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Introduction

Les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont, depuis le début des années 1990, un secteur en forte croissance dans de nombreux pays européens. Il est aujourd’hui communément admis que les TIC sont des facteurs stratégiques améliorant la compétitivité d’un pays (Souter, 2004). Même l’explosion de « la bulle Internet » en 2000 n’a pas affecté cette tendance générale. En France, en 2004, l’INSEE a constaté un nombre toujours croissant d’entreprises dans le secteur des TIC (Rieg, 2004) et la contribution des TIC au PIB a été évaluée à 5 % (IDATE, 2004). La France reste particulièrement dynamique, puisque le secteur des TIC figure parmi les secteurs les plus entrepreneuriaux en termes de nombre de création d’entreprises (Meri, 2007).

Sur le plan de la recherche, l’entrepreneuriat TIC est le plus souvent inclus dans un cadre plus large qui est celui de l’entrepreneuriat de haute technologie (Roberts, 1991). Des travaux de plus en plus nombreux étudient ce type d’entrepreneuriat dans toutes ses dimensions (Siegel, 2006). Toutefois, si certains secteurs de haute technologie, comme celui des biotechnologies, sont très étudiés, les recherches centrées spécifiquement sur les firmes et les entrepreneurs TIC restent peu nombreuses (Lasch, Le Roy et Yami, 2005a, 2005b).

Le profil de l’entrepreneur TIC est ainsi l’objet de peu de recherche et reste encore mal connu. Certaines « success story », comme celles de Bill Gates ou de Steve Jobs, conduisent à se représenter cet entrepreneur TIC, au moment de la création de l’entreprise, comme un jeune ingénieur, qui vient de terminer ses études et qui est en train de mettre au point une nouvelle technologie dont la vocation est de devenir un nouveau standard mondial. Est-ce bien le profil unique de l’entrepreneur TIC ? Au contraire, peut-on identifier des types d’entrepreneurs TIC différents les uns des autres et qui s’éloignent de ce profil médiatique ?

Cette question est d’importance notamment pour les politiques publiques d’accompagnement à la création d’entreprises TIC. Ces structures doivent-elles concevoir leur accompagnement en fonction d’un profil type unique ? Au contraire, doivent-elles s’attendre à des profils très contrastés et prévoir ainsi des accompagnements différenciés et adaptés à chaque profil ?

L’objectif de cette recherche est donc de déterminer s’il est possible d’identifier des profils d’entrepreneurs TIC significativement différents les uns des autres. À cette fin, une base de données française construite par l’INSEE et nommée « Enquête SINE » est utilisée. Un travail statistique sur un échantillon comprenant 469 entreprises TIC françaises permet de relever quatre types d’entrepreneur dénommés « cadre d’expérience », « jeune diplômé », « prévoyant » et « risque-tout ». Cette typologie apparaît comme différente des typologies antérieures et, donc, spécifique à l’entrepreneuriat TIC.

1. Fondements théoriques

1.1. Les typologies d’entrepreneurs

Pour Ucbasaran, Westhead et Wright (2001), les entrepreneurs ne constituent pas une entité homogène et il est nécessaire d’élaborer des typologies pour mettre en évidence leurs différences. Dans cette perspective, de nombreux auteurs se sont attachés à discerner les caractéristiques des entrepreneurs et la problématique de définition d’un profil d’entrepreneur a été l’un des principaux axes de recherche de l’entrepreneuriat. Dès 1967, Smith différencie les entrepreneurs « artisans » des entrepreneurs « opportunistes », tandis que Collins et Moore (1970) distinguent les entrepreneurs « administratifs » des entrepreneurs « indépendants ».

Ces premiers travaux sur les typologies d’entrepreneurs sont fondateurs et seront rapidement enrichis. Laufer (1975) a, par exemple, établi une typologie d’entrepreneurs au sein de laquelle quatre catégories sont relevées : le « manager », « l’entrepreneur orienté vers la croissance », « l’entrepreneur orienté vers l’efficacité » et « l’artisan ».

Miles et al. (1978) définissent une typologie différente en mettant en évidence l’existence de quatre types d’entrepreneur : les « prospectors », les « defenders », les « analysers » et les « reactors ». Établie à partir d’études dans différents secteurs d’activité comme l’édition, l’électronique, la transformation d’aliments et le milieu hospitalier, cette typologie est fondée sur les comportements stratégiques des entrepreneurs. Miles et al. (1978) montrent à quel point l’innovation est cruciale pour les entrepreneurs puisqu’elle apparaît dans les quatre types.

Les « prospectors » sont des opportunistes qui scrutent leur environnement et qui sont agressifs afin de maximiser les gains de leur présence sur les marchés. À l’inverse, les « defenders » sont plus conservateurs et réfléchis. Ils interviennent dans des secteurs plus stables et n’hésitent pas à prendre le temps nécessaire à la décision. Les « analysers », du fait de leur présence dans des domaines d’activité diversifiés, pratiquent la planification et agissent tantôt comme des « defenders », tantôt comme des « prospectors ». Enfin, les « reactors » n’ont pas de stratégie spécifique et sont plutôt passifs. Ils réagissent généralement défensivement aux opportunités et aux menaces.

Julien et Marchesnay (1988, 1992, 1996) proposent une classification considérée comme majeure au sein de l’entrepreneuriat francophone en se fondant sur le classement hiérarchique des aspirations de l’entrepreneur à l’égard de son entreprise. Ces auteurs distinguent les entrepreneurs « PIC » qui ont, dans l’ordre, des aspirations à la pérennité, à l’indépendance et à la croissance, des entrepreneurs « CAP » qui ont, dans l’ordre, des aspirations à la croissance, à l’autonomie et à la pérennité. L’entrepreneur PIC aura toujours à coeur de protéger la pérennité de l’entreprise, sera réticent à l’entrée d’investisseurs au sein du capital de son entreprise et ne poursuivra pas à n’importe quel prix la croissance. L’entrepreneur CAP, quant à lui, est présenté comme plus opportuniste. Il sera plus à même de « faire des coups » pour rechercher un profit élevé et rapide malgré les risques liés à ce comportement. Toutefois, il souhaite conserver son autonomie managériale. Cette vision, comme la plupart des typologies d’entrepreneurs, est bien évidemment caricaturale. On ne retrouvera que dans de rares exceptions les profils qui correspondent exactement à ceux décrits dans les typologies.

