs dans d’autres études (e.g. Lefilliatre, 2007), sous-capitalisation que la capacité à générer des résultats ne parvient plus à compenser à un certain stade de développement. Il conviendrait bien entendu de tester plus largement si les entreprises à FC continue ont un taux de défaillance plus élevé que celui des entreprises à FC discontinue, avant tout en raison de leur sous-capitalisation, mais aussi, de mesurer éventuellement le seuil à partir duquel la conjonction entre le taux de croissance et la capacité à générer du résultat ne permet plus d’assurer la survie de l’entreprise.
Par ailleurs, ce travail permet de constater que les entreprises à FC continue présentent un niveau de rentabilité économique et financière supérieur à celui des entreprises en FC discontinue. Ces résultats sont en partie contradictoires avec les résultats de Nicholls-Nixon (2005) qui montrent que la combinaison FC et rentabilité est loin d’être systématique et les conclusions de Davidsson (2005) qui observe que la FC entraîne plutôt (trois ans plus tard) des niveaux de performance inférieurs à la moyenne. On peut expliquer, à l’instar de Steffens et al.,(2009), la pérennité de cette rentabilité au regard de l’âge et de la taille des entreprises à FC continue qui sont ici globalement plus jeunes et plus petites que les FC discontinues. Mais plusieurs auteurs ajoutent également à leur analyse l’objectif initial poursuivi par les dirigeants et montrent qu’indépendamment de l’âge et de la taille, le lien entre la croissance et cette performance dépend des objectifs initiaux et de la volonté des dirigeants (Stevenson et Jarillo, 1990 ; Brown et al., 2001 ; Julien et al., 2006). Il conviendrait donc, ici, de voir dans quelle mesure la différence de performance constatée en matière de rentabilité économique et financière entre les entreprises en FC continue et discontinue relève aussi de la volonté des dirigeants. Ceux-ci peuvent avoir affiché des objectifs plus ou moins ambitieux en termes de croissance du chiffre d’affaires, de profitabilité ou de rentabilité. La croissance discontinue peut traduire en effet une volonté du dirigeant de temporiser sa croissance et non pas une incapacité à maintenir la croissance.
Enfin, au regard de ces résultats, les entreprises en FC continue et discontinue pourraient se différencier dans leur capacité à générer ou non certaines marges de manoeuvre (des slacks) et leur capacité à les exploiter. Cette notion de slack a été d’ailleurs intégrée récemment dans une étude sur la FC par Bradley, Wiklund et Shepherd, (2011). En effet, les entreprises en FC continue se caractérisent ici plutôt par moins de fonds propres et moins de liquidités, mais une rentabilité économique et des fonds propres supérieurs aux entreprises en FC discontinue. Les FC continues pourraient ainsi se caractériser par une exploitation plus « intensive » de leurs ressources, contrairement aux entreprises en FC discontinue qui géreraient un matelas de ressources a priori plus important (fonds propres et liquidités), le tout avec nécessairement des prises de risques différentes.
Afin de mieux comprendre les différences entre trajectoires de FC continue et discontinue et de prolonger les pistes d’études ouvertes par ce travail exploratoire, il est envisagé de mobiliser une méthodologie plus qualitative reposant sur une comparaison inter-cas, afin notamment d’intégrer aux analyses les capacités et choix du dirigeant. En parallèle, nous continuerons de suivre les données financières de nos différents échantillons, dans une optique d’analyse longitudinale afin de mieux comprendre les différences de devenir des deux trajectoires de croissance et tester l’hypothèse de plus grande fragilité des entreprises en FC continue vs celle de plus grande probabilité de pérennité de la croissance des entreprises en FC discontinue.
