Résumés
Résumé
Le paradoxe des entreprises insolvables qui contractent régulièrement de nouvelles dettes constitue la motivation principale de cette recherche. Les tests statistiques effectués sur un échantillon de 62 PMI mettent en évidence deux principaux facteurs explicatifs de ce comportement financier au Cameroun : le taux des actifs immobilisés et le capital social du dirigeant, c’est-à-dire la capacité des actifs à servir de garanties, et la possibilité qu’offrent les réseaux relationnels de contourner les normes ou d’accéder aux sources et circuits informels alternatifs de financement. Cette étude montre la coexistence au Cameroun de deux dimensions parallèles dans l’environnement des affaires. À côté du formel où le manque de confiance et de lisibilité entre les acteurs poussent les bailleurs de fonds aux excès prudentiels subsiste un univers informel où la confiance, la loyauté et la solidarité semblent constituer le socle des relations d’affaires.
Mots-clés :
- Structure financière,
- Insolvabilité ,
- Endettement PMI,
- Structure de propriété,
- Capital social
Abstract
The paradox of the insolvent enterprises contracting new debts regularly is the motivation of this research. The statistic tests done on a sample of 62 manufacturing firms show that the financial behaviour of these enterprises is mainly explained by two factors : the rate of asset immobilization and the manager’s social capital. The impact of the first factor is due to the asset capacity to serve as guarantee, and the impact of the second one is inherent to the possibility offered by the relational networks to get round norms or to reach informal circuits and alternative sources of financing. This last aspect is a beginning of answer to the insolvency and indebtedness paradox. This result denotes the co-existence of two parallel dimensions in Cameroon environment of business. Beside the formal where the lack of confidence and legibility between the actors push financial backers to excesses of prudence, subsist an informal universe where confidence, loyalty and solidarity seem to be cement of the business relationships.
Resumen
La paradoja de las empresas insolventes que contraen nuevas deudas con regularidad consituye la principal motivación de la presente investigación. Las pruebas estadísticas realizadas sobre una muestra de 62 PyMEs evidencian dos de los mayores factores explicativos de tal comportamiento financiero en Camerún : la tasa de activos inmovilizados y el capital social del dirigente, o sea la capacidad de los activos para servir como fondos de garantía, y la posibilidad que ofrecen las redes relacionales para esquivar las normas o acceder a las fuentes y a los circuitos informales alternativos de financiamiento. Este estudio muestra la coexistencia de dos dimensiones paralelas en el entorno empresarial camerunés. Junto a un marco formal donde la inseguridad y la escasa lisibilidad entre los actores favorecen los excesos prudenciales por parte de los arrendadores, subsiste un universo informal en el cual la confianza, la lealtad y la solidaridad parecen constituir la base de las relaciones empresariales.
Corps de l’article
Introduction
Au Cameroun, comme partout ailleurs en Afrique, où la grande entreprise publique n’a pas joué son rôle stratégique dans la croissance économique, les PME du secteur privé, en général, et les petites et moyennes industries (PMI), en particulier, constituent le socle de la création de valeur. Ces entreprises, qui se remettent lentement des affres de la crise économique de la décennie 1980-1990, représentent aujourd’hui une force sous-régionale[1] incontestée. Elles opèrent dans un contexte de surliquidité des banques et de rationnement des crédits aux PME-PMI. En principe, ces entreprises insolvables devraient éprouver d’énormes difficultés à contracter de nouvelles dettes ; paradoxalement, elles y parviennent, et ce, de façon régulière. Comment ces entreprises font-elles ? Quels sont les facteurs explicatifs du comportement financier de ces entreprises ? Ces interrogations évoquent, à la suite des travaux pionniers de Modigliani et Miller (1958) et des développements récents sur la structure financière des entreprises, la problématique des déterminants de la structure financière des entreprises dans un contexte aux caractéristiques particulières.
Rappelons que la littérature existante en la matière est essentiellement anglo-saxonne et occidentale. Elle porte presque exclusivement sur la grande entreprise, voire sur les sociétés cotées ; faisant ainsi des PME non cotées un champ de recherche très peu exploré. Pourtant, depuis le début du xxie siècle, un intérêt croissant pour la structure financière des entreprises s’est fait sentir. Ces travaux ont porté sur les PME pour les uns (Fathi et Gailly, 2003 ; Gellatly, Riding et Thornhill, 2003 ; Colot et Croquet, 2007a ; Janssen, 2007), sur les entreprises familiales et patrimoniales pour les autres (Poulain-Rehm, 2005 ; Colot et Croquet, 2007b) ou, enfin, et plus singulièrement, sur les entreprises industrielles (Achy et Rigar, 2005).
La phase exploratoire de cette recherche a identifié un grand nombre d’entreprises surendettées ou à structure financière sinistrée[2]. En outre, le comportement financier des entrepreneurs de ce secteur ne semble pas participer d’une stratégie de croissance, ni encore moins d’un objectif de création de valeur. Plus saisissants, mais surtout paradoxaux, les comportements financiers observés semblent déroger aux normes de l’orthodoxie financière. Ces entreprises, ainsi que bien d’autres ayant des indicateurs de solvabilité et de rentabilité défavorables, contractent en effet de nouvelles dettes. Ce paradoxe de « l’insolvabilité et de l’endettement » nous amène à nous interroger sur les facteurs qui déterminent la structure financière de ces entreprises.
1. Les déterminants de la structure financière au Cameroun
La structure financière renvoie à la composition des ressources financières de l’entreprise, au poids et à l’équilibre entre les ressources propres et les dettes. En dépit de l’hétérogénéité des approches, des contextes et de la diversité des éléments pris en compte, elle distingue les fonds propres et les dettes. Les capitaux propres représentent l’ensemble des ressources financières internes à l’entreprise, tandis que les dettes et les ressources assimilées représentent les fonds obtenus auprès des pourvoyeurs externes. Selon les normes de l’orthodoxie financière, l’entreprise doit, en fonction du coût des capitaux, de la rentabilité des investissements et de son seuil d’autonomie préféré, répartir ses ressources durables entre les dettes et les fonds propres.
