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01. Introduction

En Afrique, l’ambition de créer un marché commun a germé depuis 1991 dans le cadre du Traité d’Abuja. Ce projet a fait son chemin et en mars 2018, la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) a été créée (elle est entrée en vigueur en Mai 2019). Constituant le prélude à l’intégration économique du continent (Bastidon, C., Ghoufrane, A., & Silem, A. 2020), cette zone vise à faciliter l’intégration économique en Afrique en s’appuyant sur les réalisations des communautés économiques régionales (CER) et en consolidant leurs niveaux d’intégration qui demeurent fortement contrastés (Hugon, P. 2017).

Le choix de privilégier les CER dans le projet d’intégration continentale risque-t-il de perturber la dynamique d’intensification du commerce promise par la ZLECAF ? C’est probablement le cas (Raissi, M., Boubrahimi, N., & Ghoufrane, A. 2020). D’une part la profusion d’arrangements institutionnels et l’adhésion multiple à plusieurs CER brouillent les objectifs d’intégration commerciale sous-régionale et produisent un effet de concurrence non productive entre les communautés régionales (Fankem, G. S. G. 2017). D’autre part, les niveaux d’intégration commerciale contrastés au sein des CER risquent d’accentuer l’asymétrie d’intégration continentale (Yogo, E. K. 2016, Deblock, C. 2017).

Malgré le foisonnement des travaux mettant en évidence les effets positifs (création de commerce) des Accords Commerciaux Régionaux (Baier et Bergstrand, 2007, et Magee,C. 2008, et Calvo Pardo, H. F., Freund, C. L., & Ornelas, E. 2009), il existe une littérature empirique permettant de montrer les effets de distorsions des ACR sur les flux commerciaux entre les membres (Salazar-Xirinachs, J.M, 2002 et Carrère, C. 2013) et d’y déceler les détournements de commerce (Carrère, C. 2006). Dans le contexte africain, certains travaux (Carrère, C. 2013, Dieye, C.T. 2016, Fankem, G. S. G. 2017) étudient l’influence directe de la prolifération des CER sur les échanges intra-africains en testant l’hypothèse selon laquelle le foisonnement des CER et les adhésions croisées entravent les échanges commerciaux entre les pays d’Afrique Centrale (Fankem,G.S.G. 2017) ou encore au sein de l’UEMOA, et de la CEMAC (Carrère, C. 2013). De même, le travail de I. Bahmane (2013) montre à travers une méthodologie du bol de spaghetti de Bhagwati, la complexité des réseaux économiques en Afrique et l’incohérence organisationnelle au sein des CER.

À notre connaissance, les travaux qui ont analysé l’intégration commerciale en Afrique se sont focalisés sur la contribution des CER dans l’intensification du commerce à l’échelle sous régionale. Ces derniers rendent compte de la complexité organisationnelle des CER et des adhésions sous-régionales croisées et proposent la rationalisation des adhésions voire la fusion de certaines CER. Toutefois ces travaux ne fournissent pas d’explications quant aux facteurs susceptibles d’intensifier le commerce en dehors du cadre institutionnel des ACR.

La contribution de cet article permet de remédier à ce manque en testant l’hypothèse selon laquelle l’intégration régionale promise par la ZLECAF (reposant sur les CER) pourrait être pensée en dehors du cadre institutionnel des ACR. Ainsi, en admettant que l’existence d’un ACR ne permette pas à lui seul d’expliquer l’intensité commerciale sous régionale, nous nous employons à identifier d’autres facteurs susceptibles d’impacter le commerce intra-africain. En effet, les travaux empiriques (Baier et Bergstrand, 2007, 2009a ; Magee, 2008 ; Kohl, 2014) qui évaluent les effets des accords commerciaux régionaux sur les échanges entre pays membres, particulièrement les modèles reposant sur une approche ex post (qui compare la situation après la formation d’un accord commercial avec la situation qui aurait prévalu sans cet accord et qui semble la plus pertinente pour notre cadre d’analyse) utilisent des modèles de gravité. Bien qu’un bon nombre de travaux s’accordent à confirmer le caractère stable et robuste des modèles utilisés dans le cadre de cette approche (Head et Mayer, 2015), elle n’est cependant pas exempte de critiques (Fankem, G. S. G. 2017). En plus des effets des ACR sur l’intensification des échanges (Carrère, 2006 ; Bair et Bergstrand, 2007 ; Maggee, 2008), ces modèles permettent de capter d’autres variables relatives aux caractères historiques ou politiques. « Les niveaux élevés du commerce intrabloc peuvent être dus non à la formation des arrangements commerciaux préférentiels, mais plutôt à des relations historiques ou politiques entre les membres du bloc » (Haveman et Hummels, 1998). De ce fait, nous tentons d’expliquer l’intensité commerciale dans deux CER en nous basant sur le modèle de Freudenberg, M. Gaulier,G. et DenizUnal-Kesenci (1998) qui permet d’expliquer les intensités commerciales par les facteurs de proximité.

Nous adoptons dans un premier temps une approche comparative pour mesurer l’intensité des échanges au sein de deux CER affichant des niveaux d’intégration économique contrastés. D’une part l’Afrique du Sud dans la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC) et d’autre part le Maroc au sein de la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD). Dans un second temps, nous expliquons ces intensités par le modèle des facteurs de proximité de Freudenberg, M. (1998). Quatre variables exogènes seront testées : la distance géographique relative, l’écart des structures de spécialisation, la distance économique (distance des niveaux de vie) et l’appartenance à un accord commercial régional (ACR).

Nos résultats fournissent un éclairage sur le risque lié au choix de favoriser les CER dans l’intégration continentale. D’une part, nous montrons que les niveaux d’intégration contrastés entre les CER risquent d’accentuer l’asymétrie d’intégration continentale. D’autre part, nous considérons que malgré l’importance de l’adhésion à un ACR, cette variable ne permet pas à elle seule d’expliquer l’intensité commerciale sous régionale. D’autres variables telles que la distance géographique, l’écart des structures de spécialisation et la distance économique auraient un impact significatif sur le commerce intra africain.

