ÉtudesEssays

Quelques r.-v. avec HervéQuand Sophie Calle rencontre encore Hervé Guibert ["Filer / Shadowing (Sophie Calle)", no 7 printemps 2006][Notice]

  • Catherine Mavrikakis

Qu’est-ce qu’une rencontre? Qu’est-ce qu’un lieu de rencontre, un point de rencontre? Serait-il possible qu’une rencontre ait lieu ici ou ailleurs un jour? Et comment cette dernière se présenterait-elle? Nous faudrait-il nous donner rendez-vous pour que la rencontre ait lieu ou ne peut-elle exister que dans le fortuit, le hasard, le « ah ! tu es là, mais quelle surprise de te rencontrer ! »? Et si nous nous rencontrions par hasard, ex abrupto, s’il y avait une vraie rencontre entre nous, n’aurions-nous pas l’impression que c’était prévu, prévisible, inéluctable ; qu’il y avait un rendez-vous auquel nous nous serions rendus sans le savoir, malgré nous, malgré tout? Si étymologiquement une rencontre est un coup de dés, à entendre au sens mallarméen, qui ne peut donc abolir le hasard plus grand que lui-même, les rencontres Guibert-Calle rendent compte de ce travail de l’imprévu à l’oeuvre dans l’organisé, le prescrit tout aussi bien que l’emprise du prévisible, du cliché dans l’inopiné. Au moment où il se manifeste, le hasard a toujours déjà eu lieu dans le sentiment de sa prémonition. C’est à cette double rencontre du hasard et du programmé que je convie ici le lecteur ou la lectrice sans savoir si nous trouverons à nous rencontrer, comme les grands esprits que nous ne sommes pas le font. Cette rencontre double, Sophie Calle ne cesse de la travailler, de la penser dans ses mises en scène, ses cérémonials obsessionnels soigneusement préparés où tout peut arriver, dans ses représentations de l’accidentel méticuleusement orchestré, écrit à l’avance. Ce sont ces rencontres entre Sophie Calle et Hervé Guibert, ces rendez-vous (r.-v.) entre leurs oeuvres respectives, que je raconterai ici ; oeuvres qui toutes deux travaillent l’autobiographique et mettent en scène les diverses rencontres réelles de Sophie et d’Hervé, allant parfois jusqu’à se phagocyter, se cannibaliser ; qui toutes deux se prêtent aux dispositifs de la rencontre dévorante entre l’écriture et l’image, entre la vie et l’oeuvre, entre la réalité et la fiction, entre le jeu et l’enjeu. Hervé Guibert écrit à Sophie Calle le 10 janvier 1985 une lettre que Calle reproduit dans Douleur exquise : Il y a eu ici rencontre. Une même nuit, par hasard, Sophie est apparue dans les rêves d’Hervé Guibert et de quelques-uns de ses proches. De même, comme il l’écrit, Guibert pense à Sophie comme Sophie pense à Guibert. « Exactement comme vous », lance-t-il. Dans ces synchronismes, ces concordances et ces convergences des pensées, des rêves, il y a rencontre, coup de dés qui conduit à produire du sens, celui à venir de la coïncidence comme nécessité. Mais Guibert veut faire le mort. « J’ai envie de faire le mort. […] J’ai envie de me refuser toujours à vous », écrit-il. Et s’il embrasse la destinataire de cette lettre, Sophie, c’est dans l’écrit, dans l’épistolaire, dans la pensée, dans la distance justement puisque ce n’est que dans l’imaginaire, dans les rêves que les esprits se rencontrent. Dans la réalité du quotidien, Guibert ne fait que jouer à se cacher et préfère être le cadavre exquis. Il y aurait toujours eu des rencontres entre les esprits de Calle et Guibert ; car c’est bien ce dont il est question ici, de rencontres en absence, ni en chair ni en os, hantant les pages de Guibert. À propos de cette rencontre de l’esprit, Guibert écrit dans À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie : Travaillant de concert en aveugles, Sophie et Hervé se sont rencontrés sur le terrain des aveugles et les voici qui voient sur un trottoir d’Asakusa que leur cécité est en fait un …

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