Corps de l’article

01. Introduction

À la différence des autres principes énoncés dans l’article 2 de la Charte de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) de 1963, le principe de solidarité, tel qu’énoncé il y a plus de quarante ans à l’article 23 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, ne bénéficie pas encore d’une pleine légitimité dans son applicabilité (Zerbo, 2003). En même temps, les États membres de l’Union Africaine (UA) ne semblent pas vraiment se saisir de ce principe pour améliorer les conditions humaines et les qualités de vie économique, politique et sociale des peuples africains (Ouguergouz, 1993).

Selon Diome (2010), le principe de solidarité tire sa source des valeurs culturelles basées sur la « solidarité africaine ». Ces valeurs caractérisent la vie en communauté et en constituent, depuis l’Afrique traditionnelle, un facteur de stabilité socio-économique. Les États membres de l’UA se sont référés à cette pratique traditionnelle et identitaire pour encourager à conjuguer leurs efforts afin d’améliorer les conditions de vie de leurs peuples respectifs.

Lorsqu’on réfléchit sur le principe de solidarité en droit de l’UA, partir sur ses traces dans le domaine de protection des droits de l’homme semble être un exercice périlleux (Brosset et al., 2021). Il peut paraître de prime abord curieux de chercher à appréhender l’origine ou bien la motivation de la consécration de cette notion pour en faire un principe de droit (Jacquinot, 2009). Car selon Mandé et Jackson (2015), le panafricanisme prônait la solidarité entre ses membres et était mû par les revendications identitaires et raciales. Plus largement, cette idée rejoint à peu près la pensée de Diome (2010) et justifie l’origine traditionnelle de la solidarité africaine. Ils soutiennent même que l’heure est à l’aménagement des solidarités autour de la notion de bien commun.

Autrement, l’exercice de la solidarité érigé en principe peut remonter à l’Affaire du Plateau Continental (1978) où deux États africains ont transcendé leurs égoïsmes pour partager des ressources sur lesquelles ils peuvent exercer une compétence exclusive. Ce qui pouvait être qualifié de l’intérêt accordé aux droits de l’homme et à leurs peuples de jouir de leurs richesses ou de ressources naturelles de leurs pays respectifs. En conséquence, les Déclarations de l’Assemblée Générale des Nations Unies (ONU) de 1965 et de 1970 viennent renforcer la lecture de l’article 23, en précisant que l’obligation des États africains est de protéger le droit de leurs peuples et de prévenir toute activité pouvant y nuire.

Tout au plus, on peut se prévaloir de ces exemples, qui illustrent l’approche solidaire des États africains dans le cadre d’une coopération sur la gestion concertée des ressources communes, comme le prévoit aussi l’article 3 de la Charte des Droits et Devoirs Économiques des États (1974) qui aurait motivé la consécration du principe de solidarité en 1981. L’on peut s’interroger sur la réelle portée de ces déclarations quand on connaît l’enjeu que cela peut engendrer (Ouguergouz, 1993). Une prise en considération de l’intérêt général qui transcende les individualismes particuliers devrait engager les États à affermir davantage l’unité et la solidarité prônées dans l’Acte Constitutif et la Charte de Banjul.

Dès lors que l’on tente d’approfondir l’origine de ce principe dans la Charte de Banjul, c’est d’abord un moment de remise en cause de l’entière applicabilité de cet instrument juridique qui se pose et s’impose à notre réflexion (Brosset et al., 2021). Alors, il y a lieu de se demander comment se manifestent, du point de vue du droit international des droits de l'homme, le principe de solidarité entre les États membres de l’UA et leur appréhension de son usage dans la protection des droits de l’homme.

Pour engager leur responsabilité vis-à-vis de l’application et le respect des normes de droits de l’homme au sein de l’UA, les États membres ont décidé de renforcer leur politique de protection des droits de l’homme par un idéal de solidarité correspondant à la notion de coopération, car coopérer, d’après le Conseil Économique et Social de l’ONU, c’est participer à un acte de solidarité. Cette solidarité renvoie à l’une des plus grandes valeurs sous-tendant la construction des droits de l’homme (Expert Indépendant, 2006).

La Charte de Banjul est élaborée pour servir de fondement aux engagements et à la responsabilité des États membres de l’UA en matière de protection des droits de l’homme. Et si cette Charte n’arrive pas à proposer des solutions aux problèmes de violations des droits de l’homme en Afrique par l’effet du principe de solidarité, la réflexion pourrait être élargie sur le renforcement de l’article 23. Sinon, il serait délicat pour l’UA ainsi qu’aux chercheurs de pouvoir mesurer l’effectivité de cet article en termes d’approche régionale coordonnée et harmonisée (Kindé, 2022).

Le but de l’analyse est de démontrer l’absence d’une appropriation et de judiciarisation du principe de solidarité malgré sa consécration par la Charte de Banjul et, aussi de relever les défis de sa mise en œuvre ou de son effectivité dans le cadre de la protection des droits de l’homme.

Le principe de solidarité en matière de protection des droits de l’homme apparaît, en effet, sous forme de coopération pour laquelle il n’apporte que quelques exemples démontrant son importance (I). Nous tenterons de mettre en exergue l’intérêt que pourront accorder les États membres de l’UA au principe de solidarité dans une perspective de créer des obligations erga omnes partes dans leurs relations tout en leur exigeant de répondre à leurs engagements respectifs pour le respect des droits de l’homme (II).

02. La consécration du principe de solidarité comme un outil de coopération dans la protection des droits de l’homme

Bien que le principe de solidarité soit perçu dans une acception de solidarité entre États ou les membres d’une même communauté, il soulève des interrogations sur le but de sa consécration, particulièrement dans la protection des droits de l’homme.

Il s’agira dans cette première partie d’exposer le principe de solidarité compris par les États membres de l’UA dans le sens de la coopération. C’est ainsi que nous essayerons, à notre niveau, de l’étudier aux fins de protection des droits de l’homme en cherchant à le comprendre au sens large du terme (1.1), puis décortiquer sa reconnaissance dans les rapports au sein de l’UA (1.2).

2.1 L’appréhension générale du principe de solidarité

Le principe de solidarité, tel que défendu par l’UA, prend sa source dans l’article 23 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (1981). Selon le paragraphe 1er de cet article, « Les peuples ont droit à la paix et à la sécurité tant sur le plan national que sur le plan international. Le principe de solidarité et de relations amicales affirmé explicitement par la Charte de l’ONU et réaffirmé par celle de l’OUA est applicable aux rapports entre les États ».

Selon Mohamed Salah (2015), le principe de solidarité implique la conscience d’une interdépendance des membres du corps social, le sentiment d’une responsabilité mutuelle que, dans une communauté donnée, oblige ses composantes les unes envers les autres et conduit à l’entraide et à l’assistance mutuelle pour le maintien de la cohésion du groupe. Cette perception de l’auteur nous renvoie à une autre approche du principe de la solidarité, vue sous l’angle de la coopération et qui lie, à certains égards, les États membres de l’UA dans leurs rapports au sein de cette organisation régionale. Et, si et seulement si, le principe de solidarité tirait sa source des valeurs culturelles, alors Mohamed Salah qualifie au premier plan le lien social à une valeur d’un groupe ou d’une communauté dont la solidarité conduit aux notions d’obligation, de devoir, de réciprocité et d’intérêt général.

À cet effet, le principe de solidarité nécessite une action collective de la part de tous les acteurs sociaux pour assurer la protection des droits de l’homme. Cette conception va dans le sens de la Charte de l’ONU tel qu’exprimé dans l’article 1er de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme stipulant que, « Tous les êtres humains (…) doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ». Cela démontre toute l’importance de la collaboration dont les États africains doivent privilégier dans le cadre de la mise en œuvre du principe de solidarité.

