Résumés
Résumé
Cet article tente d’éclairer la vision d’un artiste, Hermann-Paul, afin de connaître les représentations d’un contemporain de l’entre-deux-guerres sur la France et les modèles de la civilisation occidentale. Le corpus se concentre sur son travail dans l’hebdomadaire Je suis partout qui offre le double avantage de pouvoir suivre l’artiste chaque semaine sur une décennie de décembre 1930 à février 1940. Les pacifistes sont des acteurs majeurs de la période qui défendent l’idée d’une paix durable. Le concept de la paix durable est défini par l’historien Carl Bouchard comme une expression représentant les désirs de cette population à la sortie du conflit : « (ils) n’ont pas la prétention de croire que les propositions de paix qu’ils exposent puissent rendre la paix permanente ou perpétuelle. Pour eux, la guerre est un problème sans solution tranchée, auquel il existe, au mieux, des palliatifs, la quête de la paix réactualisant à sa façon le mythe de Sisyphe ». Les défenseurs de la paix participent ainsi aux différents changements de la société de l’entre-deux-guerres, ce qui accentue l’angoisse civilisationnelle déjà débutée au XIXe siècle. Comment le caricaturiste intègre-t-il ces acteurs dans sa vision de la France en danger ?
Corps de l’article
L’entre-deux-guerres commence à la fin de la Première Guerre mondiale et s’inscrit dans une volonté de changement, de paix durable et d’un nouvel ordre international. De nouveaux acteurs politiques et idéologiques prennent de l’ascendance et semblent dessiner une nouvelle société française. Cependant, la réalité du retour à la paix est compliquée par l’ampleur du conflit. L’espace public est transformé : monuments aux morts, destructions, veuves et orphelins. Il y a également ne réflexion sur la durabilité de la civilisation occidentale : ses limites, ses modèles et ses dangers. Les soldats revenant du front ne comprennent pas l’écart entre leurs attentes et la réalité du terrain[1]. La société occidentale avait érigé un idéal viril centré autour de l’éthos militaire, c’est-à-dire un homme viril se réalisant au combat. Un combattant fier, qui se bat debout face à l’ennemi. Par sa force et son courage, il doit vaincre l’ennemi et accaparer une forme de gloire et d’honneur par ses actions[2]. Toutefois, la réalité du champ de bataille est très différente. Il n’y a pas de gloire ou de combats individuels pour le soldat. L’ennemi est invisible puisque l’on peut mourir à la guerre sans même être en position de combat par les obus, le gaz moutarde. Il n’y a plus de valeur à vaincre ou d’honneur dans la bataille. La position du corps du guerrier se modifie. Les soldats sont cachés et non plus debout. Ils creusent des tranchées où ils côtoient les rats. L’historien Stéphane Andoin-Rouzeau résume cette situation en ces termes : « les réalités du champ de bataille étaient-elles bien de nature à démystifier jusqu’à la racine le stéréotype de la virilité guerrière, lentement construit par un siècle de militarisation des sociétés occidentales[3] ». Cette expérience de la guerre remet donc en cause la réalisation de la virilité de l’homme proche de la figure du héros[4].
Des modèles d’un homme nouveau émergent durant l’entre-deux-guerres-l’homme fasciste dans les pays vaincus ou un sentiment de défaite : l’Allemagne et Italie, et l’homme de paix dans les pays vainqueurs comme en France ou en Angleterre. L’historien Luc Capdevila précise :
la violence brute combattante étant devenue l’essence même de la virilité chez les nazis et pour les autres extrêmes droites européennes. À l’opposé, surtout au sein des milieux vétérans des nations victorieuses, la guerre perçue comme un lieu d’anéantissement avait amené à réviser les stéréotypes du masculin en les dissociant de l’idéal combattant : le champ de bataille n’était plus l’espace de l’accomplissement du moi masculin, mais un lieu de déshumanisation, où le guerrier n’était plus un héros, mais un homme ordinaire avec ses faiblesses, ses doutes, ses lâchetés[5].
Le groupe des pacifistes est caractérisé par sa forme multiple, mais aussi par sa nouvelle proposition de virilisation et de lieu d’accomplissement de l’idéal de l’homme. Les lieux d’accomplissement de la virilité passent du champ de bataille aux combats civils. Les pacifistes essayent également de défendre un nouveau patriotisme : un patriotisme international afin d’éviter les travers des patriotismes nationaux qui ont mené à la guerre. Dans cette émergence de nouveaux modèles, le cas français est unique puisqu’il amène un paradoxe. La France est le pays qui connaît le plus de formes de pacifisme et de militantisme. Cette situation fait naître chez Norman Ingram l’idée que « la France est le plus pacifique de tous les peuples[6] ».
Afin de montrer ce décalage avec le modèle viril précédent, cet article s’appuie sur les dessins d’un caricaturiste d’extrême droite, Hermann-Paul. Ce choix permet de révéler toute l’anxiété de l’Occident qui voit naître un nouveau modèle bouleversant l’ordre établi. Le journal dont sont issues les caricatures est Je suis partout. Cet hebdomadaire est la tribune d’un fascisme à la française. Il fait les frais de ce positionnement idéologique puisqu’il est accusé de collaboration après la chute du régime de Vichy[7]. Le corpus d’Hermann-Paul de cet article permet de formuler la problématique suivante : les critiques du caricaturiste mettent-elles à mal l’idéal de virilité pacifiste ?
Pour cette démonstration, l’article suit un plan en cinq parties. Tout d’abord, il convient de définir ce qu’est la notion de virilité et sa place dans l’étude du genre. Cette définition permet aussi de dessiner les frontières et les contretypes de la virilité dans une deuxième partie. Un exposé de la situation complexe du pacifisme français suit cette définition. Ensuite, l’étude se concentre sur le caricaturiste et l’élaboration de ses critiques. Enfin, plusieurs exemples du corpus viendront illustrer cette critique des hommes de paix.
