Résumés
Résumé
Qu’est-ce qui rend un courrier « féminin » ? Pour Kimberly Voss, c’est la prédominance des thèmes reliés au « 4F » (food, fashion, family and furnishing)[2]. En histoire de la presse féminine, il s’agit de publications faites par, pour et sur les femmes[3]. Le « Courrier de Colette », page féminine de La Presse, de 1903 à 1956, entre dans ces définitions tout en les dépassant. Bien que construisant et renforçant des normes de genre, Colette, pseudonyme d’Édouardina Lesage, aborde une variété de sujets : la mode, les manières d’entretenir la maison, les conflits au sein de la famille, l’étiquette, le fonctionnement de la société, les emplois, la littérature, l’histoire, la géographie et une multitude d’autres questions anodines[4]. Recevant entre 100 et 400 lettres par jour à l’apogée de sa popularité, la journaliste gère des problèmes de coeur et répond aux interrogations de tous les lecteurs et toutes les lectrices de La Presse qui lui envoient une missive[5].
Corps de l’article
Le « Courrier de Colette » a été utilisé comme source principale ou secondaire dans des études sur différents sujets : les normes sexuelles et maternelles[6], la sexualité adolescente[7], la violence envers les enfants[8] ou encore la place des femmes dans l’espace public[9]. Ces ouvrages se concentrent sur une période restreinte et choisissent des lettres spécifiques. Colette y est considérée comme une experte ou une intermédiaire entre les experts de la famille et le public. Dans tous les cas, ses réponses expriment des prescriptions normatives genrées. Par contre, notre étude de l’historiographie nous a révélé un manque incontestable d’études sur le « Courrier de Colette » en lui-même, comme un tout. Le fait de ne pas cibler de sujet nous permet de prendre en compte toute l’étendue des normes genrées prescrites par Colette (ainsi que leurs dérogations le cas échéant). La journaliste s’inscrit dans un demi-siècle où les discours d’experts sur les femmes se heurtent à la réalité des nombreux changements qui peuvent les affecter. La position de Colette mérite plus d’attention puisqu’elle est elle-même une femme célibataire de carrière, toutefois soutenue par les autorités cléricales, et elle écrit pour le quotidien le plus lu au Canada français, ce qui en fait une personnalité influente. Perçue comme conservatrice par l’historiographie, notre article vient nuancer ce constat en démontrant que Colette a une vision très large du « féminin », de par les sujets qu’elle traite dans son courrier. En outre, sa tribune lui permet de moduler les attentes prescriptives de la société catholique canadienne-française en établissant le droit de choisir pendant les fréquentations, la complémentarité dans le couple marié et l’option du célibat laïque comme étant tout à fait raisonnable. Cet article vise à étudier la construction de la féminité et de la masculinité selon la journaliste, ainsi que les divers rapports de pouvoir qui s’expriment dans le « Courrier de Colette ».
Comme la carrière de Colette s’étale sur plus de 50 ans, nous avons créé un échantillon des éditions du samedi de « Courrier de Colette » selon le principe de l’année construite[10]. Pour cet article, nous nous concentrons sur les réponses de Colette, véhicule normatif, plutôt que sur les lettres publiées[11]. Nous proposons d’abord une analyse quantitative afin de démontrer la variété des sujets abordés dépassant le modèle du courrier féminin, puis une analyse qualitative de la section « coeur » nous permettant de dégager trois archétypes, féminins et masculins[12], correspondant à trois étapes de la vie : les fréquentations, le mariage et le célibat choisi.
Analyse quantitative : un courrier bien plus que « féminin »
Pour cet article, nous avons décidé de nous concentrer sur la période de 1922 à 1956. L’évolution de la forme du Courrier oriente notre choix : de 1903 à 1909 seulement les réponses sont publiées alors que de 1910 à 1921, il s’agit de questions et réponses courtes. À partir de 1922, des lettres plus longues apparaissent avec des réponses en conséquence. Nous avons divisé les 7845 lettres signées (et leurs réponses) de cette période en catégories thématiques, représentées dans le graphique suivant.