Afin de dépasser certaines limites de ce travail exploratoire, une approche dynamique plus complète peut être aussi envisagée. En effet, une période d’observation de 2002 à 2008 a été ici retenue, mais sur cette période, les entreprises étudiées connaissent une FC sur des années différentes les unes des autres. Dans cette étude préliminaire, nous avons ainsi privilégié une approche par la moyenne des indicateurs sur la période. Il conviendrait d’adopter une lecture annuelle et d’analyser les périodes avant, pendant et après la FC. Par ailleurs, il serait également souhaitable de mener une analyse financière détaillée sur quelques entreprises d’un même secteur d’activité en comparant les caractéristiques de la FC continue et celles de la FC discontinue, sur d’autres indicateurs (nature des dettes, appartenance à un groupe, nature du dirigeant, effectif…).
En termes managériaux, ces résultats appellent cependant déjà plusieurs réflexions. Si les suggestions émises ci-dessus étaient confirmées, cela montrerait que les politiques publiques souvent concentrées sur les FC continues, les plus visibles, gagneraient à s’intéresser également et de façon différenciée aux FC discontinues. En effet, même si leur taux de croissance moyen est moins remarquable que celui des entreprises à FC continue, ces entreprises semblent plus solides et pérennes. Il conviendrait ainsi probablement de différencier la nature des aides et des recommandations proposées aux FC discontinues qui n’ont manifestement pas les mêmes besoins que les entreprises en FC continues, probablement plus fragiles.
L’attention portée à la croissance forte continue, plus spectaculaire, mais probablement plus risquée, ne doit pas nous conduire à nous détourner d’entreprises plus discrètes eu égard à leur croissance forte discontinue, mais dont le potentiel de création d’emplois sur la durée est peut-être globalement tout aussi intéressant.
Parties annexes
Annexe
Notes biographiques
Nathalie Claveau est Maître de conférences en management stratégique, rattachée au Centre de Recherche Coactis - université de Lyon 2, EA 4161 (Lyon, France). Elle est responsable du Master 2e année ECOSMA (Études et Conseil en Stratégie et Marketing) et participe à divers projets de recherche portant sur la croissance des entreprises.
Muriel Perez est Maître de conférences en gestion, rattachée au Centre de Recherche Coactis - université de Saint-Étienne, EA 4161 (Lyon, France). Elle participe à divers projets de recherche portant sur le financement de la croissance des entreprises et de l’hypercroissance et sur la défaillance des entreprises. Elle assure ses enseignements dans le domaine des systèmes d’information au niveau master.
Isabelle Prim-Allaz est agrégée du secondaire en économie et gestion, Docteure en sciences de gestion, Maître de conférences en marketing, rattachée au Centre de Recherche Coactis - université de Lyon 2, EA 4161 (Lyon, France). Ses recherches portent principalement sur les relations entre les banques et les PME (échanges relationnels versus transactionnels), la gestion de la relation client et la croissance des entreprises. Elle a, entre autres, publié dans Recherche et Applications en Marketing et Décisions Marketing.
Notes
-
[1]
De nombreuses autres variables peuvent contribuer à expliquer le phénomène de FC des entreprises (mode de gouvernance, personnalité du dirigeant, environnement…). Ces variables sont écartées de cette étude à visée exploratoire, mais sont prises en compte à travers d’autres méthodologies dans le cadre de l’ANR HYPERCROIS (nº ANR-07-ENTR-008) sur « Les entreprises moyennes en hyper croissance : trajectoires et temporalités ».
-
[2]
Lefilliatre (2007) qualifie de pérennes les entreprises qui parviennent à survivre et distingue ainsi les entreprises pérennes sur longue période qui parviennent à maintenir une forte croissance sur une période de 10 ans.
-
[3]
La région Rhône-Alpes a été retenue pour la proximité des études de cas menées en parallèle dans le cadre de l’ANR HYPERCROIS et qui visent à compléter le dispositif d’étude.
-
[4]
Les caractéristiques en termes de chiffre d’affaires sont données dans le tableau 4.
-
[5]
La base de données Diane recense les comptes sociaux des entreprises françaises qui publient leurs comptes auprès des greffes des tribunaux de commerce. Diane est éditée par le bureau Van Dyck (société de renseignements commerciaux) en partenariat avec Coface Services (Société de crédit management).