02. La régionalisation du commerce africain : cadre théorique

2.1 L’impact des ACR sur l’intensification du commerce : des effets controversés

Les théories du commerce international qui évaluent les effets des accords commerciaux régionaux sur les échanges entre pays membres (théories qui s’appuient sur le cadre d’analyse vinerien (Viner, 1950) présentent des conclusions controversées. D’une part les effets de création de commerce sont présentés comme source d’efficacité économique. Dans leur article sur la capacité des accords de libre-échange à augmenter le commerce international des membres, Baier et Bergstrand (2007) constatent qu'en moyenne, un ALE double approximativement le commerce bilatéral de deux membres après 10 ans. Aussi, les estimations de Magee (2008) révèlent que les accords régionaux ont des effets anticipatifs significatifs sur les flux commerciaux et continuent d'affecter le commerce jusqu'à 11 ans après leur lancement. De même, Kohl (2014) passe en revue la littérature empirique qui étudie l'effet des accords d'intégration économique (AIE) sur les flux commerciaux internationaux en utilisant l'équation de gravité. Ce dernier conclut que dans l'ensemble, les accords d’intégration régionale favorisent le commerce d'au plus 50 %. Par ailleurs, en s’appuyant sur la théorie du Third country effect[1], Freund (2010) analyse les effets de la multiplication des ACR sur l’accélération des échanges régionaux et montre que le régionalisme ne nuit pas de manière significative aux non-membres.

À l’opposé, les effets de détournement impliquant une réorientation de l’approvisionnement en faveur d’une production à coût plus élevé sont largement discutés en littérature. En s’interrogeant sur la capacité des accords commerciaux régionaux à créer du commerce, Sucharita Ghosh et al. (2004) montrent que l'effet de création de commerce de la plupart des ACR est fragile. Pour Freund et Ornelas (2009), le caractère discriminatoire des accords régionaux a soulevé trois préoccupations principales : le détournement des échanges serait endémique, car des groupes d'intérêts particuliers inciteraient les gouvernements à conclure les accords les plus perturbateurs ; qu'une libéralisation plus large du commerce extérieur s'enliserait ou s'inverserait ; et que le multilatéralisme pourrait être affaibli. De même, Carrère (2006) et Lee et Shin (2006) décèlent aussi des détournements de commerce des ACR. Contrairement à la vision conventionnelle du détournement des échanges, le travail récent de Lee, W. Mulabdic, A. et Ruta, M. (2023) montre que les accords commerciaux régionaux « profonds » peuvent avoir un effet d'entraînement positif : ils augmentent la probabilité d'exportation et d'entrée d'entreprises de pays tiers qui exportaient auparavant vers l'un des pays membres. Cet effet d'entraînement est motivé par des dispositions qui sont non discriminatoires et traitent des questions réglementaires. Les ACR modernes (dits approfondis) vont souvent au-delà de la politique commerciale traditionnelle, couvrant des domaines politiques transfrontaliers tels que les réglementations nationales. Ils permettent d’harmoniser l’environnement réglementaire, de réduire les coûts d'entrée et d’augmenter les exportations des entreprises dans les pays tiers - ce que certains ont qualifié de détournement commercial négatif (Baldwin, 2014). Lee, W. Mulabdic, A. et Ruta, M. (2023) précisent que l'impact sur les entreprises des pays tiers des ACR est une question empirique qui dépend en partie du contenu de ces accords. D’autres travaux plus récents montrent des effets mitigés des ACR. Naito, T. (2021) montre qu’un ACR entre les pays 1 et 2 diminue le taux de croissance du pays 3 et les parts de revenus des exportations des variétés du pays 3 vers les pays 1 et 2 à court terme, mais les augmente à long terme.

Cette disparité des résultats est généralement expliquée par une différence de méthodologie empirique. En effet, les travaux empiriques (Baier et Bergstrand, 2007 ; Magee, 2008 ; Kohl, 2014) qui évaluent les effets des ACR sur les échanges entre pays membres s’appuient sur deux types de méthodes distinctes : soit d’une approche ex ante (permettant de comparer une situation avec intégration à une situation sans intégration), soit d’une approche ex post (qui compare la situation après la formation d’un accord commercial avec la situation qui aurait prévalu sans cet accord).

2.2 L’intégration économique régionale en Afrique

En Afrique, l’intégration commerciale demeure encore faible (Hugon,P .2017). Les échanges commerciaux intra-africains sont en deçà de 15% du total des échanges du continent (CNUCED, 2019) et les arrangements institutionnels ne sont pas assez développés. En l’absence de projets régionaux portés par les entrepreneurs et de la mise en place de politiques de transferts des pôles bénéficiaires de l’intégration vers les pays moins bénéficiaires, le régionalisme de jure (les accords institutionnels tels que le droit ex-ohada[2]) s’est révélé insuffisant (Hugon, P. 2017). À cet effet, l’Union Africaine a fait le choix de relancer le projet d’intégration du continent (lancé depuis les années 1990, dans le cadre du traité d’Abuja) en s’appuyant sur l’idéal communautaire, notamment par l’idée de combiner étroitement intégration économique et intégration institutionnelle. L’UA a ainsi fait le choix de faire des communautés économiques régionales reconnues[3] la base de l’intégration continentale (C.Deblock 2017) et « les pierres angulaires » de la ZLECAF (rapport UA-BAD- CEA, 2017). Toutefois le niveau d’intégration au sein de ces CER demeure fortement contrasté entre les différentes zones africaines (P.Hugon 2017). L’intégration se renforce dans certaines zones, notamment la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), grâce au poids économique de l’Afrique du Sud et de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), qui profite du poids du Kenya. À l’opposé, une régression de l’intégration est constatée au sein de l’Union du Maghreb (UMA) et de la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC). Les progrès sont également nuancés au sein de la Communauté économique de développement des États d’Afrique occidentale (CEDEAO) (P.Hugon, 2017).

Selon un rapport sur l’état de l’intégration économique en Afrique (UA, 2017), il existe quatre zones de libre-échange fonctionnelles dans les CER reconnues par l’Union africaine : le COMESA, la CEDEAO, la CAE et la SADC. En dehors de ces CER, il existe des mécanismes de libéralisation du commerce intra-africain, notamment la zone de libre-échange panarabe, la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), l’union douanière de l’Afrique Australe (SACU) et la zone de libre-échange tripartite[4]. Par ailleurs, le rapport souligne que le commerce africain se concentre au sein des CER. Les pays africains commercent surtout avec les autres membres de leur même groupement régional. (UA-BAD, 2017). Pour ne prendre que l’exemple des quatre CER opérationnelles, le rapport fait ressortir qu’un membre de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) obtient 86% de ses importations africaines de ce même groupe. Le taux est de 90% pour la SADC, de 64% pour la CEDEAO et de 78% pour le COMESA. Les autres pays africains non couverts par une zone de libre-échange ne réalisent pas les mêmes performances commerciales. Compte tenu des disparités des niveaux d’intégration au sein des CER, il apparaît donc évident que l’opérationnalisation de la ZLECAF via ces communautés devrait créer un effet d’asymétrie d’intégration.

