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Défis et opportunités du jeune chercheur
Lorsque nous avons été sollicitées pour rédiger une chronique sur le métier de « jeune » chercheur, nous nous sommes d’abord interrogées sur cette notion. Qu’est-ce qu’un jeune chercheur ? Le sommes-nous encore ? Il semble que tous les doctorants, tous les diplômés qui poursuivent des études postdoctorales ainsi que les chercheurs nouvellement recrutés pour un poste permanent soient considérés comme de jeunes chercheurs[1]. Mentionnons également que la formation acquise lors d’études postdoctorales est de plus en plus souvent exigée pour prétendre à un premier poste permanent. En fait, il semble que nous soyons « jeunes » de plus en plus vieux ou, à tout le moins, de plus en plus longtemps. Dans cette chronique, le terme jeune désigne donc tous ceux que l’on peut qualifier de novices dans la carrière académique.
Quels sont les défis et opportunités qui jalonnent le début d’une carrière universitaire ? Comment pouvons-nous y faire face de façon à se réaliser pleinement dans le métier de chercheur ? Étant nous-mêmes deux jeunes chercheures, nous avons croisé nos regards et nos expériences sur ces différentes questions.
Se choisir une famille
Le doctorant qui entame son travail de thèse est bien souvent pétri de doutes et de solitude. Les défis de ce début de parcours initiatique sont multiples. Comment être bien informé sur la recherche en général, et sur mes domaines de prédilection en particulier ? Comment échanger sur mes idées, sur mes premiers travaux ? Comment être accompagné dans mon travail ? Et, plus fondamentalement, comment exister en tant que jeune nouveau chercheur ? Pour relever tous ces défis, le doctorant se tournera naturellement vers son/ses directeur(s) de thèse, ses collègues de laboratoire/de centre de recherche ainsi que vers les dispositifs mis en place par de plus en plus d’institutions universitaires, comme les écoles doctorales au sein desquelles les étudiants suivent des enseignements adaptés à leurs besoins (cours de méthodologie de recherche, d’épistémologie, etc.) et partagent leurs travaux avec des chercheurs chevronnés lors d’ateliers doctoraux. C’est là son « premier cercle » de parole. Mais celui-ci n’est pas suffisant. Le doctorant doit également se choisir une ou plusieurs « familles » académiques. En d’autres termes, il doit identifier la ou les communautés dont il veut faire partie et qui deviendront alors pour lui un « second cercle » stratégique de parole et d’échanges. Le rôle du directeur de thèse nous semble important ici, dans la mesure où il fait lui-même déjà partie de différentes communautés de chercheurs et qu’il a souvent une bonne connaissance des autres familles.
Par exemple, dans le domaine de l’entrepreneuriat, le doctorant pourra rejoindre, dans la sphère francophone, l’Association internationale de recherche en entrepreneuriat et PME (AIREPME) ou l’Académie de l’Entrepreneuriat et de l’Innovation (AEI) et, côté anglophone, l’European Council for Small Business and Entrepreneurship (ECSB) ou la United States Association for Small Business and Entrepreneurship (USASBE). Tous ces regroupements sont associés à des forums d’échange, dont une grande conférence généralement annuelle et, très souvent aussi, à des ateliers de recherche (workshops). Retrouver une ou plusieurs fois par an les membres de ces associations permet au doctorant de mettre à l’épreuve ses idées de recherche et de partager ses travaux, tout en apprenant à évaluer et commenter les travaux d’autres chercheurs, ce qui aiguisera ses aptitudes scientifiques.
Par ailleurs, ces familles, regroupements ou communautés de chercheurs sont aussi associés à des revues savantes[2]. Soulignons ici que les conférences annuelles permettent fréquemment aux rédacteurs en chef des revues liées à ces associations de repérer les travaux qu’ils souhaiteraient voir publier dans leurs périodiques. Les auteurs de communications ayant fait l’objet d’un prix ou ayant été sélectionnées pour un prix sont souvent contactés par ces rédacteurs en chef. Ajoutons que les ateliers de recherche peuvent aussi donner lieu à des manuscrits susceptibles d’intéresser les rédacteurs en chef.