La notion de virilité
La notion de virilité fait partie du courant historique du genre. Il est donc nécessaire de la définir. L’étude du genre peut être définie de façon succincte comme le fait d’interroger « les constructions sociales de sexe dans lesquelles les relations entre les hommes et les femmes sont centrales[8] ». Les deux historiennes Raphaëlle Branche et Danièle Voldman abordent aussi l’émergence de la virilité dans lequel l’article s’insère. L’étude de la virilité s’attarde sur les rapports entre les hommes dans la société.
Le vocabulaire français dans ce type d’étude est plus restreint qu’en anglais où nous retrouvons les termes : male, manful, masculine, masculinity, manliness, manhood, emasculinity, virile et virility[9]. Il est donc important de distinguer les termes virilité et masculinité. D’après la définition d’Alain Corbin, la masculinité correspond à la réalité physique et biologique de l’homme. La virilité est une construction sociale, un idéal à atteindre qui se base sur des qualités physiques, morales, comportementales et sur une dominance sur autrui. En effet, Alain Corbin affirme que :
[La virilité] ne constitue pas tant une donnée biologique qu’un ensemble de qualités morales qu’il convient d’acquérir, de préserver et dont l’homme doit savoir faire preuve. C’est pourquoi la virilité n’est pas synonyme de masculinité. Elle ne se définit pas seulement par opposition à la féminité. Bien des individus présentent un manque de virilité sans que l’on songe à remettre en cause leur « masculinité[10] ».
La création de cette virilité moderne est difficile à dater, mais on sait qu’elle a un rôle important dès le début cycle des révolutions, que cela soit la révolution américaine ou la Révolution française. D’après George Mosse, « l’invention de la virilité moderne est liée à la nouvelle société bourgeoise qui s’instaura à la fin du XIXe siècle. Alors a émergé ce stéréotype masculin qui, aujourd’hui encore, nous est si familier[11] ». La modification intervient à la fin du XVIIIe siècle. Cette virilité devient le ciment des sociétés occidentales avec la classe bourgeoise.
Alain Corbin, dans sa trilogie de l’Histoire de la virilité, décrit la virilité comme « un code, inculqué aux garçons dès le plus jeune âge. Le courage, voir l’héroïsme, le savoir-mourir pour la patrie, la quête de la gloire[12] ». Il précise aussi que l’importance de la virilité ne constitue pas une simple vertu individuelle : « Elle ordonne, irrigue la société, dont elle sous-tend les valeurs[13]. » De ce fait, le fait de reconsidérer ces codes crée une véritable anxiété dans la société, une peur de la dégénérescence ou de la disparition de ce modèle de société. L’historien américain George Mosse dans son ouvrage fondateur de L’image de l’homme. L’invention de la virilité moderne présente cet idéal comme « la volonté de puissance, l’honneur, le courage[14] », « maitrise de soi[15] ». Robert A. Nye ajoute à ces définitions l’interdépendance du couple citoyen-soldat que met en place cet idéal viril. L’homme est un citoyen seulement s’il réalise les attentes sociales propres aux soldats : défendre par sa force et son courage sa patrie. Ce binôme permet aussi de justifier la dominance de l’homme adulte sur les autres protagonistes de la société qui ne participent pas aux combats : femme, handicapé, mineur, étranger. Ainsi, ces caractéristiques deviennent prépondérantes pour aborder la virilité : la force physique et mentale, la maîtrise de soi, la mission de protection des faibles, le courage et le sacrifice ultime pour sa patrie. Toutefois, cet idéal a des limites.
Les contretypes de la virilité
Cet idéal de virilité ne peut exister sans son antagoniste, ses frontières. Ainsi des situations ou des individus répulsifs vont servir à consolider la virilité. Le cycle révolutionnaire est alors aussi le temps de la stigmatisation et de la création de ses frontières. Des individus ou comportements doivent inspirer le dégoût pour rendre attractifs ceux de la virilité.
Ce rejet est une condamnation autant sociale que morale. Pour George Mosse, ces individus frontières « ne peuvent pas être virils ou sont des repoussoirs dans l’âme et le corps[16] ». Ils sont « immoraux, faibles et serviles[17] ». Ce sont les parias de la société occidentale. Alain Corbin recense certaines de ces critiques comportementales qui sont affiliées à ces groupes d’exclus de la virilité : « le couard […], le lâche, l’impuissant, le sodomite[18] ». George Mosse identifie dans son travail des groupes spécifiques de la population cristallisant ces tares comme la femme dangereuse, le Juif, l’homosexuel. La femme dangereuse en raison de son pouvoir de séduction peut pervertir l’homme, mais aussi la femme qui ne veut pas respecter les attentes et les limites propres à son sexe. Le Juif apparaît aussi dans ses condamnations. Le statut du Juif traditionnel dans l’antisémitisme occidental auquel s’ajoute la figure de l’étranger et de l’homme sans patrie depuis l’aube des nationalismes[19]. Enfin, l’homosexuel est l’anti-homme dans cette société, il ne procrée pas donc il ne participe pas à l’avenir de sa patrie et il accepte d’être dominé dans la conscience collective[20]. Le pacifisme apparaît chez le caricaturiste comme un nouveau contretype qui regroupe différentes catégories d’exclus existant dans la typologie de Mosse. Pour cela, il est nécessaire de dresser un portrait du pacifisme en France.
Le pacifisme ou les pacifismes
La complexité du pacifisme ou des pacifismes français est facilement visible en prenant une vue d’ensemble de la situation. Il est multiple à plusieurs échelles : géographique, idéologique ou social.