Il est également essentiel de noter, d’après l’Expert Indépendant (2010), que la solidarité internationale soit comprise comme une condition préalable de la dignité humaine, le fondement de tous les droits de l’homme et une approche du développement centrée sur l’être humain. Elle englobe les valeurs de justice sociale et d’équité, la souveraineté et l’égalité souveraine de tous les États et les relations amicales entre eux.

Pour renforcer cette consécration, le principe de solidarité a été repris dans les objectifs de l’Acte Constitutif (UA, 2000), en son article 3 (a) : « Réaliser une plus grande unité et solidarité entre les pays africains et entre les peuples d’Afrique ». Cette reconnaissance semble être un appel explicite aux États membres de l’UA dans la prise de décisions politiques comme il est démontré dans le cadre du droit international des droits de l’homme, en vertu duquel tous les droits impliquent une triple obligation pour l’État : les respecter (ne pas y porter atteinte par ses actes et comportements), les protéger (de toute action émanant d’autres personnes) et enfin les réaliser (en accomplissant les prestations nécessaires à la satisfaction de ces droits, lorsque leurs titulaires ne peuvent pas par eux-mêmes en jouir) (Grosbon, 2012). Cela élucide la responsabilité des États africains aux termes du 2e paragraphe de l’article 23 et qui reste un défi majeur dans le cadre de la paix et de la sécurité relatives au phénomène du terrorisme.

Il va de soi que l’UA et ses États membres usent de ce principe pour ainsi défendre leurs positions communes sur les questions d’intérêt général pour le continent et ses peuples et de protéger les droits de l’homme, conformément à la Charte de Banjul et aux autres instruments pertinents relatifs aux droits de l’homme tels que la Charte Africaine des Droits et du Bien-Être de l’Enfant (1990), le Protocole de Maputo (2003) et le Protocole relatif aux Droits des Personnes Handicapées en Afrique (2018).

Alors, pour que les peuples jouissent de leurs droits de l’homme par la pratique du principe de solidarité ou de la solidarité internationale, d’après Obiora (2020) : « […] States and non-state actors must begin to take international solidarity much more seriously in the struggle to optimally realize all human rights around the world ». Par cette déclaration, l’Expert Indépendant interpelle les États et les acteurs non étatiques de considérer sérieusement la solidarité dans leur engagement pour la réalisation optimale des droits de l’homme à travers le monde.

En fait, pour appuyer cette vision de l’UA, Gueldich (2019) insiste sur la nécessité pour les populations africaines d’être impliquées de manière effective au projet de l’Union. Elle insiste sur leur imbrication des valeurs de solidarité commune et de vouloir vivre ensemble que partira toute action allant dans le sens de l’intégration.

Cependant, l’ancienne Commission des Droits de l’Homme de l’ONU a conçu le concept de « solidarité » comme une communauté d’intérêts, d’aspirations ou de sympathies entre membres d’un groupe, ou comme une communauté de responsabilités et d’intérêts (Expert Indépendant, 2006).

Et, selon le sociologue Émile Durkheim (2002), la solidarité correspond aux liens invisibles qui relient les individus entre eux et qui font que la société « tient » : la solidarité est le « ciment » de la société. Elle peut prendre deux formes celle fondée sur la similitude des comportements des individus et des valeurs de la société (c’est la solidarité mécanique) et celle fondée sur la complémentarité des activités et des fonctions des individus (c’est la solidarité organique). La solidarité, telle qu’elle résulte de la modernisation et de la post-industrialisation et qu’il appelle « solidarité organique » par opposition à la « solidarité mécanique », s’entend de la cohésion sociale fondée sur l’interdépendance qui existe entre les individus dans les sociétés plus avancées, et qui est très répandue dans les sociétés industrielles où la division du travail s’accentue. Même si les individus réalisent des tâches différentes et ont souvent des valeurs et des intérêts différents, l’ordre et la survie même de la société reposent sur les liens qu’ils établissent entre eux pour s’acquitter de leurs tâches spécifiques.

Dans l’optique de notre étude relative aux droits de l’homme, le principe de solidarité ou le terme « solidarité » se rapproche de la définition donnée par Cabrillac et Albigès (2008). Pour ceux-ci, le principe de solidarité est un principe selon lequel l’Union Européenne et les États membres agissent de concert et dans un esprit d’entraide lorsqu’un État membre est la cible du terrorisme ou la victime d’une catastrophe naturelle ou humaine […]. La solidarité ne se présume pas et découle de la loi, des usages ou de la volonté des parties (Cabrillac et Albigès, 2008).

Malgré la diversité des terminologies sur le concept, cette diversité d’appréhension doit être perçue non pas comme un obstacle au projet communautaire, mais tout au contraire comme un moteur de son développement. Alors, il reste une notion ouverte à l’interprétation, appelée donc à évoluer selon le contexte. L’analyse de Supiot (2015) soutient que la solidarité est une vieille notion issue du droit romain et qui a connu une grande fortune depuis la fin du XIXe siècle, notamment dans le vocabulaire sociologique, mais c’est depuis peu qu’elle a été consacrée comme principe juridique à valeur constitutionnelle par la Charte des Droits à Nice en décembre 2000. Cette Charte a aussi innové en ajoutant la solidarité à la liste des principes, par ailleurs sans surprise, qui y figurent (dignité, liberté, égalité, citoyenneté, justice). Il ne s’agit pas d’une première puisque – le fait mérite d’être souligné – c’est la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 27 juin 1981, qui a, la première, reconnu la solidarité comme principe juridique fondamental.

Même si le droit communautaire européen conçoit le principe de solidarité comme un principe selon lequel l’Union Européenne (UE) et les États membres agissent de concert et dans un esprit d’entraide lorsqu’un État membre est la cible du terrorisme ou victime d’une catastrophe naturelle ou humaine, y compris dans le domaine de l’énergie. Cabrillac et Albigès (2008) soutiennent le fait que la solidarité ne se présume pas et découle de la loi, des usages ou de la volonté des parties. De ce fait, sur la base de l’article 3(h) de l’Acte Constitutif, elle engage les États membres de l’UA dans leur mission de protéger les droits de l’homme contre toute sorte de violations (UA, 2000).

Bien que, les travaux de Supiot (2015) ainsi que ceux de Cabrillac et Albigès (2008) permettront de comprendre l’usage du principe de solidarité au niveau de l’UA comme une valeur, telle que défendue par Mohamed Salah (2015), qui renvoie aux notions d’obligation, de devoir, de réciprocité et d’intérêt général. Ce principe de solidarité, érigé en coopération, devrait rendre indispensable la collaboration entre les États membres de l’UA, étant donné la place qu’il occupe dans l’élaboration des traités et politiques de l’organisation (Lecoutre, 2008).

D’ailleurs, du fait de ce constat, le principe de solidarité se manifeste plus dans la théorie que dans la pratique du droit international africain (Gonidec, 1993). L’interdépendance croissante des États rend en effet indispensable une coopération de plus en plus étroite, et ce, particulièrement (Nouzha, 2005) dans un domaine comme la protection des droits de l’homme où les États africains sont instables. Les changements politiques, dans un tel contexte, constituent des menaces pour le respect de ces droits (Gazibo, 2010).