S’asseoir à une (à la bonne) table
Lorsque le doctorant dispose d’une famille « nucléaire » (ce que nous avons appelé le « premier cercle ») et d’une famille « élargie » (notre « second cercle »), encore faut-il qu’il choisisse la table à laquelle il va choisir de s’asseoir lors des réunions de famille ! Le défi consiste donc à déterminer la table qui lui permettra de véritablement nouer des échanges et des collaborations de travail dans ses domaines de prédilection. Pour y arriver, il faut d’abord que le doctorant fasse un minutieux travail de revue de littérature afin d’identifier les chercheurs qui font autorité dans ces domaines de recherche et de cerner leur vision du sujet. En agissant ainsi, il pourra repérer les auteurs avec lesquels il partage une similitude de point de vue ou d’approche et avec qui des opportunités de synergie, de collaboration ou de partenariat sont dès lors envisageables. Le doctorant doit en quelque sorte se joindre à cette table de recherche. Pour y parvenir, il va multiplier les actions : aller à la rencontre des chercheurs concernés lors de conférences/séminaires, ne pas hésiter à leur transmettre des travaux en cours pour avis/conseil, les inviter dans son centre de recherche pour échanger et mieux les connaître, solliciter leur parrainage pour effectuer un séjour de recherche au sein de leur institution, s’enquérir de leur intérêt à intégrer le comité d’encadrement de la thèse (voire le jury final), etc. Bref, il ne s’agit plus seulement d’appartenir à un groupe, mais de devenir un acteur au sein du groupe ou, à tout le moins, d’un sous-groupe de pensée.
Ces tables de recherche patiemment construites et nourries durant la thèse sont importantes. Elles devraient notamment permettre au jeune docteur accédant à son premier poste de développer des collaborations de recherche et démarrer de nouveaux projets satisfaisant aux exigences de publication de l’institution qui l’a engagé. Ainsi, comme pour les entrepreneurs que nous étudions, le développement de réseaux utiles est incontournable pour le jeune chercheur.
Gérer les débuts de carrière
Réussir à « exister » comme chercheur autonome n’est toutefois pas suffisant une fois la thèse terminée. Le jeune chercheur doit également composer avec une nouvelle carrière, où la recherche ne représente qu’un volet de son activité.
À l’approche de la soutenance de thèse, on se dit souvent : « Vivement la fin du doctorat que j’aie du temps pour faire autre chose et plus de choses. ». ERREUR ! Il s’agit malheureusement d’une pensée illusoire. Il est vrai que la poursuite d’études doctorales constitue une aventure intense, chargée émotionnellement et nécessitant un investissement de temps et d’effort considérable. Mais le début de carrière après la thèse présente des défis que l’on arrive généralement mal à anticiper. La vie de professeur-chercheur est certes passionnante. Elle offre notamment beaucoup de flexibilité. Mais, comme toute chose, cette flexibilité a un prix. Le professeur est un peu comme un travailleur autonome ou un entrepreneur. Nous avons beaucoup de liberté dans le choix des projets dans lesquels nous souhaitons nous investir. Mais il faut en contrepartie développer une grande discipline pour gérer le portefeuille de projets et les délais qui y sont associés.
À de rares exceptions près, c’est avec beaucoup d’enthousiasme que les nouveaux professeurs intègrent leurs fonctions. Les jeunes professeurs-chercheurs sont habituellement très ouverts aux opportunités qui se présentent, tout en étant souvent volontaires pour participer à des activités internes, développer de nouveaux projets et encadrer des étudiants. Mais la réalité de l’emploi nous rattrape vite. Le doctorat nous prépare essentiellement à des activités de recherche. On nous apprend surtout à devenir de bons chercheurs, à élaborer des projets de recherche cohérents, à utiliser des techniques de collecte et d’analyse de données, à interpréter et discuter des résultats et à réfléchir…Tout cela est enrichissant, mais prend du temps. Et s’il est vrai que le temps est une denrée rare pour tout le monde, on constate assez vite que c’est un enjeu primordial pour les jeunes chercheurs. La sollicitation dans nos organisations et nos réseaux est grande et, combinée à l’enthousiasme dont on fait montre au début de cette nouvelle vie, on peut se retrouver rapidement dans un cercle vicieux, dont les conséquences peuvent être importantes. Il faut donc faire preuve de réalisme, apprendre à dire « non » et se fixer des limites. Nous y reviendrons.
