Depuis le début de ce millénaire, on observe dans les pratiques artistiques et culturelles, et dans les discours spécialisés, un certain engouement pour le reenactment. Ce terme qui n’a pas d’équivalent satisfaisant en français désigne les phénomènes de recréation, de reconstitution, de reprise et d’autres formes de réactivation vivante d’oeuvres performatives du passé, d’événements historiques ou de phénomènes culturels. Il se compose du verbe « enact », qui signifie « jouer » au sens théâtral ou « promulguer » au sens juridique, et du préfixe « re- », qui indique aussi bien « le retour à un état antérieur », « un changement de direction », « un renforcement » ou « la répétition d’une action ». L’Oxford Dictionary en donne la définition suivante : « The acting out of a past event », illustrée d’exemples tels la recréation d’une bataille du 19e siècle, l’écriture (« Writing is frequently a form of reenactment »), la téléréalité, insistant sur la multiplicité des formes médiales de la remise en acte. Quant au Cambridge Dictionary, il évoque d’abord une fidélité à l’événement passé et à l’original : « If you re-enact an event, you try to make it happen again in exactly the same way it happened the first time […] ». Puis, il nuance en situant le reenactment dans les domaines du divertissement ou du souvenir : « […] often as an entertainment or as a way to help people remember certain facts about an event […] ». Pour pallier les difficultés de la traduction du terme en français, Aline Caillet propose « reconstitution jouée ». L’expression reconduit le paradoxe entre le désir d’un retour à un état initial (la reconstitution) et son dépassement à travers le jeu et l’interprétation. Malgré ce flottement sémantique, le terme reenactment est de plus en plus utilisé et connaît même une fortune critique dans la littérature spécialisée en anglais comme en français. Dans les arts vivants, alors que les phénomènes de reprise sont inscrits dans une tradition et qu’une terminologie existe pour les différencier, on tend à les dénommer indistinctement « reenactment ». En danse, dans les années 1980, il est d’usage de distinguer les « reconstructions », les reprises et les recréations. Les premières concernent des oeuvres chorégraphiques du passé qui n’ont pas été interprétées depuis longtemps et nécessitent pour les remonter des recherches dans les archives et le recours à d’anciens interprètes. Les deuxièmes désignent des oeuvres que l’on n’a pas cessé de jouer et pour lesquelles on possède les connaissances et les savoir-faire. Les troisièmes autorisent une très grande liberté à l’égard de l’oeuvre originale. Si ces distinctions ne sont pas obsolètes, depuis les années 2000, le terme reenactment tend à les englober, comme le fait remarquer André Lepecki. Cette mutation indique que la référence à l’oeuvre d’origine n’est plus pensée en termes de fidélité, mais selon d’autres enjeux. Lorsque les universitaires se sont intéressés au reenactment à la fin du 20e siècle, ils n’ont pas cherché à en restreindre le champ sémantique, mais l’ont au contraire étendu à d’autres domaines, notamment les nouveaux médias. Le mot désigne désormais des phénomènes issus du théâtre, de la danse, des arts visuels, de la littérature, de l’histoire vivante, de l’historiographie, du cinéma, de la télévision, des expositions muséales, des récits de voyage, des jeux vidéo, des mondes virtuels, etc. Cette diversité oblige à adopter des approches interdisciplinaires, intermédiales, et à aménager des passerelles entre les pratiques culturelles dites savantes et populaires, professionnelles et amateurs, artistiques et non artistiques. Le succès du terme reenactment, son élargissement sémantique et le nivellement …
Introduction. Le reenactment ou le répertoire en régime intermédial[Notice]
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Anne Bénichou
Université du Québec à Montréal