Bâtir renvoie historiquement à une action déterminée par un plan systématique. Cette action englobe la réalisation d’édifices ou d’espaces urbains et les diverses manières dont ils sont habités. La construction contemporaine nous montre à quel point les technologies liées aux nouveaux médias ainsi que leurs doubles réseaux, matériels et immatériels, sont au coeur de l’architecture et de la planification urbaines. Cependant, bâtir implique généralement un débordement des limites médiatiques dans la mesure où il y a toujours une transition entre deux formes de signification, à savoir un transfert du projet sur papier vers la structure architecturale. Aussi mesurable soit-elle, cette transition repose en outre sur de nombreux courants qui convergent en un même processus : du point de vue de l’architecte, ce sont les technologies du bâtiment, les systèmes domestiques de communication, l’environnement vernaculaire et les édifices alentour, à quoi s’ajoutent d’autres facteurs comme la législation, les désirs et le portefeuille du client ; du point de vue du planificateur urbain, on pense à l’infrastructure des réseaux, aux schémas de circulation et de trafic, enfin aux traditions politiques ou culturelles qui sont denses et résistent au progrès ou l’accélèrent, imposant des rythmes, historiquement variables, au changement. Ainsi, parce qu’elle suppose une transposition de la feuille de papier vers l’édifice réalisé, l’action de bâtir implique un processus intermédial qui fait converger des pratiques et des formes culturelles disparates. Ce numéro d’Intermédialités a pour thème l’environnement urbain et sa construction. Dans leur diversité, les textes réunis ici nous invitent à réfléchir à la manière dont les espaces urbains ont reçu leur forme et leur texture de différents médias ainsi qu’aux relations entre ces derniers et l’environnement bâti. Les articles s’inscrivent dans un ensemble de développements récents concernant deux champs : d’une part, la théorie des médias qui s’est tournée vers les idées de « matérialité » et d’infrastructure et dont le renouvellement se reconnaît de façon dispersée dans plusieurs des courants d’analyse culturelle ; d’autre part, l’architecture et l’urbanisme au sein desquels le mouvement déconstructiviste a remis en question les conceptions traditionnelles de l’espace et du « sol » qui étaient censées conditionner l’action de bâtir. Dans ce second cas, l’appel à penser le « bâtir » signifie rendre compte d’une tradition de pensée modelée par une conception idéelle du « bâtir ». Il y a longtemps que les philosophes utilisent des métaphores spatiales pour fonder et stabiliser leurs systèmes de pensée. Cette tradition a imprégné l’architecture elle-même aussi bien que la planification urbaine. Elle est un des éléments qui interviennent dans la transition que nous avons appelée le « bâtir », une tradition que Kojin Karatani a retracée depuis sa source platonicienne et qui nous aide à illustrer les liens entre espace urbain et différents médias. Dans Phèdre, Socrate accompagne son ami hors des murs de la ville, jusqu’à un platane au bord de la rivière. En chemin, il récuse l’interprétation des mythes par les lieux, parce que ce savoir le détourne de la connaissance de soi. Une fois arrivé, il rejette le discours écrit dont Phèdre lui fait la lecture parce que, à l’instar d’une peinture, celui-ci est incapable de répondre aux questions. Ces médias, pour les appeler ainsi, produisent des imitations de l’idée, de simples simulacres. Leur circuit de communication distend trop les limites spatiales à l’intérieur desquelles se logent les formes acceptables de la connaissance (de soi), celles qui émergent du dialogue oral dont seul l’espace circonscrit de la polis peut assurer l’efficacité. À l’inverse, les textes de Lysias, ou le poème récité par le rhapsode, doivent être chassés hors de ses murs. Une distinction épistémologique …
Bâtir. La ville intermédiale[Notice]
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James Cisneros
Université de MontréalWill Straw
McGill University
Traduit de l’anglais par Caroline Bem