Lafuente et Salas (1989) établissent une typologie dans laquelle ils distinguent « l’artisan », « l’entrepreneur orienté vers le risque », « l’entrepreneur orienté vers la famille » et le « manager ». Miner (1990, 1997) a également distingué « l’entrepreneur », le « manager » et « l’entrepreneur à forte croissance », tandis que Filion (1997) a différencié les « opérateurs » des « visionnaires ».

Ces multiples points de vue montrent qu’il existe plusieurs typologies d’entrepreneurs. Ces typologies diffèrent souvent en fonction du secteur, mais aussi en fonction de la manière dont on définit l’entrepreneur lui-même. Par exemple, Marchesnay (1998) complète son modèle du PIC et du CAP en introduisant de nouveaux types d’entrepreneurs : les « isolés », les « nomades », les « notables » et les « entreprenants ».

Plus récemment, Vega et Kidwell (2007) ont proposé une typologie d’entrepreneurs qui s’appuie simultanément sur la conduite entrepreneuriale et sur les bénéfices attendus de l’expérience entrepreneuriale. Ils ont alors identifié les « incubateurs » et les « bienfaiteurs », d’un côté, et les « entreprenants » et « intéressés » de l’autre. Enfin, Jaouen (2008) définit une typologie dans laquelle elle distingue les entrepreneurs « carriéristes », « hédonistes », « paternalistes » et « alimentaires ».

Tableau 1

Les typologies d’entrepreneurs

Auteurs

Années

Nombre de types

Typologies

Smith

1967

2

Entrepreneur artisan et entrepreneur opportuniste

Collins et Moore

1970

2

Entrepreneur administratif et entrepreneur indépendant

Laufer

1975

4

Manager, entrepreneur orienté vers la croissance, entrepreneur orienté vers l’efficacité et artisan

Miles et al.

1978

4

Prospector, defender, analyser, reactor

Julien et Marchesnay

1988, 1992 et 1996

2

PIC et CAP

Lafuente et Salas

1989

4

Artisan, orienté vers le risque, orienté vers la famille, managérial

Miner

1990 et 1997

4

Personal achiever, real manager, expert idea generator, super sales person

Filion

1997

2

Opérateur, visionnaire

Vega et Kidwell

2007

4

Incubateur, entreprenant, bienfaiteur, intéressé

Jaouen

2008

4

Carriériste, hédoniste, paternaliste, alimentaire

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La multiplicité des résultats obtenus sur les typologies conduit à ne plus tenter d’identifier des typologies « générales » d’entrepreneurs. Dans les développements les plus récents, les recherches tentent de plus en plus d’établir des typologies d’entrepreneurs relatives à un secteur déterminé. Nous nous inscrivons clairement dans ce courant en abordant le cas des entrepreneurs dans les TIC.

1.2. L’entrepreneur TIC : homo incognitus ?

Rares sont les travaux qui traitent des entrepreneurs dans les industries de haute technologie et encore moins dans les TIC. Parmi ces quelques travaux, Marvel et al. (2007) ont étudié l’expérience, l’éducation et les connaissances originales en matière de technologie des entrepreneurs high-tech. Ces auteurs considèrent que le capital humain et le capital spécifique, notamment l’éducation et la connaissance de la technologie, sont deux atouts cruciaux concernant l’innovation. Marvel et al. (2007) concluent que le capital humain des « entrepreneurs technologiques » leur confère des avantages uniques. De la même façon, Wright et al. (2007) montrent l’influence positive des caractéristiques du capital humain sur la réussite de l’entrepreneuriat technologique.

Plusieurs facteurs expliquent le fait qu’il y ait si peu de recherches sur l’entrepreneuriat TIC. D’abord, définir le secteur et identifier les entreprises et, donc, les entrepreneurs, qui le composent constitue déjà un grand défi. En effet, dans les classifications officielles, les activités dans les TIC sont largement dispersées en sous-sections d’autres secteurs. Ensuite, les firmes adaptent sans cesse leurs produits pour les faire évoluer avec le marché. Cela réduit, de fait, les possibilités de regrouper dans la durée les activités des entreprises au sein de classifications spécifiques.

Dans la classification de l’industrie à partir de l’ISIC (International Standard Industrial Classification), le niveau d’analyse constitué de quatre chiffres (pour l’Union européenne : Statistical Classification of Economic Activities, NACE, Rev. 1) est marqué par une grande hétérogénéité. En prenant l’exemple de la France, la comparaison des données publiées par les différentes institutions qui produisent des statistiques publiques montre de grandes différences quant au nombre de firmes et d’emplois dans les TIC : de 56 000 à 99 800 entreprises pour 705 000 à presque un million d’employés (Cases, Favre et François, 1999 ; Heitzmann et Rouquette, 1999 ; INSEE, 2000/2001 ; Lombard et Roussel, 2001).

Un deuxième facteur explicatif du faible nombre de recherches sur l’entrepreneuriat TIC réside dans le fait que les entreprises high-tech sont rarement similaires et que de grosses différences existent entre les subdivisions de la classification standard. Par exemple, ce sont les services qui sont le principal moteur de cette croissance et, particulièrement, les services liés à l’informatique, tandis que d’autres subdivisions, comme l’industrie TIC, y contribuent plus modestement. Cette hétérogénéité est également marquée par des différences très fortes en matière de taille moyenne des firmes.

Dans une troisième explication, dans de nombreux pays, la disponibilité de données s’avère limitée et constitue un obstacle majeur (Chandler et Lyon, 2001). Cette difficulté peut alors expliquer l’hétérogénéité des recherches et des résultats constatés dans la littérature.