Pour ce qui est de la détermination du niveau d’endettement optimal, la dynamique de la théorie financière s’oriente aujourd’hui presque vers une impasse. En effet, de Modigliani et Miller (1958) à Myers et Majluf (1984), aucune solution recette n’a été apportée à la problématique de la structure financière optimale. Dans la conclusion de la quatrième édition de leur ouvrage, Brealey et Myers (1991, p. 922) soulignent que la problématique de la structure financière optimale de capital figure parmi les 10 problèmes non encore résolus en finance. Rifki et Sadq (2001) proposent de classer les entreprises sur le marché selon un niveau d’endettement critique déterminé par les investisseurs. Les entreprises de qualité supérieure auront une capacité d’endettement supérieure au seuil fixé par les investisseurs, tandis que celles de qualité inférieure en afficheront une en dessous de ce seuil[3]. La structure financière des entreprises est ainsi fonction des « facteurs rationnels » ou des « objectifs rationnels » approuvés par les investisseurs.
De nombreuses théories (la théorie financière classique, la théorie des droits de propriété, la théorie de l’agence, la théorie de la contingence, etc.) ont mis en relief les déterminants du comportement financier des entreprises ; par exemple, les modifications de la structure financière par un accroissement des dettes ont pour effet d’accroître la valeur perçue de la firme (Ross, 1977). Ce qui revient à dire que plus la firme se signale par un endettement élevé, plus le marché lui attribue une valeur élevée. Cela se justifie, entre autres, par le fait que la banque, avant d’accorder son concours à une entreprise, procède à une analyse des activités et des flux de liquidité engendrés par cette dernière. En lien avec cette expertise du banquier, la dette signale la bonne qualité de l’entreprise (Ross, 1977).
Parmi les déterminants de la structure financière les plus récurrents dans la littérature, on peut relever : la taille et l’âge, qui sont respectivement des indicateurs de l’envergure et de la maturité de l’entreprise, le taux des actifs immobilisés, la rentabilité, le taux ou les opportunités de croissance, et le risque économique. Dans le contexte africain, il convient également de tenir compte des effets modérateurs des caractéristiques de l’entreprise et de son environnement.
1.1. Les déterminants de contexte
Il est établi dans le contexte africain qu’à côté des institutions formelles de financement il existe des sources alternatives informelles au sein desquelles la confiance, l’esprit communautaire et la solidarité se substituent aux critères classiques d’analyse de la solvabilité (Lelart, 1990 ; Brenner, Fouda et Toulouse, 1990). De même, contrairement à l’idée véhiculée dans la littérature par l’expression « choix de la structure financière », Paranque et Rivaud-Danset (1998) attirent l’attention sur le fait que la structure financière observée dans une entreprise n’est pas toujours le résultat d’un choix délibéré. Ils expliquent en effet qu’elle peut être soit une structure souhaitée par les dirigeants et donc optimale, soit une structure subie où l’endettement constitue un complément des fonds propres insuffisants pour les investissements nécessaires, soit enfin une structure contrainte traduisant le rationnement du crédit par les prêteurs[4].
Parmi les déterminants de contexte les plus récurrents dans la littérature, on peut citer la taille et l’âge, qui sont des indicateurs de la maturité de l’entreprise, et le réseau social du dirigeant. Fakhfakh et Ben Atitallah (2004) de même qu’Achy et Rigar (2005) affirment qu’une grande taille est généralement associée à un niveau d’endettement élevé. En outre, les entreprises de grande taille peuvent assumer un risque financier plus important et ont également une plus grande facilité d’accès aux marchés financiers (Colot et Croquet, 2007b). Un autre atout dont bénéficie la grande entreprise est sa capacité de diversification des activités qui lui permet de réduire la volatilité de ses cash-flows. Toutefois, le sens (positif ou négatif) de cette incidence reste encore sujet à caution. En effet, de telles divergences peuvent être expliquées par les différences de contexte d’étude et la diversité des indicateurs utilisés pour mesurer la taille. On peut, à juste titre, penser que dans un contexte de grande incertitude, comme au Cameroun, à défaut de pouvoir se fier aux indicateurs traditionnels de gestion, la taille devrait exercer un effet de leurre suffisamment convaincant pour motiver les décisions des bailleurs de fonds, l’idée sous-jacente étant que les grandes entreprises sont trop grandes pour faillir[5]. Certains auteurs (Harris et Raviv, 1991 ; Rajan et Zingale, 1995 ; Achy et Rigar, 2005) établissent une corrélation positive entre la taille et le ratio de structure financière.
Pour Gellatly, Riding et Thornhill (2003), le capital des jeunes entreprises de petite taille provient de sources internes, personnelles et d’investisseurs officieux. À mesure qu’elles croissent, elles ont besoin de capitaux supplémentaires et doivent se tourner vers des sources externes.
Pour ce qui est de l’âge, les entreprises les plus anciennes usent moins intensivement de la dette puisqu’elles sont censées avoir accumulé au cours de leur existence un montant important de fonds propres grâce à l’autofinancement. Ce postulat de la théorie financière est repris par Achy et Rigar (2005) pour expliquer l’endettement à long terme des entreprises manufacturières marocaines, et par Colot et Croquet (2007a) pour les PME belges. Toutefois, ces auteurs rappellent que ces résultats ne sont valides que lorsque la conjoncture économique est relativement stable et sur une longue période. Dans un environnement instable, les problèmes de financement sont récurrents et l’asymétrie informationnelle plus forte. Dans ces conditions, l’âge de l’entreprise, comme signal de sa maturité et de sa pérennité, devient un facteur discriminant important.