En plus de la variété des sujets abordés, nous constatons la faible proportion des thèmes « féminins » que sont les « 4F », regroupés sous les onglets « Mode/Beauté », « Maison[13] » et « Famille ». Représentant 26 % du courrier, les informations partagées par Colette sont loin d’être superficielles. Au travers des réponses sur les robes à la mode, les coiffures, l’acné ou l’épilation s’expriment des rapports de pouvoir, de genre et de classe, qui structurent la société et construisent des modèles féminins. Les conseils s’adaptent aux événements et à la classe sociale de la correspondante. En tant qu’experte de la mode, Colette prêche pour la modestie tout en se prononçant sur les nouvelles tendances comme le port du pantalon, les cheveux courts ou le maquillage[14]. Alors qu’elle laisse un libre-arbitre à ses lectrices, la courriériste reste consciente que l’apparence est un marqueur social, un symbole de féminité à préserver, mais surtout un moyen de séduction. Le physique doit s’arrimer au foyer et les lettres et réponses de cette catégorie (maison) fabriquent et affirment l’idéal de la reine du foyer, belle et en contrôle de son environnement attitré. Les nombreuses questions relatives aux tâches ménagères reflètent un besoin d’informations dû à un changement des normes, du « ménage à l’art ménager[15] », et à une modification dans la transmission des connaissances, des femmes plus âgées de la famille aux expertes en sciences ménagères et en économie domestique. Le « Courrier de Colette » répond à ce besoin tout en concrétisant cette nouvelle méthode. Dans la catégorie « Famille », les conseils prescriptifs de Colette, autant aux enfants (de tous âges) qu’aux parents, visent à préserver l’unité et l’harmonie familiale, s’accordant à l’idéologie chrétienne comme le font ses recommandations aux couples mariés. Aux jeunes, souvent mineures, la courriériste recommande de rester au foyer familial même si le climat n’est pas idéal. À l’inverse, elle conseille aux parents d’enfants rebelles de les accepter avec douceur et rigueur afin de ne pas les envoyer dans le monde extérieur où leur honneur pourrait être atteint. Les catégories « féminines » renferment donc des questions beaucoup plus profondes que ne le laisse entendre l’expression des « 4F », tout en (re)définissant des normes de genre.
Les catégories suivantes (« Société », « Travail », « Littérature », « Santé » et « Autres ») rendent compte de la diversité des préoccupations des correspondantes[16]. La catégorie « Autres » peut sembler disproportionnée, mais il s’agit de questions et réponses courtes mélangeant l’histoire, la généalogie, les recherches d’adresses, la géographie ou même la signification des prénoms. La catégorie « Société » rend compte des angoisses des correspondantes sur l’étiquette[17], chacune voulant « bien faire ». Les conséquences d’un faux pas social sont potentiellement plus importantes pour les femmes que les hommes puisqu’il peut nuire à leur réputation et-par extension-à leur avenir[18]. Experte des normes sociales, Colette octroie une certaine agentivité à ses correspondantes, leur conseillant de se fier à leur jugement. Ces préoccupations s’expriment dans l’espace public et concernent la vie publique des femmes, dépassant l’espace privé considéré comme féminin qu’est la maison. De la même manière, les réponses de Colette dans la catégorie « Travail » informent sur sa position pour le travail des femmes célibataires dans les métiers traditionnellement féminins tels que garde-malade, institutrice, sténographe ou encore la vocation religieuse. Elle incite les jeunes hommes à améliorer leurs situations et les renseigne sur les études et carrières à leur disposition. L’importance de ce thème, dépassant en proportion celui de la « Famille » et de la « Maison » démontre la volonté des lectrices d’acquérir ce type d’informations, au sein de l’espace public encore une fois. Informatif, diversifié et normatif, le « Courrier de Colette » semble satisfaire le besoin de connaissance de ses lectrices en dépassant le cadre strictement « féminin » des « 4F ». Tout de même, les discours de genre traversent toutes les catégories répertoriées dans notre échantillon.
La catégorie « Coeur », qui représente 16 %, est non-négligeable puisque le « Courrier de Colette » est reconnu comme un courrier du coeur, une chronique sentimentale, répondant aux problèmes amoureux des jeunes filles et des femmes mariées. La proportion peut sembler restreinte, mais il ne faut pas oublier que ces lettres sont plus longues et sont souvent placées à l’avant-plan, parfois même avec un titre distinct ou en plus gros caractère. Ce sont les réponses aux lettres de cette catégorie qui font la renommée de Colette parmi ses contemporains et contemporaines comme « la voix du devoir et de la conscience[19] ». Elle est perçue comme une experte des relations interpersonnelles hétérosexuelles. Ses conseils s’inscrivent dans le discours conservateur catholique dominant de l’époque en termes de normes de genre.
Analyse qualitative : trois archétypes
Des études antérieures sur la presse féminine considèrent ce type de publications comme des outils d’aliénations des femmes, mais nous prenons, comme Laurie Laplanche, les pages féminines en tant que « médias féminins généralistes […] comme des terrains de représentations et de constructions identitaires plus équivoques et plus complexes[20] ». Par ses conseils prescriptifs, Colette vient consolider les normes de genre. Si elle répond à une personne en particulier, elle s’écarte souvent de la situation individuelle pour répondre en termes généraux ou donner une leçon aux lectrices. Le « Courrier de Colette » devient un espace privilégié pour étudier la construction de la féminité et de la masculinité qui s’inscrit dans les réponses de Colette, ainsi que les rapports de pouvoir qui y sont exposés, entre Colette et ses lectrices, entre hommes et femmes et entre les différentes classes sociales. Selon Lévesque, les idéaux relatifs à la féminité et à la masculinité sont renforcés par les lois, les institutions et les discours de Colette, faisant d’elle une « gardienne des valeurs religieuses, linguistiques et culturelles[21] ». Cependant, comme Desjardins, nous interprétons les normes de genre en qualité de « processus dynamique, en élaboration constante, qui implique l’ensemble du corps social[22] ». Nous avons donc cherché les normes promues par Colette en établissant les modèles féminins et masculins que promeuvent ses réponses publiées selon trois étapes de la vie : les fréquentations, le mariage et le célibat.