D’un point de vue géographique, il y a une distinction à faire entre un pacifisme à l’échelle nationale et un pacifisme à l’échelle internationale. Le premier s’insère dans une stratégie française et propose un plan d’action local et souvent associatif. Le second est un mouvement de paix mis en place par les différents politiciens nationaux. Le pacifisme international s’intègre dans une stratégie géopolitique et diplomatique sur la scène internationale. L’organisation incarnant de ce type de pacifisme durant la période est la Société des Nations.
Sur le plan idéologique, il y a aussi une divergence notable chez les pacifistes français. Deux idéologies se font face : old-style et new-style[21]. L’ancien style est une forme de pacifisme déjà présente avant le XXe siècle. Les pacifistes old-style prônent la paix par la négociation et la diplomatie. Toutefois, ils considèrent la guerre comme une issue possible si cela permet de rétablir une paix plus stable. Le nouveau style est un pacifisme plus radical qui naît durant l’entre-deux-guerres. Les adhérents à ce type de pacifisme prônent une paix totale et exclusive : le recours à la guerre est inenvisageable.
Ces pacifismes comprennent également une diversité dans leurs représentations. En effet, les regroupements pacifistes peuvent être constitués d’un genre spécifique, d’un corps de métiers, ou d’un large éventail de la population. Ils peuvent être inclusifs ou exclusifs à une partie de la société. Il existe des groupes pacifistes s’adressant exclusivement aux femmes et aux mères, mais il y a aussi certains groupes qui s’adressent seulement à un corps de métier ou catégorie sociale comme les enseignants ou les associations d’anciens combattants : la ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté (LIFPL)[22], la Croix de feu (association d’anciens combattants)[23].
De ce fait, il est difficile de définir un individu pacifiste type puisqu’ils ne partagent entre eux ni l’échelle d’influence, ni l’idéologie ou encore la représentation dans la société. Ainsi, il est intéressant de comprendre qui est Hermann-Paul et comment il parvient à faire la critique de ces pacifismes malgré la complexité de leur structure.
Hermann-Paul et le journal Je suis partout
Hermann René Georges Paul, est un artiste français de la fin du XIXe et du XXe siècle. Sa production est intéressante pour trois raisons. La première est la périodicité de sa production : son oeuvre s’étend sur un demi-siècle en commençant dès la fin du XIXe siècle pour finir en 1940. La deuxième est sa quantité puisque le nombre de dessins d’Hermann-Paul est colossal. L’artiste publie sur de nombreux supports que cela soit des oeuvres littéraires, des albums, ou encore des calendriers ou des dessins de presse dans lesquels il utilise différents procédés comme la gravure, la lithographie et le dessin au trait. La troisième raison est le contenu de son travail iconographique.
Stylistiquement, Hermann-Paul se rapproche des nabis et de leur intérêt pour les arts graphiques à la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle[24]. Toutefois, son style reste unique, comme le mentionne Raymond Gerger : « Rien ne peut faire confondre un de ses bois avec ceux d’un autre. Une synthèse puissante où ne subsiste que l’essentiel, la disparition du détail, le trait ferme, net, précis, volontaire[25]. » Le jeune parisien s’adonne aux différents arts du dessin, comme la lithographie dès 1892 avec d’autres artistes connus comme Vuillard, Bonnard, Valloton, Maurice Denis et Toulouse-Lautrec, mais il se consacre également au dessin au trait, à l’encre de Chine, sur bois, ou la gravure[26]. Il a aussi recours à l’iconotexte, intrusions textuelles empruntées chez lui à la sagesse populaire ou à des ouvrages de référence. C’est ainsi que Don Quichotte de Cervantès sera utilisé sur plusieurs de ses planches[27]. Dans la presse, les iconotextes prennent souvent la forme d’une ironie cinglante appuyant la critique du dessin. Son esthétisme du dessin à la fin de la Première Guerre mondiale est ainsi décrit par Raymond Geiger : « [un] dessinateur admirable, exprimant en quelques traits l’essentiel du sujet qu’il étudie […] le bourgeois vicieux, le soldat balourd, la marchande voleuse, le mercanti impuni, le juge sans honneur, le député sans vergogne, […] le malheureux poilu qui risque sa vie à chaque seconde[28] ». Cet artiste aux multiples facettes, peintre, dessinateur aquarelliste et graveur, reste très mal connu et son oeuvre prolifique très peu étudiée. De plus, le fonds Hermann-Paul est incomplet. Véronique Pautre en fait mention dans son étude se basant sur le fonds conservé au département des Estampes et de la Photographie[29]. Cet artiste polyvalent participe à plusieurs journaux comme La Faridondaine dont il serait le créateur, mais aussi le Cri de Paris ou encore L’Écho de Paris Illustré où il obtient une certaine notoriété[30]. Toutefois, ce sont ses engagements politiques qui le rendent célèbre, dont le premier fut l’affaire Dreyfus[31].
D’un point de vue idéologique, le parcours d’Hermann-Paul est pour le moins surprenant puisqu’il passe d’une tendance politiquement de gauche à un nationalisme d’extrême droite. Son cheminement est résumé par Yves Frémion : « Dreyfusard, antimilitariste, anticolonialiste, il virera au fanatisme anti-boche, puis en homme de droite et il finira au triste Candide[32]. » Au demeurant, le cas d’Hermann-Paul n’est pas unique, et dans une certaine mesure représentatif d’une période marquée par sa volatilité idéologique. D’après Véronique Pautre[33], ce cheminement est un exemple d’adaptation qu’opérera le dessin de presse face à la guerre puis face aux attentes et aux craintes de l’entre-deux-guerres.
« Lorsque les historiens de l’avenir se pencheront sur notre époque pour en décrire les moeurs, ils trouveront dans l’oeuvre d’Hermann Paul des documents qui en diront plus que les plus longues relations[34]. » Cette citation de Raymond Geiger permet de mieux percevoir l’influence de l’artiste, mais aussi son rôle de témoin social des moeurs de son temps. Ainsi, il parait donc naturel près de quatre-vingt-dix ans après cette remarque d’utiliser le travail de l’artiste pour éclairer de nouveau les moeurs si particulières de cette période. Dans le journal Je suis partout constituant le corpus, Hermann-Paul publie 493 dessins entre décembre 1930 et juin 1940[35]. Ce corpus conséquent et régulier permet d’analyser son regard sur les pacifistes français. Les critiques de l’artiste suivent plusieurs axes : l’antisémitisme, le communisme, le sot, l’efféminée et l’homosexuel.
