Comptes rendus

La rhétorique entrepreneuriale en France : entre sémantique, histoire et idéologie, Michel Marchesnay, Les éditions de l’ADREG <http://www.editions-adreg.net>, 2009, 114 p.[Notice]

  • Pierre-André Julien

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  • Pierre-André Julien
    Institut de recherche sur les PME

Il arrive souvent que, vers la fin de leur carrière, les chercheurs ayant marqué un domaine de recherche produisent, d’une part, un ouvrage faisant le point sur l’état de la question de ce dernier pour en tirer des conséquences générales ou même une théorie englobante et, d’autre part, quelques réflexions destinées à corriger diverses erreurs notamment en relation avec les précurseurs que trop de collègues n’ont pas lus ou dont ils ont tiré de fausses prémisses. Par exemple, la grande économiste Joan Robinson écrivait à la fin de sa vie une Economic Philosophy pour rappeler les limites des analyses économiques et l’obligation de situer ces dernières selon le contexte et la période. Ou encore, le père de la nouvelle histoire, Fernand Braudel, expliquait dans son ouvrage magistral, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe – XVIIIe , que non seulement les grandes décisions des chefs d’État devaient être replacées dans la conjoncture de l’époque et selon les capacités économiques de chaque pays, mais plusieurs explications devaient être remises en question. Par exemple, il rappelait que Max Weber ne voyait qu’une hypothèse à vérifier sur le rôle du puritanisme dans la révolution industrielle alors que ses disciples l’ont considéré comme l’explication clé de son origine anglaise malgré sa fausseté. Le petit ouvrage de Michel Marchesnay, paru récemment aux éditions électroniques de l’ADREG, relève du même objectif. Il porte sur la notion complexe de l’entrepreneuriat toujours mal comprise à ce jour. Pour ce faire, l’auteur part de quelques concepts développés par ses devanciers pour ensuite les appliquer à la France, en particulier dans le dernier siècle et resituer cette notion dans le cadre des sciences morales et politiques. L’ouvrage débute en interrogeant les origines fort mouvementées, d’abord, du mot entrepreneuriat et, ensuite, de la notion d’entrepreneur, personnage pleinement engagé et responsable des risques de l’aventure, opposé au manager se limitant à gérer l’affaire. Il pose la question du conflit constant entre le premier et le second qui fait que cette notion ne pourra jamais être claire puisque le niveau d’engagement du dirigeant varie avec le temps. Il part des Essais sur la nature du commerce en général, publié après sa mort, de Richard Cantillon (1680-1734), Irlandais établi à Paris, spéculateur, économiste préphysiocrate et démographe, à l’origine des premiers rudiments de l’économie spatiale ; puisque ce dernier avait été reconnu à tort par Schumpeter comme le premier à avoir utilisé le mot dans son sens actuel même si sa définition était déjà dans certains dictionnaires français aux xvie et xviie siècles et que Cantillon voyait l’entrepreneur plutôt comme un agriculteur ou un marchand que comme un fabricant. C’est Adam Smith, dans son ouvrage de 1776, qui définit l’entrepreneur comme celui qui réinvestit continuellement ses surplus tout en recherchant avant tout son intérêt même au détriment de la société et en ne suivant pas nécessairement les « règles morales ». L’industriel Jean-Baptiste Say (Traité d’économie politique, 1803) parle plutôt d’un bon gestionnaire-investisseur et utilise à plusieurs reprises le mot « capitaine d’industrie », terme repris par la suite par plusieurs. Il distingue ainsi celui qui fournit le capital de celui qui l’emploie et marque la différence entre le salaire de ce gestionnaire et la rente ou le profit lié au capital. Pour lui, l’entrepreneur cherche continuellement à faire croître son affaire, aidé souvent par la chance. Il trouve sa légitimité sociale en créant de l’emploi alors que le capitalisme cherche la notoriété, en particulier dans les biens fonciers, comme le relèvera près de 90 ans plus tard Veblen dans sa critique des membres de la classe oisive de …

Parties annexes