Enfin, il est primordial de préciser que les résultats issus de la recherche et un corpus littéraire significatif apparaissent généralement avec un certain temps de retard par rapport à l’apparition de l’objet de recherche. Cela est particulièrement vérifié à propos des secteurs émergents. De manière générale, le défi posé par la définition d’un secteur émergent et structurellement hétérogène, comme peut l’être celui du secteur des TIC, s’inscrit dans la durée, surtout si l’on considère le temps de mesure et de collecte des données, ainsi que le laps de temps qui existe entre la conduite des recherches et leur publication. Cet état de fait aboutit alors à une connaissance insuffisante des spécificités des entrepreneurs dans le secteur des TIC.

1.3. Les variables discriminantes des typologies

Afin de construire une typologie des entrepreneurs TIC, il convient de relever les variables discriminantes utilisées dans la littérature. Les cinq variables les plus discriminantes, tant dans la littérature théorique que dans les études empiriques, sont les suivantes : le capital humain général (Brüderl, Preisendörfer et Ziegler, 1992 ; Cooper, Gimeno-Gascon et Woo, 1994 ; Marvel, 2007 ; Thompson, 2007 ; Wiklund et Shepherd, 2001 ; Wright et al., 2007), l’expérience de l’entrepreneur (Agarwal et al., 2004 ; Filion, 1997 ; Schutjens et Wever, 2000), les activités préparatrices à la création (Brüderl, Preisendörfer et Ziegler, 1992 ; Castrogiovanni, 1996 ; Hansen, 1995 ; Lussier et Pfeifer, 2000), la motivation de l’entrepreneur (Laufer, 1975 ; Lumpkin et Dess, 1996 ; Miles et al., 1978 ; Miner, 1990 ; Sternberg, 2004 ; Wicklund, 1999) et son implantation géographique (Lasch, Le Roy et Yami, 2005a ; Kangasharju, 2000 ; Marchesnay, 1998 ; Tödtling et Wanzenböck, 2003). Nous avons donc décidé d’utiliser ces cinq variables pour tenter de construire une typologie des entrepreneurs dans les TIC.

Le capital humain général est composé de variables comme l’âge, le sexe, la nationalité et la situation professionnelle du créateur avant de débuter son activité (Brüderl, Preisendörfer et Ziegler, 1992 ; Cooper, Gimeno-Gascon et Woo, 1994 ; Marvel et al., 2007 ; Wiklund et Shepherd, 2001 ; Wright et al., 2007). Ces caractéristiques de l’entrepreneur ont été très fréquemment utilisées par les auteurs des typologies existantes. Par exemple, dès les années 1960, Smith (1967) considère le niveau d’éducation et l’âge comme des déterminants importants des types d’entrepreneurs. De même, le genre et la nationalité sont aujourd’hui au coeur des développements les plus récents qui analysent, par exemple, le rôle de l’entrepreneuriat féminin ou, encore, les caractéristiques des entrepreneurs d’un même pays.

L’expérience de l’entrepreneur est également une variable très fréquemment retenue (Agarwal et al., 2004 ; Filion, 1997 ; Schutjens et Wever, 2000). Elle regroupe la qualification de l’entrepreneur (Cooper, Gimeno-Gascon et Woo, 1994), ses expériences professionnelles antérieures (Brüderl, Preisendörfer et Ziegler, 1992), son expérience dans la branche d’activité au sein de laquelle il crée (Praag, 2003) et son passé entrepreneurial (Cooper, Gimeno-Gascon et Woo, 1994). L’enjeu lié à cette variable consiste à mettre en évidence le passé de l’entrepreneur et à le mettre en relation avec la réussite de l’entreprise. Savoir si un entrepreneur expérimenté a plus de chance de réussite que les autres est une question cruciale, notamment pour les financeurs et les pouvoirs publics.

Les activités préparatrices à la création sont également déterminantes (Brüderl, Preisendörfer et Ziegler, 1992 ; Castrogiovanni, 1996 ; Hansen, 1995 ; Lussier et Pfeifer, 2000). Elles concernent toutes les démarches entreprises par le créateur afin de se lancer dans son projet. Que celui-ci réalise des études techniques ou financières, qu’il se fasse conseiller, qu’il se forme ou qu’il débute, le fait de se préparer semble être une des étapes nécessaires, voire indispensables, à sa réussite.

La motivation de l’entrepreneur apparaît comme une variable majeure dans la littérature entrepreneuriale. Smith (1967) et Lafuente et Salas (1989) se sont, par exemple, fondés sur l’engagement personnel du créateur pour construire leur typologie. Nombreux sont les auteurs qui ont adopté une vision sociologique de l’entrepreneur, en analysant, souvent à l’aide de concepts proches de la pyramide de hiérarchisation des besoins de Maslow, les besoins ressentis par les créateurs dans le cadre de leur projet entrepreneurial (Laufer, 1975 ; Lumpkin et Dess, 1996 ; Miles et al., 1978 ; Miner, 1990 ; Sternberg, 2004 ; Wicklund, 1999). Les besoins de réalisation de soi ou de reconnaissance, par exemple, ont souvent été utilisés pour construire les typologies que nous avons citées.

Enfin, l’implantation territoriale apparaît aujourd’hui comme une variable incontournable pour appréhender l’entrepreneur (Kangasharju, 2000 ; Marchesnay, 1998 ; Tödtling et Wanzenböck, 2003). Celui-ci, souvent fortement ancré à son territoire, semble réellement lié à la dynamique de création d’entreprises de la zone dans laquelle il s’implante.

2. Méthode

2.1. Définition du secteur TIC

La définition du secteur TIC est fondée sur la NAF 700. Trouver une délimitation commune de ce secteur reste un problème très important. Toutefois, il existe quelques délimitations standards utilisées comme référence en recherche, par exemple la classification de l’OCDE (MEFI et SESSI, 2001).

