La première illustration de ce texte présente une reconstruction délibérément citationnelle, et tout aussi délibérément imparfaite, d’une manifestation avant-gardiste tenue en 1915 à Petrograd, La dernière exposition futuriste de tableaux 0,10 (zéro-dix) (fig. 1). Un blow-up de la photographie emblématique de l’exposition source est exposé à côté de l’accrochage contemporain dont le manque de conformité à l’égard de l’« original » nous assure qu’il ne s’agit pas de la même exposition, tout en évoquant de façon indicielle sa mémoire. Cette mise en scène des oeuvres suprématistes de Kazimir Malevitch fut présentée – et photographiée – lors de l’exposition The Avant-Garde in Russia : New Perspectives 1910-1930 réalisée au Los Angeles County Museum of Art (LACMA) en 1980. Trente ans plus tard, dans le catalogue de l’exposition rétrospective Vides du Centre Pompidou à Paris en 2009, l’un des commissaires définissait en ces termes le défi que devaient relever les pratiques muséales contemporaines : Ce constat témoigne en effet de l’adoption par plusieurs musées d’art contemporain d’une attitude autoréflexive aux apparences critiques qui se manifeste soit par des reconstitutions partielles de situations d’exposition au sein de manifestations plus grandes qu’elles permettent ainsi de contextualiser, soit par la mise en place d’expositions ayant les expositions pour sujet. Cette approche de l’exposition comme donnée « reproductible », et de l’histoire des oeuvres par le biais de leur contexte de présentation, prend en effet son essor dans les années 1980. La grande rétrospective Stationen der Moderne (Berlinische Galerie, 1988) qui revenait sur vingt expositions importantes pour l’histoire de l’Allemagne moderne, depuis Die Brücke jusqu’à la galerie télévisuelle de Gerry Schum des années 1970, est souvent citée comme la première occurrence de ces pratiques. Mais, comme nous le verrons, la tendance était déjà en marche depuis au moins une dizaine d’années. Simultanément à cet intérêt des musées pour le contexte d’énonciation des oeuvres, le monde académique a vu l’émergence d’un nouveau sous-genre d’histoire de l’art – l’histoire des expositions – et de qualificatifs tels que Ausstellungskünstler (artiste d’exposition). Il convient donc de réfléchir à cette tendance de plus en plus prégnante, au sein des musées d’art, à répliquer des expositions : non seulement à reconstruire des oeuvres disparues, mais à reconstituer des situations de présentation révolues. De telles reconstitutions nous informent soit du moment de la première émergence des oeuvres (expositions initiales), soit du contexte dans lequel elles ont évolué auparavant (ateliers, lieux de commande, précédent accrochage…). Elles répliquent moins un objet donné que l’expérience de cet objet. Or, ce raisonnement conduit à une série de paradoxes riegliens, si ce n’est aux limites du musée dans son rapport à l’histoire et à la mémoire : quel serait le point de départ à partir duquel on peut recréer une expérience révolue ? Peut-on répliquer l’expérience passée d’une oeuvre ? S’agit-il plutôt de répliquer à l’expérience passée de l’oeuvre, à partir du moment présent ? Mais dans ce cas, ne fait-on pas l’impasse du passé ? Ce texte se propose de chercher des éléments de réponse à ces questions dans l’étude des moyens (médias) par lesquels s’opèrent ces reconstitutions, et en particulier de la relation entre reconstruction spatiale et photographie. Les exemples analysés sont issus de pratiques muséales, comme pour le LACMA en 1980 et de la Galerie Tretiakov de Moscou en 2006 et, dans un deuxième temps, de la collaboration entre artiste et musée, comme dans le projet Nachbau réalisé par Simon Starling pour le Museum Folkwang d’Essen en 2007. L’historienne de l’art Reesa Greenberg a récemment proposé une typologie de ces nouvelles postures d’exposition. L’intitulé anglais de son article, « Remembering Exhibitions », offre un vacillement …