Je suis partout, de son nom complet Je suis partout, « grand hebdomadaire de la vie mondiale », est un célèbre hebdomadaire d’extrême droite du XXe siècle. Le journal publie son premier numéro le 20 novembre 1930 pour s’arrêter définitivement le 16 août 1944[36]. Cet hebdomadaire de l’entre-deux-guerres est connu pour avoir incarné la voix de l’extrême droite et des proches de l’Action Française. Il est aussi le symbole de la trahison de la France occupée. Cependant, il ne suit pas de ligne politique officielle, ce qui lui permet d’évoluer. Le premier numéro de 1930 n’a rien à voir avec le dernier sorti 14 ans plus tard. Le journal est aussi connu pour avoir incarné une forme de fascisme à la française[37]. Cet hebdomadaire s’interrompt à plusieurs reprises, mais garde une grande audience et reste influent, comme l’attestent ses ventes[38]. Toutefois, l’audience du journal est moindre durant l’entre-deux-guerres que celles des deux concurrents de droite, Candide (300 000 tirages) et Gringoire (600 000 tirages)[39]. Les sources sont rares pour connaitre exactement le nombre de tirages de Je suis partout au cours des années 1930. Dioudonnat, se basant sur les écrits de Eugen Weber et Claude Jeantet, les situe entre 40 000 et 80 000 exemplaires[40]. L’hebdomadaire a aussi un rapport avec son lectorat différent de ses concurrents. En effet, il se crée une sorte de dépendance du journal puisque ce dernier est pratiquement financé par ses lecteurs grâce aux abonnements ou aux dons à partir de 1936. Cette dimension, et l’ouverture de rubriques des lecteurs, instaurent une proximité entre les journalistes et les acheteurs. Cette configuration est plus propice à libérer la parole d’une extrême-droite qui s’embourbe dans l’antisémitisme, la peur de l’ennemi extérieur et l’angoisse de la dévirilisation. Quant à son influence, on peut la jauger à l’aune de la censure régulière dont est victime le journal, et à l’arrestation de certains de ses journalistes : les autorités françaises se méfient en effet des propos tenus dans Je suis partout. Le journal apparait aujourd’hui comme le porte-parole d’un fascisme à la française des années 1930 à la libération[41].
Les ennemis de la patrie et la stratégie argumentative de l’artiste pour les dénoncer
Le caricaturiste assimile les pacifistes aux Juifs dans un contexte antisémite où le Juif est vu comme faible et lâche. Le Juif n’a pas non plus de patrie propre et il est vu comme un être international. Cette assimilation permet de sous-entendre que le pacifiste n’est pas un patriote. Cette attaque met à mal sa virilité, car l’homme viril doit protéger sa patrie[42]. Le Juif est aussi perçu comme l’homme de la duplicité, le traître en puissance vu qu’il n’a pas de patrie. Son seul intérêt est privé et son comportement est dicté par son égoïsme et sa recherche d’avantages en nature ou pécuniaire[43]. Dans son travail, l’artiste rapproche aussi bourgeoisie et judaïsme. Des bourgeois qui recherchent l’enrichissement et des Juifs prêts à tout pour leurs intérêts. Nous pouvons en voir l’exemple au dessin paru à la une du no 425[44]. Dans ce dessin, un couple bourgeois décroche le tableau de Léon Blum. La femme couverte de bijoux interpelle son mari : « ingrat, tu décroches le portait de notre bienfaiteur ? », le mari lui répondant : « Il ne peut plus servir ! ». Le couple est représenté comme le Premier ministre avec des traits sémites. Mari et femme préfèrent se débarrasser de leurs alliés si ces derniers ne peuvent plus leur apporter un bénéfice influençant leur situation personnelle au détriment de toute loyauté.
Dans un deuxième type de critique, l’artiste crée une confusion entre pacifiste et communiste. Les hommes de paix deviennent, sous le trait d’Hermann-Paul, des partisans ou des complices des communistes dans une Europe qui a peur d’une vague rouge révolutionnaire. À la suite de la révolution d’octobre, le communiste est vu comme un ennemi de la patrie, un ennemi de l’intérieur. L’association entre pacifiste et communiste pose le pacifiste comme un ennemi de sa propre patrie. Dans le dessin du no 266, l’accent est mis sur les pacifistes présentés par Hermann-Paul comme des communistes et des hypocrites belliqueux[45]. Les hommes de paix sont ici dans une configuration de bataille. Les pacifistes sont assimilés à des communistes en raison de la présence des emblèmes du marteau et de la faucille visible sur la veste et le képi du commandant. D’autres indices tendent à démontrer cette affiliation puisque l’on retrouve les mêmes emblèmes sur la pointe de la hampe du drapeau ou encore le poing levé d’un des hommes. Ils chargent en choeur un canon au premier plan sous l’ordre du commandant : « Criez : “À bas la guerre !”… et plus fort que cela ! ». Ce paradoxe apparaît entre le fait de combattre la guerre dans les paroles Criez : « À bas la guerre ! ». et celui d’acter la guerre dans les actes en poussant un canon est pour l’artiste la preuve d’une stratégie communiste sous l’apparence du pacifisme.