La définition que nous utilisons (cf. annexe I) est similaire à celle qui est majoritairement utilisée dans les publications les plus récentes en France (Lasch, 2003 ; Lasch, Le Roy et Yami, 2004, 2005a, 2005b). Elle exclut le secteur national des télécommunications (France Télécom), les industries aéronautiques et spatiales, ainsi que les industries pharmaceutiques. Les entreprises qui exercent des activités dans ces secteurs, qui sont fondamentalement de contenu TIC, ne sont pas prises en compte, essentiellement parce que les classifications françaises ne permettent pas de distinction claire entre leurs activités TIC et leurs autres activités.

Conformément à cette définition, le secteur TIC est composé de trois branches principales : la haute technologie industrielle, les services TIC (services informatiques/logiciels et télécommunications, R-D non universitaire) et les autres services à forte intensité de connaissances (études techniques, analyses, tests et inspections).

La définition du champ TIC retenue dans cette recherche regroupe 20 sous-secteurs avec 87 200 établissements et 710 000 emplois au 1er janvier 2002 en France métropolitaine (voir annexe II). Leur part dans le stock global (tous les établissements ICS) est de 3,2 % (5,0 % pour l’emploi).

2.2. La base de données

L’étude empirique est fondée sur l’utilisation d’une base de données française construite par l’INSEE nommée « Enquête SINE ». Les données utilisées correspondent à des cohortes de firmes nouvellement créées depuis 1994. Une entreprise sur cinq a été observée durant cinq ans, ce qui correspond en moyenne à trois vagues de questionnaires. Nous utiliserons volontairement la première vague afin d’observer les caractéristiques principales des entrepreneurs lors de la phase d’émergence du secteur TIC. Dans cette base sont disponibles les questionnaires de 24 191 entreprises, tous secteurs confondus. Nous focaliserons notre analyse sur le secteur TIC, soit sur 469 entreprises.

2.3. Mesures des variables

Les variables utilisées sont celles de la base SINE (cf. tableau 2).

Tableau 2

Variables caractéristiques des entrepreneurs

Caractéristiques générales

Variables

Capital humain général

Âge

Sexe

Niveau d’étude

Nationalité

Activité préalable à la création

Expérience

Exemple entrepreneurial

Qualification passée du créateur

Activité précédente de l’entrepreneur

Expérience entrepreneuriale (nombre d’entreprises déjà créées)

Secteur d’expérience professionnelle antérieure

Durée d’expérience professionnelle antérieure

Taille de l’entreprise où l’expérience a été acquise

Activités préparatrices à la création

Formation spécifique à la création

Conseil auprès de consultants

Durée du conseil

Études de la concurrence

Études financières

Prospection des clients

Implantation

Région d’implantation

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2.4. Analyse des données

Dans une première étape, une analyse des entrepreneurs TIC aura pour objectif de regrouper les entrepreneurs en classes ou groupes, dans lesquels les créateurs d’entreprises tendent à être similaires entre eux et différents de ceux des autres groupes. Comme cela est généralement le cas, nous utiliserons deux algorithmes de classification, la méthode « polythétique hiérarchique ascendante » et la méthode des « nuées dynamiques ». Pour ce faire, nous réaliserons, tout d’abord, une analyse descriptive des entrepreneurs. À la suite de cette analyse descriptive, nous réalisons, dans une deuxième étape, une analyse typologique afin de déterminer s’il est possible de distinguer des groupes différents au sein des entrepreneurs TIC.

3. Résultats

3.1. Analyse descriptive des entrepreneurs créateurs au sein du secteur TIC

Les créations d’entreprises dans le secteur TIC se font à 8,7 % dans les hautes technologies industrielles, à 48,5 %, dans les services informatiques et de télécommunications, et à 42,8 %, dans les autres services à forte intensité de connaissances.

3.1.1. Le capital humain

L’analyse des caractéristiques plus personnelles des créateurs TIC montre que cette population est majoritairement masculine, à 82,7 %, et que 70 % des entrepreneurs TIC sont dans une tranche d’âge de 30 à 49 ans. L’âge semble jouer un rôle déterminant lors de la prise de décision de création d’une entreprise TIC. En effet, les entrepreneurs de moins de 25 ans ne représentent que 3,6 % de la population et ceux de plus de 50 ans n’en représentent que 10,9 %. Les entrepreneurs attendent d’avoir un certain âge avant de lancer leur projet de création. Ce qui conduit à étudier le degré de qualification et l’expérience professionnelle acquise avant la création.

Une part importante des créateurs ont un niveau de qualification élevé puisque un peu moins de 60 % d’entre eux ont un niveau d’étude supérieur à Bac +2 (tableau 3). Toutefois, le secteur TIC, bien qu’étant un secteur où le niveau de qualification est élevé, n’est pas réservé aux seuls entrepreneurs qualifiés. En effet, ce qui est constaté au plan du secteur ne doit pas cacher certaines spécificités des sous-secteurs. Dans la haute technologie industrielle, seulement 19 % des entrepreneurs possèdent un niveau de formation Bac +3, diplômes d’ingénieurs et plus. En revanche, dans les deux autres sous-secteurs (services informatiques et télécommunications, services à fortes connaissances), les fondateurs TIC hautement diplômés sont deux fois plus nombreux.

Tableau 3

Diplôme le plus élevé

Niveau d’étude

( %)

Pourcentage cumulé

Pas de diplôme

5,1

5,1

CEP/BEPC/CAP/BEP

18,8

23,9

Bac G/ Bac Tech

17,5

41,4

Bac + 2

26,2

67,6

Bac + 3 et plus

32,4

100,0

Total

100,0

-

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3.1.2. L’expérience

L’expérience professionnelle de l’entrepreneur est constituée de l’expérience diverse et de l’expérience spécifique ; elles ont été acquises respectivement en dehors et au sein du secteur où la création est réalisée. L’expérience diverse du créateur est obtenue durant ses activités précédentes. De nombreux créateurs ont eu une expérience d’encadrement (68 %) avant même de créer leur propre entreprise. Cette expérience de management s’est effectuée dans des secteurs autres que celui où sera réalisée la création de l’entreprise. Les entrepreneurs ont acquis de l’expérience professionnelle dans leurs activités précédentes, dans leur entourage entrepreneurial (30 % dans leur entourage proche et familiale) et dans le nombre de créations déjà réalisées (25 %). Seul un quart des entrepreneurs a eu une expérience entrepreneuriale avant la création de l’entreprise.

