St-Pierre, Marc. Revenant de Chine. Norman Bethune en mémoire (Québec, Presses de l’Université Laval, 2023), 218 p.

À travers les représentations de Norman Bethune de 1939 à 1979, cet ouvrage évalue l’héroïcité ou l’absence d’héroïcité de cette personnalité métisse dans la sphère publique canadienne. Le premier chapitre retrace sa trajectoire inédite. Les trois suivants, qui abordent l’évolution des perceptions de Bethune, suivent un ordre chronologique. S’appuyant sur l’analyse quantitative et qualitative d’articles de journaux, le chapitre 2 envisage la manière dont Bethune a été représenté dans la presse à son décès à la fin des années 1960. Marc St-Pierre avance l’idée que le D^r Bethune fut ignoré dans l’espace public canadien notamment parce qu’il était partisan du communisme. Le chapitre 3 couvre les années 1968 à 1976, c’est-à-dire la période allant de l’arrivée au pouvoir de Pierre Elliott Trudeau à l’ouverture de la Maison commémorative Bethune en Ontario. En mobilisant des sources plus caractéristiques de l’histoire diplomatique, l’auteur s’attarde sur le lien entre l’évolution de l’image de Bethune au Canada et le développement des relations officielles sino-canadiennes. La vente de blé à la Chine à compter de 1958 par un Canada placé sous l’administration de Diefenbaker marque l’apparition d’un point de vue plus pragmatique sur la Chine. Des interprétations alternatives à propos de ce dernier ont ainsi vu le jour dans son pays natal. L’auteur souligne que l’héroïsation de Bethune se réalise par le haut, c’est-à-dire sous la pression d’individus se situant aux plus hauts échelons hiérarchiques du gouvernement canadien, l’objectif étant de « faire plaisir aux Chinois » (p. 130) et de faciliter ainsi les échanges avec eux. Bethune est considéré par St-Pierre comme un allié de la diplomatie, mais aussi comme un élément constitutif d’une identité nationale canadienne en construction au cours des années 1970. Le dernier chapitre présente divers textes sur Bethune parus dans les journaux de 1969 à 1979, des bibliographies, des oeuvres cinématographiques, des initiatives de la Ville de Montréal et des publications de l’extrême gauche. Ce livre comble une lacune significative dans le domaine des études historiques sur les relations sino-canadiennes : bien que de nombreux chercheurs canadiens et chinois aient fait référence au rôle de Norman Bethune en tant qu’« object of opportunity, a useful door opener in China » (Paul M. Evans, Engaging China, 2013) dans les échanges bilatéraux, peu d’entre eux ont entrepris d’analyser de manière approfondie les facteurs sous-jacents qui ont influencé l’évolution de la perception du D^r Bethune dans la sphère publique canadienne. De plus, l’étude examine attentivement l’utilisation, voire la manipulation, de son image à des fins diplomatiques. L’ouvrage de Marc St-Pierre annote, étaye et complète les travaux existants. C’est d’ailleurs la manière dont l’auteur lui-même se situe par rapport à l’historiographie. Si ce travail est placé et évalué dans le cadre de l’ensemble des études des relations sino-canadiennes, nous pouvons entrevoir quelques possibilités d’approfondissement. Selon le politologue Paul Evans, « What we still need are a full-gauged history of Canadian policy making and a systematic account of the Chinese side of the equation ». Il est en effet nécessaire de comprendre la logique qui sous-tend la position chinoise et de l’analyser conjointement avec la politique canadienne à l’égard de la Chine. Prenons comme exemple l’instrumentalisation de l’image de Bethune. St-Pierre affirme : « Bien sûr, la contribution de Bethune ne nous fait pas tout comprendre du succès diplomatique : la Chine avait d’autres ambitions bien pragmatiques. Elle désirait notamment briser son isolement international, et le Canada a justement contribué à lui faire réaliser cela » (p. 130). Quelles sont ces ambitions « pragmatiques » de la Chine ? Ces dernières années, de plus en plus d’historiens ont étudié la manière dont …