Numéro 16, automne 2010 rythmer rhythmize Sous la direction de Michael Cowan et Laurent Guido
Sommaire (13 articles)
rythmer / rhythmize
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Introduction
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Broder les rythmes : à propos de la Tapisserie de Bayeux
Jean-Claude Schmitt
p. 23–34
RésuméFR :
Cette rapide étude des rythmes de la Tapisserie de Bayeux s’inscrit dans une réflexion bien plus large portant sur l’histoire des rythmes au Moyen Âge. Celle-ci concerne notamment les rythmes des images et ceux de la narration historique, ce qui justifie l’examen de la célèbre broderie. Cette étude croise l’analyse des bordures, des images de la bande centrale et des inscriptions latines. L’usage des temps verbaux suggère que l’oeuvre pouvait être commentée à haute voix lors de son exposition (attestée au 15e siècle) à l’occasion de la fête de la dédicace de la cathédrale de Bayeux. La répétition et la variété des formes, des couleurs, des sons, les accélérations et les ralentissements du mouvement des cavaliers et des fantassins, et même les temps d’arrêt et les retours en arrière, donnent à la broderie son caractère rythmique exceptionnel.
EN :
This overview of the Bayeux Tapestery rhythms is part of a larger study on the history of rhythm in the Middle Ages which examines the rhythms of images and historical narrative. This essay focuses on the borders, the images of the main strip and the Latin inscriptions of the famous embroidery. The repetition and variety of the forms, the colors, the sounds, the cavalry’s and the infantry’s pace, and even the stops and backtracks, give the Bayeux Tapestry its exceptional rhythmic quality.
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Optique ou haptique : le rythme dans les études sur l’art au début du 20e siècle
Georg Vasold
p. 35–55
RésuméFR :
Cet article traite du « rythme », une notion abondamment discutée lors de l’émergence d’une littérature académique en histoire de l’art. Malgré l’utilisation qu’en faisaient déjà Karl Schnaase et Franz Kugler, ce n’est qu’après 1900 que le terme deviendra un principe de base sous l’influence d’August Schmarsow, à Leipzig, et d’Alois Riegl, à Vienne. Ces derniers reconnaissaient l’importance et le potentiel d’une telle notion, malgré leurs travaux divergents. Pour August Schmarsow, le rythme était le moyen de concevoir la relation de l’esthétique et de l’expérience physique : traverser une architecture, un mouvement rythmique donc, décrivait un mode de perception élémentaire. En revanche, pour Riegl, le rythme était une question de vision : en explorant l’esthétique de l’Antiquité tardive (qui anticipait, selon lui, le modernisme), il observait davantage le rythme dans les rapports dynamiques entre le blanc et le noir, une idée qui deviendra pertinente pour la théorie cinématographique des années 1920.
EN :
The article is about the term “rhythm,” which was vividly discussed in the early days of academic art history writing. Although already used by scholars like Karl Schnaase and Franz Kugler, rhythm only became a basic principle after 1900. It was mainly August Schmarsow in Leipzig and Alois Riegl in Vienna who stressed the importance of that term. Both of them realized its innovative potential, but for different reasons. For Schmarsow rhythm was a means to link aesthetics with physical experience: walking through the architecture, thus a rhythmical movement, was described as a basic mode of perception. Riegl’s ideas about rhythm were quite different. For him rhythm was primarily a matter of seeing. Exploring the aesthetics of late antiquity (which Riegl understood as an anticipation of modernity) he focused on the rhythmic interrelation between black and white—an idea which became most relevant in the film-theory of the 1920s.
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Les rythmes contagieux d’une danse noire : le cake-walk
Rae Beth Gordon
p. 57–81
RésuméFR :
Cette étude propose une anthropologie du geste d’une danse noire américaine, le cake-walk. En retraçant la façon dont le cake-walk a été transformé par des artistes français, cette analyse souligne la spécificité française des perceptions de cette danse qui est vite devenue un phénomène de société. On remarque la convergence entre deux champs scientifiques, vulgarisés et largement répandus dans la presse : la psycho-pathologie et la théorie de l’évolution. Le discours autour du mouvement hystérico-épileptique et celui autour de la régression darwinienne sont superposés dans presque tous les commentaires sur les rythmes entraînants et les gestes du cake-walk, créant des inquiétudes sur la contagion et la dégénérescence.
