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Transmettre et communiquerChassés-croisés conceptuels à partir de Régis Debray ["Transmettre/ Transmitting", no 5 printemps 2005][Notice]

  • Walter Moser

Partons du verbe « transmettre » : un terme, une idée, une notion, un concept. L’exploration conceptuelle parcourt cette chaîne dans les deux sens : du mot au concept — dans un processus d’abstraction et de clarification qui vise une stabilité univoque — et du concept au mot — dans un processus de ressourcement dans le langage courant et de plongée du concept dans les matériaux langagiers proliférants. Ce texte propose quelques parcours heuristiques du concept de « transmission » comme nous y convie ce numéro d’Intermédialités. J’ai choisi comme espace d’interrogation, comme lieu de mise à l’essai et comme point de départ concret quelques textes qui relèvent de la médiologie de Régis Debray. Étant donné la haute fréquence du concept de « transmission » dans le réseau multimédiatique des communications de Régis Debray, son élaboration a déjà reçu une grande épaisseur argumentative et sémantique dont nous allons profiter dans les explorations à venir. Le 9 octobre 2003, Régis Debray donnait une conférence à l’Université d’Ottawa sous le titre « Identité culturelle et mondialisation ». Une lecture préparatoire était recommandée : « Communiquer moins, transmettre plus », qui nous faisait entrer d’office dans le réseau des communications de Debray. Cette étude au titre programmatique — dont les verbes à l’infinitif devenaient consigne, sinon impératif — semble répondre à une urgence perçue dans la culture contemporaine par l’auteur : la communication étant devenue pratique pléthorique, la transmission en souffre et a besoin d’être revalorisée. Pas juste pour rééquilibrer les deux activités, mais, bien plus dramatiquement, en quelque sorte pour sauver l’humanité. Il faut donc communiquer moins et transmettre plus, comme si les deux activités étaient reliées selon une logique de vases communicants : quand l’une monte, l’autre décline. Aussi Debray caractérise-t-il ces deux activités moyennant une série d’oppositions qui ne dépareilleraient pas la rubrique « antiphrase » dans un dictionnaire des figures rhétoriques. Pour commencer, il nous propose deux définitions minimales : « Communiquer, dans notre jeu de concepts, c’est l’acte de transporter une information dans l’espace, et transmettre, transporter une information dans le temps. » C’est de cette première différence que découle, par la suite, un paradigme dichotomique très élaboré, dont voici quelques entrées : En dramatisant son propos, Debray nous dit ce qui arriverait si on portait chacun des deux côtés du paradigme à son excès : Dans le diagnostic qu’il fait de la contemporanéité, ce qui apparaît ainsi, du moins rhétoriquement, comme une belle symétrie, serait aujourd’hui déséquilibré par « l’obsession communicante », c’est-à-dire par le peu de poids qu’aurait la transmission face à la communication qui a acquis une importance excessive. Cela s’exprime par un déficit du côté de la transmission : Bref, il émerge de ce texte un paradigme dichotomique, filé à travers toute son étendue, dont l’effet tranchant est encore rehaussé par les talents stylistiques de Debray, qui a le sens de la formule percutante, voire du slogan. Résumons cette intervention de Régis Debray dans le débat sur notre société de communication : il constate, du côté du terme de communication, que nous vivons dans une société fragmentée et dispersée en individus autonomes et nomades qui, tout en se servant d’appareils très performants, ont développé des réseaux hypertrophiés de mise en contact, directe ou à distance mais toujours instantanée. Cette société vit, toutefois, dans une temporalité unidimensionnelle faite de la mince couche du temps présent ou, en termes médiatiques, d’un real time sans cesse renouvelé. Par contre, elle occupe maximalement l’espace par la multiplication des contacts communicationnels qui lui procurent une jouissance proche de celle de l’ubiquité. Cette société …

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