Les fréquentations
Les fréquentations sont régies par un ensemble de prescriptions normatives qui, au travers des réponses de Colette, répondent aux doutes des jeunes filles et jeunes hommes en fréquentation. Pour les correspondantes, les deux angoisses principales sont celle de ne pas se faire remarquer et celle de ne pas se tromper. Colette insiste, pendant toute la période, sur un point en particulier : le droit de choisir[23]. Elle établit toutefois des « conditions idéales » qu’il faut respecter afin de garantir un bon mariage.
Un premier critère est l’âge idéal pour commencer à fréquenter, puis pour se marier. Selon Denise Lemieux et Lucie Mercier, les fréquentations, au début du XXe siècle, commencent plutôt avec le travail ou la sortie du couvent pour les classes moyennes, ouvrières et rurales. Pour la bourgeoisie, ce sont les « débuts », entre 16 et 18 ans, qui marquent les « candidates au mariage[24] ». Il y a beaucoup plus de latitudes pour les hommes. Au sein de notre échantillon, 19 ans semble être l’âge idéal pour entamer des fréquentations sérieuses. Colette insiste : dès qu’elle a la permission de rencontrer, « la jeune fille a le devoir de réfléchir et de se demander quel est le meilleur moyen d’assurer le bonheur et la sécurité de son avenir[25] ». Elle ne doit pas se jeter sur le premier venu, mais évaluer ses options. En 1934, la journaliste précise qu’il ne faut pas débuter trop tôt puisque « la fillette qui commence à 15 ans à sortir avec les garçons passe à 20 ans pour une vieille fille et perd beaucoup de ses chances de mariage[26] ». Selon des historiennes, l’âge moyen au mariage, entre 1926 et 1945, est de 25 ans pour les femmes et 28 ans pour les hommes ; il diminue par la suite. Les mariages tardifs des années 1930 et 1940 s’expliquent par les bouleversements que sont la crise économique et la guerre[27]. Les conseils de Colette sont donc conséquents avec la réalité : une jeune fille qui commence à fréquenter à 19 ans peut très bien se marier à 25 ans. Pour les jeunes hommes, contrairement à leurs amies, l’âge les avantage puisqu’ils sont plus stables financièrement[28]. Un salarié accède plus rapidement à la stabilité financière nécessaire pour faire vivre une famille que les membres des professions libérales qui font des études[29]. Colette souligne que ces jeunes hommes au début de la vingtaine ne sont pas fiables, malgré leurs belles promesses[30]. Elle insiste auprès des jeunes filles qu’il faut prendre son temps : « on se marie pour la vie et la vie est longue[31] ». Recevoir plusieurs prétendants n’est donc pas mal vu. Il relève, selon la courriériste, de la liberté de choix, à l’égal des jeunes gens qui visitent plusieurs demoiselles[32]. En 1943, Colette conseille à une jeune femme de 26 ans d’attendre un meilleur parti plutôt que de se marier à un qui serait mauvais[33]. Jugeant que sa correspondante a l’« âge de raison » sans être vieille, elle dénonce d’un coup le stéréotype de la vieille fille aigrie et l’impatience devant le mariage.
Colette répète souvent qu’il vaut mieux ne pas se marier que mal se marier[34]. Les normes de genre promues par l’idéologie catholique créent une femme idéale qui attirera certainement le bon type d’homme. La jeune fille accomplie est « à la fois sage et enjouée, […] franche, loyale, modeste, obligeante, patiente, réservée, douce, sans fadeur, sérieuse, sans pédanterie, puis jolie, instruite, bonne chrétienne, femme d’intérieur[35] ». Elle doit choisir un homme « compréhensif, gai, attentif, serviable, et qui aura le bon goût de la considérer comme son égale avec, cependant, dans son attitude, quelque chose à la fois de déférent et protecteur[36] ». Il faut surtout qu’il ne soit pas dépensier, paresseux ou buveur. Ce défaut étant le pire de tous, l’équivalent de « se jeter volontairement dans les feux de l’enfer[37] ». Réaliste, Colette n’exige pas à ses correspondantes d’être parfaites, et encore moins à leurs prétendants. En 1941, à une jeune femme de 26 ans, pauvre, elle recommande de se marier malgré les défauts mineurs de son futur époux puisqu’il peut au moins lui offrir un logis[38]. Ici, la classe sociale et l’âge entrent en jeu : la jeune femme a peu d’espoir de trouver mieux et n’est pas autonome au contraire de certaines célibataires que nous verrons plus loin.