L’environnement africain est, comme partout ailleurs, source d’incertitude. L’accès aux ressources critiques qui y sont disponibles est fonction de la maîtrise et de la capacité de contrôle de ces sources d’incertitude par les entreprises. La maîtrise de la relation entreprise-environnement par des mécanismes informels de coordination semble dorénavant déterminante dans l’accès aux sources formelles et informelles de financement. En fait, dans l’observation quotidienne, l’entreprise en Afrique est un réseau intégrant les fournisseurs, les clients, les salariés et les bailleurs de fonds. Tchankam (2000) l’observait déjà dans le cas singulier des entreprises familiales. En France, par exemple, les entreprises sans réseau social sont celles qui ont le plus subi la faillite avec un taux avoisinant 50 %, selon Mustar (1995). Pour ce même auteur, celles ayant un réseau social large ont enregistré des taux de faillite presque nuls et un développement considérable.
La notion de capital social trouve ses origines dans la description des ressources relationnelles encastrées dans les réseaux sociaux (Nkakleu, 2003). Pour de nombreux auteurs, l’entreprise est un système social qui tourne autour de l’entrepreneur dont les décisions, notamment celles de financement, s’insèrent dans cet environnement social. La solidarité, l’affinité, l’amitié et l’altruisme constituent les principaux ingrédients du développement des affaires, notamment par un accès privilégié aux ressources spécifiques. Suivant l’approche sociologique[6], le capital social d’un entrepreneur est une notion qui englobe les caractéristiques de l’organisation sociale, telles que le rapport de confiance, les normes, la reconnaissance mutuelle, la possibilité d’échanges ou les réseaux, qui améliorent l’efficacité de la société en facilitant les actions coordonnées (Fopoussi, 2004).
La littérature sur les réseaux met en évidence trois dimensions qui peuvent permettre d’en mesurer l’intensité : la taille du réseau relationnel, la nature et la qualité des liens sociaux (Aydi, 2003). C’est davantage l’aspect informel des relations qui peut constituer un élément discriminant pertinent. En général, les bailleurs de fonds n’accordent de crédits qu’aux personnes en qui ils ont un minimum de confiance ou envers lesquelles ils ont un devoir psychologique ou moral. Cela suppose l’entretien de liens étroits avec des personnalités politiques haut placées, des cadres de l’administration, des dirigeants des institutions financières. L’existence d’affinités ou l’entretien de liens de fraternité avec des fournisseurs ou des clients, l’appartenance à des groupes associatifs culturels, traditionnels ou d’affaires, sont susceptibles de conférer un avantage certain dans la course aux financements (Aydi, 2003)[7].
En Afrique, le réseau social constitue la source principale, voire exclusive de financement des activités artisanales et du petit commerce (Labazee, 1995). Dans les relations financières, le capital social permet d’améliorer l’information sur le risque de l’emprunteur (Baudasse et Montalieu, 2005). Cela laisse entendre que cette relation particulière contribue à réduire les coûts d’agence de la dette puisque la relation est basée sur la confiance. D’ailleurs, il n’est pas nouveau de dire que les relations sociales entre le banquier et l’entrepreneur ont des effets positifs sur les conditions de crédit (Aydi, 2003 ; Janssen, 2007). Plus ce lien sera fort, plus les chances d’obtenir des crédits seront grandes[8]. Le réseau, comme moyen d’acquérir et de transférer des informations, de partager des connaissances et des expertises, de diffuser de l’innovation, offre également, dans le temps et dans l’espace, d’énormes possibilités d’inter-contrôle entre partenaires.
1.2. Les déterminants d’ordre économique et financier
Le xxie siècle, avec notamment la tertiarisation intensive des économies et le développement exponentiel des technologies de l’information et de la communication, a connu une dématérialisation plus importante des entreprises. La primauté de l’immatériel par rapport aux immeubles et à d’autres actifs physiques immobilisés reste donc un attribut notable de ce siècle. Mais dans un contexte de rationnement de crédit aux PME, les actifs physiques constituent une garantie incontestée pour leur propriétaire à l’égard des pourvoyeurs de fonds.
Suivant les propositions de Jensen et Meckling (1976), les coûts d’agence de la dette peuvent être réduits si l’entreprise détient une part importante de son actif sous forme d’éléments immobilisés ; de cette manière, ils constituent des garanties pour les créanciers. Par ailleurs, en situation de grande incertitude, le prêteur cherche à réduire son risque de perte en exigeant des garanties (Janssen, 2007). Le volume des éléments d’actif immobilisés sera donc un argument de poids pour les entreprises à forte intensité capitalistique qui peuvent offrir plus de garanties que les autres. L’avantage d’un tel argument est qu’il peut faire l’objet d’une constatation de visu et qu’il est par conséquent moins sensible aux habillages financiers. Une forte intensité capitalistique devrait donc aller de pair avec un niveau d’endettement plus important (Redis, 2004 ; Ziane, 2004).
Fathi et Gailly (2003), puis Ziane (2004) constatent par ailleurs une influence positive du taux de croissance de l’entreprise sur la structure financière. Ils expliquent ce résultat par le fait que les entreprises à forte croissance ont de plus en plus recours au financement externe. Cela est d’autant plus vrai que la croissance peut être source d’asphyxie financière si elle n’est pas financièrement assurée. Pourtant, une forte croissance devrait impliquer une bonne santé financière de l’entreprise, donc une grande capacité d’autofinancement. Cette explication converge avec l’incidence négative observée par Redis (2004) et Latrous (2007).
En ce qui concerne la rentabilité économique des investissements, les taux élevés supposent l’accumulation d’une quantité importante de ressources pour l’autofinancement. Il est certes vrai que, dans le cadre des théories de l’équilibre général statique, de l’agence et du signal, une incidence positive de la rentabilité sur le niveau d’endettement est conjecturée ; toutefois, le contraire a été démontré dans des travaux comme ceux de Ziane (2004) ou de Redis (2004).