L’expérience spécifique réalisée au sein du même secteur est le plus souvent mesurée par trois variables : l’expérience professionnelle antérieure dans un secteur en lien avec l’activité, la durée de cette expérience et la taille de l’entreprise où elle a été acquise (tableau 4). Les entrepreneurs TIC ont principalement une expérience antérieure dans le même secteur ou un secteur proche. La durée de cette expérience est, pour un tiers des entrepreneurs, de trois à dix ans et, pour deux tiers, de plus de dix ans.

Tableau 4

Expériences antérieures

Secteur d’expérience professionnelle antérieure

( %)

Durée d’expérience professionnelle antérieure

( %)

Pas expérience préalable

8,7

Pas d’expérience

24,7

Même secteur

59,9

Moins de trois ans

8,3

Secteur proche

17,1

De trois à dix ans

33,3

Différent

8,3

Plus de cix ans

33,7

Secteur proche pour l’associé

6,0

 

 

Total

100,0

Total

100,0

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3.1.3. Les activités préparatrices à la création

Les activités préparatrices à la création d’entreprise peuvent jouer un rôle important dans son succès. La littérature distingue différents types d’activités préparatrices : les études de la concurrence, les études techniques et financières, les formations spécifiques à la création, le conseil auprès de consultants. Ces activités préparatrices peuvent être importantes dans le succès de la création des firmes nouvellement fondées. Pourtant, seulement 45,5 % des entrepreneurs effectuent une réelle étude technique pour préparer leur démarrage. Les entrepreneurs TIC semblent plus préoccupés par l’aspect financier de leur projet que par l’étude à proprement parler de la concurrence. Près de 70 % d’entre eux ont réalisé une étude technique alors que seulement 37,5 % ont effectué une analyse des futurs concurrents du marché.

Concernant le conseil auprès des professionnels, l’analyse des résultats montre qu’une part importante des entrepreneurs TIC a recours au service de conseil. Toutefois, le temps passé avec les consultants est limité à trois jours dans 36 % des cas, seuls 13,9 % des entrepreneurs ont une durée du conseil supérieur à trois jours.

Un résultat intéressant doit être noté : 77,6 % des entrepreneurs ne suivent aucune formation spécifique à la création. Cela explique sans doute la demande importante en termes de conseil.

3.2. Classification hiérarchique et non hiérarchique

3.2.1. La méthode agrégative hiérarchique

À la suite de l’analyse descriptive, nous ne retiendrons pas la variable représentant l’origine géographique des entrepreneurs car seuls 4 % d’entre eux ne sont pas ressortissants de la zone européenne. En accord avec cette analyse descriptive, lors de la classification hiérarchique des entrepreneurs TIC, les trois variables suivantes sont conservées : le capital humain (sans la nationalité), l’expérience et les activités préparatrices à la création.

Les études techniques présentent des disparités importantes dans le secteur TIC et n’ont donc pas été conservées. Parmi les études réalisées, 11 % le sont dans le secteur des hautes technologies contre 47,8 %, dans les services informatiques et de télécommunication, et 37 %, dans les services à forte intensité de connaissance.

L’utilisation, dans un premier temps, de l’algorithme de classification hiérarchique permet de définir le nombre de sous-groupes éventuels d’entrepreneurs. Pour cela, la méthode de partition optimale est mise en oeuvre ; ainsi, la lecture de la chaîne d’agrégation, du diagramme en stalactite verticale et du dendrogramme fait ressortir quatre sous-groupes.

En effet, un saut important est constaté entre une classification à six groupes et à cinq groupes, et un saut similaire, en passant de cinq à quatre groupes. Ces groupes sont constitués de 175 entrepreneurs pour le premier, de 40 pour le deuxième, de 95 pour le troisième et de 159 pour le quatrième. Cela nous a donc conduits à retenir une typologie composée de quatre groupes.

3.2.2. L’analyse par les « nuées dynamiques »

Cette méthode regroupée sous l’intitulé de classification non hiérarchique affecte les entrepreneurs des quatre groupes préalablement définis par la classification hiérarchique. La qualité de la typologie est vérifiée par une analyse de la variance (cf. tableau 5), qui présente les tests de Fischer comme significatifs pour l’ensemble des variables au seuil de 1 % ; donc, la validité statistique de la typologie est vérifiée.

Tableau 5

Analyse de la variance (ANOVA)

Variables

F

Signification

Tranche d’âge

12,814

0,000**

Diplôme le plus élevé

14,360

0,000**

Exemple entrepreneurial

6,231

0,000**

Qualification professionnelle préalable avant création

47,592

0,000**

Activité préalable du créateur

174,839

0,000**

Expérience entrepreneuriale

4,547

0,004**

Secteur d’expérience professionnel antérieur

545,413

0,000**

Durée de l’expérience professionnelle dans l’activité antérieure

109,978

0,000**

Taille de l’entreprise de l’ancien emploi

170,932

0,000**

Formation particulière pour la création

1415,016

0,000**

Contact avec consultants

11,068

0,000**

Durée du conseil

16,464

0,000**

Étude des concurrents ou du marché

3,384

0,018**

Étude financière effectuée

6,238

0,000**

Démarchage des clients ou fichiers clients

5,432

0,001**

**

significatif à 1 % ;

*

significatif à 5 %.

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L’étude des fréquences pour l’ensemble des groupes permet de définir quel type d’entrepreneur compose le secteur TIC français. Pour chaque variable, la comparaison des fréquences avec celle de la population permettra d’affecter un nom aux quatre groupes d’entrepreneurs. Lorsque l’écart est positif, cela signifie que le groupe a une proportion d’entrepreneurs supérieure (en pourcentage) pour cette variable à la fréquence de la population des entrepreneurs TIC. L’inverse se vérifie pour un écart négatif (voir annexe III). L’analyse typologique est suivie par une étude plus détaillée des quatre groupes d’entrepreneurs.