Les facteurs susceptibles de compromettre l’efficacité de la ZLECAF pourraient être analysés sur les plans tarifaires, infrastructurels, technologiques, institutionnels, culturels ou humaines. Gaombalet, C. G. S. (2021) souligne que la ZLECAF offrira des opportunités au continent. Cependant, à bien des égards, ces avantages ne s'appliqueront pas à tous ses États membres. Cela dépendrait des politiques publiques et des stratégies que chaque pays met en œuvre pour exploiter pleinement le potentiel qu'il apportera.

Au-delà des défis structurels liés aux disparités culturels et politiques, les régions africaines manquent de connexions, ce qui conduit à accentuer les disparités économiques intrarégionales (UA-CA- BAD, 2017). Les défis infrastructurels constituent des obstacles à la croissance du commerce (Molanga, J. 2022 ; Sané, M. 2017) et s’expliquent par lenteur du mouvement dans les ports, aux frontières et aux points de contrôle (NEPAD, Move Africa, 2016). Le rapport du NEPAD souligne que les pays de l’intérieur sont les plus affectés par les temps et les coûts de transport élevés, car la densité des routes et des chemins de fer y est inférieure à celle des autres régions (NEPAD, Move Africa,2016).

Les coûts unitaires du transport routier en Afrique sont supérieurs de 40 à 100 % à ceux observés en Asie de l’Est (Rizet et Gwet, 1998). Pour la majorité des pays africains dépourvus d’accès à la mer, le prix du transport représente entre 15 et 20 % des coûts d’importation (MacKellar et al., 2002), soit plus de trois à quatre fois le prix du transport dans la plupart des pays développés.

Les défis tarifaires sont également susceptibles de compromettre l’intégration régionale. Gaombalet, C. G. S. (2021) révèle qu’à mesure de l'abolition progressive des barrières tarifaires (NT) et non tarifaires (BNT), l’efficacité de la ZLECAF sera mise à l’épreuve.

2.3 Les défis de l’Intégration régionale en Afrique via les CER

Dans le contexte africain, l’intégration via les CER semble complexe à bien des égards. D’une part la profusion des CER et le croisement des adhésions limitent l’efficacité de ces dernières et entravent la prolifération des échanges (Carrère, C. 2013, Dieye, C.T. 2016, GANDJON Fankem, S. G. 2017).

Les adhésions multiples peuvent être illustrées par le cas de l’Angola qui appartient au Marché Commun de l’Afrique Orientale et Australe (COMESA) et à la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC) et à la CEEAC, la RDC est membre de quatre CER à savoir la CEEAC, la SADC, la COMESA et la CEPLG. Ou encore le Maroc qui est membre de la Communauté des États Sahélo-Sahariens (CEN-SAD), de l’Union du Maghreb Arabe et est candidat depuis 2017 pour devenir membre de la CEDEAO. Dans le cas de l’Afrique centrale, GANDJON Fankem, S. G. (2017) montre que les adhésions multiples ainsi que la coexistence de plusieurs CER dans la même région peuvent induire une inefficience institutionnelle affectant le commerce intrazone. Cette inefficacité institutionnelle peut s’expliquer par le dédoublement des programmes (en termes de facilitation des échanges, de convergence des politiques macroéconomiques, de libre circulation des personnes, de paix et de sécurité) et leur similitude qui génère une concurrence entre les CER et entrave le développement des échanges intracommunautaires (Freund et Rocha, 2011 ; Portugal-Perez et Wilson, 2012). De plus le mode de fonctionnement des CER (la multiplication des procédures d’agrément des produits, des modèles de preuves documentaires de l’origine, des règles d’origine) et les contributions financières qu’il requiert génère un effet de désengagement des pays membres (les adhésions multiples ont plutôt pour résultat le non-paiement des contributions financières de la plupart des États vis-à-vis des CER (GANDJON Fankem, S. G. (2017). De même, d’autres travaux (Bahmane, I. 2013) montre à travers une méthodologie du bol de spaghetti de Bhagwati, la complexité des réseaux économiques en Afrique et l’incohérence organisationnelle au sein des CER.

Alors que la formation d’une CER est censée accroître substantiellement le commerce entre ses membres. Cet objectif semble fortement contrarié par l’interdépendance des ACR (la théorie du third country effect permet d’expliquer les conséquences négatives de la multiplication des ACR sur l’accélération des échanges intra régionaux (Freund, 2010. Baldwin et Jaimovich, 2012).

À notre connaissance, les travaux qui ont analysé l’intégration commerciale en Afrique se sont focalisés sur la contribution des CER dans l’intensification du commerce à l’échelle sous régionale. Ces derniers rendent compte de la complexité organisationnelle des CER et des adhésions sous régionales croisées et proposent la rationalisation des adhésions voire la fusion de certaines CER. Toutefois ces travaux n’expliquent pas les facteurs d’intensification du commerce au-delà du cadre institutionnel des ACR.

La contribution de cet article permet de remédier à ce manque en testant l’hypothèse selon laquelle l’intégration régionale promise par la ZLECAF (reposant sur les CER) pourrait être pensée en dehors du cadre institutionnel des CER. Au-delà des ACR, nous nous employons à identifier d’autres facteurs susceptibles d’intensifier le commerce intra-africain. En effet, les travaux empiriques (Bair et Bergstrand, 2007, 2009a ; Magee, 2008 ; Kohl, 2014) qui évaluent les effets des accords commerciaux régionaux sur les échanges entre pays membres, particulièrement les modèles reposant sur une approche ex post[5] utilisent des modèles de gravité. Bien qu’un bon nombre de travaux s’accordent à confirmer le caractère stable et robuste des modèles utilisés dans le cadre de cette approche (Head et Mayer, 2015), elle n’est cependant pas exempte de critiques (Fankem, G. S. G. 2017). En effet, en plus des effets des ACR sur l’intensification des échanges (Carrère, 2006 ; Bair et Bergstrand, 2007 ; Maggee, 2008), ces modèles permettent de capter d’autres variables relatives aux caractères historiques ou politiques. « Les niveaux élevés du commerce intrabloc peuvent être dus non à la formation des arrangements commerciaux préférentiels, mais plutôt à des relations historiques ou politiques entre les membres du bloc » (Haveman et Hummels, 1998). De ce fait, nous tentons d’expliquer l’intensité commerciale dans deux CER en nous basant sur le modèle de Freudenberg, M. Gaulier,G. et DenizUnal-Kesenci (1998) qui permet d’expliquer les intensités commerciales par les facteurs de proximité.