Dans le même ordre d’idées, un degré élevé du risque de l’activité économique a un effet défavorable sur le potentiel d’accès à l’endettement ; par conséquent, une augmentation de la volatilité des flux attendus fait baisser l’offre de crédit (Bradley, Jarrell et Kim, 1984) puisque dans ce cas, le recouvrement de la créance devient problématique. Ainsi, quel que soit le niveau de rentabilité, un accroissement du risque implique un niveau d’endettement inférieur (Fathi et Gailly, 2003). Prise isolément, l’incidence de chacune de ces variables peut être mineure, mais leurs effets simultanés pourraient être déterminants pour l’accès aux financements.
D’une façon générale, la structure financière observée dans une entreprise est donc la résultante d’un certain nombre de variables de nature économique et financière (le taux d’immobilisation des actifs, le taux de croissance de l’entreprise, sa rentabilité économique et le niveau de risque économique que présentent ses activités).
D’autres caractéristiques propres à l’entreprise et au dirigeant peuvent, elles aussi, être déterminantes, notamment celles liées à la structure de propriété.
1.3. Les déterminants liés à la structure de propriété
La répartition des droits de propriété détermine l’équilibre des pouvoirs au sein de l’entreprise (Furuboth et Pejovich, 1974). Ainsi, le degré de diffusion de l’actionnariat, la présence d’investisseurs institutionnels ou étrangers dans le capital et le statut du dirigeant influent significativement sur la structure financière de l’entreprise.
La concentration de la propriété est un gage de l’efficacité du contrôle du dirigeant et de la gestion de la firme (Shleifer et Vishny, 1997). Dans la panoplie des mesures nécessaires pour contrecarrer les dérives managériales du dirigeant, l’endettement figure en bonne place. Cette littérature produite dans les contextes où le marché financier joue un rôle actif dans la gouvernance des entreprises semble difficile à appliquer dans le contexte des pays en développement. Qu’à cela ne tienne, par leur pouvoir, les actionnaires majoritaires influencent considérablement la politique financière de l’entreprise, en particulier le choix de sa structure du capital. Les actionnaires de contrôle sont tiraillés entre deux logiques contradictoires : utiliser plus de dettes pour limiter la dilution de leur propriété ou limiter leur utilisation pour réduire le risque de faillite (Latrous, 2007).
Au terme d’une analyse sur les contraintes d’ordre psychosocial, Makunza (2004) en arrive à la conclusion que les effets de démonstration sociale ont plus d’importance dans la fonction objectif des entrepreneurs africains. Cette primauté des besoins d’estime de soi et de privilège, ou la forte imbrication, voire la confusion entre le patrimoine social et le patrimoine personnel (Tchankam, 2000) implique qu’en matière de financement externe les entreprises privilégient la ressource qui ne dilue pas leur propriété. Dans les entreprises familiales, par exemple, les membres préfèrent très souvent sauvegarder l’indépendance financière de l’entité afin d’en conserver le contrôle (Colot et Croquet, 2007a). Il existe une relation entre le degré de concentration du capital et le niveau d’endettement des entreprises.
Dans le même ordre d’idées, la présence d’investisseurs institutionnels ou étrangers dans le capital laisse présumer un contrôle plus accentué et plus efficace limitant de fait l’opportunisme des dirigeants (Lapointe, 2000 ; Alexandre et Paquerot, 2000), fussent-ils propriétaires majoritaires. Une telle présomption favorise, naturellement, l’accès au financement par endettement. Toutefois, le risque de faillite inhérent à l’endettement et qui est soutenu par les capitaux propres fait que ces investisseurs n’accepteront pas des niveaux d’endettement injustifiés. Leur présence limite donc la propension à un endettement excessif (Romieu et Sassenou, 1996). Il est par conséquent logique d’envisager une relation significative entre la présence d’investisseurs institutionnels ou étrangers et le niveau d’endettement dans les PMI manufacturières au Cameroun.
L’intensité du conflit entre les actionnaires et le dirigeant dépend du statut de ce dernier et de la nature de la propriété. Si le comportement du dirigeant propriétaire est tel qu’étayé plus haut, celui du dirigeant salarié peut être tout autre suivant qu’il est guidé par un objectif d’enracinement ou de valorisation de son potentiel. La dette peut en effet être utilisée pour multiplier les investissements idiosyncrasiques et spécifiques qui rendront coûteuse son éviction dans le premier cas. Elle peut par ailleurs, à travers le phénomène du levier financier, favoriser une maximisation court-termiste de la création de valeur[9] dans le deuxième cas. De la sorte, les dirigeants salariés auront une forte propension à recourir à l’endettement (Charreaux et Desbrières, 1998)[10].
2. Méthodologie de la recherche
Après la procédure d’échantillonnage seront présentées la mesure des variables et les caractéristiques des entreprises de l’échantillon.
2.1. Choix de l’échantillon et collecte des données
Plusieurs étapes ont été suivies dans le choix de l’échantillon et la collecte des données. Dans un premier temps, nous avons recouru aux déclarations statistiques et fiscales (DSF) disponibles à l’Institut national de la statistique (INS). De ces DSF, nous avons collecté les données nécessaires pour mesurer la structure financière et les variables quantitatives de l’étude. Il faut noter que les DSF ne contiennent pas suffisamment d’informations sur la structure de propriété, et pratiquement pas sur le capital social des dirigeants. Pour contourner cette difficulté, nous avons utilisé concomitamment les données secondaires et les données primaires collectées par questionnaires administrés en face à face aux chefs d’entreprises de l’échantillon.