Colette établit les conditions préalables aux fréquentations et construit des idéaux genrés auxquels les jeunes filles doivent aspirer, pour elles-mêmes et pour leur futur époux. L’initiation des fréquentations ne reposent pas sur : « Si l’homme a le privilège de choisir, la femme a celui de refuser[39]. » C’est le principe chrétien de réserve féminine qui empêche la jeune fille de faire les premiers pas. Les dangers pour sa réputation sont grands : elle pourrait s’humilier par un refus, se faire mal juger par le parti espéré ou, plus important encore, inviter un jeune homme indigne d’elle[40]. Bien que les hommes puissent s’introduire à n’importe qui, la jeune fille devrait décliner ce genre de proposition, par réserve féminine. Il s’agit surtout d’une question de classes sociales puisqu’il vaut mieux fréquenter quelqu’un qui provient de la même classe que soi : l’entourage est perçu comme le meilleur moyen de rencontrer quelqu’un[41].
Une fois les présentations et la première invitation faites, les fréquentations ont lieu au salon chez les parents de la jeune fille, sous leur supervision. En 1943, Colette s’insurge même devant l’expression « sortir avec » qui est « tout à fait défectueuse, lorsqu’elle ne prête pas à équivoque[42] ». Cette réponse montre le conservatisme de Colette alors que les moeurs commencent à changer. Elle met en garde contre les fréquentations trop longues et assidues, sources de tentations, opinion largement partagée dans la société selon d’autres historiennes[43]. Il faut environ un an pour déterminer ses intentions précises, puis une autre année de fréquentation sérieuse pour envisager le mariage. Au bout de la troisième année, si aucun projet nuptial n’est élaboré, Colette conseille de diminuer les visites ou de rendre la liberté[44]. Une phrase qui revient souvent dans les lettres est « il ne faut pas perdre son avenir », c’est-à-dire de ne pas perdre son temps avec un mauvais parti. Pour les jeunes filles qui suivent les normes sociales, le but ultime de leur vie est de faire un bon mariage, donc le choix du mari est primordial aux chances de bonheur. Pour Colette, le droit de choisir est aussi celui de prendre la mauvaise décision. Elle n’hésite pas à conseiller aux jeunes filles de poser leurs conditions matérielles et psychologiques (la sobriété, un emploi, des économies, etc.) avant d’accepter un mariage d’amour. Colette ne conseille le mariage que s’il est réfléchi et avantageux. Si la jeune fille est passive au début des fréquentations, le bonheur est sa responsabilité, autant dans le choix du mari que, par la suite, dans le mariage. Ce choix implique « une maison à diriger, un mari à plaire, des enfants à élever, des sacrifices de toutes sortes à accepter le sourire aux lèvres et parfois la mort dans l’âme[45] » et ce, pour toute la vie. L’optique catholique impose une lourdeur à la liberté de choix qui retombe sur les épaules des jeunes femmes. Colette utilise la comparaison afin d’insister sur les périls d’un mauvais mariage, ce qui est surtout présenté dans les réponses aux femmes mariées malheureuses. L’histoire des plus vieilles permet de mettre en garde les plus jeunes.
Le mariage
Les femmes (et les hommes) qui écrivent à Colette ne sont pas heureuses dans leur mariage. Colette se donne ainsi pour mission de les consoler, mais surtout de préserver les foyers, suivant la vision chrétienne : c’est la norme à laquelle elle s’attache. Pour Colette, la femme mariée est d’abord une mère et une épouse, qui doit dévouement, soins et attention à sa famille. L’homme est le pourvoyeur, son devoir étant de subvenir aux besoins matériels de sa femme et de ses enfants. L’entente dans le ménage dépend surtout de la patience et de la résignation de la femme[46], mais les rôles sont partagés et complémentaires :
Dans un ménage uni, où l’on comprend parfaitement l’entente conjugale, chacun des deux conjoints est solidaire de l’autre et toutes les responsabilités, comme tous les devoirs sont partagés. La mère, en s’occupant de la maison et de ses enfants ne perd pas de vue les soucis que peut avoir son mari dans ses affaires et chercher à les atténuer dans la mesure de ses forces. Le mari, de son côté, au milieu des tracas de la vie à gagner, se soutient dans la pensée du bien-être à apporter aux siens et apporte autant qu’il le peut son aide à sa femme dans l’éducation des enfants[47].