Groupe 1. Ce sont des cadres biens formés avec une expérience dans le secteur et ayant préalablement travaillé dans les grandes entreprises. Ce groupe est composé d’entrepreneurs de moins de 39 ans. Il existe une proportion plus importante de jeunes entrepreneurs de 25-29 ans que dans la population totale des entrepreneurs TIC (21,4 % de plus). Il y a une faible proportion des entrepreneurs de plus de 40 ans. Le niveau de formation de ces entrepreneurs est élevé, avec une part importante de bac + 3 et plus. Ce sont des managers ayant une expérience de cadre dans le secteur concerné. La plupart d’entre eux ont ainsi eu une expérience supérieure à 10 ans. Cette expérience est acquise dans des entreprises de plus de 500 employés. Ils ont tendance à peu se former à la création d’entreprises.

Groupe 2. Ce groupe est composé d’entrepreneurs plus jeunes (moins de 25 ans) que dans la population globale. Ils ont un entourage entrepreneurial très présent, en particulier familial. Ces entrepreneurs ont principalement un statut d’étudiant ou de personne sans activité. Ils ont une faible expérience professionnelle dans le secteur. De façon générale, ils ont une expérience de cadre et de manager inférieure à celle des entrepreneurs dans le secteur TIC. La taille de l’entreprise dans laquelle elle a été acquise est très différente de celle des entrepreneurs TIC.

Groupe 3. Ce sont des entrepreneurs bien préparés et conseillés à la création d’entreprise. Ils ont eu une fonction d’agent de maîtrise comme expérience professionnelle préalable. La proportion d’entrepreneurs sans expérience dans la création d’entreprise dans ce groupe est nettement supérieure à celle de la population des entrepreneurs TIC. Ils suivent majoritairement des formations spécifiques à la création. Ils sont donc très demandeurs d’études financières et concurrentielles dans la phase précédant la création. Dans l’ensemble, ils sont caractérisés par un niveau de préparation à la création plus important que celui des autres entrepreneurs du secteur.

Groupe 4. Ce type d’entrepreneurs est caractérisé par un faible niveau d’instruction. Ce sont principalement des employés et des ouvriers sans expérience de création et ayant travaillé dans des petites entreprises. Leur niveau d’activité précédant la création est supérieur à celui des entrepreneurs TIC. Malgré cela, la durée de leur expérience TIC est inférieure à celle constatée dans le secteur. En revanche, la durée de l’expérience acquise dans des secteurs différents est supérieure à celle constatée dans le secteur TIC. Ces entrepreneurs sont peu préparés à la création d’entreprise et ne suivent que très peu les formations en ce sens.

4. Discussion

4.1. Quatre types d’entrepreneur aux profils contrastés

Les résultats permettent de distinguer quatre groupes d’entrepreneurs TIC en France. Trois d’entre eux sont d’importance équivalente en termes d’effectifs (les groupes 1, 3 et 4) et le dernier (groupe 2) représente 9 % de la population des entrepreneurs. Bien que ce groupe 2 soit légèrement inférieur au seuil statistique des 10 %, nous l’avons conservé lors de l’analyse typologique. En effet, la taille de la population est suffisamment importante pour permettre de conserver un groupe légèrement inférieur à ce seuil. Nous distinguons donc quatre groupes d’entrepreneurs différents oeuvrant dans le secteur TIC en France.

Le premier groupe est nommé les « cadres d’expérience ». Il est caractérisé par un niveau élevé de formation. Ces entrepreneurs possèdent également une forte expérience professionnelle acquise dans des entreprises de tailles moyenne et élevée, entreprises dans lesquelles ils occupaient des postes de manager.

Le deuxième est nommé les « jeunes diplômés ». Ces entrepreneurs sont des jeunes étudiants ou chômeurs de moins de 25 ans, inactifs avant la création de leur entreprise. Ils sont sans véritable expérience professionnelle mais possèdent un haut niveau de formation. Leur situation d’inactivité et leur niveau élevé de formation leur permettent de se lancer dans la création d’entreprise. Ce sont des jeunes entrepreneurs formés durant les années 1990 aux technologies de l’information et de la communication.

Le troisième groupe d’entrepreneurs peut être nommé les « prévoyants ». Ces entrepreneurs sont majoritairement des employés qui se sont bien formés avant la création de leur entreprise. Ils ont une bonne expérience du secteur et ont connu pour la plupart une période de chômage inférieur à un an. N’ayant pas d’expérience antérieure dans la création d’entreprise, ils ont suivi des formations spécifiques. Nous constatons également une importante demande de conseils. Ces entrepreneurs sont beaucoup mieux préparés à la création d’entreprise que les trois autres types d’entrepreneurs.

Le dernier groupe est composé principalement d’anciens employés, ouvriers, travaillant dans des entreprises de petite taille. Ils ont acquis leur expérience professionnelle dans des secteurs différents de celui des TIC et présentent un niveau de formation plus faible que celui des autres groupes d’entrepreneurs. Ils sont peu préparés à la création d’entreprise et semblent peu intéressés par des formations spécifiques. Cela pourrait s’expliquer par une expérience managériale développée au sein des petites entreprises où les responsabilités sont plus importantes que dans les grandes compagnies. Par conséquent, nous nommerons ce groupe d’entrepreneurs les « risque-tout ».

4.2. Une typologie différente de celle des recherches antérieures

Cette typologie est assez différente de celles qui sont exposées dans les recherches antérieures. Les typologies qui ne retiennent que deux types sont ainsi assez éloignées des résultats obtenus ici. Dans la typologie de Smith (1967), aucun des deux types, artisan ou opportuniste, ne peut être confondu avec les quatre groupes obtenus dans cette recherche. L’entrepreneur opportuniste se rapproche du premier et du deuxième groupe tout en restant bien distinct. De la même façon, l’entrepreneur artisan se rapproche peu ou prou du troisième groupe, voire du quatrième groupe, mais sans se confondre. Il en est de même pour la typologie de Collins et Moore (1970), puisque la distinction entre l’entrepreneur administratif et l’entrepreneur indépendant recoupe très imparfaitement les quatre types d’entrepreneur trouvés dans cette recherche. Ce constat peut également être fait pour les typologies de Julien et Marchesnay (1988) et de Filion (1997).