Entre autres, les États africains ont décidé, trente ans après l’entrée en vigueur du Traité d’Abuja (1991), de regrouper les différentes communautés économiques régionales de l’Afrique sous la coupole de la Zone de Libre-Echange Continentale (ZLEC), un marché africain gage de la paix, tout comme l’UA elle-même a été créée pour mettre en place des conditions appropriées afin de permettre à l’Afrique de jouer un rôle dans l’économie mondiale. Une politique qui s’inscrit dans la construction d’une identité de nature économique et devrait promouvoir un marché unique continental pour les biens et les services avec la libre circulation des personnes et des investissements à l’image du marché de l’UE (Accord portant création de la ZLEC, 2018).

De plus, cette initiative découle de la politique de l’intégration régionale et cherche à consolider la solidarité, prônée depuis la genèse de l’OUA, pouvant déterminer une politique étrangère commune. Certes, elle marque une avancée majeure pour l’UA de réguler son impact des activités économiques et commerciales. Mais, les défis sur le plan du partage des avantages du commerce interafricain sont grands. Ceux-ci doivent être considérés vu qu’ils pourront impacter la protection des droits de l’homme dans une Afrique où les écarts entre la taille économique des États et l’application de l’Accord ZLEC sont non négligeables (Kindé, 2019).

Face à la globalisation et de l’économie numérique, la mise en place de la ZLEC est un processus aussi bien juridique que politique. C’est un second départ pour un développement économique effectif et efficace pour l’Afrique, qui prend sa source de la solidarité dans le but d’une intégration économique telle qu’inscrite respectivement dans l’Acte Constitutif et le Traité d’Abuja. De la sorte, l’évolution du continent se doit d’une vigilance et une responsabilité pour que l’exécution de la ZLEC réponde aux attentes de tous les peuples africains sans exception (Diop, 2019).

Le principe de solidarité doit, en ce sens, obliger les États africains à accorder de l’importance au respect des droits de l’homme et en faire ex ante une de leurs priorités, surtout quand il s’agira d’assurer la protection des mineurs et des femmes au travail, leur offrir un niveau de vie adéquat et une possible autosuffisance alimentaire. De ce fait, la préoccupation principale de la mise en œuvre de cet Accord sera axée sur la capacité ou non des États africains de veiller à ce que la mise en œuvre de la ZLEC permette aussi de renforcer les mécanismes existants de protection et d’assurer un respect acceptable des droits de l’homme et, plus particulièrement, le droit au développement (Kindé, 2019).

En outre, Strobel et al. (2008) considèrent les valeurs de la solidarité et de justice redistributive comme des facteurs déterminants dans la gestion politique et technique des « affaires sociales » . Dans une approche réaliste et pragmatique, ils interrogent les grandes logiques à l’œuvre en matière de protection sociale. Ils abordent les options et les arbitrages à poursuivre par rapport aux politiques sociales mises en œuvre à différentes époques ou dans un espace donné sur la base d’une justice sociale. Ils appuient leur étude sur une éthique politique de promotion de la solidarité et de lutte contre les inégalités et en respectant une démarche empirique restreinte basée sur une ouverture d’esprit de l’analyse.

Cette justice sociale pourra être un moyen que les États africains pourront exploiter dans le cadre de la mise en œuvre de la ZLEC en offrant la possibilité aux peuples africains de réaliser un programme développement durable, qui tient compte de l’Agenda 2030 de l’ONU avec une mention spéciale à la protection des droits de l’homme.

Ces auteurs tentent d’évaluer les éléments, dont pourrait se prévaloir le principe de solidarité en confrontant leurs différentes positions dans leurs travaux gravitant autour de la solidarité et pour approfondir notre analyse. Ces éléments sont susceptibles d’aider à mesurer l’impact du principe de solidarité dans les relations entre les États membres de l’UA dont nous chercherons à comprendre sur la base des exemples concrets et son importance sur le plan juridique.

2.2 La reconnaissance du principe de solidarité

Sur le plan doctrinal et juridictionnel, les États membres de l’UA démontrent par leur volonté politique que la solidarité influence leur perception de la promotion et de la protection des droits de l’homme. Cela se caractérise par la mise en place de mécanismes comme la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, le Comité Africain d’Experts sur les Droits et le Bien-Être de l’Enfant et la Commission de l’UA pour le Droit International (UA, 2000) permettant de constater le respect des engagements qu’ils ont pris vis-à-vis de leurs peuples respectifs. Mais la Charte de Banjul va plus loin, s’agissant de la solidarité, car parmi les droits énumérés aux premiers articles figure l’article 7 qui garantit l’accès à un procès juste et équitable, et parmi des devoirs cités à l’article 29 se trouve celui de préserver et de renforcer la solidarité sociale et nationale (Mohamed Salah, 2015).

En effet, la protection des droits de l’homme guidée par l’esprit du principe de solidarité insiste, notamment, sur l’usage de la solidarité comme un idéal correspondant à la notion de coopération et qui renvoie à l’une des plus grandes valeurs participant à la construction des droits de l’homme (Expert Indépendant, 2006). Et, lorsqu’il est question du principe de solidarité pour situer les engagements des États membres de l’UA vis-à-vis de l’application et du respect des normes de droits de l’homme en leur sein, on réfléchit sur l’effectivité de ce principe ou, dans une certaine mesure, sur les motivations et l’originalité ayant inspiré d’une certaine façon cette consécration (Kindé, 2022).

Dans le but de renforcer l’impératif du principe de solidarité dans la vie des États africains, la Commission Africaine, sur la base de l’article 22 de la Charte de Banjul reconnaissant aux peuples un droit sur leurs richesses, a considéré que l’État kenyan a violé ledit article (Affaire Endorois, 2009). En agissant de la sorte, la Commission a reconnu ainsi le droit à la dignité et le droit des peuples au développement des Endorois au même titre que les autres kenyans. Elle a considéré que l’État kenyan, « en refusant aux Endorois le droit de contrôler et d’user des ressources naturelles de terre traditionnelle et l’accès à un lac important pour la vie d’une communauté », a violé ledit article. Elle a donné sens au principe de solidarité par le biais de l’interprétation dynamique des droits proclamés. De la sorte, l’article 22, énonçant ce principe, a pour but de « renforcer l’unité et la solidarité africaines » (Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, 1981).

De façon générale, cette jurisprudence a renforcé le travail de la Commission Africaine dans le cadre de sa mission de promotion des droits de l’homme et n’est pas restée sans influence sur les juridictions nationales des États membres de l’UA (Mohamed Salah, 2015).

Cette coopération telle que prônée par le paragraphe 1er de l’article 23 a permis à la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de faire preuve d’audace . Elle s’est attachée à élargir les sources des droits de l’homme dont elle contrôlait le respect et la mise en œuvre par les États africains (Mohamed Salah, 2015). Prenant appui sur l’article 61 de la Charte de Banjul, cette Commission a considéré que son contrôle se rapporte aux multiples droits consacrés par celle-ci, à savoir ceux énoncés dans la Charte de l’ONU (1945), la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, les conventions internationales protectrices des droits de l’homme, notamment les Pactes Onusiens de 1966, les principes généraux du droit ainsi que la jurisprudence des Comités Onusiens, la Cour Internationale de Justice et les Cours Régionales des Droits de l’Homme (Mohamed Salah, 2015).

Ainsi, dans une autre Affaire Serac (1996), la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, pour donner sens au principe de solidarité, a considéré sur la base du même article 22, cité dans l’Affaire Endorois, que le gouvernement du Nigeria a, à la fois, violé les droits de l’homme à un environnement sain en ne prenant pas les mesures nécessaires pour protéger l’environnement et le droit à la santé des populations Ogoni. L’influence de cette jurisprudence sur les juridictions nationales est sans équivoque référencée dans une décision de la Cour Suprême du Nigeria dans l’Affaire Gbemer (Langford, 2012). La coopération judiciaire pourrait être un acquis, qui assoirait une autorité des décisions des mécanismes de l’UA et assurerait une effectivité plus grande au sein de ses États membres (Mohamed Salah, 2015).

