Le concept de « remédiation » a été jusqu’ici essentiellement exploré à partir du domaine des arts visuels et électroniques. Sans qu’elle soit explicitée, l’idée en était néanmoins déjà fortement esquissée dans la thèse macluhanienne selon laquelle le contenu de tout médium serait un autre médium plus ancien. On se souvient de la formule : « The content of writing is speech, just as the written word is the content of print, and print is the content of the telegraph. » Tout à la fois abrupte et productive, elle mettait d’emblée l’accent sur la chaîne de remédiation continue dans laquelle s’inscrirait tout nouveau médium. À « l’origine » d’une telle chaîne, il y aurait l’écriture en tant que remédiation de la parole. L’affirmation résiste-t-elle à un parcours comparé à travers les principaux types de cultures écrites? Sans doute, la formule se réfère-t-elle implicitement à l’écriture alphabétique et en assume le caractère spécifiquement « occidental ». Aussi, sa mise en perspective par les systèmes d’écriture dans leur diversité même (graphisme spatial, écritures linéarisées, systèmes idéographiques ou phonétisés, etc.) constitue-t-elle un bon terrain pour apprécier la valeur opératoire d’un tel concept. Essayons de formuler ici un certain nombre de questions et hypothèses qui pourraient guider un chantier de recherche. Qu’est-ce qu’écrire? Comment définir, tout d’abord, l’écriture? Pour l’appréhender en tant que médium, n’est-il pas en premier lieu nécessaire de la décrire indépendamment de tout système de signification, dans sa dimension a priori de technique graphique? Elle se distingue alors directement des autres types d’activité symbolique (gestuelles ou verbales) par ses traces matérielles durables. On peut interroger l’existence même de telles traces et considérer l’écriture comme une activité, une technique du corps (en général de la main, en liaison avec la vue ou l’ouïe) appliquée à un outil d’inscription sur un support. Cette prémisse méthodologique permet d’en envisager les divers types, historiquement et comparativement, en tant que médium technique et sous l’angle d’une continuité physique des formes d’activité graphique face aux très diverses fonctions qu’elle peut remplir. Toute trace graphique organisée est-elle en ce sens une écriture? Répondre par l’affirmative signifie faire commencer cette dernière à la « préhistoire », par le dessin rupestre. La paléontologie a montré que la naissance du graphisme impliquait chez l’homme un rapport nouveau entre les pôles fonctionnels main-outil et face-parole dans lequel la vue prend une place dominante. On sait que les premières traces graphiques humaines renvoient à une abstraction poussée (rythmes, symboles de la différence des sexes) puis, massivement, à la représentation animale. Il s’agit toutefois d’un graphisme purement organisé dans l’espace de la roche au sein duquel aucune dimension temporelle, aucun thème narratif n’est déchiffrable. L’hypothèse, plausible, d’un cadre rituel n’est pas vérifiable. Il ne semble pas exister dans la facture même de ce que l’on a appelé « mythogrammes » de renvoi interne à des séquences strictement linguistiques. Ces premiers types d’écritures obéiraient à un graphisme autonome, purement spatial. Dans quel contexte apparaissent les écritures linéarisées, c’est-à-dire pour lesquelles l’espace graphique est asservi à un déroulement temporel? Les protoécritures linéaires, qui scellent l’entrée de ce que nous appelons « histoire », se caractérisent par une sérialisation de symboles référant à une action extérieure. Il est frappant qu’elles fixent d’abord des échanges, des transferts de biens. Selon les hypothèses les plus partagées, ce sont des formes de comptabilité qui auraient présidé à la naissance des premiers systèmes complexes : écriture de choses qui enregistre avant tout la trace de transactions matérielles. La possibilité de noter des échanges proprement linguistiques par le moyen de l’écrit a été probablement découverte dans ce cadre, « par hasard …