Si les typologies qui montrent deux profils d’entrepreneurs sont différentes de celle obtenue ici, il est tentant de la rapprocher de celles qui distinguent quatre types d’entrepreneurs. Il faut alors constater qu’elles sont également assez différentes. Il en est ainsi de la typologie de Laufer (1975), qui distingue le manager, l’entrepreneur orienté vers la croissance, l’entrepreneur orienté vers l’efficacité et l’artisan. Seul le premier type, le manager, correspond plus ou moins au « cadre d’expérience » ; les trois autres sont assez différents. De la même façon, la typologie de Miles et al. (1978) n’est pas vraiment semblable à celle qui a été relevée ici, essentiellement parce que Miles et al. (1978) mettent surtout l’accent sur les attitudes et comportements relatifs aux marchés alors que les critères retenus ici sont plus larges.

Il est encore plus difficile d’assimiler les quatre groupes d’entrepreneurs TIC identifiés ici aux quatre types de Miner (1990, 1997), qui sont « personal achiever », « real manager », « expert idea generator » et « super sales person ». De même, il est peu pertinent de les rapprocher des quatre types de ceux de Vega et Kidwell (2007), que sont « l’incubateur », « l’entreprenant », le « bienfaiteur » et « l’intéressé », ainsi qu’aux quatre types de Jaouen (2008), qui sont « le carriériste », « l’hédoniste », le « paternaliste » et « l’alimentaire ».

Plusieurs explications peuvent être proposées à ces différences. Dans une première explication, il faut signaler que la plupart des travaux de nature typologique sur l’entrepreneur aboutissent à des typologies différentes. Cela s’explique essentiellement par les différences de méthode, à la fois en termes de variables retenues et en termes de terrain d’étude (secteurs d’activité différents, nationalités différentes, etc.). Ce sont précisément ces difficultés méthodologiques qui conduisent à proposer des typologies reliées à une industrie.

Dans une deuxième explication, la plupart des recherches antérieures tentent de définir des types d’entrepreneurs en place dans une industrie alors que, dans cette recherche, l’entrepreneur est étudié au moment de la création. Les spécificités de cette phase expliquent sans doute en grande partie la spécificité des résultats. Nombre d’entrepreneurs ne survivront pas à moyen terme et la typologie obtenue cinq ans après la création, sur les entreprises pérennes, serait sans doute différente.

Dans une troisième explication, qui est à notre sens la plus convaincante, ce sont les spécificités de l’entrepreneuriat TIC qui sont déterminantes. Le secteur TIC est très « intensif en connaissances ». Il implique une formation et des qualifications qui ne se retrouvent pas dans tous les secteurs. Le niveau de formation et de qualification moyen des entrepreneurs mis en évidence dans cette étude atteste de cette spécificité. Dans cette perspective, il n’est finalement pas étonnant que cette étude établisse des types d’entrepreneurs TIC différents de ceux mis en évidence dans d’autres industries, moins intensives en connaissances, ou dans des études multi-industries.

Il est donc possible de considérer, du fait des spécificités de l’industrie TIC, qu’il y a bien une spécificité des entrepreneurs TIC en général, sous la forme d’une plus forte qualification et formation et, par suite, qu’il y a bien une spécificité des types d’entrepreneurs TIC. L’identification de cette typologie spécifique peut alors être considérée comme un apport à la connaissance sur l’entrepreneuriat TIC. Elle peut s’avérer très utile, notamment pour l’accompagnement des entrepreneurs TIC.

4.3. Les implications pour l’accompagnement des entrepreneurs TIC

La mise en évidence d’une typologie des entrepreneurs TIC permet de nuancer une représentation parfois caricaturale du profil des entrepreneurs dans les nouvelles technologies. L’image simpliste de la start-up technologique fondée par un jeune ingénieur visionnaire, à la façon de Microsoft par Bill Gates, s’efface devant des résultats beaucoup plus contrastés. Si, dans l’ensemble, l’entrepreneur TIC a un haut niveau de formation, une bonne connaissance du secteur et de l’expérience, les profils des entrepreneurs dans le secteur sont très différents. Il y a finalement peu de lien entre les entrepreneurs du groupe 1, que nous avons dénommés les « cadres d’expérience », et les entrepreneurs du groupe 4, que nous avons dénommés les « risque-tout ».

Gérer cette diversité observée dans l’échantillon des entrepreneurs TIC devient alors un enjeu important pour les dispositifs d’accompagnement en termes de formation, de conseil et de financement des start-ups TIC. Nos résultats laissent apparaître quelques premières pistes pour une prise en compte de la diversité dans l’accompagnement des entrepreneurs TIC.

Le « cadre d’expérience », par exemple, a été distingué des autres par une plus grande expérience professionnelle dans des grandes entreprises et par une activité de préparation à la création relativement faible. Ce type de personne devient entrepreneur en capitalisant sur un réseau professionnel et personnel qui facilite l’entrée sur le marché et l’obtention du capital. Ces créateurs d’entreprise ont une forte connaissance du secteur et du fonctionnement organisationnel des grandes entreprises. Ils sont habitués à prendre des décisions stratégiques et ont une bonne expérience managériale. En revanche, ils ont un manque d’expérience entrepreneuriale. Le passage d’un environnement de grande entreprise, dans une position managériale, vers l’environnement entrepreneurial de la start-up, peut présenter des risques inattendus. Un accompagnement spécifique pour ce type d’entrepreneur pourrait donc privilégier la formation à la création d’entreprises et aux compétences managériales d’entrepreneurs en situation de start-up.