D’ailleurs, le Rapport Annuel de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme (2020), en son point H sur les droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux relatif à l’article 26 de sa Charte, a souligné l’exigence d’une solidarité entre les États, les Organisations Internationales et la Société Civile afin de fournir une réponse régionale et mondiale efficace aux défis posés par la pandémie de COVID-19 en rappelant les dispositions préventives de l’article 63.2 de ladite Charte. La Cour a insisté sur le principe de responsabilité partagée pour assurer une protection effective des droits des personnes en situation de mobilité durant la pandémie (Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme, 2020).

Dans une même optique, la Cour a également, au point J dudit rapport sur la dénonciation de la Convention Américaine relative aux Droits de l’Homme et de la Charte de l’Organisation des États Américains (OEA) et ses effets sur les obligations des États en matière des droits de l’homme, étendu le sens de la notion de « garantie collective » sous-jacente à tout le système interaméricain, et notamment du fait que la Charte de l’OEA fait référence à la solidarité et aux relations de bon voisinage entre les États du continent américain. Conformément à ce mécanisme, les États américains doivent collaborer entre eux dans le respect de leurs obligations internationales, régionales et universelles (Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme, 2020).

À l’image de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme, la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples devrait prendre de mesures nécessaires en vue de garantir la protection sanitaire intégrale de tous les peuples africains et leur apporter une assistance médicale même si la Charte de Banjul est assez vague sur l’obligation des États relative à la prise des mesures précises en la matière (Ouguergouz, 1993). Une décision de cette Cour, contrairement à celle de la Conférence des Chefs d’État de l’UA, devrait contraindre les États à respecter leurs engagements, même si tous ne possèdent pas les moyens d’une application effective de la décision relative à la lutte contre la pandémie COVID-19.

Ainsi, la perception du principe de solidarité de l’OUA découle de ses cinq objectifs qui sont : premièrement de promouvoir l’unité et la solidarité des États africains; deuxièmement, de coordonner et intensifier la collaboration et les efforts des États africains pour parvenir à une vie meilleure pour les peuples africains; troisièmement, de défendre la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance des États membres; quatrièmement d’éradiquer le colonialisme sous toutes ses formes et enfin de promouvoir la coopération internationale en tenant compte de la Charte de l’ONU et de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (Heyns, Baimu et Magnus, 2003).

Au cours des récentes années, l’UA avait annoncé la mise en place d’un fond de solidarité pour une assistance au Gouvernement Sud-africain en réponse aux inondations dévastatrices dans l’une de ses provinces (Solidarity fund support to South Africa following devastating floods, 2022). Pour justifier ses actions en matière de protection des droits de l’homme en temps de crises ou de catastrophes naturelles, l’UA est capable de mobiliser ses États membres sous la coupole de la solidarité africaine par l’entremise tantôt de l’Acte Constitutif tantôt de la Charte de Banjul. Cette marque de solidarité vient renforcer les liens de coopération entre l’UA et ses États membres mais elle fait l’objet de critiques pour des raisons d’interventions à géométrie variable.

Mais qu’en est-il de la situation de violation des droits de l’homme due au terrorisme et aux conflits armés dans le Sahel où le principe de solidarité devrait être invoqué pour rappeler aux États leurs engagements ?

Au regard du principe de solidarité, lors des dernières élections au Kenya, The African Women Leaders Network (AWLN) a déployé une mission afin de soutenir les efforts des femmes kenyanes, de promouvoir leur participation au leadership et d’amplifier leur voix dans la prévention des conflits pour des élections démocratiques pacifiques (African Women Solidarity Mission to Kenya, 2022), notamment dans une perspective du plaidoyer en faveur de l’implication des femmes à la prise de décisions mais aussi, de la prise en compte de la dimension genre dans la vie politique. Cette initiative d’une institution de l’UA s’inscrit dans le cadre d’apporter un appui au respect des droits de l’homme. Plus particulièrement, c’est une mission qui s’inscrit en faveur de la protection des droits des femmes et dans un contexte des élections pacifiques. Elle a été soutenue par voie de coopération du Bureau de l’Envoyée Spéciale du Président de l’UA sur les Femmes, la Paix et la Sécurité avec les États membres pour promouvoir la mise en œuvre de la Charte Africaine de la Démocratie, des Élections et de la Bonne Gouvernance. L’exercice de la reconnaissance du principe de solidarité se perçoit comme la solidarité utilisée dans une optique de la coopération.

Du coup, la stratégie de l’UA, en ce sens, est de relancer l’organisation sur la base d’un consensus des États africains, sur le fait que, pour réaliser le potentiel de l’Afrique, il était nécessaire de réorienter l’attention de la lutte pour la Décolonisation et l’Apartheid, qui avait été le point central de l’OUA, vers une coopération et une intégration accrue des États africains afin de stimuler la croissance et le développement économique de l’Afrique (Commemoration of the 20 th Anniversary since the formation of the AU, 2022). C’est un élément qui pourrait servir d’un rappel à l’ordre dans les relations entre l’UA et ses États membres, en fonction des objectifs qui sont fixés pour davantage cadrer le principe de solidarité dans le moule de la coopération régionale.

Il nous faut également constater que, même à l’échelle internationale, les lacunes de faire de ce principe un levier de coopération persistent. Le Rapport de l’Expert Indépendant (2022) a signifié, aux assises de la 77e Session de l’Assemblée Générale de l’ONU, l’importance de la solidarité en droit international en ces termes : « Under international human rights law, States have a duty to cooperate, including in terms of vaccine solidarity to ensure the fullest enjoyment of human rights by everyone around the globe ». Pour lui, en vertu du droit international relatif aux droits de l’homme, les États ont le devoir de coopérer, y compris en termes de solidarité pour le vaccin durant la pandémie COVID-19, afin de garantir la pleine jouissance des droits de l’homme par tous les habitants de la planète.

À partir de cette assertion, nous pourrons observer qu’il existe un fossé des droits entre les pays riches et pauvres au sein du système international et que la solidarité internationale pourrait être la clé pour combler cet écart. Plus précisément, l’Expert Indépendant (2022) a également réitéré le fait que l’incapacité actuelle des États à assurer une solidarité mondiale optimale en matière de vaccins serait clairement contraire aux valeurs de la solidarité internationale et violerait l’esprit de l’obligation de coopération internationale en matière de droits de l’homme inscrite dans les articles 55.c et 56 de la Charte de l’ONU.

Les droits de l’homme ne sont plus la chasse gardée des États ou leur seul domaine réservé. Ils ont cessé d’être une question interne pour rentrer dans la sphère internationale où sont impliqués des acteurs de tout ordre (États, Organisations Internationales Gouvernementales, Organisations Non Gouvernementales, etc.). La coopération, dans ce domaine, a une base institutionnelle et conventionnelle (Nouazi Kemkeng et Mboumegne Dzesseu, 2021).

Par conséquent, ces exemples constituent un ensemble impliquant la conscience d’une interdépendance des membres du corps social, le sentiment d’une responsabilité mutuelle qui, dans une communauté donnée, oblige ses composantes les unes envers les autres et conduit à l’entraide et à l’assistance mutuelle pour le maintien de la cohésion du groupe (Mohamed Salah, 2015).