Toutefois, Hermann-Paul ne se contente pas de créer des parallèles entre les pacifistes et différents groupes marginaux de la société. Il attaque également les partisans d’une paix durable en leur enlevant l’usage de la raison. Il les qualifie ainsi de sots en présupposant que leur comportement n’est pas réfléchi. Or, le problème est que l’homme viril use de la raison pour dicter son comportement. Il a un comportement raisonnable à la différence prétendument des femmes qui se basent sur leurs sentiments pour dicter leurs actes[46]. Ce rapprochement entre l’homme pacifiste et la femme est prémédité par l’artiste qui exploite cette association à plusieurs degrés dans le journal. Il aborde les pacifistes comme des efféminés, des hommes plus proches de la femme que de l’homme viril. Cela suggère l’impossibilité pour les pacifistes d’atteindre l’état de virilité. Dans un autre degré, il présente les pacifistes comme des homosexuels ou des travestis. Ce constat crée une panique chez ses contemporains puisque cela suggère un dérèglement social dans une société qui voit la visibilité grandissante d’homosexuels[47]. Les pacifistes semblent être un des signes de la dégénérescence de la société occidentale. L’échec de la défense de la patrie est mis en avant pour exprimer le comportement irraisonné. Dans ce type de critiques, Hermann-Paul met en scène une Marianne devant le constat de ses actions. Prenons l’exemple du dessin du no 225[48] paru en 1935 qui présente Marianne avec les emblèmes de la franc-maçonnerie[49]. Elle est accompagnée par un jeune homme qui n’a pas encore atteint le statut d’homme adulte. Il discute avec Marianne de la conséquence des actions politique : « Dites, madame, si on a plus d’armée, combien d’années fera-t-on quand on sera Allemands ? » Hermann-Paul critique la gestion du désarmement et du contrôle du réarmement allemand. Afin de verbaliser ce constat d’échec, il fait intervenir un jeune homme qui n’a pas atteint l’âge adulte et la virilité. Le désarmement, voulu par les pacifistes et acté par les politiciens, est perçu comme un sacrifice de la jeune génération, un acte incongru ne se basant pas sur la réflexion.
Enfin, le caricaturiste utilise également la prétendue passivité des pacifistes afin d’insinuer que les hommes de paix n’agissent pas et restent en position de dominés puisqu’ils laissent l’agentivité de l’action à autrui. Ils se positionnent dans la catégorie des mineurs : femme, handicapé et enfant. Le dessin du no 468 s’inscrit dans contexte de l’année 1939, ultime année de paix, alors que l’Europe se prépare au pire[50]. Le dessin utilise l’imagerie des soldats pour illustrer la différence entre les hommes virils et les hommes de paix. Les « vrais hommes » ont toujours cru au combat salvateur pour la nation et vont de nouveau sauver la France. Les pacifistes, eux, n’ont cessé de déconstruire l’action des soldats : ils sont maintenant à l’arrière avec les « faibles » soit les femmes et les enfants. Le dessin publié est une scène de guerre et montre des tranchées. Les pacifistes ne sont pas présents, car ils ne participent pas aux activités virilisantes du combat et du sacrifice pour la nation. La condamnation est donnée directement par les deux soldats en guerre, représentant l’incarnation par excellence du couple citoyen/soldat et donc de la virilité : « La guerre se fait à l’avant ! –La paix se défait à l’arrière ! » Leurs propos acquièrent une dimension d’argument d’autorité en raison de leur statut d’idéal viril.
Afin d’illustrer cette stratégie argumentative de l’artiste, il semble intéressant de s’attarder plus précisément sur trois exemples concrets du journal.
Les exemples de caricatures
Les trois exemples sont issus du corpus de Je suis partout : le premier est une caricature issue du no 349 publiée dans le journal du 30 juillet 1937, le deuxième est une illustration provenant du no 287 paru le 23 mai 1936, le dernier des exemples est un dessin daté du 10 novembre 1932 dans le no 94 du journal.
Le no 349 publié dans le journal du 30 juillet 1937 représente Léon Blum et Marianne[51]. Dans cet exemple, on peut observer l’assimilation entre politique, juif et duplicité. On retrouve également l’association avec les communistes. Léon Blum est un politicien français de gauche qui devient président du conseil et le chef du Front populaire en 1936, il apparaît comme le grand responsable des vices et de la destruction de la virilité. Blum entretient un rôle ambivalent dans la critique de l’artiste. Il faut comprendre cette situation en se concentrant sur ce que représente le politicien pour la société et le dessinateur. Il est proche du communisme, chef de file du Front populaire et juif. Il représente donc l’homme à abattre pour le caricaturiste qui ne cesse de condamner le communisme qu’il qualifie d’ennemi, de meurtrier, de barbare voulant détruire la République française[52]. Le Front populaire est un complice des unions internationales pour la paix en contradiction avec le patriotisme et l’intérêt français. Le politicien du Front populaire incarne la décision de renoncer à la domination pour la position du dominé par les alliances internationales. Pour finir, il est le Juif, or le Juif est le paria de la société occidentale et donc de cette société de l’entre-deux-guerres. Il apparaît comme l’incarnation de l’androgyne, de la duplicité, de l’internationalisme et vient en opposition avec la construction de l’idéal viril[53]. Léon Blum incarne pour le dessinateur ces trois dimensions. Dans cet exemple, le politicien est lié au communisme. Cette duplicité permet d’accentuer l’idée d’antipatriotisme, et celle du complot où Blum servirait les seuls intérêts des bolcheviques et les siens contre la France et les Français. Dans le dessin du no 349, l’artiste utilise la scène du mauvais rêve que l’on retrouve plusieurs fois dans l’hebdomadaire. La mise en scène conserve les mêmes topoi : Marianne dans un lit, un politicien (ici, Léon Blum), la dissimulation de la menace en arrière-plan (ici, le bolchevique). Le politicien surplombe Marianne dans une posture d’autorité et de mise en soumission de la France. Marianne semble donc victime de la politique de Blum où elle n’incarne plus que la femme passive et soumise à l’autorité. Cependant, cette posture de Blum pourrait être une vision positive du pouvoir incarnant un des attributs de la virilité qui est la domination et la protection des faibles (femmes, enfants, handicapés). Toutefois, cette dernière est déconstruite par le caricaturiste. En effet, cette domination s’organise avec la dissimulation de la menace. Cette prise d’autorité par Blum n’est donc pas dans le but de protéger. En effet, il dissimule le visage du bolchevique en se positionnant délibérément au-dessus de Marianne. La dissimulation se retrouve également dans les propos formulés par le politicien : « Toujours ce cauchemar ! » L’allié du communisme décrédibilise la prise de conscience de Marianne en la transformant en rêverie issue d’un être faible dépourvu de raison. Une troisième image, plus discrète, est présente pour appuyer la condamnation de la prise d’autorité de Blum. En effet, l’on peut distinguer deux visages s’embrassant dans le cou de Blum. On peut poser l’hypothèse que les deux visages représentent le Juif androgyne ou homosexuel embrassant son allié communiste qui est l’incarnation des parias de la société. Ainsi, Blum apparaît comme le symbole de la dégénérescence dans son extrême : il est juif, homosexuel et essaye de détourner l’autorité de la société pour le compte de Moscou. Blum devient l’antithèse de la virilité[54].