Si chaque genre a un rôle attitré, il peut être perméable à l’autre selon Colette. Il faut toutefois garder un équilibre, qui est menacé si la femme doit travailler au dehors sans que ce soit nécessaire. En tant que partie d’un tout, elle a droit à la part de salaire de son mari par ses tâches à la maison[48]. L’unité familiale rend compte de l’ordre social et les enfants restent la priorité dans tout problème de ménage. Pour le bien de ceux-ci, c’est la femme qui doit faire les sacrifices nécessaires à la préservation du foyer. Lorsqu’un conflit survient, il suffit parfois d’avoir une bonne discussion avec son mari et y mettre beaucoup du sien :
Le mari pourra comprendre qu’une femme n’est pas une bête de somme et qu’elle a besoin d’être traitée humainement qu’il lui faut parfois oublier les soucis du jour, se détendre, jouir des bonnes choses de la vie. La femme, de son côté, cherchera les moyens de retenir auprès d’elle son compagnon, et pour cela peut-être suffira-t-il de l’accueillir le soir avec une mine pimpante, […] d’agir en un mot de façon à ce que l’homme trouve chez lui la distraction qu’il est souvent tenté de chercher ailleurs. La vie à deux montre d’elle-même ses épines, mais les roses, il faut à force de soins de persévérance, de bonne volonté, les faire fleurir. Et c’est une tâche qui incombe à la femme plus qu’au mari[49].
Même quand le mari a de grands défauts, tels que la jalousie, la paresse, l’alcoolisme, l’infidélité ou un caractère violent, Colette prévient les épouses de ne pas faire de reproches, qui ne font qu’exaspérer et envenimer la situation et conseille le dévouement aux enfants comme consolation[50]. Comme nous l’avons mentionné plus tôt, il incombe à la femme d’assumer les conséquences de son choix de jeune fille. Elle se doit aussi d’être un bon exemple pour son mari, encourageante, afin de le ramener dans le droit chemin. Si cela ne suffit pas, il faut aller chercher de l’influence ailleurs : demander au curé, à la famille. Si aucune stratégie ne fonctionne, il faudra se résigner, « supporte[r] chrétiennement [l’]épreuve imméritée », ce qui permet au moins d’être récompensée « plus tard » (au ciel)[51].
Avant 1930, peu d’hommes écrivent à Colette et, malgré son intransigeance envers les mères-épouses, les maris ne sont pas épargnés. Elle traite d’égoïste le mari qui veut partir en voyage avec son frère plus riche en laissant sa femme et ses neuf enfants avec peu de moyens[52] et cet autre qui veut quitter sa femme souffrante[53]. Si l’harmonie du foyer repose sur les épaules de la femme, le rôle masculin demeure de prendre en charge les besoins matériels de sa famille. Colette dresse un portrait assez sombre des maris dans son courrier. Ils sont « bien capricieux et bien ingrats[54] » et ils ne savent pas prendre les reproches[55]. Dans une réponse de 1940, elle décrit trois catégories d’hommes qui, sans les grands défauts énoncés précédemment, sont dans le tort : ceux qui voient la femme comme une propriété personnelle par exemple, une voiture ; ceux qui voient leur femme en éternelle mineure dénuée de qualités outre son apparence physique ; ceux qui sont « butors », c’est-à-dire qui pensent que leur femme ne mérite aucun salaire pour le travail qu’elle fait[56]. Elle reste donc assez constante dans sa vision du mariage, les époux étant des partenaires ayant chacun leur fonction essentialisée par leur genre. Comme pour les jeunes en fréquentation, chacun à ses qualités, ses défauts et son rôle à jouer dans le maintien de l’ordre social catholique.
Le célibat
Colette est une femme de carrière célibataire qui vit avec ses trois soeurs couturières célibataires également[57]. Il n’est pas étonnant qu’un certain nombre de ses réponses encense le célibat laïque. Le célibat religieux est quant à lui toujours bien vu tout au long de la période et la journaliste renseigne les jeunes filles sur leur vocation, l’appel de Dieu et les différents ordres qui existent dans la province. Dans ses conseils, Colette redéfinit le stéréotype de la vieille fille aigrie au service de ses parents en délimitant un célibat laïque en termes acceptables selon les normes de genre, tout en différant du modèle de l’épouse-mère. Comme nous l’avons vu plus tôt, son mot d’ordre reste le même pour toute la durée du courrier : il vaut mieux ne pas se marier que mal se marier.