EN :
The article proposes an anthropology of gesture in a black American dance, the cake-walk. Retracing the way that the cake-walk was re-worked by French performers, our analysis emphasizes the specificity of French perceptions of the dance. The convergence of two scientific fields is noted in this specificity: psycho-pathology and the theory of evolution. Both were widely disseminated in the press in vulgarized form, and notions surrounding hysterical-epileptic movement and Darwinian regression were superimposed in almost every commentary on the rhythms and gestures of the cake-walk, thereby producing anxieties about contagion and degeneration.
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“Film-Symphonie vom Leben und Sterben der Blumen”: Plant Rhythm and Time-Lapse Vision in Das Blumenwunder
Janelle Blankenship
p. 83–103
RésuméEN :
This essay analyzes the use of time-lapse cinematography in the early 20th century to unlock worlds hitherto “closed to man” (Balázs). I demonstrate how the new “image worlds” of time-lapse influenced biologists such as Jakob von Uexküll and 1920s avant-garde theorists alike. Using the 1926 hybrid German “cultural film” Das Blumenwunder (The Miracle of Flowers) as my primary case study, I examine how the film aims to present the “inner rhythm” of plants as an alternative temporality, which challenges an anthropocentric world view and at the same time dialogues with the ecstatic rhythms of modern dance. I discuss the film’s self-reflexive use of time-lapse technology, its reception history in the context of the avant-garde and new trends in reform pedagogy, and the specific use of Ausdruckstanz choreography to respond to industrial rhythms and to create a new mimetic form of affect.
FR :
Cet article analyse la cinématographie d’images en accéléré pratiquée au début du 20e siècle afin de démontrer comment les nouveaux mondes dès lors accessibles par de telles images ont influencé certains biologistes, comme Jakob von Uexküll, et théoriciens de l’avant-garde des années 1920. À partir du « film culturel » allemand Das Blumenwunder (Le miracle des fleurs, 1926), l’auteur examine la manière dont le film cherche à traduire le « rythme intérieur » des plantes, une temporalité qui contesterait une conception anthropocentrique du monde tout en s’accordant aux rythmes extatiques de la danse moderne. L’auteur discute de l’usage auto-réflexif de la technologie d’images en accéléré, de l’histoire de sa réception au sein de l’avant-garde et de la réforme pédagogique, ainsi que de l’utilisation spécifique de la chorégraphie d’Ausdruckstanz pour créer une nouvelle forme mimétique d’affect en réponse aux rythmes industriels de l’époque.
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Le film comme « symphonie du monde » : l’universalité des gestes rythmiques dans Melodie der Welt et sa réception française
Laurent Guido
p. 105–128
RésuméFR :
Revenant sur l’imaginaire cinématographique de la « première mondialisation » des années 1890-1940, innervée par le paradigme du rythme, cet article étudie plus particulièrement Melodie der Welt (1929). Walter Ruttmann y porte à une échelle internationale certains motifs caractéristiques des expérimentations avant-gardistes des années 1920, afin de proposer une véritable « Symphonie du monde ». La réception contemporaine de ce film – notamment en France, chez Alexandre Arnoux, André Levinson et Émile Vuillermoz – permet de le rapporter aux conceptions universalistes qui font florès dans le champ artistique de la seconde moitié des années 1920, telle la notion de « Grand Rythme » chez l’historien d’art Élie Faure. Les idées de simultanéité et de synchronisme, au-delà des frontières comme des époques, reviennent dans Melodie der Welt au travers de certaines formes collectives d’expressivité gestuelle rythmée, au premier plan desquelles figurent la danse et le travail. À la même époque, on peut trouver des positions opposées à cette démarche dans divers textes de Siegfried Kracauer, notamment ceux qui comparent la démarche de Ruttmann à celle de Dziga Vertov.
