La recherche et la sanction des auteurs d’infractions pénales est un devoir que l’État s’assigne à lui-même : rendre la justice, en condamnant criminels et délinquants, c’est oeuvrer pour le maintien de la concorde dans la société. Dès lors, la décision de ne pas rendre la justice, voire de renoncer explicitement à appliquer les lois, en garantissant l’impunité à un contrevenant, peut prendre la couleur du scandale. Par le renoncement délibéré de l’État à l’exercice de son pouvoir régalien de justice, la cohésion sociale pourrait être mise en péril. Il existe pourtant une mesure législative dont c’est précisément la conséquence : par une loi d’amnistie, les députés peuvent imposer le silence aux juges sur des faits déterminés. En amnistiant, on concède qu’en certaines situations particulières la loi peut avoir été enfreinte sans donner lieu à sanction. Les individus concernés ne sont alors pas reconnus innocents, ni même coupables, contrairement à ceux qui bénéficieraient d’une grâce. L’étymologie du mot amnistie, l’absence de mémoire, dit bien la conséquence juridique de la mesure : l’action de ces contrevenants est tout simplement oubliée, du moins pour ce qui est de ses conséquences pénales. Elle ne donnera donc pas lieu à poursuite, ni à condamnation puisqu’il n’y a, fictivement, plus de délit à poursuivre. Contrairement à la grâce, l’amnistie est collective. Générale et impersonnelle elle est concrétisée par une loi. Les décisions de ce type sont fréquentes dans les politiques de sortie de conflit ou de transition institutionnelle. Souvent considérées avec méfiance car assimilables à un déni de justice, elles sont pourtant ponctuellement envisagées comme indispensables à l’apaisement des tensions et à la réconciliation de la société. À l’issue de situations troubles, ce sont la plupart du temps plusieurs décrets successifs qui, progressivement, ramènent la paix au sein d’une population divisée. C’est ici que se dessine une contradiction fondamentale de cette mesure d’oubli juridique qui, scandaleuse par certains aspects, a pourtant vocation à éviter le scandale de jugements liés à des séquences politiques complexes. On amnistie parfois afin d’éviter que certains individus ne soient jugés pour les positions adoptées pendant des périodes de troubles politiques, quitte à prendre le risque de laisser certains crimes impunis. En France, la période révolutionnaire, et ce n’est pas la première dans ce registre, est traversée par cette puissante tension. S’y côtoient un besoin de rendre la justice et l’impérieuse aspiration à une réconciliation que l’on entend souvent faire passer par l’oubli juridique des différends nés du processus politique en cours. Une tendance similaire avait caractérisé, au XVIe siècle, le moment de la pacification à l’issue des guerres de religion ou entre deux épisodes de violences. S’établit alors une véritable « politique de l’oubliance ». De son application, de sa définition et de son acceptation par les partis rivaux dépend la possibilité d’établir, même provisoirement, la paix. Décidé par la mansuétude et par la prudence du roi, l’oubli est mis en oeuvre et arbitré par des commissaires royaux envoyés dans le royaume à cet effet, et non par des juges ordinaires. En tant qu’acte législatif émanant de la volonté nationale, l’amnistie ne se détermine progressivement qu’au moment de la Révolution, pour être alors tout à fait distinguée de la grâce. Son usage se diversifie, parfois lié à des besoins localisés ou très ponctuels d’apaisement. Initialement prérogative du souverain, l’amnistie entre dans la sphère du pouvoir législatif et, à partir de 1790, est prise en charge par les représentants de la Nation, sans que la mesure ne soit pourtant définie, ni par les constitutions de la période, ni par le Code pénal. Si les grâces individuelles, attribuées par le roi, …
Justice silencieuse, justice scandaleuse ? Les amnisties de l’Assemblée nationale constituante (1789−1791)
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Stanislas de Chabalier
Université de Lille, IRHiS UMR 8529, France
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