La courriériste s’exprime clairement à partir des années 1930 en faveur de cette troisième voie enviable et respectable. Selon elle, la guerre de 1914 et la crise économique ont permis une nouvelle perception des rôles féminins[58] : « la femme n’est plus l’être faible et dépendant qu’elle était ; elle prend sa part de la tâche commune et elle ne manque pas d’occasions, hors du mariage, pour dépenser les dons de son coeur et les ressources de son intelligence[59] ». Le « dévouement féminin » permet de s’accomplir dans un célibat « utile et fécond[60] », « profitable à la société et intéressant pour [elles][61] ». Le terme « fécond » renvoie au travail de reproduction des mères, défendant ainsi une position similaire dans la société. L’utilité prônée par Colette est possible par une plus grande place dans l’espace public :
il reste qu’entre la vie religieuse et le mariage, il y a place pour le célibat dans le monde. De nos jours, fort heureusement, une femme non mariée peut fort bien se débrouiller seule et, plus que cela, rendre à la société des services de grande valeur. Le temps n’est plus où la femme célibataire était traitée comme une mineure et demeurait en tutelle toute sa vie. Il y a des femmes partout : dans les rouages des administrations civiles ou militaires, dans les carrières libérales, dans l’industrie, les affaires, dans l’enseignement, dans les hôpitaux comme infirmières et parfois comme médecins, etc. Les métiers essentiellement féminins se sont développés aussi au rythme de notre temps et offrent des possibilités inconnues à nos mères[62].
Elle parle d’une différence de génération alors qu’elle-même, en 1952, approche la retraite. Elle se décrit elle-même dans ce passage et justifie ses choix de vie, ce qu’elle a sûrement dû faire maintes fois. Le célibat laïque ne peut se faire sans une indépendance matérielle et sociale, qui devient, selon Colette, de plus en plus valorisée : « Il y a une fierté très noble à faire seule sa vie sans l’aide de personne[63]. » Elle va même jusqu’à comparer le destin des célibataires à celui de ses autres correspondantes, malheureuses dans leur mariage[64], décrivant ce dernier comme une « corde au cou[65] », une « chaine à porter toute sa vie[66] ». Elle ajoute : « il n’y a que dans le mariage qu’on doive subir son sort sans pouvoir revenir en arrière[67] ». La notion de choix, toujours au centre des réponses de Colette, demeure essentielle, puis l’importance de se conformer à certains rôles de genre permis par les idéaux dominants.
Cet article vise d’abord à replacer le « Courrier de Colette » et son autrice dans l’historiographie de la presse féminine en dressant son portrait thématique. Avec notre analyse quantitative, nous voyons la variété des thèmes présents dans cette page féminine. Nous constatons que ce courrier dit « féminin » dépasse largement les « 4F » déterminés par Voss (food, fashion, family, furnishing). Tout en étant traversées par des discours de genre au service de l’idéologie catholique dominante de l’époque, les différentes catégories laissent place aux préoccupations publiques et publiées des correspondantes sur des enjeux plus complexes que la mode et l’entretien du logis. Nous espérons que l’étendue des sujets que contient le Courrier stimule d’autres recherches sur ce riche contenu. En deuxième partie, nous avons décortiqué la catégorie « coeur » en archétypes de masculinité et de féminité correspondant à trois étapes de vie, en tenant en compte les rapports de pouvoir genrés et la construction ou la confirmation de modèles féminins et masculins. Les réponses de Colette portant sur les fréquentations montrent les pressions des normes sociales imposées aux jeunes filles quant à la préservation de leur réputation et au choix de leur futur mari. L’opinion de la courriériste sur le mariage reflète l’idéal de la complémentarité des rôles de genres essentialisés et l’importance du maintien de l’harmonie familiale qui repose sur les femmes malgré tous les défauts qu’elle attribue aux maris. Enfin, le célibat féminin offre une troisième voie enviable pour les femmes qui, comme la journaliste, se bâtissent une vie utile et féconde.
Parties annexes
Notes
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[1]
Cet article est issu de nos recherches de maitrise ; Maude Savaria, « Écris donc à Colette ! » : représentations de femmes et discours de genre dans le « Courrier de Colette », 1903–1956, mémoire de maitrise (histoire), Université du Québec à Montréal, 2020. (À paraître)
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[2]
Kimberly Wilmot Voss, Redefining Women’s News: A Case Study of Three Women’s Page Editors and their Framing of the Women’s Movement, thèse de doctorat (philosophie), Université du Maryland, College Park, Maryland, États-Unis, 2004, p. 8.
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[3]
Micheline Dumont-Johnson, « La parole des femmes. Les revues féminines 1938–1968 », dans Fernand Dumont, Jean Hamelin et Jean-Paul Montminy (éd.), Idéologies au Canada français, 1940–1976, Presses de l’Université Laval, 1981, p. 6 ; Nadia Fahmy-Eid, « La presse féminine au Québec (1890–1920) : une pratique culturelle et politique ambivalente », dans Yolande Cohen et Andrée Yanacopoulo, Femmes et politique, Montréal, Le Jour, 1981, p. 77 ; Samra-Martine Bonvoisin et Michèle Maignien, La presse féminine, Paris, Presses universitaires de France, 1996, p. 4. ; Évelyne Sullerot, La presse féminine, 2e éd., Paris, A. Colin, coll. « Kiosque 22 », 1966.