Seules les entreprises à capitaux privés majoritairement camerounais ont été retenues. Du fait de l’irrégularité dans le dépôt des DSF au Cameroun, nous avons dû éliminer les entreprises qui n’avaient pas de DSF à l’INS sur au moins trois exercices comptables consécutifs. Un premier échantillon de 96 entreprises sur la période allant de 1998 à 2002 a été constitué.
Pour localiser ces entreprises sur le terrain, nous avons eu recours au fichier de la Division des entreprises de la Direction des impôts du ministère des Finances. En outre, pour tenir compte du décalage entre la période d’enquête et les exercices comptables de référence, il a fallu s’assurer que les dirigeants actuellement en poste l’étaient aussi à la période de référence (1998-2002)[11]. Pour cela, nous avons prévu une question relative à la durée au poste du dirigeant. Lors du dépouillement, les entreprises dont l’entrée en fonction du dirigeant actuel est ultérieure à la période indiquée ont été éliminées. En définitive, notre échantillon s’est trouvé réduit à 62 PMI.
2.2. La mesure des variables
En fonction de la valeur du ratio SF, les entreprises seront classées en trois groupes : SF = 0 : entreprises non endettées ; 0 < SF ≤ 0,5 entreprises peu ou moyennement endettées ; SF < 0 ou SF > 0,5 : entreprises surendettées ou sinistrées[12]. En ce qui concerne le risque et pour une entreprise donnée, plus CVRi sera petit, moins elle est risquée.
Pour l’ensemble de ces indicateurs, nous avons procédé par une analyse en coupe instantanée sur les données moyennes de la période de l’étude.
Le score global mesurant l’intensité du capital social du dirigeant est compris entre 17 et 34. La moyenne des notes extrêmes est de 25,5. La modalité « faible » sera attribuée aux scores inférieurs à ce seuil et la modalité « forte » dans le cas contraire. Les scores partiels mesurent respectivement la taille et l’importance du réseau.
La structure du capital est appréciée à travers le pourcentage de capital détenu par les trois premiers actionnaires. S’il est supérieur à 50 %, on attribue la modalité « concentré », et « diffus » dans le cas contraire. En ce qui concerne la latitude discrétionnaire du dirigeant, elle est définie à partir du score obtenu sur les items suivants.
Chaque entreprise peut obtenir une note globale allant de 7 à 14. La moyenne des notes extrêmes est de 10,5 [(7 + 14) / 2]. Cette note mesure le « seuil de la latitude discrétionnaire du dirigeant dans la prise des décisions de financement ». Si la note est inférieure à 10,5, le dirigeant a une faible latitude. Par contre, si elle est supérieure ou égale à 10,5, le dirigeant dispose d’une grande latitude.
Les données ont été analysées sur le logiciel SPSS à l’aide notamment du tri à plat, du test du khi deux et de la régression linéaire multiple.
2.3. Caractéristiques des entreprises de l’échantillon
Au départ, nous avons défini la PMI comme toute entreprise industrielle employant entre 10 et 499 salariés. Cette description comprend les éléments les plus probants dans la compréhension de cette étude et surtout de ses résultats. Les entreprises de l’échantillon sont toutes des PMI (employant entre 10 et 300 salariés). Elles sont en majorité familiales (66,12 %)[13] et dirigées, dans la plupart des cas, soit par le propriétaire ou l’un des propriétaires, soit par un salarié ayant des affinités avec le ou les propriétaires. Tous ces dirigeants sont en poste depuis au moins 10 ans. Ce comportement d’enracinement, légitime ou non, est une caractéristique bien connue des dirigeants familiaux.
Sur le plan financier, 16 entreprises, soit 25,8 %, sont entièrement financées par des fonds propres. Dix-neuf entreprises, soit 30,6 %, sont peu ou moyennement endettées. Au total, 35 entreprises, soit 56,4 %, sont financièrement indépendantes (capitaux propres supérieurs aux dettes) contre 27, soit 43,6 %, qui sont sinistrées ou surendettées. Ce qui confirme le particularisme de l’entreprise familiale en Afrique. Réticente à l’ouverture du capital et à la dilution du pouvoir de contrôle, elle préfère conserver sa petite et moyenne taille et s’autofinancer par ses flux financiers internes ou par les ressources propres des membres de la famille et des particuliers alliés. Ce schéma de réflexion sied à l’entrepreneur prudent et rationnel, mais il se trouve qu’il existe aussi une proportion non négligeable qui adoptent des comportements peu orthodoxes et s’endettent au-delà du raisonnable. C’est le cas des 43,6 % des entreprises qui sont surendettées ou sinistrées. L’examen du ratio de solvabilité de ces entités montre qu’elles sont totalement insolvables. Pis encore, leur rentabilité des investissements est presque nulle, voire déficitaire. Pourtant, elles résistent à la crise et ont même, sur la période de l’étude, contracté de nouvelles dettes.
Ces trois types de structures financières sont observés à des proportions presque identiques sur la période de l’étude. Les résultats suivants permettent de comprendre et d’expliquer les leviers de ces comportements.
3. Résultats et implications
3.1. L’impact des facteurs économico-financiers sur la structure financière des PMI
L’équation de régression utilisée est de la forme une variable expliquée (SF) et m variables explicatives (Tc, Ti, Ri, CVri).
SF = a0 + a1tc + a2Ri + a3iCVr + a4ti + ε
a0 et ε représentent respectivement la constante de régression et le résidu aléatoire ;
aj = coefficient de régression multiple attaché à la variable j (j = 1, 2… 4).
Après avoir vérifié la multicolinéarité entre les variables explicatives, la méthode pas à pas donne les résultats qui suivent.
Avec un F de Fisher de 68,893 et une probabilité nulle, le modèle de régression est valide. Des quatre variables introduites dans le modèle, une seulement explique significativement la variation de la structure financière, à savoir le taux d’immobilisation des actifs. La valeur absolue du t de student et du bêta standardisé (0,731)[14] est très élevée et témoigne de l’importance de cette variable dans l’explication de l’évolution de la structure financière.