Dans le deuxième exemple, le caricaturiste a recours au travestissement. L’inclinaison chez l’artiste pour un rapprochement entre sexualité, soumission et féminisation dans le cas du duo Blum et bolchevisme est unique. Dans la caricature du no 287, les attaques de l’artiste se concentrent sur la féminisation de Blum[55]. L’artiste se sert également d’une célèbre chanson mettant en exergue l’inconscience et l’incompétence du gouvernement, tout en le rapprochant d’un personnage type condamné déjà chez l’artiste dès le début de sa carrière : la comtesse ou la bourgeoise. La chanson sur laquelle Hermann-Paul met en place ses scènes caricaturales est un grand succès de la chanson française de 1935, Tout va très bien madame la marquise de Paul Misraki. La chanson est un dialogue téléphonique entre deux protagonistes : une aristocrate et son valet prénommé James. Si la situation peut être perçue comme anodine, le fond de la conversation est surréaliste[56]. Le succès de cet enregistrement permet à la chanson d’obtenir une nouvelle aura et de devenir un topos dans les années 1930 pour aborder tous les problèmes d’aveuglement face à une situation durant l’entre-deux guerre. De nombreux journalistes utilisent alors la référence en lui octroyant une dimension proverbiale. Hermann-Paul, dans la lignée de ses collaborateurs, utilise cette chanson, connue de tous et permettant une critique acerbe des gouvernements et des politiciens[57]. Cette représentation permet à l’artiste de retirer toute prétention virile à Blum qui se trouve travesti en femme bourgeoise ou aristocratique. Cette bourgeoise a pour valet, diseur de tout va très bien, Staline armé d’une torche. La maison France brûle et c’est le communisme qui y met le feu, telle la grange de la chanson. Le titre SON EXCELLENCE LÉON BLUM renforce l’idée d’un despote prenant des décisions irraisonnées qui reflète son incompétence. Le travestissement en marquise est la représentation de l’androgyne ou de l’homosexuel dans la société de l’entre-deux-guerres. Blum incarne donc trois parias dans la société : la femme dans une certaine mesure, le Juif, et l’homosexuel. Blum est responsable de cette triple incarnation de la dégénérescence des sociétés occidentales[58].
Dans le dernier exemple, on retrouve l’usage de la passivité des pacifistes mêlée à la lâcheté. La peur est un sentiment vu comme l’aveu d’une faiblesse, d’une dominance sur soi qu’il est nécessaire de contrôler et masquer afin d’atteindre l’état de virilité. Une grande part de la construction de l’homme viril s’oriente pour museler ce type de sentiment[59]. Il est d’autant plus primordial de contrôler ce sentiment, car si ce dernier n’est pas contraint, il peut engendrer des comportements indignes et condamnables. Un de ces comportements est la lâcheté ou la poltronnerie qui sont assimilés au comportent inné des pacifistes selon le caricaturiste. Le dessin du no 94[60] illustre la pensée d’Hermann-Paul sur le pacifisme et sa force face au danger allemand. Le dessin s’intitule : « Pacifisme… » et montre Marianne fuyant face aux Allemands et criant : « Jetez vos fusils ! Les Boches vont tirer… ». La peur de l’Allemagne, qui selon Hermann-Paul gangrène la diplomatie française durant l’entre-deux-guerres, est ici instrumentalisée pour décrédibiliser la politique de paix. Marianne fuit avec lâcheté le combat face à l’ennemi, elle renonce donc à se battre et accepte la domination de l’Autre. Le pacifisme devient alors synonyme de lâcheté, incompatible avec la virilité[61]. Hermann-Paul fait coïncider le pacifisme avec la peur des Allemands, qui associe l’angoisse de l’ennemi d’hier et la lâcheté de la politique française. Cette représentation est un exemple du paradoxe de la condamnation des pacifistes chez Hermann-Paul et, dans une certaine mesure, de son incapacité à percevoir les évolutions sociales en raison d’un cadre d’interprétation rigide et restrictif. Les soldats de la Première Guerre mondiale forment en effet une partie non négligeable des pacifistes de l’entre-deux-guerres[62]. Plusieurs groupes d’anciens combattants sont les incubateurs des nouveaux mouvements pacifistes. Or, l’artiste ne peut pas condamner ceux qui incarnent la virilité triomphante. Les caricatures d’Hermann-Paul souffrent ainsi d’une étonnante absence : dans l’ensemble du corpus, jamais le soldat n’est représenté en pacifiste, et jamais le pacifiste n’est présenté comme un ancien combattant. Hermann-Paul voit le soldat comme le représentant et le garant de cette société d’hier : une France forte et virile qui doit faire face à une France désormais gangrénée par la dégénérescence. De ce fait, les représentations des soldats sont dans son travail des images positives comme celles issues de la propagande de 1914 bien loin des mouvements pacifistes de la période. Ils servent d’autorité morale et de référence à la société qui semble perdre ses repères. Les soldats d’Hermann-Paul servent à rappeler les problèmes ou le rôle des soldats de cette France en danger. Le modèle du soldat peut apparaitre comme complément ou appui du dessin. Le dessin du no 35 de 1931 présente, par exemple, Marianne guidée par le soldat protecteur[63]. Cependant, ce modèle peut intervenir seul dans les dessins de l’artiste, comme l’atteste l’exemple du dessin publié dans le no 468 à l’approche de la guerre en 1939 cité précédemment dans l’article[64]. Dans ce dessin représentant deux soldats dans les tranchées, le choix du dessinateur est de confronter le modèle de référence du soldat aux autres modèles qu’il condamne et qui affaiblissent, d’après lui, la France. Ainsi le dessin du no 94 se trouve être paradoxalement une illustration de champs de bataille où ne figure aucun soldat-représentation de débâcle militaire et de fuite devant l’ennemi, qui est un acte dévirilisant.