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[4]
Nous utilisons le genre comme catégorie d’analyse tel que défini par J. Scott : « le genre est un élément constitutif de rapports sociaux fondés sur des différences perçues entre les sexes, et le genre est une façon première de signifier des rapports de pouvoir » ; Joan Scott, « Genre : Une catégorie utile d’analyse historique », Les Cahiers du GRIF, trad. par Éléni Varikas, vol. 37, no 1 (1988).
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[5]
Nous utiliserons le féminin « lectrices » ou « correspondantes » au pluriel afin de ne pas alourdir le texte. Le masculin est utilisé lorsque nous voulons précisément faire référence à ceux-ci.
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[6]
Andrée Lévesque, La norme et les déviantes, des femmes au Québec pendant l’entre-deux-guerres, Montréal, Québec, Éditions du remue-ménage, 1989, p. 233.
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[7]
Gaston Desjardins, L’amour en patience : la sexualité adolescente au Québec, 1940–1960, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 1995, p. 271.
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[8]
Marie-Aimée Cliche, Maltraiter ou punir ? La violence envers les enfants dans les familles québécoises, 1850–1969, Montréal, Boréal, 2007, p. 416.
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[9]
Magda Fahrni, Household Politics Montreal Families and Postwar Reconstruction, Toronto, University of Toronto Press, 2005, p. 279.
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[10]
Il s’agit d’un exemplaire par mois, réduit de moitié en raison de la quantité de contenu. Au total, nous avons analysé 311 exemplaires du « Courrier de Colette ». Cet échantillon a été utilisé dans le cadre de notre mémoire. Maude Savaria, « Écris donc à Colette » : représentations de femmes et discours de genre dans le « Courrier de Colette », 1903–1956.
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[11]
Les lettres des lectrices sont analysées en détail dans le Chapitre IV de notre mémoire.
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[12]
Notre échantillon ne contient pas de lettres référant au célibat masculin, nous l’avons donc écarté.
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[13]
La catégorie « Maison » fait référence à la fois à « food » et « furnishing ».
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[14]
Colette écrit, en 1924, : « ce que l’église réprouve, c’est le port de costumes indécents, quels qu’ils soient, et certaines robes du soir le sont beaucoup plus que la culotte de sport qui est généralement ample et recouverte par l’habit ou le paletot » et réfute l’argument d’un mari qui prétend « que le prestige d’une femme réside dans la manière de se coiffer » Colette, « Le Courrier de Colette », La Presse, 23 février 1924, p. 20. Sur le maquillage : « En soi, le fait de mettre un peu de rouge à ses joues ou à ses lèvres, de sortir sans chapeau ou sans gants, n’a qu’une bien minime importance. Mais si ce petit fait suffit à la faire remarquer ou juger défavorablement, la jeune fille qui n’en tient pas compte risque de compromettre ses chances de mariage. » ; Ibid., 11 novembre 1933, p. 26.
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[15]
Denise Lemieux et Lucie Mercier, Les femmes au tournant du siècle, 1880–1940 : âges de la vie, maternité et temps quotidien, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1992, p. 281.
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[16]
Nous n’aborderons pas ni la catégorie « Littérature » ni la catégorie « Santé » dans cet article. La catégorie « Littérature » permet de considérer le Courrier comme un espace de sociabilité féminine de 1903 à 1909, idée développée par Chantal Savoie, les lettres qui entrent dans cette catégorie pour la période de 1922 à 1956 sont beaucoup moins significatives (questions de français, de traduction, de prononciation). Voir Chantal Savoie, « Des salons aux annales : les réseaux et associations des femmes de lettres à Montréal au tournant du XXe siècle », Voix et Images, vol. 27, no 2 (2002), pp. 238–253. La catégorie « Santé », bien qu’en faible proportion, met en lumière le rôle d’intermédiaire de Colette, entre les experts de la santé (médecins et hygiénistes) et son public. Pour plus d’informations, voir aussi Mia Dansereau-Ligtenberg, Les remèdes de grand-mères : la médecine populaire à Montréal entre les deux guerres, mémoire de maitrise (histoire), Université du Québec à Montréal, 2017, p. 68.
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[17]
L’étiquette inclut tout un assortiment de règles genrées sur les présentations, les salutations et les comportements généraux entre les hommes et les femmes dans plusieurs contextes sociaux : qui doit marcher devant l’autre, est-ce convenable de se faire raccompagner, comment saluer une personne de l’autre sexe, comment agir en soirée, etc.
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[18]
Nous parlons ici de l’avenir des jeunes filles, c’est-à-dire leurs perspectives de mariage, question sur laquelle nous revenons plus loin.