Cette variable est positivement et significativement corrélée au ratio de structure financière. Autrement dit, plus une entreprise détient une part importante de ses actifs sous forme d’immobilisations corporelles, plus elle est crédible. Cela est logique, car le volume des actifs immobilisés réduit les coûts d’agence de la dette et est, par ailleurs, perçu comme un bon signal par les investisseurs puisque traduisant un contexte de forte asymétrie informationnelle, un degré d’engagement et de confiance de l’entrepreneur dans son affaire. À défaut de pouvoir se fier aux seuls indicateurs classiques de solvabilité, qui sont susceptibles d’être manipulés, les créanciers accordent un intérêt capital aux garanties concrètes. Ces résultats sont conformes à ceux obtenus par Ziane (2004) et Redis (2004) dans le contexte français, Fakhfakh et Ben Atitallah (2004) pour les entreprises tunisiennes et, enfin, par Essomba (2004) qui a effectué des enquêtes auprès d’institutions financières camerounaises. Cependant, on ne devrait pas perdre de vue que la dette contractée peut être affectée au financement des immobilisations, et que l’impact ci-dessus pourrait n’être qu’une corrélation triviale.
D’une façon générale, cette variable explique 53,40 % de la variance de la structure financière, ce qui confirme son importance dans le choix de la structure financière des entreprises.
3.2. L’incidence de la structure de propriété sur la structure financière
D’emblée, il faut noter que notre échantillon est dominé par des entreprises familiales. Quarante-quatre dirigeants, soit 71 % de l’échantillon, sont des propriétaires (ou des copropriétaires) détenant la majorité des actions (entre 16 % et 100 % du capital). Parmi les 44 dirigeants, 35, soit 56,45 % de l’échantillon, sont majoritaires, détenant plus de 50 % du capital. Cela se traduit dans la prise de décision par une forte latitude discrétionnaire du dirigeant. La propriété est fortement concentrée entre les mains des trois principaux actionnaires. Ces derniers détiennent en moyenne 90 % du capital dans 93,5 % des entreprises. Les investisseurs institutionnels (établissements de crédit ou d’assurance, regroupements communautaires ou toutes autres personnes morales) sont présents dans 38,7 % des entités étudiées. Au vu de ces statistiques, nous pensons raisonnablement que la structure de propriété sera sans influence sur le comportement financier des entreprises étudiées. En effet, elles ont des attributs presque identiques pour des comportements financiers divergents.
Comme on pouvait s’y attendre, seule la participation des investisseurs institutionnels influence le comportement d’endettement des entreprises. En effet, sur 24 entreprises ayant ouvert leur capital à cette catégorie d’actionnaires, 18, soit 75 %, sont non endettées ou moyennement endettées. Sur les 38 autres, 17, soit 44,73 %, sont non endettées ou moyennement endettées contre 55,26 % surendettées. Nous pensons que cette participation limite la propension à recourir exagérément et sans fondement économique à la dette. Ces investisseurs institutionnels sont, dans la plupart des cas, représentés soit dans l’entreprise, soit au conseil d’administration par une ou plusieurs personnes physiques mandatées. Ces derniers jouent le rôle d’« éclaireur » dans l’entreprise et de relais d’information auprès de leur institution. Ils représentent également un mécanisme de contrôle et de surveillance du dirigeant.
Sans pour autant remettre en cause la justesse de notre raisonnement de départ, la relation attendue entre la structure de propriété et la structure financière n’est pas observée. Ce résultat provient de la non-hétérogénéité des structures de propriété des entreprises étudiées. Il ne serait pas exagéré de dire, dans l’ensemble, que les entreprises étudiées sont familiales. En effet, lorsqu’on s’intéresse aux personnes physiques qui participent au capital de ces entreprises, on relève que la proximité de filiation entre elles est une constante dans la quasi-totalité des cas.
Le doute n’est cependant pas levé puisque l’homogénéité des structures de propriété aurait dû aller de pair avec une homogénéité des comportements financiers.
3.3. L’impact des variables de contexte sur la structure financière des PMI
3.1.1. Les variables de maturité et d’envergure
Parmi les facteurs de contexte étudiés, la taille et l’âge sont présentés comme des indicateurs de la maturité et de l’envergure de l’entreprise. En les introduisant, isolément, dans une régression linéaire, aucun ne s’est révélé explicatif de la structure financière des PMI au Cameroun.
Cependant, en combinant dans une régression unique les facteurs économico-financiers et ces deux variables de contexte, on obtient les résultats qui suivent.
Avec un F de Fisher de 40,173 et une probabilité nulle (P = 0), cette régression est valide et explique 57,7 % de la variation de la variable expliquée. Comme le montre le tableau précédent, la taille de l’entreprise se révèle déterminante. Le taux d’immobilisation des actifs reste cependant le facteur le plus important et explique, dans cette régression, 53,4 % de la variation de la structure financière, tandis que la taille de l’entreprise, qui est amplificatrice de la baisse du niveau d’endettement (bêta standar- disé = – 0,205)[15], n’en explique que 4,3 %[16]. Cette amplification est marginale, la taille étant une variable contrôlée dans la présente recherche. Qu’à cela ne tienne, ce résultat corrobore la thèse d’auteurs tels que Bourdieu et Colin-Sédillot (1993) ou Carpentier et Suret (1999). Selon ces chercheurs, les grandes entreprises s’endettent moins puisqu’elles bénéficient d’une plus grande surface financière. Le contexte du Cameroun, avec des coûts de crédits prohibitifs, peut aussi expliquer ce résultat, tout comme (surtout) l’option de l’autofinancement des entreprises de taille plus grande.
3.1.2. Réseau relationnel du dirigeant et structure financière des PMI manufacturières
Les entreprises (56,5 %) ont un réseau relationnel de grande taille et, naturellement, les dirigeants y accordent une grande importance dans leurs décisions de financement.
