Il est étonnant de constater à quel point la question du tiers n’a été que peu traitée dans les études intermédiales, escamotée sans doute par celle de la médiation qui, si elle en est une des principales composantes, ne saurait pourtant l’épuiser. Cette évidence en fut une pour nous lorsque nous nous sommes attelés à la tâche de sa théorisation, et que nous nous sommes heurtés au peu de travaux écrits à ce sujet. Pourtant, l’on pourrait dire que la question du tiers est présente dans les tentatives de subversion du principe du tiers exclu – qui permet de déduire de la relation contradictoire entre deux termes l’exclusion d’un troisième – et donc dans les tentatives de renversement de l’ambition dialectique consistant, pour le dire vite, à poser les contradictions et à les résoudre. Sans entrer plus à fond dans cette discussion des fondements, soulignons que, dans le champ des études intermédiales qui nous concerne, des déplacements significatifs ont été adoptés, notamment sous l’impulsion de la pensée deleuzienne : on considère ainsi que chaque terme d’une relation est en rapport avec un troisième terme, ou se trouve à relier lui-même deux termes entre eux, voire à abriter une multitude de termes eux-mêmes en relation, etc., si bien que c’est à des constellations ouvertes que nous avons affaire, davantage qu’à des ensembles unitaires et opposables; autrement dit, à des rhizomes et des emboîtements infinis dont il faut faire des coupes transversales et mouvantes. On l’aura compris, en mettant l’accent sur le lien, la pensée intermédiale est une pensée du tiers inclus. Reste cependant que ce principe n’est pas si aisé à mettre en application dans l’analyse des phénomènes culturels. Et si on le trouve à l’oeuvre, c’est de manière implicite, à travers l’analyse des « configurations », des « dispositifs », des « appareillages » et autres « plis et replis » où se jouent des rapports complexes entre des médias, des techniques, des institutions, des imaginaires, des structures, etc. En renonçant à toute tentative de systématisation close, on s’en tient à des découpages ponctuels et des instantanés sur des noeuds relationnels dans chaque objet ou phénomène analysé, on accompagne le changement et l’on guette la perturbation d’un tiers. Mais comment aborder cette question du tiers, pour ainsi dire de front ? En risquant justement de l’observer, sans recours à des théorisations préalables (ou si peu), mais en se donnant les moyens de le faire apparaître à l’oeuvre dans les médialités des phénomènes ou des objets soumis à l’analyse. C’est le défi que les contributeurs du présent numéro ont relevé : chacun a vu le tiers à sa porte, pour ainsi dire, mais ce faisant, a été capable de décrire comment, puisque tel était aussi le but du jeu, cette médialité impliquant du tiers participait d’une dynamique de socialisation, traversant – pour ce qui nous a occupés – des enjeux de justice communautaire, de mémoire collective, de responsabilité partagée et de réconciliation. Avant de laisser la parole aux auteurs des articles compilés dans ce présent numéro, j’aimerais, pour ma part, procéder à un petit rappel au sujet d’un philosophe important en ces matières de socialisation qui aborda frontalement la question du tiers, à savoir Georg Simmel. Ce rappel ne prétend pas constituer le cadre théorique de l’ensemble des articles du présent numéro. Aucun des auteurs n’y fait d’ailleurs référence. Venant après coup, pour les besoins de cette introduction, il me permet simplement de baliser le terrain d’une entrée par le tiers dans l’étude des phénomènes culturels, et de pointer quelques fonctions (de médiateur, de réserve, de liant) et quelques différences …
Introduction. Socialité et médialité : inclure du tiers[Notice]
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Marion Froger
Université de Montréal