À l’opposé, le « jeune diplômé » se distingue par sa forte motivation et un esprit entrepreneurial de recherche d’opportunité. Sa faible expérience professionnelle et sectorielle conduit à d’autres besoins en termes d’accompagnement. En dehors de la formation à la création d’entreprise en elle-même, ce type d’entrepreneur pourrait particulièrement bénéficier d’une aide en termes de mise en réseau avec d’autres entrepreneurs et clients, tant sur le plan local que national/international. Ce type d’entrepreneur présente un intérêt particulier pour les dispositifs locaux d’accompagnement. En effet, comme il est souvent formé dans l’université de la région dans laquelle il implante son entreprise, les relations et aides spécifiques qui ciblent ce type d’entrepreneuriat « académique » peuvent jouer un rôle important. Il en est ainsi des formations entrepreneuriales dispensées par les dispositifs d’accompagnement dans les universités, des journées d’information pour les porteurs de projets sur les campus, de la mise en relation avec des conseillers spécifiques ou un incubateur, de l’accompagnement dans la recherche de fonds, de subventions ou de capital, etc. Le dispositif d’accompagnement serait donc plus axé sur le conseil, le réseautage et le financement.

Le « prévoyant » dispose de connaissances techniques mais son niveau de diplôme est inférieur au « jeune diplômé ». Ses motivations semblent plus fondées sur des contraintes, comme une situation de perte d’emploi avant la création ou des difficultés à progresser dans la carrière. Les dispositifs d’accompagnement pourraient lui fournir des leviers similaires au « jeune diplômé », comme la mise en réseau ou les aides à la recherche de financements, mais avec un accent particulier mis sur l’aspect formation et conseil. Très préoccupé par l’idée de préparer la création, ce type d’entrepreneur pourrait bénéficier de conseil, de coaching et de formation axés sur la création d’entreprise et ses « technicités », le management d’une entreprise et l’entrée sur le marché.

Les résultats soulignent enfin une certaine a-typicité de l’entrepreneur de type « risque-tout ». Son profil correspond probablement peu à l’image qu’un accompagnateur peut avoir d’un entrepreneur dans un secteur de connaissance et d’innovation. Ces entrepreneurs sont caractérisés par un faible niveau de diplôme, peu d’expérience professionnelle, une faible connaissance du secteur, peu d’expériences managériales et, surtout, par une faible importance accordée à la préparation à la création d’entreprise. Pour l’accompagnement, un levier privilégié est sans doute sa forte motivation pour créer une start-up dans un environnement peu familier. C’est probablement sa motivation qui peut représenter un critère important pour les dispositifs d’accompagnement dans la décision de lui accorder une aide ou, a contrario, de l’orienter vers d’autres secteurs. Faciliter le retour à l’emploi, le diriger vers des structures d’accompagnement centrées sur d’autres secteurs ou construire un parcours individualisé avec un accent fort sur la préparation de la création (coaching individualisé) sont des éléments essentiels de l’accompagnement dans ce cas.

Conclusion

L’objectif de cette recherche était de caractériser l’entrepreneuriat dans le secteur TIC. Plus précisément, la question était la suivante : peut-on identifier des types d’entrepreneurs significativement différents les uns des autres dans le secteur TIC ? Pour répondre à cette question, une étude empirique a été menée sur un échantillon de 469 entreprises issues de la base de données « Enquête SINE » construite par l’INSEE.

Les résultats montrent, tout d’abord, que l’entrepreneuriat TIC est différent de l’entrepreneuriat classique, notamment du fait d’un niveau de formation supérieur. Les résultats montrent ensuite qu’il existe quatre groupes différents d’entrepreneurs dans le secteur TIC que nous avons nommés « les cadres d’expérience », les « jeunes diplômés », les « prévoyants » et les « risque-tout ». Ces quatre types d’entrepreneurs, malgré des proximités apparentes, sont assez différents des types relevés dans les recherches antérieures. Il est donc possible de considérer qu’il y a une relative spécificité de l’entrepreneuriat TIC, à la fois dans sa globalité et dans les sous-catégories qu’il est possible d’établir. Ces résultats apparaissent importants, notamment pour les politiques d’accompagnement de l’entrepreneuriat TIC.

Bien entendu, ces résultats ne peuvent être compris que relativement aux limites de l’étude. Comme pour toute étude empirique traitée de façon quantitative, il existe des biais liés à la collecte et au traitement de données. Il serait alors intéressant de tester la portée des résultats obtenus en utilisant d’autres données sur la création d’entreprises dans le secteur TIC français, notamment en utilisant des données issues d’une période plus récente. Cette nouvelle analyse permettrait, d’une part, de confirmer ou non les résultats obtenus et, d’autre part, de mettre en évidence une éventuelle évolution des catégories d’entrepreneurs après l’explosion de la bulle spéculative Internet des années 2000.

De la même façon, les données utilisées ici ne portent que sur un seul pays, à savoir la France. Il est donc possible de se demander si l’on obtiendrait les mêmes résultats dans d’autres pays, notamment dans les pays anglo-saxons. Si ces recherches futures font apparaître des résultats différents, il conviendrait alors de mener de nouveaux travaux pour expliquer l’origine de ces différences en établissant des comparaisons internationales. Ces travaux permettront d’établir si on peut mettre en évidence une seule typologie des entrepreneurs TIC, quel que soit le pays, ou s’il existe des différences culturelles en matière d’entrepreneuriat TIC.

Il serait également intéressant de tester la portée des résultats obtenus en reproduisant l’analyse au niveau des sous-secteurs (hautes technologies, services informatiques et télécommunications et les autres services à forte intensité de connaissances). Cette nouvelle analyse permettrait de comparer les différentes typologies obtenues et de mettre en évidence d’éventuelles spécificités au sein même des sous-secteurs.

Enfin, une des voies de recherche futures parmi les plus prometteuses consiste à tenter de mettre en évidence les liens entre les types d’entrepreneurs TIC obtenus ici et la performance de leurs firmes, notamment en termes de survie et de croissance. A priori, le groupe 1, composé des « cadres d’expérience » devrait connaître de bien meilleures performances que le groupe 4, composé des « risque-tout ». Seules de nouvelles recherches permettront de valider ou de réfuter cette hypothèse, alors qu’elle peut être fondamentale pour des investisseurs publics ou privés.