03. Affinités commerciales intra-africaines

3.1 Mesures des affinités commerciales au sein des CER

Les déterminants des affinités commerciales sont largement discutés dans la littérature. Bouët, A., Cosnard, L., & Laborde, D. (2017) considèrent que tout comme pour l'intégration commerciale mondiale, l'intégration commerciale régionale peut être évaluée à l'aide de données sur les flux commerciaux. Ils considèrent que l'utilisation du commerce comme indicateur de l'intégration commerciale régionale est clairement trompeuse, à la fois pour comparaisons régionales ainsi que pour les comparaisons de séries chronologiques, puisque les parts du commerce dépendent non seulement du degré d'intégration, mais aussi d'autres facteurs, tels que la géographie, la compétitivité et l'activité économique (Mastronaroli, G. 2013). Freudenberg, M., Gaulier, G., et Ünal-Kesenci, D. (1998) montre également que la proximité géographique, les relations historiques et culturelles, le rapprochement des systèmes politiques sont autant de facteurs de proximité qui orientent les flux commerciaux bilatéraux et déterminent les affinités commerciales

La proximité géographique joue un rôle déterminant dans la définition des affinités commerciales en raison de son impact sur les coûts des marchandises transportées et de la liaison étroite avec d’autres formes de proximité culturelle et institutionnelle favorisant l’établissement d’un climat de confiance entre les différents partenaires (Fustier, B. 2015).

Bouët, A., Cosnard, L., & Laborde, D. (2017) expliquent qu’une augmentation des parts du commerce intrarégional peut être due à une intégration régionale plus étroite. Cependant, elle peut aussi résulter soit d'une perte de compétitivité sur les marchés internationaux (Walkenhorst 2013), soit d'une activité plus dynamique au sein de la région qu'à l'extérieur de la région (biais procyclique). Les parts du commerce intrarégional dépendent également de la taille des pays de la région. Plus une région est composée de plusieurs pays, plus le commerce intrarégional est important et plus la part du commerce intrarégional augmente. Ils en concluent que l’indicateur de la part du commerce intrarégional dans le total du commerce de la région ne dispose pas d'une référence appropriée pour être utilisé comme mesure d’intégration régionale.

Par ailleurs, la convergence réglementaire et l’environnement des affaires permettent également d’expliquer l’intensité du commerce régional. Les estimations de Portugal-Perez, A., & Wilson, J. S. (2012) montrent que les réformes de facilitation des échanges améliorent les performances à l'exportation des pays en développement. Cela est particulièrement vrai pour les investissements dans les infrastructures physiques et la réforme réglementaire visant à améliorer l'environnement des affaires. Les facteurs technologiques sont également susceptibles de s’accélérer dans des espaces régionaux. À l’aide de données par secteurs industriels, Schiff, M. & Wang, Y. (2007) montrent que les transferts technologiques et les gains de productivité sont essentiellement régionaux.

3.2 Les déterminants des affinités commerciales

3.2.1 La proximité géographique

Bouët, A., Cosnard, L., & Laborde, D. (2017) considèrent que les parts du commerce sont fortement influencées par la géographie. En étudiant le lien entre le commerce bilatéral et la distance qui sépare les pays, Fouquin, M., & Hugot, J. (2016) soulignent que les coûts de commerce ont tendance à baisser entre les pays les plus proches. En 1830, une augmentation de 10 % de la distance entre deux pays réduisait en moyenne le commerce bilatéral de 3%. À la veille de la Première Guerre mondiale, la même différence de distance réduisait le commerce de 13 %. En 2010, la réduction atteignait 19 %. Les auteurs en concluent donc que plus le commerce mondial se développe, plus la distance compte.

Plusieurs hypothèses peuvent être explorées pour expliquer cette corrélation ; Les politiques favorables au commerce tournées en priorité vers les partenaires les plus proches, l’importance croissante de l’information pour établir des liens commerciaux ainsi que le rapprochement culturel et linguistique.

Freund, C., Rocha, N. (2011) considère que les retards de transit ont l'effet économiquement et statistiquement le plus significatif sur les exportations en Afrique. Plus précisément, une réduction d'un jour des temps de trajet à l'intérieur des terres entraîne une augmentation de 7 % des exportations.

3.2.2 Les coûts de transport

En se basant sur des régressions couvrant plusieurs pays, Limao, N., & Venables, A. J. (2001) montrent que le commerce est hautement tributaire du coût du transport. Par exemple, une baisse de 10 % du coût du transport entraîne une hausse de 25 % du commerce. Ils créent un écart considérable à la fois entre les prix des marchandises d’origine nationale et étrangère, mais également entre les prix de différents produits étrangers sur les marchés nationaux (rapport OCDE- conférence européenne des ministres de transport, 2004). En Afrique, le prix du transport demeure plus élevé qu’en Asie du Sud ou au Brésil (Banque mondiale, 2009). Aujourd’hui, bien que la composition des échanges ait changé au profit de produits plus légers permettant de faire baisser le transport par dollar expédié, les délais de livraison constituent un défi majeur (OCDE, 2004). Bouët, A., Cosnard, L., & Laborde, D. (2017) estiment que les retards de transit sont relativement plus préjudiciables, car ils sont associés à de fortes variations (à l'intérieur d'un pays), ce qui rend les objectifs de livraison difficiles à atteindre. Les résultats de leur analyse impliquent que les temps de transit concernent principalement des caractéristiques institutionnelles - telles que les retards aux frontières, la qualité des routes, la classe de la flotte, la concurrence et la sécurité - et non la géographie.

