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Introduction[Notice]

  • Michael Cowan et
  • Laurent Guido

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  • Michael Cowan
    McGill University

  • Laurent Guido
    Université de Lausanne

Ce numéro se propose d’aborder le rythme en tant que principe d’organisation intermédial. Depuis une dizaine d’années, l’intérêt pour cette notion ne cesse de croître au sein de disciplines aussi variées que l’histoire de la philosophie antique ou les sciences politiques. En témoignent notamment plusieurs recueils d’essais interdisciplinaires, et même une plateforme de recherche spécifiquement consacrée à son étude. Pour sa part, le présent numéro envisage le rythme comme une manière de penser la médialité et l’intermédialité des oeuvres du Moyen Âge jusqu’à nos jours. En effet, traiter du rythme dans l’histoire des arts, c’est toujours se confronter à une question d’ordre médiatique. Car le rythme est avant tout une modalité par laquelle certaines oeuvres se déploient ou sont reçues dans le temps. Comme l’a expliqué Émile Benveniste, le mot grec rhythmos signifie originellement « le flux de l’eau », le fait de couler, avant de prendre, chez les philosophes ioniens comme Démocrite, le sens d’une disposition spécifique des parties, des atomes dans un tout, la « forme dès l’instant qu’elle est assumée par ce qui est mouvant, mobile, fluide ». Si l’acception platonicienne du rythme (« l’ordre dans le mouvement », Lois 665a) s’est finalement imposée dans les discours esthétiques, c’est bien parce qu’elle permet de formaliser par les nombres aussi bien la musique que le mouvement corporel : « On pourra ainsi parler du rythme d’une danse, d’une marche, d’une diction, d’un travail, de tout ce qui suppose une activité continue décomposée par le mètre en temps alternés. » Cet ancrage temporel du rythme est évident en musique et en littérature, mais les choses se compliquent lorsqu’on considère les arts visuels. Il est, d’une part, nécessaire de tenir compte d’une tradition esthétique ayant également fait usage, depuis l’Antiquité, de la notion de rythme dans un sens spatial, et ceci pour appréhender les proportions entre volumes architecturaux ou les divers éléments agencés dans la composition des oeuvres picturales. D’autre part, la stricte séparation entre arts temporels et spatiaux, qui a prévalu au moins depuis le Laocoon (1766) de Gotthold Ephraim Lessing, a connu une profonde remise en question vers la fin du 19e siècle, à la suite de l’émergence de techniques scientifiques dévolues à l’enregistrement et la reproduction du mouvement (chronophotographie et cinéma). L’une des stratégies principales d’inscription du mouvement dans les représentations statiques, qui – chez les futuristes, Duchamp ou encore le « Kinetismus » – consiste justement à rythmer des éléments ou des motifs répétés et espacés à la manière de certaines chronophotographies, témoigne de l’influence profonde de ces nouveaux médias sur les avant-gardes, plus particulièrement dans leurs recherches picturales. Il serait pourtant erroné d’envisager ces stratégies visuelles de mise en rythme comme des modalités d’une nouveauté absolue, exclusivement déterminées par les transformations technologiques issues de la modernité scientifique. Dans le premier article de ce numéro, Jean-Claude Schmitt établit ainsi des correspondances étonnantes entre de tels procédés avant-gardistes et l’une des oeuvres visuelles les plus connues du Moyen Âge : la Tapisserie de Bayeux. Plusieurs détails dans cette oeuvre célèbre – telle la fréquente représentation de chevaux au galop – semblent préfigurer les préoccupations des chronophotographes et signalent une « capacité, véritablement stupéfiante, d’observation et d’expression du mouvement ». En outre, les motifs dynamiques qui apparaissent dans la bande centrale de la tapisserie font partie d’un ensemble d’éléments rythmés, dont le plus important est peut-être le « dispositif ornemental » géométrique de la bordure. Celui-ci sert, d’après Schmitt, à « battre une mesure » et à accompagner la succession des images d’une sorte de musique visuelle, renforcée par le texte de la tapisserie qui joue …

Parties annexes