Nous réalisons à présent que cette chronique a été pour nous l’occasion de faire le bilan de nos premières années de carrière. De ce bilan se dégagent trois suggestions qui, selon nous, sont importantes pour devenir un professeur-chercheur efficace, performant et, surtout… heureux !
1) Définir le type de chercheur que l’on veut être
Le milieu universitaire présente des avantages indéniables, mais il faut se méfier des effets pervers de la comparaison. Il y aura toujours des chercheurs plus productifs que nous. Et il faut creuser un peu la question pour cesser de s’angoisser à vouloir être un jeune chercheur toujours extrêmement performant. Quelles sont mes motivations à faire de la recherche, mes objectifs, mes attentes ? Quelle énergie, quels efforts et surtout quels compromis suis-je prêt ou prête à faire pour ma carrière de chercheur ? Répondre à ces questions est fondamental pour pouvoir faire des choix éclairés. En recherche, il n’existe pas de profil unique bien que les normes et les standards tendent à converger vers le modèle du chercheur dont les travaux sont publiés dans des revues scientifiques de haut niveau.
2) Faire des choix stratégiques
Pour s’établir en recherche, le jeune chercheur a souvent tendance à être opportuniste. Et c’est très bien ainsi. Des occasions de collaboration se présentent, et il est important de les saisir. Elles permettent de s’établir, de développer ses réseaux et de multiplier les contributions potentielles. Mais les projets peuvent vite s’accumuler. Il arrive donc un moment où l’on doit faire des choix, par manque de temps. Il ne faut pas perdre de vue que, comme jeune chercheur, nous devons atteindre certains résultats, notamment pour obtenir la permanence dans l’institution qui nous emploie. Ainsi, les contributions potentielles d’un projet et la valorisation de ces contributions par notre établissement doivent être considérées. Il s’agit simplement d’être pragmatique et stratégique dans les choix que nous faisons, tout en demeurant en harmonie avec nos intérêts et nos motivations.
3) Lâcher prise
La recherche est un art de la contradiction. En effet, avant d’être publiés, nos travaux passent par la « moulinette » de multiples relecteurs souvent d’abord en conférence puis au sein des comités scientifiques des revues savantes. Les critiques, commentaires et suggestions de modifications ainsi obtenus nous obligent à remettre plusieurs fois nos articles « sur le métier » pour répondre aux exigences bien légitimes de rigueur et de validité scientifiques des rédacteurs en chef de revues. Pour faire face à cette contrainte et réussir à évoluer dans ce métier, il est donc essentiel de s’armer d’une bonne dose de résilience. Les refus, à savoir la non-acceptation de papiers en conférences et le rejet d’articles soumis à des revues pour publication, sont plus fréquents que les acceptations. Mais il ne faut pas perdre de vue que même ceux que l’on croit être les meilleurs vivent également de nombreux revers. Lors d’une récente présentation devant des doctorants, Ann Langley, professeure titulaire à HEC Montréal, mentionnait ceci : « Si quelqu’un publie beaucoup…c’est qu’il a également essuyé plusieurs refus ». La réalité est que personne n’y échappe et qu’il faut apprendre à apprivoiser ce difficile processus. À cet égard, il est prudent de laisser s’écouler quelques jours après une décision de refus/rejet plutôt que de répondre à un évaluateur, un rédacteur en chef ou un organisateur de conférence sous l’emprise de la colère et de la rancoeur.
Malgré tous les bons conseils qu’il est possible de recevoir, il demeure que le jeune chercheur doit faire ses propres expériences, se tromper, s’ajuster et s’adapter. Au final, les difficultés rencontrées valent la peine d’être vécues, car, en bonne partie grâce à elles, c’est le plus beau métier du monde que nous apprenons !
Parties annexes
Notes
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[1]
Cfr. Site de la Confédération des Jeunes Chercheurs (faisant référence à la charte européenne du chercheur) - http://cjc.jeunes-chercheurs.org/positions/communique-2013-01-17.pdf
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[2]
Par exemple la Revue internationale PME (RIPME) pour l’AIREPME et la Revue de l’Entrepreneuriat pour l’AEI.