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L’historiographie religieuse de l’Amérique française s’est récemment vue enrichie d’une étude importante de la proposition Gesta Dei per Francos dans son contexte nord-américain. Près d’une vingtaine de chercheurs nous suggèrent de nouvelles pistes de recherche par rapport à la troisième capitale européenne qui, après Paris et Londres, a modelé d’une manière insuffisamment reconnue le cours de l’histoire des Canadiens français.
Il s’agit ici de Rome, où le Saint-Siège a entendu et arbitré une longue série de conflits institutionnels et doctrinaux, en plus d’organiser la vie spirituelle de son troupeau canadien. Les archives de la cité papale, longtemps ignorées en vertu de contraintes financières, linguistiques et parfois bureaucratiques, se font cruciales à la compréhension de cette vie spirituelle. C’est ce qu’annoncent Martin Pâquet, Matteo Sanfilippo, Jean-Philippe Warren et plusieurs vétérans des archives romaines dans Le Saint-Siège, le Québec et l’Amérique française. Ce recueil est issu d’un colloque tenu nulle part ailleurs qu’à Rome en 2011 et apparaît notamment grâce à l’appui de la Chaire de recherche sur la culture d’expression française en Amérique du Nord (CEFAN). On ne peut rendre justice, ici, à chacun des dix-huit textes, mais les thèmes se dégagent aisément.
Il y a, d’abord, un chapitre qui se veut un guide préliminaire du chercheur. Les essais de Pierre Hurtubise, Giovanni Pizzorusso, Sanfilippo et Gilles Routhier y établissent le contexte archivistique et proposent plusieurs collections qui permettront de réévaluer la réponse romaine aux aspirations culturelles de l’Amérique française. Il faut prendre garde de ne pas voir trop petit : s’il y a un corpus important qui touche les grandes questions politiques et religieuses du Québec à l’époque des Bourget et Laflèche, il y a aussi de quoi nourrir une perspective plus large. Les historiens trouveront dans les archives de la Délégation apostolique aux États-Unis, par exemple, les requêtes ecclésiastiques des Québécois expatriés à la fin du XIXe siècle.
Suivent ensuite deux chapitres de nature historique comprenant des textes de Dominique Deslandres, Ollivier Hubert, Jules Racine St-Jacques, Gérard Fabre, Fernand Harvey et Warren. Quelques contributions se démarquent en offrant à l’histoire du catholicisme québécois un aspect comparatif. Partant des premières années du régime britannique, Luca Codignola lie l’expérience ecclésiastique québécoise à celle des autres théâtres nationaux du monde catholique. Tous furent unis par « la haine envers toute forme de radicalisme, une loyauté rigoureuse à l’égard du gouvernement légitime et un équilibre très délicat entre déférence et fermeté envers les dirigeants politiques et institutionnels [1] ».
Cette déférence, tout comme le problème des rapports interculturels, réapparaît sous la plume d’autres auteurs. Yves Frenette souligne brièvement l’importance des réseaux épistolaires qui ont défini les échanges entre francophones d’Amérique et Rome. Dans un texte portant sur la question nationale, Roberto Perin voit une Église attachée au « principe de la territorialité » qui « rejette la notion de la langue gardienne de la foi [2] » pour les francophones hors Québec. Le Saint-Siège semble alors rejeter toute obligation d’accommoder ou de protéger les minorités culturelles. Avec Simon Jolivet et Phyllis E. LeBlanc, cette question est poussée plus loin : on considère la lutte pour l’obtention de guides spirituels francophones ailleurs au Canada, puis la résistance suscitée parmi les fidèles d’origine irlandaise. Michel Bock rejoint la conversation en présentant l’arrière-scène épiscopale et papale du débat sur le Règlement XVII. Le Vatican prêcha alors l’obéissance à l’État ; au Canada comme aux États-Unis, les nationalistes d’expression française se trouvèrent à court d’alliés dans les hautes instances catholiques.
Ce recueil, que conclut une réflexion de Laura Pettinaroli, s’adresse à un auditoire restreint, surtout en ce qui a trait aux collections vaticanes. On n’a d’ailleurs peut-être pas assez souligné la pertinence de ces collections au-delà de l’histoire strictement religieuse ou politico-religieuse. Mais cette oeuvre demeure néanmoins d’une grande valeur, autant pour la qualité des textes et l’attention aux archives de l’Église que pour l’approche historiographique qui s’y dessine.
L’étude de la relation entre l’Église au Québec et le Saint-Siège exige une vision non seulement large, mais continentale. C’est vrai pour la période de la Nouvelle-France, mais aussi pour la suite, alors que la diaspora canadienne-française se voit attribuer un rôle providentiel de conquête et de conversion par des figures cléricales telles que Louis De Goesbriand, évêque de Burlington, et l’abbé Lionel Groulx. De la période de l’Union (1841-1867) à la Seconde Guerre mondiale, cet entrecroisement de la foi et du nationalisme définit les luttes culturelles des Québécois francophones et de leurs cousins nord-américains. Le recueil qui nous est ici proposé permet de mieux cerner la nature du problème et de signaler que le destin de ce nationalisme fut scellé, pour cette période, non pas à Québec ou à Ottawa, mais dans la métropole catholique.
Parties annexes
Notes
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[1]
Luca Codignola, « Quoi de neuf sur la prétendue servitude de Monseigneur Briand (1760 à 1766) ? », Le Saint-Siège, le Québec et l’Amérique française, p. 125.
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[2]
Roberto Perin, « Rome, les relations internationales et la question nationale avant la Seconde Guerre mondiale », Le Saint-Siège, le Québec et l’Amérique française, p. 193-193.