La solidarité organique, au sens de la cohésion sociale prônée par Durkheim (2002), nous interpelle dans notre analyse du principe de solidarité. Elle repose sur la coopération nécessaire entre les acteurs en place dans une activité, qui fait que chacun a besoin de l’autre. Ce qui se traduit par un système de droits et d’obligations des uns vis-à-vis des autres. Puis, les points de vue de ces auteurs ont inspiré l’analyse que nous souhaiterons apporter à cette étude dans la consécration de règle de droit et son effet sur les actions de l’UA (Mohamed Salah, 2015).

Alors, entre la globalisation et la mondialisation, la solidarité crée l’interdépendance et lie les États africains à certains égards et en même temps que la libéralisation du commerce les expose aux risques et les soumet à des tensions sociales. C’est pourquoi en Amérique Latine ou en Asie, elle n’est pas perçue comme un obstacle au développement, mais plutôt comme une de ses conditions préalables (Supiot, 2015). Cette perception de la solidarité pourrait inspirer l’UA dans sa marche vers une conscience politique et juridique dans l’utilisation et l’application de son principe de solidarité.

Pour terminer, il serait judicieux de convenir avec Mohamed Salah (2015) que le principe de solidarité ne s’oppose donc pas à la coopération mais se veut plutôt un cadre juridique spécifique, un baromètre permettant de mesurer l’effectivité des relations et des rapports entre les États membres de l’UA et qui renvoie aux notions d’obligation, de devoir, de réciprocité et d’intérêt général.

03. Le principe de solidarité : un moyen de dissuasion pour le respect des droits de l’homme

Dans la première partie de notre analyse, nous avons conclu que les différentes perceptions de solidarité ou du principe de solidarité ne suffisent pas, à elles seules, à le hisser au rang des principes de droit international en matière d’applicabilité.

D’ailleurs, dans une certaine acception juridique, le principe de solidarité devrait s’entendre au-delà de l’appréhension du mot coopération. En raison de la nature de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, le principe de solidarité revêt un caractère juridique afin de rappeler aux États parties à cette Charte leurs engagements pour la protection des droits de l’homme.

Pour coordonner leurs efforts dans le sens d’une action concertée, le principe de solidarité devrait être appréhendé comme un moyen de dissuasion, à partir du moment où les États membres de l’UA ont besoin les uns des autres pour préserver l’ordre et la survie même de leurs pays et atteindre des objectifs collectifs de promotion et de protection des droits de l’homme (Kindé, 2022).

Une telle réflexion ne peut se traduire dans la pratique que si l’UA se penche sur la vision que son ancêtre, l’OUA, avait lors de la consécration du principe de solidarité. Alors pour rendre cela possible, il faut s’attaquer aux obstacles de sa mise œuvre (2.2). Mais avant toute chose, il nous est impérieux de nous situer sur la nécessité d’application effective d’un tel principe (2.1) en droit international « africain ».

3.1 La nécessité d’une application effective du principe de solidarité

Par la manifestation juridique, la prise en compte du principe de solidarité est inscrite dans la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Cette Charte, massivement ratifiée par les États africains et liant aujourd’hui cinquante-quatre États sur cinquante-cinq, est intéressante à plus d’un titre (Mohamed Salah, 2015).

La conception du principe de solidarité, telle que stipulée dans l’article 23, marque le point de départ de cette consécration car la Charte de Banjul est l’un des instruments internationaux à proclamer expressément le principe de l’indivisibilité et de l’interdépendance des droits de l’homme et à réserver un traitement identique aux droits civils et politiques et aux droits économiques et sociaux. Le souci du principe de solidarité se traduit, à ce niveau, par une attention particulière des auteurs de ladite Charte prêtée aux différentes catégories de ces droits (Mohamed Salah, 2015).

Bien que la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples consacre le principe de solidarité pour en faire un principe juridique, l’Acte Constitutif, vient justifier la nécessité de la solidarité exprimée par les leaders africains en mai 1963 à Addis-Abéba. Salim Ahmed Salim, ancien Secrétaire Général de l’OUA, a critiqué le principe de non-ingérence en s’opposant au statu quo des États africains face aux graves injustices à l’encontre des peuples africains : The Organisation of African Unity principle of non-interference in the internal affairs of member states hampered continental institutions from preventing grave injustice against African people. […] The African states had not intended the non-interference clause of the OAU Charter to mean there should be no interreference of the situation. The AU Constitutive Act still maintains the non-interreference clause among its core principles. However, it has also enshrined in the Act the commitment to non-indifference, upholding the right of the Union to intervene in solidarity to prevent genocide, war crimes and crimes against humanity (Cilliers, 2016).

Ainsi, par une décision de la Conférence des chefs d’État et de Gouvernement (2009), l’UA a décidé que ses États membres ne coopèrent pas, conformément aux dispositions de l’article 98 du Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale (CPI, 1998), à l’arrestation et à la livraison des personnalités africaines inculpées (Nana Ngassam, 2017). D’où, l’Afrique du Sud a été confrontée à cette décision sur la base d’un conflit de loyauté dans lequel elle a dû choisir entre son engagement envers l’UA (par principe de solidarité) et celui (coopération) envers la CPI (article 86 du Statut de Rome, 1998) dans le cadre de l’arrestation d’Omar El-Bechir, ancien président du Soudan (Boehme, 2016). Confrontés à cette situation, l’Afrique du Sud, les autres États membres ont utilisé des arguments juridiques similaires pour expliquer leur non-coopération avec la CPI, allant de la controverse juridique concernant l’immunité des Chefs d’États, au fait que les visites d’El-Bechir étaient des visites dans le cadre de Sommets de l’UA plutôt que de visites bilatérales (Boehme, 2016).

D’après Boehme (2016) : The States claim to have complied with the African Union’s noncooperation decision, which calls on AU Member States not to assist in the arrest of Al-Bashir. Denying the claims that AU decisions trump states’ treaty obligations under the Rome Statute. South Africa’s regional and international foreign policy priorities help explain the non-arrest. Faced with noncooperation pressure by the AU, the Al-Bashir visit catapulted the South African executive into a loyalty conflict between its obligation to the AU and its obligation to the ICC. The decision to not arrest Al-Bashir, in line with the AU position, aligns with three South African foreign policy priorities: a preference for regional solutions to regional conflicts, for quiet over antagonistic diplomacy toward autocratic regimes and for an anti-imperialist world order in which the global South enjoys equal status to the global North. These regional political considerations impacted the South African executive’s decision to disregard domestic and international legal obligations. In trying to cement its leading position in the AU – long critical of the ICC for its prosecution focus on Africa–South Africa was willing to flout its obligations to the ICC by not arresting Al-Bashir.

Cette institutionnalisation du principe de solidarité par le biais de la norme de non-coopération des États membres dans l’arrestation d’El-Bechir suscite la réflexion sur la position commune que pourrait adopter l’UA dans certaines circonstances de la conformité du droit international et surtout dans les relations internationales (Boehme, 2016). Cette démarche pourrait s’inscrire dans le cadre des efforts à renforcer cette notion pour une meilleure application à un moment donné dans un espace déterminé.

Au-delà de son institutionnalisation, cette idée est, aujourd’hui, largement prise en considération comme un sentiment de responsabilité mutuelle qui fait que les membres d’une société ont des obligations les uns envers les autres, et que la collectivité doit pouvoir venir en aide à ceux qui en ont besoin, nonobstant certaines difficultés de mise en œuvre qui tiennent pour l’essentiel soit aux faiblesses de l’UA ou des États la constituant (Mohamed Salah, 2015).

