L’entrepreneuriat fourmille chaque mois de livraisons variées où le livre de recettes tient, il faut bien le reconnaître, une place prépondérante. Pourtant, à peu près tous les experts en pédagogie s’accordent pour dire que l’entrepreneuriat implique un subtil équilibre entre pédagogie active et connaissance théorique. L’entrepreneur (dans toutes ses variantes, dont l’« intrapreneur ») est sans doute au plus près de la figure du praticien réflexif de Donald Schön. Difficulté supplémentaire, on a affaire à un champ relativement jeune où cette connaissance demeure à un stade qu’on pourrait qualifier de préparadigmatique ou en voie d’unification. Dès lors produire en l’espèce un ouvrage à vocation pédagogique relève du défi : éviter le double écueil d’un académisme excessif et de prescriptions universelles décontextualisées. On sait également la difficulté de traduire une connaissance foisonnante, en train de se faire, en un objet didactique censé faire état d’une connaissance provisoirement stabilisée. Disons-le d’emblée, Karim Messeghem et Sylvie Sammut relèvent ce défi et proposent un ouvrage de premier plan pour toute personne qui souhaiterait accéder aux fondamentaux de l’entrepreneuriat : praticien, étudiant ou enseignant. Parce que les auteurs sont parvenus à intégrer un ensemble de connaissances dispersées en un tout cohérent en choisissant de s’appuyer sur le paradigme de l’opportunité pour structurer l’ouvrage. Parce qu’ils prennent le soin de nuancer la présentation des différents modèles ou théories – classiques et contemporains – en adoptant le plus souvent un point de vue relatif et en partie critique. À cela s’ajoutent la clarté du style, des résumés qui jalonnent chaque chapitre ainsi que de nombreuses illustrations concrètes. La structure générale de l’ouvrage est empruntée à la proposition de modélisation du phénomène entrepreneurial de William Gartner (ou en constitue une adaptation) et retient donc les quatre points suivants : les figures de l’entrepreneur, la décision entrepreneuriale, le processus entrepreneurial et l’organisation ; les auteurs soulignent ainsi l’importance de considérer le tout comme un système dont les parties interagissent. L’introduction pose le cadre. Elle présente la montée en puissance des enjeux autour de l’entrepreneuriat : enjeux professionnels, de formation, en termes de politique publique, de recherche. La multiplicité de ces parties prenantes montrerait l’émergence d’une société entrepreneuriale. Les différentes formes d’entrepreneuriat (autant innovant, institutionnel, social que mafieux) sont recensées après un bref rappel des fondements. Les auteurs proposent une définition de l’entrepreneuriat, qui serait un « processus de recherche, d’évaluation et d’exploitation d’opportunités, effectué par un entrepreneur ou une équipe entrepreneuriale qui, dans le cadre d’une création, d’une reprise ou d’un développement d’activités, développe une organisation mettant en oeuvre une vision stratégique, et contribuant à créer de la valeur » (p. 24). Le paradigme de l’opportunité constitue donc le fil conducteur de la pensée entrepreneuriale et les chapitres qui suivent renvoient chacun à une ou plusieurs écoles de l’opportunité, parfois en contradiction. Le premier chapitre tente de montrer la variété des facettes de l’entrepreneur qui en fait au total la singularité. Messeghem et Sammut retracent la généalogie économique du « concept » d’entrepreneur – des écoles variées, contradictoires –, ce qui permet de détacher quelques caractéristiques en termes d’innovation, de prise de risque et de proactivité. Le chapitre pose ensuite de manière claire et nuancée le débat lancinant et finalement « stérile » entre l’approche par les traits et l’école du comportement. Après avoir décortiqué quelques typologies qui s’accommodent difficilement de la « forêt des particuliers » (pour reprendre l’expression d’Hélène Vérin) de l’entrepreneuriat, il propose un entrepreneur « multifacette » et met de l’avant l’importance de considérer la dialogique « individu / projet » afin de mieux l’appréhender. Les auteurs concluent par l’identification des compétences entrepreneuriales en précisant …
Parties annexes
Bibliographie
- Armstrong, P. (2005), Critique of Entrepreneurship : People and Policy, Londres, Palgrave-Macmillan.
- Fayolle, A. et W. Nakara (2012) (à paraître), « Création par nécessité et précarité : la face cachée de l’entrepreneuriat », Revue Économies et Sociétés Série KC « Études critiques en Management ».
- Jones, C et A. Spicer (2009), Unmasking the Entrepreneur, Cheltenham, Edward Elgar.
- Kamm, J.B., J.C. Shuman, J.A. Seeger et A. Nurick (1990), « Entrepreneurial teams in new venture creation : a research agenda », Entrepreneurship Theory and Practice, vol. 14, no 4, p. 7-17.
- Pereira, B. et A. Fayolle (2012), « L’encouragement à l’auto-entrepreneuriat est-il une bonne politique publique pour l’esprit d’entreprendre et la création d’entreprises ? », Gérer et comprendre, mars, n°107, p. 52-62.
- Schmitt, C. et F. Janssen (2011), « L’entrepreneur, héros des temps modernes ? Pour une analyse critique de l’entrepreneuriat », dans L. Taskin et M. de Nanteuil (dir.), Perspectives critiques en management pour une gestion citoyenne, De Boeck, p. 163-184.
- Shane, S. (2008), The Illusions of Entrepreneurship, New Haven, Yale University Press.
- Shane, S. (2009), « Why encouraging more people to become entrepreneurs is bad public policy », Small Business Economics, vol. 33, p.141-149.
- Tremblay, M. et C. Carrier (2006), « Développement de la recherche sur l’identification collective d’opportunités d’affaires : assises et perspectives », Revue de l’Entrepreneuriat, vol. 5, no 2, p. 69-88.