EN :
This article addresses the pivotal role devoted to rhythm at the time of the « first globalization » (ca 1890-1940), through a detailed consideration of Melodie der Welt (Walter Ruttmann, 1929), which reuses typical features of the “City Symphony” genre as a visual ground for working out a new “World Symphony”. By taking into account this experimental documentary film’s reception, mainly in France (Alexandre Arnoux, André Levinson, Émile Vuillermoz…), one can relate Ruttmann’s endeavour to broader universalist ideas of the 1920s (such as simultaneity and synchronism across borders and times, or the “Great Rhythm” concept developed by the art historian Élie Faure). Rhythmical gesture, embodied by images of collective dancing and working, occupies a privileged position in Melodie der Welt. Ruttmann’s attempt has been thoroughly condemned by Siegfried Kracauer, whose writings provide a fruitful comparison with Dziga Vertov’s work.
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“As Regarding Rhythm”: Rhythm in Modern Poetry and Cinema
Sarah Keller
p. 129–143
RésuméEN :
This essay examines the connection between modern poetry and cinema through their mutual emphasis on rhythm. It argues that rhythm provides both an alternative mode for structuring non-narrative cinemas as well as an explanatory device for how filmmakers in the modernist milieu believe the cinema works.
FR :
Cet essai s’intéresse à la relation qu’entretiennent la poésie moderne et le cinéma dans leur rapport privilégié au rythme. Notre étude établit que le rythme offre un mode alternatif de structuration des films non narratifs tout en fournissant une explication sur la conception des mécanismes du cinéma chez les réalisateurs des cercles modernistes.
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L’art du trompe-l’oreille rythmique
François-Xavier Féron
p. 145–165
RésuméFR :
Un trompe-l’oreille est une entité sonore captieuse dont la principale caractéristique repose sur une disjonction entre sa structuration (comment elle est réalisée) et sa réception (comment elle est perçue). Dans cet article, l’auteur s’intéresse principalement aux patterns résultants qui sont des motifs mélodiques et/ou rythmiques issus de regroupements opérés par la perception sur les stimuli acoustiques provenant d’une ou plusieurs strates sonores ; la production de ces patterns et leurs répercutions auditives sont abordées à travers des exemples musicaux variés comme les polyphonies traditionnelles d’Afrique centrale ou les oeuvres de György Ligeti, Terry Riley et Steve Reich. L’auteur expose également quelques effets rythmiques que seule la précision des ordinateurs autorise, tels que les pulsations infinies ou paradoxales confectionnées par Jean-Claude Risset ou encore le ralentissement perpétuel mis en oeuvre par Autechre dans une de ses compositions. Il s’agit de montrer, à travers ce parcours musical, que des rythmes peuvent en cacher d’autres.
EN :
A trompe-l’oreille is a misleading acoustic entity whose main characteristic is the disconnect between its construction (how it was produced) and its reception (how it was perceived). In this paper, the author focuses mainly on the melodic and/or rhythmic patterns that are the result of the perceptive reorganization of acoustic stimuli from one or several musical layers. The production and auditory consequences of such patterns are discussed via a selection of musical examples including ethnic music from Central Africa and the compositions of György Ligeti, Terry Riley and Steve Reich. The author also examines the specificity of computer-generated rhythmic effects, such as Jean-Claude Risset’s infinite and paradoxical beats or the endless deceleration in Autechre’s work. This musical investigation aims to demonstrate how one rhythm can conceal another.
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Articulating the African Diaspora through Rhythm: Diatonic Patterns, Nested Looping Structures, and the Music of Steve Coleman
Jesse Stewart
p. 167–184
RésuméEN :
This essay examines cyclical rhythmic structures drawn from several musical traditions rooted in the African diaspora, focusing on “diatonic rhythms” and on what saxophonist and composer Steve Coleman coined “nested looping structures.” Such rhythmic structures can be regarded not only as retentions of African musical and cultural heritage, but also as a model to understand threads of continuity that exist between many of the disparate musics and cultures that have shared African roots, but radically altered by the passage of time, cross-cultural contact and musical hybridity. Furthermore, the author argues that diatonic rhythms and nested looping structures can provide a means of actively articulating connections between different diasporic musical traditions as evidenced by some of Steve Coleman’s musical collaborations, including his pioneering work from the mid-1990s with Metrics.