-
[6]
(1) les indicateurs de structure financière (équilibre financier, autonomie financière, taux d’endettement, poids des charges financières, besoin en fonds de roulement) et de liquidité et trésorerie (liquidité générale et trésorerie) et (2) les indicateurs de marge (taux de marge brute et taux de marge nette), productivité (productivité des immobilisations et productivité du capital investi) et rentabilité (rentabilité des capitaux propres et rentabilité économique).
-
[7]
Une entreprise a été codée en FC lorsque son chiffre d’affaires est supérieur d’au moins 20 % à celui de l’année précédente et que la même année l’entreprise appartient au quartile supérieur des taux de croissance de son secteur d’activité.
-
[8]
On observe la même tendance avec les T1_3 et les T2_5.
-
[9]
Les entreprises ayant disparu au cours de la période 2002-2008 ne sont pas prises en compte dans notre analyse afin de pouvoir disposer du même nombre d’années d’observation pour chaque entreprise.
Bibliographie
- Ambroise L., Perez M., Prim-Allaz I., Tannery F. et TeYssier C. (2011), Des paliers de croissance au potentiel de développement de la PME, dans Gilles Lecointre, Le grand livre de l’économie de la PME, 21-46.
- Becchetti L. et Trovato G. (2002), The determinants of Growth for Small and Medium Sized Firms. The role of the Avaibility of External Finance, Small Business Economics, 19, 291-306.
- Beck T. et Demirguc-Kunt A. (2006), Small and Medium-Size Enterprises: Access to Finance as a Growth Constraint, Journal of Banking and Finance, 30, 2931-2943.
- Betbèze J.P. et Saint-Étienne C. (2006), Une stratégie PME pour la France, Rapport du CAE, La Documentation Française.
- Birch D. (1979), The Job Generation Process, Cambridge, MA : M.I.T. Program on Neighborhood and Regional Change.
- Bradley S.W., Wiklund J. et Shepherd D.A. (2011), Swinging a double-edged sword: the effect of slack on entrepreneurial management and growth, Journal of Business Venturing, 26, 537-554.
- Brown T.E., Davidsson P. et Wiklund J. (2001), An Operationalization of Stevenson’s Conceptualization of Entrepreneurship as Opportunity-Based Firm Behaviour, Strategic Management Journal, 22, 10, 953-968.
- Davidsson P. (2005), Interpreting Performance in Small Business Research, dansProceedings Strathclyde Entrepreneurship researchWorkshop, Leeds.
- Davidsson P. et F. Delmar (1998), Some Important Observations Concerning Job Creation by Firm Size and Age, dans Rencontres St Gall, septembre, Suisse, Gallen.
- Davidsson P., Steffems P. et Fitzimmons J. (2009), Growing profitable or growing from profits: putting the horse in front of the car, Journal of Business Venturing, 24, 4, 388-406.
- Davidsson P., Achtenhagen L. et Naldi L. (2010), Small Firm Growth, Foundations and Trends in Entrepreneurship, 6, 2, 69-166.
- Delmar F., Davidsson P. et Gartner W.B. (2003), Arriving at the High-Growth Firm, Journal of Business Venturing, 18, 189-216.
- DIAMBEIDOU M.B. et GAILLY B. (2011), A taxonomy of th early growth of Belgian start-ups, Journal of Small Business and Enterprise Development, 18, 2, 194-218.
- Druilhe C. et Garnsey E. (2000), Emergence and Growth of High-tech Activity in Cambridge and Grenoble, Entrepreneurship and Regional Development, 12, 163-177.
- Duncan D.B. (1955), Multiple range and multiple F tests, Biometrics, 11, 1-42.
- Gibrat R. (1931), Les inégalités économiques, Applications aux inégalités des richesses, à la concentration des entreprises, aux populations des villes, aux statistiques des familles, etc. d’une Loi nouvelle : la loi de l’effet proportionnel, Thèse de Doctorat en droit, Université de Lyon.