En conclusion, cette nouvelle proposition de virilité chez les pacifistes provoque de nombreuses réactions et des situations paradoxales.
L’étude de la virilité permet de comprendre l’enjeu que peut constituer une remise en cause d’un idéal, celui de l’homme. Cette définition de modèle met en place des limites, des repoussoirs : des comportements ou individus à éviter pour atteindre la virilité. La complexité des pacifistes et leur volonté de changement en font les cibles idéales d’une condamnation. Hermann-Paul élabore alors une rhétorique réquisitoire afin d’assimiler les pacifistes à ces repoussoirs : juifs, femmes, homosexuels, homme sans raison.
Cependant, il y a le paradoxe de la situation des anciens soldats. Ils sont à la fois les instigateurs de certains groupes pacifistes, mais aussi l’incarnation du modèle de virilité belligérante. En effet, une grande partie des nouveaux mouvements pacifistes de l’entre-deux-guerres sont les fruits de la Première Guerre mondiale. Or, par leur expérience du combat, par le fait qu’ils ont répondu à l’appel de la nation en 1914, ils sont l’incarnation même de l’idéal viril. Il est difficile, voire impossible, de remettre en cause leur patriotisme. Hermann-Paul ne peut pas s’attaquer à l’image du soldat, érigé en France en modèle sacré. Toute fissure dans le binôme citoyen-soldat provoquerait l’effondrement potentiel de l’ordre social. L’ancien combattant, héros national, est dans une certaine mesure le point aveugle des caricatures de l’artiste, alors que ces hommes forment une part importante de la population masculine française durant l’entre-deux-guerres. En effet, sa présence se limite à une sorte d’hagiographie. Dans le corpus de l’artiste, le soldat présente l’idéal fantasmé et, dans une certaine mesure anachronique, de protecteur de la France en danger. Il sert également à accentuer la différence entre le soldat protecteur et les ennemis lâches qui s’attaquent à la mère patrie ou la délaissent. Ce paradoxe atteint son paroxysme au dessin vu dans cet article « Pacifisme… » où aucun soldat n’est représenté sur-le-champ de bataille. Ce paradoxe éclaire la structure argumentative mise en place par Hermann-Paul pour attaquer les supposés ennemis de la nation française, mais aussi percevoir ses limites. Hermann-Paul est un homme de droite qui voit dans l’ordre et cette organisation sociale du soldat protecteur un éden perdu. Il ne peut ou ne veut pas concevoir cette société en évolution contredite par ses propres modèles.
Toutefois, le caricaturiste, malgré ses limites idéologiques, permet d’entrevoir cette société en mouvement, ses angoisses et ses actions pour lutter contre ses peurs. La peur de la dégénérescence civilisationnelle est importante et joue un rôle déterminant dans cette proposition de virilité. Elle montre cette société qui se perçoit à la dérive. Les Occidentaux tentent de lutter contre ce qu’ils estiment être la source de ce problème. Le pacifisme comme nouveau mouvement prend l’image du bouc émissaire de cette dégénérescence et alimente la peur de l’avenir de l’Occident. L’anxiété du genre est aussi importante, car une modification de l’idéal viril amène à une remise en cause du fonctionnement de nos sociétés et des attentes sociales faites aux individus genrés.
Dessins
Parties annexes
Notes
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[1]
Luc Capdevila, « L’identité masculine et les fatigues de la guerre (1914–1945) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 75 (2002/3), p. 97. URL : https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2002-3-page-97.htm (consulté le 15 mai 2019).
-
[2]
Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine, Georges Vigarello (dir.), Histoire de la virilité. Tome 2 : Le triomphe de la virilité, le XIXe siècle, Paris, Seuil, 2011, p. 10.
-
[3]
Corbin, p. 405.
-
[4]
Corbin, pp. 403–410.
-
[5]
Capdevilla, p. 99.
-
[6]
Norman Ingram, The Politics of Dissent: Pacifism in France, 1919–1939, Clarendon Press, Oxford, 2011, p. 3.
-
[7]
Pierre Marie Dioudonnat, Je suis partout, 1930–1944 : les maurrassiens devant la tentation fasciste, Paris, La Table ronde, 1987, pp. 404–408.
-
[8]
Raphaëlle Branche, Danièle Voldman, « Pour une histoire des genres », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 75, (2002/3), p. 3.
-
[9]
Anne-Marie Sohn (dir.), Une histoire sans les hommes est-elle possible ? Genre et masculinités. Lyon, ENS Éditions, 2013, pp. 15–16.
-
[10]
Corbin, p. 9.
-
[11]
George Mosse, L’image de l’homme. L’invention de la virilité moderne, Paris, Histoire,Économie et Société, 1999, p. 23.