3.2.3 Les infrastructures de transport.

Les régions africaines manquent de connexions, ce qui conduit à accentuer les disparités économiques intrarégionales (UA-CA- BAD, 2017). Limao, N., & Venables, A. J. (2001) soutiennent l’hypothèse que le manque d’infrastructures est la principale cause des mauvais résultats enregistrés par le commerce africain. Les obstacles à la croissance du commerce en Afrique trouvent leur origine dans la faible productivité du secteur des transports routiers en Afrique, eu égard notamment aux problèmes d’infrastructures (Pedersen, 2001) ; le faible niveau de concurrence entre les prestataires de services de transport (Rizet et Hine, 1993) ainsi que la lenteur du mouvement dans les ports, aux frontières et aux points de contrôle (NEPAD, Move Africa, 2016). La densité des routes et la rareté des chemins de fer dans les pays de l’intérieur font que ces derniers sont les plus affectés par les temps et les coûts de transport élevés (NEPAD, Move Africa,2016).

3.3.3 La proximité culturelle et institutionnelle et le commerce

Cette distance culturelle joue un rôle important dans la détermination des flux des échanges bilatéraux (Linders, G. J., HL Slangen, A., De Groot, H. L., & Beugelsdijk, S. 2005). Selon ces auteurs, la distance culturelle rend difficile la communication et la connaissance du comportement de l’autre. Elle conduit donc à l’augmentation de coûts d’échanges (Gert-Jan M. Linders, Henri L.F. 2003). Dans ce sens, les pays à distance culturelle importante perçoivent les situations différemment et coordonnent difficilement les actions en cas de différend.

En étudiant les coûts intangibles du commerce international, Linders, G. J., HL Slangen, A., De Groot, H. L., & Beugelsdijk, S. (2005) ont étendu l'équation de gravité de base avec des mesures de la distance culturelle et institutionnelle. Ils constatent que la distance institutionnelle a un effet négatif sur le commerce bilatéral, principalement en raison des coûts de transaction du commerce entre partenaires issus de contextes institutionnels différents. En revanche, ils montrent que la distance culturelle[6] a un effet positif sur le commerce bilatéral. Ce résultat (que les différences culturelles accélèrent les échanges entre les pays) a été également confirmé par Guo, Y. (2018, June).

04. Stratégie empirique

Nous mesurons dans un premier temps, les affinités commerciales du Maroc avec ses partenaires commerciaux de la CEN-SAD et celles de l’Afrique du Sud quelques membres de la SADC. Les coefficients d’intensités relatives bilatérales des échanges permettent une telle mesure. Ils comparent chaque flux bilatéral observé à un flux théorique qui reflète les capacités globales des partenaires à échanger (Freudenberg, M. Gaulier,G. et DenizUnal-Kesenci, 1998). Cette analyse nous permet de comparer l’intensité des échanges au sein de deux CER affichant des niveaux d’intégration économique contrastés (D’une part la SADC couverte par une zone de libre-échange et d’autre part la CEN-SAD non couverte par une zone de libre-échange). Cette analyse permet de mettre en exergue l’importance des accords commerciaux dans l’intensification des échanges régionaux, mais ne permet pas de rendre compte de la contribution d’autres facteurs non institutionnels dans leur renforcement. Nous proposons à cet effet d’expliquer les intensités relatives bilatérales par un modèle de gravité reposant sur quatre variables : la distance géographique relative ; l’écart des structures de spécialisation et la distance économique (distance des niveaux de vie) et l’appartenance à un accord commercial régional.

4.1 Mesure des affinités commerciales : Cas de la CEN-SAD et de la SADC

La mesure des affinités commerciales peut être réalisée à l’aide de deux méthodes. Soit le modèle gravitaire utilisé par Bernard Fustier dans son étude sur les affinités entre les pays méditerranéens, ou bien l’indice des intensités relatives bilatérales développé par les économistes du CEPII (M.Fredenberg et al., 1998).

Dans ce travail, nous ferons recours à la deuxième méthode du fait qu’elle permet de prendre en compte les différents déterminants de proximité.

L’indice des intensités bilatérales relatives permet d’éliminer l’effet de taille des pays en neutralisant l’effet de leur poids économique. Il est calculé en rapportant le ratio du volume du commerce bilatéral sur le commerce mondial (Vij / V) (flux bilatéral observé), à un flux théorique, donné par le rapport du volume total des échanges commerciaux des pays i et j avec le monde sur le commerce mondial au carré (Vi.Vj / V²). Cet indice prend la forme suivante :

Figure

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Où :

Figure

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Le coefficient étudie combien représente le commerce bilatéral par rapport au poids respectif des pays en question. Les échanges entre deux pays sont-ils aussi intenses que leurs poids respectifs dans le commerce mondial le suggéraient.

Ce coefficient serait égal à 1 si la proximité géographique et donc les affinités commerciales n’ont aucune influence sur le volume des échanges entre les pays i et j, car le flux des échanges observé entre les deux pays serait égal à leurs poids respectifs dans le commerce mondial.

Si par contre, le coefficient est supérieur à 1, cela montre que l’intensité des flux bilatéraux entre les pays i et j, ne s’explique pas par leur poids respectif dans le commerce mondial et qu’il existe donc d’autres facteurs qui pèsent dans les flux bilatéraux. Ces derniers pourraient être la proximité géographique, culturelle et institutionnelle.

4.1.1 Mesure des affinités commerciales du Maroc

Dans ce qui suit, nous présentons la dynamique qu’ont prises les relations commerciales du Maroc avec ses partenaires africains en dix ans (2008-2018). Pour ce faire, nous calculerons l’indice des intensités relatives bilatérales avec 21 pays africains appartenant à des communautés économiques régionales différentes.

Figure

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Nous observons que l’intensité des échanges répond généralement à une logique de proximité géographique. Bien qu’elles soient faibles, les affinités commerciales du Maroc sont concentrées avec les pays membres de la CEN-SAD. Pour ne prendre que l’exemple du Burkina Faso, en 2008 le Maroc échangeait 2.69 fois plus avec le Burkina Faso par rapport à ce qu’il devrait faire compte tenu du poids des deux pays (le Maroc et le Burkina Faso) dans le commerce mondial. Cet indice est passé à 2.16 en 2018.

L’intensité relative bilatérale entre ces deux pays est restée soutenue au cours de ces dix ans.

