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Après avoir publié sous la même forme (belle couverture rigide) et chez le même éditeur The Entrepreneurial Society : How to Fill the Gap Between Knowledge and Innovation (cf. recension ci-dessus), Jean Bonnet récidive cette fois en compagnie de collègues belges et espagnols en présentant à nouveau une oeuvre collective partagée en quatre parties. Cependant, si avec l’ouvrage précédent les Français étaient les plus nombreux à se partager l’ensemble des contributions, ils ont cette fois laissé place aux Espagnols qui, au nombre de 14, semblent s’être donné le mot pour proposer à leurs dirigeants politiques des idées dont le pays de Cervantes a terriblement besoin avec son taux de chômage de 25 % (50 % chez les moins de 25 ans) au moment d’écrire ces lignes. Tous de l’Université de Caen, les six auteurs français se font aussi nombreux que leurs collègues portugais au sein des 41 auteurs qui ont collaboré au présent ouvrage. Parmi les autres collaborateurs se trouvent des Belges, des Argentins, des Mexicains, un Anglais et un Autrichien, aucun Nord-Américain n’ayant répondu à l’appel lancé par les responsables de cette édition. Ces derniers méritent ici une attention particulière de même que quelques auteurs familiers aux lecteurs de la RIPME.
Comme cet ouvrage insiste moins sur l’aspect quantitatif que le précédent, les partisans de l’approche qualitative y trouveront leur compte. En fait, les auteurs, en fondant leurs analyses sur une revue de la littérature rigoureuse, ont fait appel aux approches classiques en effectuant des enquêtes impliquant de nombreux répondants ou en recourant aux banques de données nationales pour les analyser suivant les règles de l’art, ou encore, comme le préfère l’auteur de ces lignes, en effectuant in situ des entrevues semi-dirigées auprès de représentants d’entreprises. De toute évidence, plusieurs contributions sont du niveau des articles publiés par la RIPME, ce qui donne une idée de la qualité de l’ouvrage.
Par ailleurs, en voulant trop imiter l’ouvrage précédent, les responsables de l’édition ont dû avoir bien du mal à répartir les diverses contributions en quatre parties sous un chapeau donné. Ne pas les partager en présentant les textes à la suite au hasard aurait peut-être mieux valu étant donné l’hétérogénéité des contributions. Une suggestion pour le prochain ouvrage puisque, comme le veut l’adage, jamais deux sans trois.
Une première partie intitulée « Entrepreneurial motives, education and performance » met l’accent sur la relation entre le capital humain et l’entrepreneuriat en prenant en compte le système éducatif. J. Bonnet, T. Brau et A. Madrid-Guijarro abordent la problématique de la firme innovante en évoquant le paradoxe européen identifié par Audretsh : de grands efforts en investissements dans le monde de la connaissance qui donnent peu de résultats en termes de croissance et d’emploi. Oui, pauvre Europe, dont la situation, depuis la crise financière de 2007-2008, se trouve dans un état indéniablement plus grave que celui qui a suivi le deuxième choc pétrolier au début des années 1980. Pour y voir plus clair, les auteurs ont procédé à une enquête (entretiens semi-structurés) auprès de 45 entreprises de création récente en Normandie et en Île-de-France et oeuvrant dans les technologies de l’information et dans le domaine des technologies industrielles. Ils ont pu ainsi, entre autres, percevoir le type de personnes intéressées par un changement radical dans leur parcours professionnel et susceptibles d’être attirées par les possibilités offertes par les firmes innovantes.
La deuxième partie « Entrepreneurial sustainability and innovation » comprend cinq chapitres dont seul le premier « Does innovation contribute to sustainability or not ? » correspond effectivement au sujet annoncé. Ce qui ne signifie pas une absence d’intérêt des contributions ici regroupées comme en fait foi celle de Mathilde Aubry, qui comblera d’aise les lecteurs que n’indisposent pas les systèmes d’équations particulièrement sophistiqués. Dans ce chapitre purement théorique, ils trouveront un modèle aux apparences plutôt simples suivant que l’innovation est un succès ou, au contraire, un échec. L’auteure analyse les motivations susceptibles de conduire à la coopération et à l’innovation de deux entreprises (fictives) verticalement rattachées.
La troisième partie « Entrepreneurship, finance and crisis » se veut d’une grande actualité en cette période où les PME européennes doivent galérer en eaux troubles pour trouver des sources de financement. Dans leur contribution, J. Bonnet, S. Cieply et M. Dejardin s’interrogent sur la place qu’occupe la dimension régionale dans le financement à la création d’entreprise. Devant les difficultés que pose le financement des initiatives de création, au lieu de blâmer les institutions en place, les auteurs font observer que bien souvent les contraintes viennent des entreprises elles-mêmes, faute de bien anticiper leurs besoins. Pis encore, elles manifesteraient parfois la crainte de s’adresser à leur banque, contrairement à ce que les pages économiques des quotidiens laissent entendre par de nombreux témoignages qui donnent le mauvais rôle aux institutions financières parfois sauvées par l’État.