-
[12]
Corbin, p. 7.
-
[13]
Ibid., p. 9.
-
[14]
Mosse, p. 11.
-
[15]
Ibid., p. 15.
-
[16]
Mosse, p. 13.
-
[17]
Ibid.
-
[18]
Corbin, p. 7.
-
[19]
Marc Angenot, « Un juif trahira » : le thème de l’espionnage militaire dans la propagande antisémitique 1886–1894, Montréal, Discours social, 2003, pp. 65–66.
-
[20]
Corbin, pp. 369–401.
-
[21]
Siân Reynolds, France Between the Wars: Gender and Politics, Londres/New York, Routledge, 1996, p. 184.
-
[22]
Reynolds, p. 184.
-
[23]
Ibid., p. 191.
-
[24]
Véronique Pautre, « Hermann-Paul, un dessinateur partisan entre antimilitarisme et bellicisme », Nouvelles de l’Estampe, no 197–198 (2005), p. 41.
-
[25]
Geiger, Francis de Miomandre, Valentine Hugo, Hermann-Paul, Paris, H. Babou (impr. de Ducros et Colas), 1929, pp. 26–27.
-
[26]
Ibid., pp. 5–7 et p. 33.
-
[27]
Ibid., p. 31.
-
[28]
Ibid., pp. 19–20.
-
[29]
Pautre, p. 41.
-
[30]
Ibid., p. 42.
-
[31]
Geiger, p. 7.
-
[32]
Yves Frémion, « Les petits miquets : L’Assiette au beurre (suite et fin) », Charlie mensuel, no 107 (1977), p. 22.
-
[33]
Pautre, p. 41.
-
[34]
Geiger, p. 31.
-
[35]
Laurent Sabaté, Une nation en quête de virilité : le dessinateur Hermann-Paul et la société de l’entre-deux-guerres, mémoire de maîtrise, Université de Montréal, Département d’Histoire, 2019, pp. 18–30.
-
[36]
Dioudonnat, p. 1.
-
[37]
Sadrine Sanos, The Aesthetics of Hate. Far-Right Intellectuals, Antisemitism, and Gender in 1930s France, California, Stanford University Press, 2013, pp. 194–244.
-
[38]
« 70 000 exemplaires à la vieille de la guerre, plus de 300 000 à la veille de la Libération, avec un pic à 350 000 au printemps 1944 », dans Philippe d’Hugues, « Je suis partout » : anthologie (1932–1944), Paris, Auda Isarn, 2012, p. 11.
-
[39]
Dioudonnat, pp. 172–173.
-
[40]
Idem.
-
[41]
Sanos, pp. 194–244.
-
[42]
Corbin, p. 11.
-
[43]
Yves Chevalier, L’Antisémitisme, Paris, cerf, 1988, pp. 280–303.
-
[44]
Je suis partout, no 425, 13 janvier 1939 (la Contemporaine, Bibliothèque, archive, musée des mondes contemporaines, Paris-Nanterre).
-
[45]
Je suis partout, no 266, 28 décembre 1935 (la Contemporaine, Bibliothèque, archive, musée des mondes contemporaines, Paris-Nanterre).
-
[46]
Geneviève Fraisse, La raison des femmes, Paris, Plon, 1992, pp. 63–73.
-
[47]
Corbin, p. 371.
-
[48]
Je suis partout, no 225, 16 mars 1935 (la Contemporaine, Bibliothèque, archive, musée des mondes contemporaines, Paris-Nanterre).
-
[49]
Roger Dachez, Alain Bauer, La franc-maçonnerie, Paris, « Que sais-je ? », 2016, pp. 49–64.
-
[50]
Je suis partout, no 468, 10 novembre 1939 (la Contemporaine, Bibliothèque, archive, musée des mondes contemporaines, Paris-Nanterre).
-
[51]
Je suis partout, no 349, 30 juillet 1937 (la Contemporaine, Bibliothèque, archive, musée des mondes contemporaines, Paris-Nanterre).
-
[52]
Fond Hermann-Paul, la Contemporaine, Bibliothèque, archive, musée des mondes contemporaines, Centre les Invalides, Paris.
-
[53]
Mosse, p. 76.
-
[54]
Corbin, pp. 8–9.
-
[55]
Je suis partout, no 287, 23 mai 1936 (la Contemporaine, Bibliothèque, archive, musée des mondes contemporaines, Paris-Nanterre).
-
[56]
Une châtelaine, qui prend des nouvelles téléphoniques après son absence de deux semaines, apprend différents incidents de plus en plus graves relativisés par son valet minorant les événements à l’extrême en répétant « Tout va très bien, madame la marquise. » La discussion oscille donc entre l’absurde, le surréalisme et l’aveuglement ou l’inconscience du valet puisque les événements rapportés sont majeurs : mort de la jument de la châtelaine, écuries parties en fumées, château brûlé, mari suicidé et famille ruinée.
-
[57]
Jean-Claude Klein, Florilège de la chanson française, Paris, Bordas, 1990, p. 185.
-
[58]
Corbin, pp. 8–9.
-
[59]
Ibid., pp. 63–79.
-
[60]
. Je suis partout, no 94, 10 novembre 1932 (la Contemporaine, Bibliothèque, archive, musée des mondes contemporaines, Paris-Nanterre).
-
[61]
Corbin, p. 7.
-
[62]
Antoine Prost, Les anciens combattants et la société française, 1914–1939, Paris, Presse de la Fondation nationale des sciences politiques, 1977, 3 vol.
-
[63]
Je suis partout, no 35, 25 juillet 1931 (la Contemporaine, Bibliothèque, archive, musée des mondes contemporaines, Paris-Nanterre).
-
[64]
Je suis partout, no 468, 10 novembre 1939 (la Contemporaine, Bibliothèque, archive, musée des mondes contemporaines, Paris-Nanterre).