En dehors de la CEN-SAD, l’intensité des échanges commerciaux du Maroc avec les pays de la SADC est faible. Le volume du commerce entre le Maroc et l’Afrique du Sud en 2018 ne représente que 17.5% de leur niveau théorique. Les deux pays ont des relations commerciales plus importantes avec d’autres partenaires de leur même CER.

Le Maroc possède des relations intenses avec des pays tels que la Tunisie (membre de l’accord d’Agadir), le Ghana (avec qui le Maroc développe un partenariat multisectoriel de diversification des échanges et où la signature de plus d’une vingtaine d’accords de coopération en février 2017 contribue à dynamiser les relations économiques), le Sénégal (bénéficiant d’une convention commerciale et tarifaire impliquant l’exonération des droits d'importation pour les produits originaires et en provenance des deux pays), la Mauritanie, la Côte d’Ivoire (où le Maroc se positionne comme premier investisseur pendant des années et où il ambitionne d’intensifier ses échanges). Dans l’ensemble, ces pays entretiennent également des relations commerciales privilégiées avec le Maroc avec respectivement des indices de (2.34), (5.75), (4.75), (8.45), (2.14), (2.66). Ces coefficients confirment que l’intensité des échanges répond à une logique de proximité géographique et d’un rapprochement culturel (francophonie).

La faible intensité des relations commerciales du Maroc au sein de la CEN-SAD peut être également expliquée par le niveau d’intégration de cette dernière. L’Indice de l’Intégration Régionale en Afrique (IIRA) relève que le niveau d’intégration au sein de la CEN-SAD est faible avec une moyenne se limitant à 0,541. La Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Maroc sont les pays les plus intégrés de la CEN-SAD. Les scores élevés de la Côte d’Ivoire et du Sénégal tiennent en partie à leur commerce mutuel de carburant et de lubrifiants. Le Maroc, quant à lui affiche détient le record en matière de traités d’investissement bilatéraux en vigueur.

4.1.2 Mesure des affinités commerciales de l’Afrique du Sud

Les observations précédentes se confirment dans le cas de l’Afrique du Sud. Les relations commerciales de l’Afrique du Sud sont plus intenses avec les pays de la SADC. Ce pays échange 36 fois plus avec le Botswana et le Mozambique (pays voisins) par rapport à leurs flux théoriques (compte tenu de leurs poids respectifs dans le commerce mondial). Toutefois, les échanges de l’Afrique du Sud sont moins importants (peu d’affinités) avec les pays de la CEN-SAD.

Selon l’Indice de l’intégration régionale en Afrique (IIRA), la SADC compte trois excellentes performances (Afrique du Sud, Mozambique et Zimbabwe), avec l’Afrique du Sud qui devance d’assez loin. Cet indice considère que la force de la SADC réside dans la libre circulation des personnes et la dynamique commerciale (Un membre de la SADC obtient 90% de ses importations africaines de cette même communauté (UA, 2017).

Figure

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Dans les deux cas (Maroc et Afrique du Sud), nous constatons que l’intensité des échanges répond à une logique de proximité géographique. Les deux pays ont des relations commerciales plus intenses au sein de leurs CER respectifs. En comparant les affinités commerciales au sein des deux CER, on remarque que les relations commerciales sont plus intenses dans la communauté économique couverte par une zone de libre-échange (SADC). Au niveau, de la CEN-SAD, les affinités commerciales sont moins importantes.

Afin de mieux comprendre les facteurs influençant les birapports d’intensités relatives entre les partenaires africains, nous proposons de faire recours à une approche économétrique.

Ces birapports seront reliés à un ensemble de variables de distance ; distance géographique, distance économique et écart des structures de spécialisation.

4.2 Spécification du modèle et interprétation

4.2.1 Présentation des variables : les déterminants de l’intensité commerciale

Nous proposons de mesurer l’effet des différents obstacles aux échanges bilatéraux en nous inspirant du modèle économétrique développé par le CEPII (Freudenberg, M., Gaulier, G., & Ünal-Kesenci, D. 1998) : la distance géographique et les coûts de transport qui en découlent ; l’écart des structures de spécialisation ; la distance économique entre les pays partenaires et les accords d’intégration commerciaux (ACR).

Concernant la distance géographique, elle est souvent calculée par la distance kilométrique. Ce qui implique que les pays « isolés » échangent moins que ceux situés à proximité des principaux marchés « centres économiques ». Généralement, cet indicateur introduit un biais d’estimation (Freudenberg, et al, 1998). Ce biais est observable dans l’illustration du CEPII. En effet, la distance entre les deux couples Australie-Nouvelle-Zélande et Belgique-Turquie est comparable. Toutefois si l’on considère l’éloignement des deux couples des centres économiques, la distance qui sépare le couple Belgique-Turquie serait nettement moindre. Nous retenons donc un indicateur de distance relative qui rapporte la distance kilométrique dij entre les pays i et j, aux distances moyennes aux marchés des deux partenaires.

La distance géographique relative est calculée par la formule suivante (CEPII) :

Figure

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avec la part du pays k dans le commerce mondial.

La distance économique ou le différentiel de croissance est représenté par la différence en valeur absolue entre le PIB par tête du Maroc m et celui du pays partenaire j à la date t. La différence entre les PIB par tête des deux pays partenaires est exprimée en valeur absolue (DPIBTmj = | PIBm – PIBj |)

Cette variable reflète la proximité des niveaux de vie susceptible de favoriser un commerce croisé de produits différenciés horizontalement et permet de capter les écarts d’intensité capitalistique qui favorisent le commerce interbranche.

Les économistes du CEPII estiment que l’écart relatif des PIB par habitant est de meilleure qualité que leur différence absolue. En effet, l’écart absolu surestime l’écart entre deux pays riches par rapport à celui entre deux pays pauvres (reudenberg, M., Gaulier, G., & Ünal-Kesenci, D. 1998). L’exemple donné par le CEPII est révélateur ; « si l’on considère 4 pays dont les PIB par tête sont de 100, 90, 2 et 1 ; l’écart absolu entre les deux premiers sera plus élevé que celui entre les deux seconds (10>1), alors que le niveau de vie du quatrième est inférieur de moitié à celui du troisième, contre un écart de 10 % seulement entre les deux premiers pays ».

