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L’ouvrage de Louis Gagnon s’inscrit dans la lignée de son Louis xiv et le Canada (1658-1674)[1]. Comme dans ce dernier, il y analyse les politiques, et in fine les causes de l’échec de la colonisation française en Amérique du Nord : au désintérêt du Roi Soleil succède la perte pure et simple du territoire en 1763, conséquence selon l’auteur d’une politique canadienne hésitante et du pacifisme du monarque. Louis Gagnon entend à la fois « cerner et analyser la relation entre le roi de France et le Canada » et mener « une réflexion sur le xviiie siècle » (p. 14). L’ouvrage tombe quelque part entre les deux, dépassant le premier objectif sans remplir le second. Il porte sur le contexte géopolitique des vingt dernières années de la Nouvelle-France, insistant logiquement sur les relations diplomatiques franco-anglaises. Sur six chapitres (suivis d’un « supplément d’histoire » sur Rochefort), on suit les méandres de la politique royale à l’égard du Canada, qui oscille entre deux attitudes : un intérêt distant et essentiellement motivé par des considérations économiques ; un soutien plus franc à un territoire susceptible de constituer un rempart contre l’expansionnisme britannique à condition d’être suffisamment peuplé.
L’ouvrage suit un cheminement chronologique, de la Guerre de Succession d’Autriche à celle de Sept ans, et montre un roi motivé par une volonté d’établir une paix durable, même lorsqu’il est confronté à une guerre inévitable. Après un prologue faisant office d’introduction à l’ouvrage et au jeune Louis XV, le premier chapitre présente le fonctionnement du gouvernement royal, notamment de l’administration coloniale et l’état de la Nouvelle-France en 1743, lorsque le roi commence à gouverner seul. Le deuxième chapitre est consacré à la fin de la Guerre de Succession d’Autriche et en analyse les événements en Amérique, dont la prise de Louisbourg au prisme des politiques de soutien et de développement de la Royale, la marine de guerre française. Le chapitre trois porte sur la diplomatie franco-anglaise entre les deux guerres. On y trouve une réflexion pertinente sur la négociation infructueuse des limites coloniales, dont le flou hérité du traité d’Utrecht oblige à des conférences bipartites, et une présentation de la politique de défense et de développement de la colonie prônée par l’ancien gouverneur de la Nouvelle France, Barrin de la Galissonnière, qui participe à ces négociations. Les deux chapitres suivants sont consacrés à la Guerre de Sept ans, marquée par la volonté royale de favoriser la paix en dépit du contexte, par les tensions entre le gouverneur Vaudreuil et les maréchaux Dieskau, puis Montcalm, par l’influence négative supposée de la marquise de Pompadour sur le roi et enfin, par la difficile paix qui ne peut être conclue qu’en cédant les colonies américaines à l’Angleterre en 1763. Un dernier chapitre est consacré au « Secret du roi », organe de gouvernement parallèle, et montre comment le roi s’implique directement dans les négociations pour le Canada, imposant sa vision d’une colonie d’exploitation, justifiant son abandon au profit des Antilles. Un épilogue permet de s’aventurer au-delà du traité de Paris pour évoquer les projets royaux d’invasion de l’Angleterre. Louis Gagnon conclut que « de 1763 à 1772, Louis XV prépare la guerre sans la faire, orchestre une revanche qui ne vint jamais » (p. 152) et soulève la délicate question de l’attitude des Canadiens français vis-à-vis de leur héritage et de la souveraineté anglaise.
L’idée générale de l’ouvrage, qui dresse le portrait d’un roi toujours en quête de paix et peu enclin à faire du Canada une colonie de peuplement, est bien mise en valeur, comme la restitution des relations diplomatiques et des intrigues, mais l’étude présente certaines faiblesses. Louis Gagnon évoque une absence de sources, et entend y remédier en convoquant l’ethnographie et l’ethnologie (p. 13-14), se référant explicitement aux espaces du pouvoir français en métropole et en Nouvelle-France. Dans les faits, l’auteur se fie surtout aux sources publiées, et recourt notamment à Voltaire qu’il cite volontiers (parfois inutilement, par ex. p. 101-102) sans pour autant se distancier assez des propos du philosophe. Cette absence de recours aux archives, le faible nombre de sources primaires, le peu de références à la littérature scientifique qui se cantonnent souvent aux ouvrages—excellents par ailleurs—de Michel Antoine et François Bluche[2], expliquent certaines erreurs factuelles. Par exemple, La Galissonnière ne succède pas à Jacques-Nicolas Bellin au Dépôt des cartes et plans de la Marine (p. 73) : ils occupent des postes différents. Plus gênantes sont les confusions et imprécisions sur les structures politiques d’Ancien Régime, à l’instar des remarques sur la monarchie absolue—terme discutable en soi—qui ne devrait pas être opposée au gouvernement par Conseil (p. 129).
Au passionné avide de connaître le contexte géopolitique qui a mis fin au Régime français, l’ouvrage est conseillé : le style de Louis Gagnon rend la lecture agréable et les nombreuses anecdotes et explications permettent d’appréhender la complexité politique et diplomatique des questions coloniales d’Ancien Régime. L’historien habitué aux ouvrages plus denses, plus précis et mieux référencés pourra en revanche s’en épargner la lecture.