- Hambrick D.C. et Crozier L.M. (1985), Stumblers and Stars in the Management of Rapid Growth, Journal of Business Venturing, 1, 31-45.
- Izosimov A.V. (2008), « Managing Hypergrowth », Harvard Business Review, avril, 121-127.
- Julien P.A. (2000), Les PME à forte croissance au Québec : comment gérer l’improvisation de façon cohérente ?, Rapport de l’IRPME, février.
- Julien P.A., Daniele L. Carrier M., Desaulniers L. et Martineau Y. (2002), Les PME à forte croissance – l’exemple de 17 gazelles dans 8 régions du Québec, Presses de l’Université du Québec.
- Julien P.A., St-Jean E. et Audet J. (2006), Les facteurs de discontinuité des PME à forte croissance, 8e congrès CIFEPME, octobre, Fribourg.
- Lefilliatre D. (2007), Caractéristiques économiques et financières des entreprises en forte croissance, Bulletin de la Banque de France, avril, 160, 47-59.
- Markman G.D. et Gartner W.B. (2002), The Effects of Hyper Growth on Firm Profitability, The Journal of Private Equity, Fall, 65-75.
- Moreno A.M. et Casillas J.C. (2007), High-Growth SMEs versus Non-High-Growth SMEs: a Discriminant Analysis, Entrepreneurship and Regional Development, 19, 69-88.
- Mustar P. (2002), Les PME à forte croissance et l’emploi, Rapport OCDE.
- Nicholls-Nixon C.L. (2005), Rapid Growth and High Performance: The Entrepreneur’s Impossible dream?, Academy of Management Executive, 19, 1, 77-89.
- Parker S.C., Storey J. et VanWitteloostuijn A. (2010), What happens to gazelles? The importance of dynamic management strategy, Small Business Economics, 1-24.
- Penrose E. (1959), The theory of the growth of the firm, Oxford University Press, 4e éd.
- Pettus M. L. (2001), The Resource-Based View as a Developmental Growth Process: Evidence from the Deregulated Trucking Industry, Academy of Management Journal, 44, 4, 878-896.
- Picart C. (2006), Les gazelles en France, Direction des études et synthèses économiques, G2006/02, INSEE.
- Sexton, D.L., Pricer R.W. et Nenide B. (2000), Measuring performance in high growth firm, article présenté à the Babson Entrepreneurship Research Conference, Wellesley, MA, juin.
- Shuman, J.C. et Seeger J.A. (1986), The Theory and Practice of Strategic Management in Smaller Rapid Growth Firms, American Journal of Small Business, 11, 1, 7-18.
- Steffens P., Davidsson P. et Fitzsimmons J. (2009), Performance configurations Over Time: Implications for Growth-and Profit-Oriented Strategies, Entrepreneurship Theory and Practice, janvier, 125-148.
- Stevenson H.H. et Jarillo J.C. (1990), A Paradigm of Entrepreneurship: Entrepreneurial Management, Strategic management Journal, 11, 17-27.
- Vos E., Yeh A., Carter S. et Tag S. (2007), The Happy Story of Small Business Financing, Journal of banking and Finance, 31, 9, 2648-2672.
- Wagner J. (1992), Firm Size, Firm Growth, and Persistence of Chance: testing Gibrat’s law with Establishment Data from Lower Saxony, 1978-1989, Small Business Economics, 4, 125-131.
- Weasthead P. et Storey D.J. (1997), Financial Constraints on the Growth of High Technology Small Firms in the United Kingdom, Applied Financial Economics, 7, 197-201.
- Wiklund J. et Shepherd D. (2003), Apiring for, and achieving growth: the moderating role of resources and opportunities, Journal of Management Studies, 40, 8, 1919-1941.
- Wiklund J., Patzelt H. et Shepherd D.A. (2009), Building an Integrative Model of Small Business Growth, Small Business Economics, 32, 351-374.