À cet effet, nous adopterons la même formule proposée par le CEPII: en calculant le rapport entre Minet Max que l’on note z. On le transforme ensuite par la fonction qui nous donne la distance économique, comprise entre 0 (similarité des niveaux de vie) et1 (écart maximal entre les niveaux de vie). La formule est de forme logarithmique :

Figure

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Les structures de spécialisation des pays sont mesurées à l’aide de l’indicateur de contribution au solde commercial (CSC) développé par le CEPII. Cet indicateur calcule pour chaque pays ses avantages comparatifs révélés par le commerce international.

Cet indicateur permet de comparer le solde commercial effectif d’un pays pour un produit donné à un solde théorique neutre de tout avantage ou désavantage du pays (absence de spécialisation).

Pour éliminer les effets conjoncturels induits par un solde global en déséquilibre et faire ressortir seulement la situation propre des produits les uns par rapport aux autres, le solde théorique est calculé de manière à refléter une situation d’équilibre : il s’agit de répartir le solde global entre les différents produits au prorata de leur poids respectif dans le commerce total du pays. L’indicateur est additif : par construction, la somme sur l’ensemble des produits est nulle. (CEPII, 2015)[7]

Figure

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Avec i le pays, k le produit, Y le PIB, X les exportations et M les importations.

Afin de comparer les spécialisations sectorielles de deux pays (proche ou complémentaire), nous rapportons la contribution au PIB pour éliminer les effets de taille de chaque pays.

Le calcul de l’écart des structures de spécialisation se fait en trois étapes :

  • on calcule les CSC ajustées où les différentes dans les degrés de spécialisation des pays sont éliminés pour rendre comparables les structures ;

  • les CSC sont multipliées par un coefficient tel que la somme des points forts soit égale à 100 et l’ensemble des points faibles de -100 ;

  • on additionne enfin les différences absolues des CSC ajustées des produits entre deux pays. Si deux pays avaient le même type de spécialisation en termes d'excédents et de déficits structurels, les valeurs de CSCajust seraient identiques pour chaque produit et la différence cumulée égale à zéro. Si, par contre, deux pays avaient une spécialisation opposée – une valeur positive pour le pays A correspondant à une valeur négative dans le pays B – la différence cumulée serait 400. Un dernier ajustement permet de borner ce nouvel indicateur de manière qu’il varie entre zéro (similarité parfaite des spécialisations) et 100 (complémentarité parfaite).

La distance des structures de spécialisation entre les pays i et j est donc calculée de la manière suivante :

Figure

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Le modèle économétrique développé par les économistes du CEPII (reudenberg, M., Gaulier, G., & Ünal-Kesenci, D. 1998) se rapproche d’une équation de type gravitationnelle, en particulier pour ce qui est de la spécification des variables ou les méthodes utilisées.

L’équation de gravité spécifiée pour les variables (annexe 1) est la suivante :

Figure

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L’équation que nous estimons est une régression multiple de l’intensité relative pour un flux entre un pays i et un pays j à une date t sur les variables suivantes :

  • Distance géographique

  • Une distance géographique élevée entre les pays i et j aurait un impact négatif sur l’intensité relative des échanges.

  • Distance économique

  • Un signe négatif associé à cette variable traduira l’impact de la distance économique entre les pays i et j sur l’intensité relative des échanges.

  • Écart des structures de spécialisation

  • Un écart des structures de spécialisation élevé aurait un impact positif sur l’intensité relative des échanges.

  • Les accords d'intégration régionaux (AIR)

  • Cette variable est muette. Elle indique l’appartenance ou non à un accord régional. À une date donnée, elle prend 1 si les deux pays sont membres, et 0 sinon. Un signe positif associé à cette variable indique l’importance d’un accord dans l’intensification des relations commerciales entre ses membres.

4.2.2 Méthode d'estimation et interprétation des résultats

Les résultats de la régression économétrique de notre modèle de base sont présentés dans le tableau ci-dessous.

Figure

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Afin de procéder à l’interprétation des résultats du modèle, nous proposons de vérifier les hypothèses qui sous-tendent une régression linéaire multiple. À cet effet, nous vérifions les hypothèses d’hétéroscédasticité et de multicolinéarité.

4.2.3 Analyse de la significativité du modèle

L’analyse de la significativité du modèle se fera en deux étapes : l’analyse de la qualité globale d’une part et celle de la qualité individuelle des coefficients d’autre part. Dans un premier temps, nous étudierons la significativité globale du modèle, c’est-à-dire si l’ensemble des variables explicatives ont une influence sur la variable dépendante. L’appréciation de la qualité globale du modèle se fait avec la statistique de Fischer qui indique si les variables explicatives ont une influence sur la variable dépendante. Le coefficient de détermination (R-carré) de 65.8% indique qu'environ 66% de variations des intensités commerciales s'expliquent par les variables visées par l'étude que sont la distance économique, la distance géographique, l'écart des structures de spécialisation et l'ACR, tandis que 38 % s'expliquent par d'autres facteurs qui ne font pas partie de ce modèle. En règle générale, un R² supérieur à 50 % est considéré comme significatif (Gujarat, 2014).

S'agissant de la significativité individuelle des variables, on utilise la statistique de Student. Les résultats de la régression nous montrent une relation significative entre d’une part, l'intensité des échanges et la distance économique au seuil de confiance de 72%. Entre l'intensité des échanges et l’écart des structures de spécialisation au seuil de 60% et entre l’intensité et l’appartenance à un accord régional au seuil de 89%. À l’inverse, on note un seuil de confiance moins important entre l'intensité des échanges et la distance géographique de 12%.

4.2.3.1 Test de la multicolinéarité

Selon Gujarati (2014), la multicolinéarité existe si le coefficient de corrélation entre les variables explicatives est de 100 % ou 1). Cela peut induire des problèmes lors de l'estimation et de l'interprétation du modèle en affaiblissant la puissance statistique du modèle. Nous utilisons le facteur d'inflation de variance (VIF) pour tester la présence de multicolinéarité. Le test considère que des variables explicatives avec un VIF supérieur à 10 valeurs peuvent menacer les résultats alors qu'un VIF compris entre 1 et 10 valeurs peut être toléré.

Figure

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Les résultats du test VIF du tableau 4 montrent qu'il n'y a pas de problème de multicolinéarité. En fait, la moyenne est inférieure à 5 (4,42) indiquant un modèle sans multicolinéarité.