FR :
Cet article analyse les structures rythmiques cycliques qui caractérisent plusieurs traditions musicales issues de la diaspora africaine en examinant les « rythmes diatoniques » et ce que Steve Coleman a nommé des « nested looping structures ». Ces structures rythmiques ne sont pas uniquement l’expression d’un patrimoine musical et culturel africain. Elles présentent également un modèle d’interprétation des continuités entre des cultures et des musiques disparates ayant des racines africaines communes qui, par ailleurs, ont été altérées dans le temps par les contacts interculturels et l’hybridité musicale. De surcroît, l’auteur soutient que les rythmes diatoniques et les « nested looping structures » permettent d’articuler des liaisons entre différentes traditions musicales diasporiques, comme le démontre, entre autres, la pratique du compositeur et saxophoniste Steve Coleman au sein du groupe Metrics.
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Articulation et rythme : matière, pensée et création dans le discours
Lucie Bourassa
p. 185–206
RésuméFR :
Cet article propose un rapprochement et une confrontation entre la notion de rythme d’Henri Meschonnic et celle d’articulation (Artikulation ; Gliederung) de Wilhelm von Humboldt. Ces notions présentent plusieurs parentés, bien qu’elles s’inscrivent dans des contextes épistémologiques différents et qu’elles ne soient nullement réductibles l’une à l’autre. On les compare ici en particulier sur le plan de l’enracinement du langage dans le corps et du rôle central joué par le signifiant dans la pensée. Ce rapprochement se veut un parcours heuristique pour repenser le rythme dans le discours. On essaie d’abord de donner une sorte de profondeur à la notion de Meschonnic, c’est-à-dire d’en éclairer certains aspects sous un autre jour : avec la notion d’articulation, on devrait mieux comprendre, en particulier, comment le rythme permet de dépasser la représentation instrumentale du langage. On reformule ensuite la définition du rythme à la lumière du concept d’articulation, lequel se révèle utile en particulier pour en considérer la dimension sensible, perceptible, que la théorie de Meschonnic laisse de côté.
EN :
This essay compares two notions: Henri Meschonnic’s “rhythm” and Wilhelm von Humboldt’s “articulation” (Artikulation, Gliederung). Although they originate from very different epistemological contexts and one can’t be identified with the other, there are significant similarities between the two notions: both concepts imply a strong relationship between language and body and give a fundamental value to the signifier in the capacity for thought. The comparison is a heuristic way to rethink the concept of rhythm in the discourse. At first, we try to give a kind of “depth” to Meschonnic’s notion by casting new light on some aspects: with “articulation”, one should understand better how “rhythm” allows us to avoid a representation of language as an instrument. Then, we try to rewrite the definition of rhythm: the concept of articulation allows us to take into account the perceptible side of rhythm, which is neglected in Meschonnic’s theory.
Artiste invité / Guest Artist
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Les rythmes du désir filmique chez Gustav Deutsch
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FILM IST. a girl & a gun
Gustav Deutsch
p. 217–230
Hors dossier / Miscellaneous
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Intermédialité : ressemblances de famille
Éric Méchoulan
p. 233–259
RésuméFR :
Dans cet article, l’auteur explore les différentes conceptualisations proches des théories de l’intermédialité depuis les anciennes pratiques de l’ekphrasis jusqu’aux récentes conceptions de la médiologie en les regroupant sous des genres d’opération différents : parler, voir, communiquer, agir, relier. Il en souligne les proximités et surtout insiste sur le fait que ces théorisations mettent l’accent sur les relations plus que sur les substances.
EN :
In this essay, the author investigates concepts relevant to theories of intermediality, from ekphrasis to contemporary media studies (médiologie), through different types of operations—talking, seeing, communicating, acting, linking. The resemblances he draws underline a common mode of theorizing which is less substantial than relational.