Et, en renvoyant aux principes généraux du droit international qui guident traditionnellement la conduite des États (Déclarations de 1965 et de 1970), l’article 23 ne condamne pas tout usage de la violence : celui-ci reste en principe licite dans les situations de légitime défense et toutes les fois qu’un peuple vise à se soustraire à la servitude ou à l’oppression (Ouguergouz 1993).

On relèvera, en substance, que le principe de solidarité auquel il est fait référence ici est assez flou. Les rédacteurs du document n’avaient-ils pas plutôt en tête l’idée de coopération ? En matière de paix et de sécurité stricto sensu, le principe de solidarité devrait trouver son expression la plus nette dans les traités de défense mutuelle signés par certains États africains. L’on constatera également que cette disposition entretient une certaine confusion entre les principes et les objectifs de l’UA (Ouguergouz, 1993).

Malgré le respect par les États du « principe de solidarité et de relations amicales », il ressort de la lecture de l’article 23 que la seule obligation concrète est celle prévue par son paragraphe 2 ; celui-ci énonce en effet l’engagement de chaque État partie d’interdire l’exercice par un réfugié de toute activité subversive contre tout autre État partie et toute utilisation de son territoire à pareille fin (Charte de Banjul, 1981). On pourrait, à juste titre, d’ailleurs s’étonner que les États ne se soient pas ici engagés, par exemple, à ne consacrer qu’un minimum de ressources à un armement strictement défensif afin de permettre la pleine réalisation des droits de l’homme (Ouguergouz, 1993).

Or, l’Acte Constitutif fixe les objectifs et principes de l’UA sur un fondement africaniste (Tchikaya, 2018), principes qui consacrent la vie humaine et préconisent des préceptes qui devront guider la pratique des États dans l’exercice du droit de leurs peuples et au respect de leurs libertés fondamentales. Il va plus loin donner le pouvoir aux États membres de l’UA d’intervenir en cas de violations graves des droits de l’homme, de crimes contre l’humanité et de génocide par application du principe de solidarité dans l’ultime but de garantir le droit de tous les peuples à l’égalité, proscrivant ainsi l’oppression. Le cadre juridique de l’UA primera sur l’intérêt général (Ouguergouz, 1993). Le recours à ces sources internes à l’UA fournira un début d’explication à la protection des droits de l’homme et l’applicabilité du principe de solidarité.

3.2 Les défis de la mise en œuvre du principe de solidarité

Nous avons mené une analyse déductive du principe de solidarité dans les lignes précédentes. Il s’agit de voir comment, les obstacles, au-delà de la parade d’une hypothétique souveraineté, empêchent l’UA de mettre en application de manière effective et efficace le principe de solidarité. Étant donné que les défis sont communs (Mandé et Jackson, 2015).

Il est apparu que la perspective de la mise en œuvre effective du principe de solidarité était handicapée par la souveraineté des États (Mandé et Jackson, 2015). C’est dans le continent africain que se manifeste le plus l’existence d’une solidarité en termes de coopération (Mohamed Salah, 2015) même si l’UA a du mal à remplir les conditions nécessaires pour en faire un principe contraignant de droit international.

Afin de bien appréhender la portée du principe de solidarité, il suffit de faire une lecture comparative de son application dans des organisations similaires. Cette comparaison nous permettra de dégager quelques facteurs d’ordre politique pouvant constituer le blocage au sein de l’UA.

En droit de l’UE, le principe de solidarité est appliqué sous la forme du principe de coopération loyale (Brosset et al., 2021). Il a été acquis avec le Traité de Lisbonne (2007), considéré comme un principe « identitaire » de l’UE et il a une ampleur toute particulière. Il figure dans les dispositions liminaires dudit Traité, plus exactement dans l’article 4 TUE paragraphe 3 (et donc s’applique à tous les domaines de l’UE), en outre, il est explicite, sous un format large puisque loin de ne viser que les États, il prévoit que « l’UE et ses États membres se respectent et s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités ». Plus souvent, la violation du principe a été portée devant le Juge et il a été reconnu d’ailleurs comme constitutif d’un fondement autonome d’obligations (Brosset et al., 2021).

Pourtant, ce principe de solidarité peut jouer un rôle essentiel dans le domaine de protection des droits de l’homme, même si sa portée réelle est, aujourd’hui, difficile à évaluer (Mohamed Salah, 2015). Dans le cadre de violations des droits de l’homme comme en témoignent les bouleversements politiques et les repressions violentes (Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, 2019), l’article 23 pourrait être porté devant le Juge comme un élément constitutif d’un fondement de manquement aux engagements pris dans la Charte de Banjul.

Comme l’illustre l’Affaire Mox (2006) où la Cour Européenne des Droits de l’Homme a condamné l’Irlande en manquement pour violation de ce principe pour avoir engagé une procédure dans le cadre du régime de règlement des différends prévu par la Convention de l’ONU sur le Droit de la Mer sans avoir ni informé ni consulté au préalable les institutions communautaires compétentes, en particulier la Commission Européenne. D’autres affaires peuvent attester de l’importance de ce principe, notamment l’Affaire Commission c. Suède (2010), la Suède a été condamnée pour manquement à l’obligation de l’article 4 paragraphe 3 TUE, pour s’être dissociée en exprimant une position unilatérale, dans la gestion d’un accord mixte portant sur la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants et ce, en violation de la stratégie communautaire, consistant à ne pas prendre de position individuelle en attendant l’élaboration d’une position commune.

Ainsi, ce cas de figure pouvait être invoqué, dans le conflit de loyauté opposant l’UA à l’Afrique du Sud (Boehme, 2016) et donné l’occasion à la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de consacrer le principe de solidarité en obligation pour les États parties à la Charte de Banjul.

Ces affaires montrent clairement l’importance dudit principe dans la protection de l’environnement, donc des droits de l’homme, comme un moyen de dissuasion au sein de l’UE. Le principe de solidarité implicite ou explicite renforce la cohésion d’une société et fait partie intégrante de la politique des pays européens. Il joue un rôle formateur dans le développement historique des États, bien que sa compréhension diffère considérablement entre les autres systèmes. La pression et les interprétations hétérogènes de ce principe compliquent actuellement une approche commune européenne. Ainsi, on le voit, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a eu l’occasion de consacrer une obligation autonome de coopération pour l’UE et ses États membres pendant tout le « cycle de vie » d’un accord international (Brosset et al., 2021).

Observons que la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples a également formalisé le droit à un environnement sain comme un composant des droits de l’homme (article 24) et les États, qui ont adhéré ou qui ont inscrit dans leurs constitutions un droit de la personne à un environnement sain (Blain, en ligne), ainsi que leur opinio juris, devraient s’y référer comme l’a démontré l’Affaire Serac. En vertu du principe de solidarité, l’UA peut davantage incomber ses États membres de leurs obligations et faire valoir ce principe au même titre que ceux inscrits dans la Charte de l’OUA.

À l’instar de l’UE, l’OEA a érigé la solidarité en principe dans le Préambule de sa Charte ainsi qu’aux articles 1er, 3, 29 et 30 (1948). Les affaires sus mentionnées de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme retracent l’application de la solidarité dans un contexte de relations entre États tout en soulignant l’importance du bon voisinage dans le cadre du respect des droits fondamentaux de l’homme ayant abouti à un avis consultatif et à des mesures provisoires : Veléz Loor c Panama et Avis consultatif de la Colombie (2020).