Bien que le score indicatif de l’intensité du capital social du dirigeant soit la résultante de la combinaison de la taille et de l’importance du réseau relationnel, nous allons, néanmoins, les introduire dans les analyses afin d’apprécier séparément leur incidence sur les comportements financiers des entreprises.
Toutes les variables du tableau sont explicatives de la structure financière. La taille et l’importance du réseau relationnel sont significativement associées au type de structure financière. Plus la taille du réseau relationnel de l’entreprise est importante, plus celle-ci peut bénéficier de concours financiers divers indépendamment de sa surface financière de sécurité. Naturellement, l’intensité du capital social, qui est en fait l’indicateur du dynamisme du réseau social du dirigeant, l’est également. Les coefficients phi (0,674) et de contingence (0,559) s’écartant significativement de zéro, confirment cette association de forte intensité. Ce résultat corrobore la thèse développée en l’espèce par Aydi (2003) et Baudasse et Montalieu (2005) sur le rôle du capital social, comme un attribut de l’individu dans un contexte social qui peut être acquis à travers une action délibérée et transformé en gains économiques conventionnels selon la nature des connexions et des réseaux disponibles (Bourdieu, 1986).
Comme on peut le constater, dans 88,9 % des entreprises surendettées, le dirigeant a un capital social dense, contre 11,1 % qui ont un capital social de faible intensité. Seize entreprises, soit 25,8 % de l’échantillon, sont non endettées. Dans la très grande majorité (93,8 %) de ces entreprises, les dirigeants ont un capital social faible et surtout embryonnaire. Pour celles qui sont peu endettées ou qui ne le sont que moyennement, 42,1 % des dirigeants ont un réseau social de petite taille et moins intense, contre 57,9 % qui justifient d’un réseau plus important. Ces statistiques montrent que le réseau social du dirigeant joue un rôle important dans le financement de son entreprise. Ces financements sont levés, parfois de façon inconditionnelle, dans des circuits contrôlés par les membres du réseau ou par leurs alliés. Les financements peuvent être obtenus directement en numéraire, ou en nature, sous forme de marchandises ou d’actifs immobilisés. Les procédures d’obtention de ces financements peuvent être formelles ou non. À l’image des entreprises familiales, la confiance dans le sang, l’altruisme et parfois l’attachement sentimental aux affaires des partenaires constituent le socle des relations entre les membres du réseau. On peut donc comprendre que des entreprises sinistrées, présentant de mauvais indicateurs de rentabilité et de solvabilité, survivent et s’endettent davantage.
Dans ce contexte, le pouvoir occulte des réseaux relationnels contribue à la clémence ou à la défaillance des mécanismes de contrôles et de mise en faillite. Dans les réseaux, les marchandises, la monnaie et les services s’achètent et se règlent parfois sans aucune forme légale ou matérielle de preuve. Cette situation consolide les relations d’affaires entre les membres du réseau et est parfois associée au sentimentalisme et au voeu de succès collectif des membres. En fonction de son dynamisme et de ses alliés dans le réseau, l’entrepreneur ou le dirigeant propriétaire acquiert une certaine crédibilité qu’il peut capitaliser en termes de confiance, de pérennité et de solvabilité pour son entreprise. Il peut en jouir à tout moment par l’obtention des crédits « intuitu personae » accordés ou facilités par les membres du réseau, leurs organismes ou les établissements financiers qu’ils contrôlent.
Construits sur diverses bases (communauté de caste ou de religion, communauté d’origine géographique, ethnique, etc.), ces réseaux constituent de véritables lobbyings d’affaires. À l’intérieur, les clients, les fournisseurs, les bailleurs de fonds et bien d’autres partenaires s’entraident à partir de ce dont ils disposent, et unissent leurs ressources pour obtenir ce dont ils ont besoin.
Conclusion
Dans un contexte de rationnement du crédit bancaire, de forte asymétrie informationnelle, de réticence des entrepreneurs à l’ouverture du capital de leur entreprise, où l’esprit communautaire et l’attachement aux valeurs socioculturelles ont une certaine influence sur le comportement des individus, les réseaux sociaux informels ou formels sont d’une importance cruciale. Dans les PMI au Cameroun, le comportement financier des dirigeants s’explique conjointement par des facteurs économico-financiers et contextuels. En effet, la structure financière des PMI est fonction de l’intensité du capital social du dirigeant, du taux d’immobilisation des actifs et de la taille de l’entreprise.
La taille de l’entreprise comme déterminant de sa structure financière tire son importance de la forte possibilité d’autofinancement dont disposent les entités de taille plus grande. Au Cameroun, par exemple, les dirigeants des PME sont parfois très réticents à l’extension de la taille de leur entité. Cette option stratégique participe du souci de ces derniers d’avoir la mainmise sur le contrôle global de leur affaire. Une fois la taille « optimale » (taille susceptible d’être maîtrisée par le dirigeant) atteinte, le dirigeant ne s’ouvre plus à l’endettement et utilise ses ressources propres pour se financer. Parlant du volume des actifs immobilisés, ces derniers constituent, comme nous l’avons expliqué plus haut, un moyen de garantie pour l’obtention des financements auprès des bailleurs de fonds. À la question de savoir comment des entreprises sinistrées restent en activité et, de surcroît s’endettent davantage, on note que le recours aux réseaux relationnels permet aux dirigeants de contourner les normes orthodoxes et réglementaires pour collecter des fonds dans des circuits formels de financement. Les mêmes réseaux leur permettent d’échapper au rationnement du crédit bancaire en leur offrant la possibilité de se financer dans des circuits alternatifs informels. Les réseaux relationnels constituent ainsi pour les membres une source, sans doute pas rationnelle, mais qui permet néanmoins d’oxygéner les affaires des partenaires en détresse. Les études ultérieures vont s’intéresser à la rationalité des acteurs dans ces réseaux, à la possibilité de formalisation et de légalisation de ce mode d’organisation et de son fonctionnement, ainsi qu’à leur efficacité dans le processus de développement des entreprises.