Le chapitre « The entrepreneurial experience of small and medium sized firms in time of crisis : empirical evidence from Calalonia, Spain », qui aurait pu se retrouver dans la dernière partie, intéressera les lecteurs non indifférents au courant autonomiste qui règne en Calalogne à la suite de l’aggravation de la crise qui perdure. En effet, ici, pour les trois auteurs catalans, il s’agit de montrer – sans faire de politique – comment les entrepreneurs perçoivent la crise et comment ils réagissent en conséquence. On signale que les PME contribuent à 29,6 % de la création d’emplois dans l’ensemble de l’Espagne. On se serait attendu à bien davantage… Mais, pour les auteurs, on doit en dégager que les PME constituent le moteur de l’économie espagnole. Croyons-les malgré la place qui doit revenir aux activités qui contribuent au 70,4 % restant. En s’appuyant sur une revue de littérature familière à de nombreux lecteurs, on signale que les PME parviennent à mieux s’en tirer en temps de crise étant donné leur flexibilité et leur plus grande facilité d’adaptation au changement. Cela, tout en signalant que la littérature ne manque pas de relever le désavantage que représente pour les PME la faiblesse de leurs avantages comparatifs occasionnée par l’absence d’économies d’échelle. Hé oui, c’est bien connu, on a toujours « d’une part et d’autre part », toute médaille ayant son revers. La recherche de nos collègues catalans a pris son appui sur le paradigme épistémologiste interprétatif que plusieurs d’entre nous chérissons en l’appliquant à des groupes de discussion ou focus groups réunissant entre 17 et 30 représentants de PME. Ne restait, bien sûr, qu’à recourir au logiciel NVivo pour analyser les entrevues effectuées. Crise ou pas, là comme ailleurs, les répondants se sont plaints d’un excès de réglementation donnant lieu à l’exécrable paperasserie (red paper). Ce à quoi s’ajoutent les récriminations tout aussi familières sous d’autres cieux, même en contexte de prospérité, à savoir l’augmentation des exigences fiscales, l’absence de travailleurs qualifiés, l’arrivée d’une concurrence non traditionnelle non identifiée (chinoise ?), les déficiences en infrastructures, etc.
Enfin, la quatrième partie « Entrepreneurship and regulation » permet à Amélie Jacquemin et à Frank Jansen d’offrir le seul chapitre s’y rapportant vraiment en s’interrogeant sur ce que fait l’entrepreneur au lieu de chercher à savoir qui il est. Mais puisqu’il est question ici de réglementation, nos collègues belges prennent soin de définir ce dont il s’agit, en donnant l’exemple de lois touchant la fiscalité ou l’environnement. Dans une section sur les études d’impacts des réglementations, on aborde différentes approches que dégage la littérature selon qu’elles font appel à des études de corrélations ou à des études explicatives. Et on termine par des propositions de recherche. Parmi ces dernières, nos amis insistent sur l’information se rapportant aux opportunités entrepreneuriales. Évidemment, ici, il s’agit d’abord d’informations concernant les réglementations pouvant affecter toute initiative entrepreneuriale. Ainsi, les informations issues des réseaux sociaux (rien à voir avec Facebook et Twitter) comprenant des avocats, des comptables et des représentants publics sont incontestablement d’un précieux apport.
Le chapitre 19 « Understanding the entrepreneurial society » ferme la marche. Les trois responsables du volume y soulignent la nécessité pour les Européens (pourquoi eux en particulier ?) de favoriser un climat favorable à l’entrepreneuriat en éliminant tout ce qui lui fait obstacle. Beau programme ! On donne l’exemple du pays de l’Oncle Sam où, depuis longtemps, on fait place à la promotion d’une culture entrepreneuriale aux plus hauts échelons du système éducatif. Mais, comme les besoins peuvent varier d’une région à l’autre, certaines étant plus entrepreneuriales que d’autres – les Québécois connaissent le mythe de leur Beauce –, il convient d’y adapter les interventions en conséquence.
Ne reste qu’à attendre le prochain « Bonnet[1] » en espérant, cette fois, que certains Nord-Américains ne demeureront pas sourds à l’appel.
Parties annexes
Note
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[1]
Qui ne devrait pas être bonnet blanc, blanc bonnet, pour reprendre l’expression de l’ineffable Jacques Duclos.