D’emblée, si le principe de solidarité devait être l’idéal d’une Afrique meilleure, alors il conviendrait que l’UA et ses États membres réfléchissent à une mise en œuvre effective afin de le rendre contraignant au niveau régional et, plus particulièrement en matière de respect des droits de l’homme.

Pour des cas de force majeure, les États membres de l’UA ont jugé nécessaire d’établir des règles qui leur permettront de prendre des décisions par voie de circulaire sur la base de procédures silencieuses, afin d’éviter une longue attente pour un sommet. Tel a été le cas au temps de la pandémie de COVID-19, une décision a été prise pour mettre en place le Fonds de réponse de l’UA pour lutter contre le virus et de fournir de l’assistance médicale et de première nécessité aux peuples africains (Décision dans le cadre de la procédure d’approbation tacite, 2020).

Évidemment, le principe de solidarité peut être utilisé comme un atout qui puisse davantage lier les États membres de l’UA dans leurs relations par rapport à leurs peuples, plutôt qu’un engagement d’une catégorie de ces derniers vis-à-vis de leurs États, tel que référencé dans le paragraphe 2 de l’article 23 de la Charte de Banjul. Seulement, le constat est qu’il y a toujours un manque à gagner du fait que l’UA se trouve confrontée à la situation de l’adaptabilité à la diversité des objectifs poursuivis par ses États membres aux dépens de ceux fixés par cette Charte et, rares sont les États (Mohamed Salah, 2015), qui ont adopté une politique contraire à l’opinion de Salim Ahmed par rapport à leur statu quo face aux graves injustices à l’encontre des peuples africains (Cilliers, 2016).

Ce manquement pourrait être qualifié de silence juridique et nous interpelle sur la conséquence de la perfectibilité des rédacteurs de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples en consacrant la solidarité comme un principe. En effet, ce silence manifeste dans le développement de la jurisprudence de l’UA n’est pas délibérément prémédité, mais, il résulte simplement d’omissions involontaires des mécanismes du système africain des droits de l’homme (Ngah Noah, 2015).

En lisant l’article 23, on se rend compte que les rédacteurs ont omis de régler un aspect pourtant essentiel pour rendre complet cet article, la question d’engagements des États partis à la Charte de Banjul sur la base du principe de solidarité. Ce manquement, cette omission et ce silence greffant toute œuvre humaine sont des causes pouvant expliquer les lacunes de l’applicabilité dudit article.

Cependant, il faudrait également noter que sur le plan politique, le principe de la solidarité pourrait s’élargir aux enjeux de paix et de sécurité et de gouvernance globale. Spécifiquement, l’accent sera mis sur l’interaction entre les conditions de protection des droits de l’homme et les mesures pour prévenir et gérer les conflits et les violations des droits de l’homme. L’idéal serait d’impliquer plus activement la société civile à la mise en œuvre et l’évaluation des stratégies visant le respect des droits de l’homme (Gijs et Gijs, 2019).

En effet, la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples a fait la recommandation, lors de sa 73e Session Ordinaire, en ces termes : « The African Union and its Member States cannot protect and promote the culture of human rights in Africa alone. This call for close collaboration and synergy with the civil society, media, private sector, and the citizenry for the full realization of the human and peoples’ rights goal » (Déclaration à l’occasion de la célébration de la journée de l’UA, 2022).

Cette recommandation, ainsi élaborée, s’inscrit dans le cadre de l’engagement de la protection et la promotion des droits de l’homme en Afrique conformément à l’article 45 de la Charte de Banjul, en collaboration avec d’autres institutions de l’UA. Elle souligne, à travers la collaboration, la nécessité de renforcer l’obligation des États membres avec le concours des autres acteurs pour soutenir les objectifs de l’UA et, dans une certaine mesure, apporter un nouvel élan au principe de solidarité en matière de protection des droits de l’homme (Déclaration à l’occasion de la célébration de la journée de l’UA, 2022).

Pour que les États aient la même appréhension du principe de solidarité que l’UA, il faut s’efforcer, dans la mesure du possible, de renforcer la base psychologique et idéologique, de renforcer le sentiment de tous les États africains de faire partie d’un même ensemble africain. Mais une grosse difficulté se présente : l’absence incontestable d’une autorité politique africaine (Ben, 1983), qui pourrait imposer des sanctions découlant des décisions relatives à l’applicabilité du principe de solidarité. Et, même la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, qui a compétence pour rendre contraignantes et exécutoires des décisions (Amnesty International, 2002) ne dispose pas expressément du pouvoir de veiller à l’application de ses arrêts et elle semble donc dans l’incapacité de réagir lorsqu’ils sont ignorés.

En revanche, ce sont les États membres, par voie de la Conférence, qui adoptent les mesures politiques jugées nécessaires pour garantir le respect des décisions de la Cour et dans l’intérêt pour elle de protéger l’intégrité du système (Amnesty International, 2002).

Alors, la question suivante se pose à savoir quel est l’état de coopération des États membres de l’UA avec les organes quasi-juridictionnels et juridictionnels du système africain de protection des droits de l’homme ? Au regard de l’application de la Charte de Banjul, il est pertinent de constater que cette coopération, sur la base de l’évolution textuelle et de l’activité jurisprudentielle au sein de l’UA, est à la fois timide, hésitante et même contingente du fait de la réticence de ses États membres à admettre ou à accepter l’autorité de l’organe judiciaire qu’est la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (Nouazi Kemkeng et Mboumegne Dzesseu, 2021).

Néanmoins, il est clair que l’idée des politiques communes déterminées impose une conception communautaire des compétences que seule une organisation de coopération intégrée permet de justifier. D’autant que la reconnaissance par les États membres de leur auto-dépendance dans le cadre de l’UA atteste des limites de leur indépendance fonctionnelle et justifie l’organisation d’un nouvel échelon de solidarité régionale placé au-dessus des souverainetés étatiques africaines.

Mais, en est-il véritablement ainsi ? Dans la même perspective, il convient de souligner la volonté d’assurer la suprématie de l’Acte sur les traités et accords conclus par les États, dont il est attendu qu’ils convergent vers la réalisation des buts et principes de celui-ci. La question est pourtant de savoir si les critères et/ou indicateurs de conformité ou de compatibilité seront établis si la Commission de l’UA sera dotée de l’autorité nécessaire pour les faire prévaloir (Doumbé-Billé, 2013).

Récemment, il semblerait également que les tensions entre la République de la Côte d’Ivoire et la République du Mali portent sur les questions d’intégrité territoriale dont le Mali accuserait la Côte d’Ivoire d’avoir déployé des « mercenaires » sur son territoire afin de déstabiliser son système étatique (Voice of America-Afrique, 2022). Ce qui serait en inadéquation avec les alinéas 1 et 2 de l’article 23 de la Charte de Banjul.

Qu’en est-il de la violation de la disposition portant principe de solidarité ? Un recours auprès de la Commission et la Cour Africaines des Droits de l’Homme et des Peuples serait une éventualité pour mieux situer les responsabilités dans un contexte de violations des droits de l’homme et une remise en cause du principe de solidarité d’un État membre de l’UA à l’égard d’un autre, qui est confronté depuis 2012 à des attaques terroristes et plongé dans une profonde crise sécuritaire et politique, constituant également une menace pour les droits de l’homme (VoA-Afrique, 2022).

Mais encore, dans le cadre d’un contentieux interétatique, se posera l’épineuse question de l’exécution des décisions qui demeure toujours une équation irrésolue dans le système africain de protection des droits de l’homme (Badugue, 2020).