4.2.3.2 Test hétéroscédasticité

Nous utilisons le test de Breusch-Pagan/Cook-Weisberg pour tester l'hétéroscédasticité et déterminer si les termes d'erreur sont corrélés en série. L'hypothèse nulle est qu'il y a homoscédasticité / pas de corrélation sérielle, alors que l'hypothèse alternative est qu'il y a hétéroscédasticité, ce qui signifie que les résidus ne sont pas distribués avec des variances égales. En règle générale, au niveau significatif de 5 %, la valeur P correspondante calculée doit être supérieure à 0,05 pour accepter l'hypothèse nulle.

Figure

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Le Breusch-Pagan indique une valeur de probabilité de 25 % (supérieure à 5 %). Par conséquent, les résidus ne sont pas corrélés en série et sont constants sur les valeurs de la variable dépendante (Intensités bilatérales).

4.2.3.3 Test de Ramsey RESET

Ce test permet de vérifier si le modèle n'a pas de variables omises.

Ho :le modèle n'a pas de variables omises

F(3,2)=1.30

Prob > F = 0.4625

D'après les résultats de Ramsey RESET, nous ne parvenons pas à rejeter une hypothèse nulle. Le test suggère que le modèle est correctement spécifié et n'a pas de variables omises puisque la valeur de probabilité est supérieure à 5 %. Par conséquent, les résultats sont fiables.

4.2.4 Interprétation des résultats

4.2.4.1 L’impact de la distance économique sur l’intensité des échanges

La distance économique impacte positivement et significativement l’intensité des échanges. Une augmentation de la distance économique de 1% conduit à une augmentation de l’intensité relative des échanges de 4.21%. En d’autres termes, les échanges sont plus intenses entre les pays économiquement distants. L’écart de développement économique impacte positivement le commerce intra-africain. Il est donc recommandé de diversifier les marchés d’exportation en s’orientant vers des marchés moins développés.

4.2.4.2 L’impact de la distance géographique sur l’intensité des échanges

Nous n’observons pas d’impact remarquable de la distance géographique sur l’intensité des échanges (impact positif et significatif). Une augmentation de la distance géographique de 1% entre les pays partenaires conduit à une diminution des échanges de 0.0005% (valeur quasi nulle). La nécessité de réaliser plus d’investissement en infrastructure pour faciliter l’acheminement des marchandises n’est pas remise en cause. En effet, en Afrique, les projets d’infrastructures, concernent essentiellement, un peu moins de la moitié, des projets de transport (CAP Afrique-2019). Comme le recommande l’Union africaine, les investissements en infrastructures physiques telles que les routes et les ports devraient être accompagnés de moyens susceptibles d’éliminer les barrières non physiques qui font obstacle au transport et au commerce (BAD-UA-CNUCED, 2017).

4.2.4.3 L’impact de la structure de spécialisations sur l’intensité des échanges

La structure de spécialisation impacte négativement et significativement l’intensité des échanges. Une augmentation de l’écart des structures de spécialisation de 1% conduit à une diminution de l’intensité relative des échanges de 0.25%. Plus les spécialisations des partenaires sont similaires plus leurs échanges sont intenses. L’affinité commerciale au sein des CER est ainsi sensible à l’écart des structures de spécialisation des pays de ladite communauté. Comme le recommandent plusieurs institutions (notamment le HCP (2018), Banque mondiale (2015), il importe de penser l’intégration dans le cadre des chaines de valeur régionales. L’expérience de la région de l’Afrique de l’Est (CAE) en termes d’intégration des chaines de valeur est intéressante. À titre d’exemple, l'industrie laitière est l'un des sous-secteurs agricoles qui connaissent la croissance la plus rapide dans cette région. Ce secteur a généré des retombées économiques et des opportunités d’emploi importantes. En conséquence, cette industrie est devenue une destination attrayante pour les investisseurs et a généré des rendements importants, notamment grâce au transfert de technologie. Les producteurs ont profité des arrangements commerciaux institutionnels de la CAE (le tarif extérieur commun de 60% sur les produits laitiers originaires de l'extérieur de la région et l'harmonisation des normes régionales) pour développer des chaînes de valeur laitières régionales (OCDE, 2022).

4.2.4.4 L’impact de l'appartenance à un accord d’intégration régional sur l’intensité des échanges

L'appartenance de deux pays partenaires à un accord d’intégration régional ACR conduit à une augmentation des échanges de 3.03%. L’adhésion à un accord régional reste donc indéniablement importante pour l’intensification du commerce intra africain. À titre d’exemple, Umulisa, Y. (2020) estime qu’en implémentant une union monétaire, la Communauté de l'Afrique de l'Est (CAE) a le potentiel d'augmenter les échanges entre les États partenaires de 122 % de plus que prévu par rapport aux niveaux commerciaux normaux.

05. Conclusion

En rappelant les développements de la littérature empirique sur les effets des ACR sur le commerce, particulièrement les modèles reposant sur une approche ex post et utilisant des modèles de gravité (Carrère, 2006 ; Bair et Bergstrand, 2007 ; Maggee, 2008), nous avons essayé de mobiliser des variables relatives aux facteurs de proximité (Freudenberg, M. Gaulier,G. et DenizUnal-Kesenci, 1998).

Plusieurs résultats émergent de cette étude. Premièrement, nous trouvons que l'appartenance de deux pays partenaires à un accord régional conduit à une augmentation des échanges de 3.03%. Ce qui réaffirme le rôle indéniablement important des ACR. Par ailleurs, nous montrons que l’importance d’autres facteurs de proximité n’est pas négligeable. En effet, la distance géographique impacte significativement l’intensité des échanges. Quant à la distance économique, elle l’impacte positivement (la distance économique de 1% conduit à une augmentation de l’intensité relative des échanges de 4.21%). S’agissant de la structure de spécialisations, elle impacte négativement et significativement l’intensité des échanges.

Nos résultats invitent ainsi les pays d’Afrique à renforcer leurs relations commerciales au sein de leurs CER. Si le régionalisme en Afrique a pavé la voie à la ZLECAf (C.Mbella, 2019), il convient donc de miser sur l’intégration économique via les CER (notamment celles qui se démarquent par des indices d’intégration élevés) et de renforcer l’intégration dans le cadre des chaines de valeur régionales (Fusacchia, I., Balié, J., & Salvatici, L., 2022).

Figure

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