Parties annexes
Annexe
La régression multiple liée aux facteurs économico-financiers
La régression multiple liée aux variables de contexte
Notes biographiques
Jules Roger Feudjo est professeur agrégé en sciences de gestion, membre de la société camerounaise des agrégés et chef de Département de comptabilité–finance de la Faculté des sciences économiques et de gestion (FSEG) à l’Université de Ngaoundéré au Cameroun. Il est membre du Laboratoire de recherche en économie et gestion des organisations (LAREGO), pôle de recherche en comptabilité et gouvernance des entreprises en Afrique (PRCGEA) de la FSEG de l’Université de Ngaoundéré. Il est auteur de plusieurs publications. Adresse : B.P. 454 Ngaoundéré – FSEG, Cameroun. Tél. : 237 77 08 53 77 ou 237 96 38 95 82.
Jean-Paul Tchankam est professeur senior à BEM – Bordeaux Management School et enseigne le management stratégique et l’entrepreneuriat. Il est membre de l’équipe de recherche sur l’entrepreneuriat et l’innovation (CREI) et membre associé du CREFF (Centre de recherche sur l’entreprise familiale (Université Montesquieu-Bordeaux IV). Adresse : Domaine de Raba, 680, cours de la Libération, 33405 Talence cédex. Tél. 33 5 56 84 22 85.
Notes
-
[1]
La production industrielle camerounaise représente 50 % du PIB des pays de la sous-région d’Afrique centrale.
-
[2]
Entreprises à capitaux propres négatifs. C’est le cas, par exemple, lorsque les reports antérieurs déficitaires finissent par absorber la totalité des capitaux propres.
-
[3]
Si cette proposition suit une certaine logique, les notions de « seuil d’endettement » et « d’entreprise de qualité supérieure ou inférieure » restent sujettes à caution.
-
[4]
Dans le contexte du Cameroun, la surliquidité des banques et le rationnement des crédits aux PME sont une réalité incontestée. Comme le note Wanda (2007, p. 94), le rapport de liquidité mesuré par le ratio (disponibilités à moins d’un mois / exigibilité à moins d’un mois) est supérieur à 100 % dans toutes les banques camerounaises et pour 31 des 33 banques de la CEMAC. Le taux moyen de crédits octroyés par les banques est de 9,19 % pour les grandes entreprises, 14 % environ pour les PME et 17,17 % pour les particuliers. Selon le même auteur, entre 2002 et 2005, moins de 0,4 % des crédits octroyés aux entreprises au Cameroun étaient de long terme.
-
[5]
Achy et Rigar (2005) utilisent l’expression « too big to fail ».
-
[6]
L’approche sociologique diffère de l’approche juridique et économique, qui fait référence aux apports en nature et en numéraires des actionnaires.
-
[7]
Cela pourrait être d’autant plus vrai qu’une boutade en passe de devenir une maxime dans le langage des Camerounais énonce que « l’homme, c’est les relations ».
-
[8]
Dans les réseaux alternatifs informels, le capital social devrait être encore plus déterminant. L’observation des pratiques commerciales au Cameroun montre de prime abord que la plupart des relations sont strictement basées sur la confiance mutuelle. Les ventes à crédit, les prêts et autres formes de crédits interentreprises ou interpersonnels y sont monnaie courante, autant de mécanismes et de sources qui permettent de contourner le rationnement du crédit réglementé.
-
[9]
Cela peut s’expliquer par le fait que les retombées positives de la dette peuvent être immédiates, surtout si elle est utilisée pour financer des actifs à court terme comme des titres de placement, alors que le risque inhérent à l’endettement ne se concrétise qu’avec un certain retard.
-
[10]
Ce raisonnement doit toutefois être nuancé car suivant les développements des mêmes auteurs, les dirigeants peuvent aussi préférer l’utilisation des capitaux propres qui leur assurent une grande latitude discrétionnaire pour la gestion des revenus et moins de contraintes en termes de résultat et d’échéance de paiement d’intérêts. La préférence pour l’augmentation des capitaux propres peut aussi participer du souci d’ouvrir le capital pour diluer le pouvoir des actionnaires de contrôle et se soustraire à leur emprise. Mais cette dernière éventualité est assez difficile à mettre en oeuvre en l’absence d’un marché financier fonctionnel comme c’est le cas au Cameroun actuellement.
-
[11]
Les enquêtes par questionnaire ont eu lieu aux mois d’août et septembre 2007. Le décalage entre les deux périodes est important et nécessite d’être pris en compte au moment de la collecte d’informations. La période 1998-2002 est, certes, assez reculée ; ce n’est que pour cette période que nous avions eu au moins trois DSF consécutives et un échantillon de grande taille. En effet, à l’occasion du passage, dans les pays membres de l’OHADA, du système comptable OCAM (1970-1999) au système OHADA et dans le cadre de la réalisation des études économiques et financières des entreprises camerounaises, une certaine pression avait été exercée sur les entreprises pour le dépôt régulier de leur DSF. Toutefois, cette discipline s’est quelque peu relâchée après 2002.
-
[12]
Le ratio négatif ou égal à l’unité correspond au cas des entreprises à structure financière sinistrée.
-
[13]
Il s’agit des entreprises appartenant entièrement soit à une seule personne, soit à une seule famille, soit majoritairement (51 % du capital) à un groupe de personnes liées par le sang.
-
[14]
Voir à l’annexe I le tableau B relatif aux coefficients de la régression.
-
[15]
Voir à l’annexe I le tableau E des coefficients de la régression multiple.
-
[16]
(0,577 – 0,534).
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