En matière des droits de l’homme, le principe de solidarité marque une grande innovation, reflétant, au moins sur le plan formel, une valeur ajoutée à la Charte de Banjul. Cette conception justifierait l’adoption d’un grand nombre d’instruments régionaux par l’OUA et, actuellement, par l’UA, particulièrement en matière de protection des droits de l’homme (Doumbé-Billé, 2013).

Pourtant, le silence juridique sur le concept du principe de solidarité pourrait être le résultat de la combinaison de plusieurs facteurs tels que l’incapacité de l’UA de régir de manière exhaustive la réalité des repressions violentes, des conflits armés, des coups d’État à répétition, les transformations sociales, de bouleversements et fractures sociaux (Kindé, 2022).

Cette perspective substantielle est amplifiée par une approche organisationnelle qui insiste sur le caractère dynamique, évolutif et changeant de la réalité de l’UA. Pour ce qui est de l’attitude de l’Organisation et de ses États membres dans le cas du silence juridique sur le principe de solidarité, elle se résume tantôt à créer délibérément le silence du droit à travers des choix de politique juridique, tantôt à l’engendrer involontairement par des omissions dans le travail de l’encadrement de leurs rapports interétatiques (Ngah Noah, 2015).

En ce qui concerne ce silence, il se pose un réel problème de l’engagement des États africains envers les instruments africains de protection des droits de l’homme et leur mise en œuvre, en l’occurrence, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Les raisons sont, entre autres, la volonté souveraine de l’État dans l’ordre international à être lié ou pas, d’autant plus que les États sont souverains de leurs démarches d’acceptation des instruments juridiques internationaux (Kamto, 2007).

S’agissant des défis dont fait face l’UA dans la réalisation concrète du principe de solidarité et, comme on peut le constater, une désolidarisation au niveau de la pratique des réserves et des retraits à ladite Charte et cela pose une difficulté indéniable à une protection effective des droits de l’homme en Afrique. Cette résistance des États au contrôle juridictionnel est un défi pour la viabilité de l’application de la Charte de Banjul. Or, les États devraient saisir l’opportunité de poser les bases d’une coopération judiciaire, qui exploitera les avantages comparatifs de chacun des systèmes nationaux de protection des droits de l’homme (Badugue, 2020). L’on peut également noter une faible collaboration des États en amont du mécanisme africain de protection des droits de l’homme pour rendre le principe de solidarité un moyen de dissuasion dans ce domaine et une faible participation en aval à ce mécanisme pour ce qui est du respect de la chose jugée.

Contrairement aux contentieux américain et européen, la pratique du retrait (ou « désolidarisation au principe de solidarité ») est banalisée comme en témoigne à suffisance le cas du Rwanda le 1er mars 2016, de la Tanzanie qui abrite le siège de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, le 14 novembre 2019, les cas du Bénin, le 24 avril et celui de la Côte d’Ivoire, cinq jours après, le 29 avril au cours de la même année 2020 (Badugue, 2020). Tout cela au nom d’un principe de souveraineté, qui s’oppose et fait obstacle au principe de solidarité.

04. Conclusion

Dans les pages qui précèdent, nous avons tout d’abord démontré que le principe de solidarité est intégré dans la Charte de Banjul pour répondre aux objectifs de la Charte de l’OUA, en son article 2 puis repris dans l’article 3 de l’Acte Constitutif de l’UA. Au premier abord, la consécration par la Charte de Banjul devrait lui conférer de facto le caractère juridique et obligatoire pour permettre aux États membres de mieux coordonner et harmoniser leurs diverses politiques et actions en matière des droits de l’homme par le biais de la coopération.

En outre, si l’on débute une réflexion plus profonde dans la compréhension de la notion du principe de solidarité et de son application au sein de l’UA, l’on s’aperçoit que le défi est grand et que chaque État le conçoit différemment. Les mesures pour permettre une pleine effectivité sont moindre et la prise en considération s’illustre davantage par des intérêts individuels des États de faire valoir l’Unité Africaine. Par suite d’une décision de la Conférence de l’UA (2015), un État membre serait capable de mobiliser tous les moyens nécessaires pour que la candidature d’un de ses ressortissants à un poste de leadership auprès d’une Organisation Internationale soit avalisée par l’UA pour obtenir l’adhésion de tous les cinquante-cinq. C’est tout le contraire quand il s’agirait de faire respecter les engagements relatifs aux droits de l’homme.

C’est justement ce que révèle Gueldich (2019), qu’il est temps d’afficher une solidarité commune pendant les campagnes électorales aux grands postes des Organisations Internationales Universelles où les Africains sont appelés à être représentés. Cette manière de percevoir le principe de solidarité ne contribuera nullement à l’avancée des droits de l’homme en Afrique car cette initiative relève des intérêts individuels des États à se faire représenter par leurs citoyens.

De surcroît, l’accent est mis sur l’importance que les dirigeants africains devront faire le pas qui marquera l’histoire, en plaçant leurs ambitions à l’échelon continental, tout en donnant la possibilité aux peuples africains d’exprimer leur solidarité instinctive au-delà des contingences politiques faites de calculs personnels et d’égoïsme sous le couvert de la souveraineté nationale (Ben Achour et Gueldich, 2019).

Certes, le principe de solidarité, comme nous l’entendons, n’est pas seulement une émotion. Entre l’UA et ses États membres ou une solidarité justifiée par la fraternité, c’est aussi la base rationnelle de la coexistence sociale. C’est une action dialectique qui préoccupe une base commune et en même temps crée une communauté. La solidarité, appréhendée de cette manière, est une voie à double sens : elle sous-entend le fait de donner et de recevoir (Supiot, 2015).

Aux termes de cette étude, il faudrait adopter une attitude de redevabilité responsable vis-à-vis des engagements pris pour faire respecter, protéger et réaliser les droits de l’homme qui se révèlent utiles mais insuffisants pour mesurer l’impact du principe de solidarité au sein de l’UA et entre ses États membres (Grosbon, 2012). Cette audace pourrait motiver cette organisation régionale à aller vers une Afrique intégrée, prospère et en paix comme tant souhaitée (UA, 2019).

Par ailleurs, c’est le renforcement juridique de ce principe qui s’avère nécessaire pour dissuader les États membres dans leurs relations afin de donner un sens légal à l’article 23 de la Charte de Banjul et pour rendre efficace les objectifs de l’UA, faute de quoi, les peuples africains pourraient continuer par idéaliser la bonne gouvernance et la pleine jouissance des droits de l’homme.

L’affirmation du principe de solidarité permet de faire un lien entre le droit de recevoir et l’obligation de donner, cela reprend une perception des droits de l’homme qui exige de faire le lien avec les devoirs correspondant. Pour le rendre viable, l’UA doit faire davantage place au principe de coopération entre ses États membres, ainsi l’on peut prédire un bel avenir au principe de solidarité (Supiot, 2015).

Ainsi, le principe de solidarité connaît des limites quant à son application dans le cadre du respect des droits de l’homme par les États membres de l’UA, en particulier lorsque ceux-ci faillissent à leurs engagements de se respecter et de s’assister mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant de la Charte de Banjul. Il sera d’autant plus important à l’avenir de mettre l’accent sur le côté rationnel du principe de solidarité, notamment lorsqu’il s’agit de répondre aux violations des droits de l’homme sur la base d’un fondement d’obligations.

In fine, le temps est à l’action et une approche pragmatique du respect des droits de l’homme s’impose. Ce changement pourrait se réaliser au moyen de la mise en œuvre effective de l’article 23. Ainsi, le principe de solidarité pourrait être appréhendé autrement dans le rôle que joue l’UA en son sein pour la protection des droits de l’homme et la garantie des libertés fondamentales des peuples africains.