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[19]
Albert Laberge, Journalistes, écrivains et artistes, Montréal, Édition privée, 1945, p. 13.
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[20]
Laurie Laplanche, Pour vous, mesdames… et messieurs. Production des émissions féminines à la Société Radio-Canada à Montréal (1952–1982), thèse de doctorat (histoire), Université Laval, Québec, 2016, pp. 11–12.
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[21]
Lévesque, p. 15.
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[22]
Desjardins, p. 11.
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[23]
Colette, « Le Courrier de Colette », La Presse, 21 juin 1930, p. 31.
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[24]
Lemieux et Mercier, p. 120.
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[25]
Colette, « Le Courrier de Colette », La Presse, 11 juin 1938, p. 26.
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[26]
Ibid., 27 octobre 1934, p. 27.
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[27]
Lemieux et Mercier, pp. 129–133.
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[28]
Colette, « Le Courrier de Colette », La Presse, 5 mars 1927, p. 24. ; Ibid., 27 février 1932, p. 30.
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[29]
Lemieux et Mercier, pp. 129–133.
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[30]
Colette, « Le Courrier de Colette », La Presse, 5 mars 1927, p. 24.
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[31]
Ibid., 19 janvier 1935, p. 27.
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[32]
Ibid., 11 juin 1938, p. 26.
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[33]
Ibid., 27 novembre 1943, p. 22.
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[34]
Ibid.
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[35]
Ibid., 21 mai 1927, p. 24.
-
[36]
Ibid., 30 novembre 1929, p. 36.
-
[37]
Ibid., 11 juillet 1931, p. 36.
-
[38]
Ibid., 22 mars 1941, p. 33.
-
[39]
Ibid., 7 juillet 1951, p. 24.
-
[40]
Ibid., 18 avril 1942, p. 33.
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[41]
Lemieux et Mercier, p. 110.
-
[42]
Colette, « Le Courrier de Colette », La Presse, 16 janvier 1943, p. 28.
-
[43]
Lemieux et Mercier, p. 127.
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[44]
Colette, « Le Courrier de Colette », La Presse, 31 janvier 1931, p. 37 ; Ibid., 26 août 1944, p. 26.
-
[45]
Ibid., 16 janvier 1943, p. 28.
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[46]
Colette, « Le Courrier de Colette », La Presse, 29 juin 1940, p. 24 : « la femme, qui a plus que l’homme à souffrir des mésententes et des heurts, ne doit pas peser à une balance trop précise, la part de sacrifice qui revient à chacun ; elle doit faire la mesure large en ce qui la concerne ».
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[47]
Ibid., 14 mars 1931, p. 35.
-
[48]
Ibid., 15 janvier 1927, p. 25. ; Ibid., 26 novembre 1927, p. 27 ; Ibid., 11 septembre 1943, p. 28.
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[49]
Ibid., 25 avril 1936, p. 28.
-
[50]
Ibid., 5 mars 1927, p. 24 ; Ibid., 25 août 1928, p. 27 ; Ibid., 30 novembre 1929, p. 36 ; Ibid., 6 juin 1936, p. 8 ; Ibid., 15 mai 1937, p. 32 ; Ibid., 10 juin 1944, p. 24 ; Ibid., 15 juin 1946, p. 36 ; Ibid., 27 septembre 1947, p. 32 ; Ibid., 22 avril 1950, p. 56 ; Ibid., 7 mai 1955, p. 34.
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[51]
Ibid., 7 février 1942, p. 26.
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[52]
Ibid., 5 avril 1930, p. 31.
-
[53]
Ibid., 7 janvier 1933, p. 24.
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[54]
Ibid., 15 septembre 1923, p. 27.
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[55]
Ibid., 21 mai 1927, p. 24.
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[56]
Ibid., 20 avril 1940, p. 34.
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[57]
Bibliothèque et Archives Canada, « Édouardina Lesage », Recensement 1921, Saint-Jacques, Quartier Saint-Jacques, p. 20.
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[58]
Voir Katherine Holden, The Shadow of Marriage: Singleness in England, 1914–1960, Manchester University Press, 2007, 257 p.
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[59]
Colette, « Le Courrier de Colette », La Presse, 3 février 1934, p. 28.
-
[60]
Colette Lesage, « La jeune fille et ses problèmes », Revue dominicaine, février 1937, pp. 82–88.
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[61]
Colette, « Le Courrier de Colette », La Presse, 10 septembre 1949, p. 40.
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[62]
Ibid., 5 avril 1952, p. 54.
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[63]
Ibid., 15 juillet 1933, p. 26.
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[64]
Ibid., 3 février 1934, p. 28.
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[65]
Ibid., 3 février 1934, p. 28.
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[66]
Ibid., 5 avril 1952, p. 54.
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[67]
Ibid., 30 mars 1935, p. 28.