Me Pierre Rousseau, avocat à la retraite ayant occupé la fonction de procureur et de directeur des bureaux des territoires de l’Arctique canadien du ministère de la Justice du Canada, signe ici son second ouvrage sur les rapports entre le colonialisme et le système de justice canadien. La préface de l’ouvrage est signée Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières nations du Québec et du Labrador. Pierre Rousseau prend appui sur son expérience comme procureur ainsi que sur une recherche poussée pour bien montrer, d’une part, le défaut sans cesse renouvelé du système de justice pénale et criminelle du Canada de répondre aux besoins des peuples autochtones et de traiter avec dignité les individus (témoins, accusés, victimes) autochtones et, d’autre part, les perspectives qu’offre le pluralisme juridique pour la décolonisation. L’ouvrage, rédigé sur un ton personnel, ponctué d’anecdotes et d’exemples issus du droit comparé, présente ainsi le fruit des réflexions de l’auteur sur les possibilités de réforme du système actuel de justice au Canada. La résurgence des ordres et traditions juridiques autochtones constitue, à son avis, le fondement d’une véritable transformation des institutions étatiques. Pour étayer sa démonstration, l’auteur présente brièvement quelques éléments des ordres et traditions juridiques de 13 nations autochtones (Wet’suwet’en, Tsimshian, Nisga’a, Tsilhqot’in, Coast Salish, Sechelt, Secwépemc, Eeyou [Cris], Anichinabés, Atikamekw Nehirowisiwok, Innus, Mi’kmaq et Inuit). De ce tour d’horizon, il conclut que le système de justice canadien en matière pénale et criminelle et les modifications qui y ont été apportées au fil des ans entrent non seulement en contradiction avec ces ordres et traditions juridiques sur le plan de la détermination de la peine, mais aussi sur le plan du processus menant à la détermination de la culpabilité d’un accusé. L’auteur poursuit en donnant quelques exemples d’États où s’exprime une forme ou une autre de pluralisme juridique. Il fait, d’une part, un survol de la situation dans trois États des Amériques (Bolivie, Colombie, Mexique) où se manifeste, à son avis, un modèle de droit propre où les nations autochtones disposent de leurs propres systèmes juridiques en parallèle avec le droit étatique. Il poursuit, d’autre part, en présentant la situation de trois modèles hybrides qui fusionnent « les traditions juridiques autochtones et certains éléments du système étatique à des degrés divers » (p. 127). Ces modèles se caractérisent généralement, selon lui, par l’implantation de tribunaux qui appliquent les lois et traditions juridiques autochtones (tribal courts aux États-Unis et Groenland — Kalaallit Nunaat). Cette distinction — entre les modèles de droit propre et les modèles hybrides — structure la suite de l’ouvrage, laquelle traite de questions très pratiques liées aux formes de justice, de prévention ou de règlements des conflits qui pourraient être mises en place (ex. : justice communautaire, festins, cercle de guérison, institutions des juges de paix) et aux interactions entre les systèmes de droit (ex. : compétences, financement, appels). Cette question de l’interface entre les systèmes étatiques et autochtone constitue un enjeu important pour l’auteur qui juge nécessaires 1) l’établissement d’un conseil de justice autochtone, donnant ainsi suite aux recommandations de la Commission royale sur les peuples autochtones, et 2) la création « d’une interface entre les systèmes autochtones et celui de l’État sans asservir les systèmes autochtones à une sorte de supervision susceptible de prolonger le colonialisme canadien ». Il rappelle ici l’idée — qu’il juge par ailleurs intéressante — de créer une instance d’appel autochtone pancanadienne. Il conclut en soulignant que « la décolonisation des systèmes juridiques ne peut se faire en vase clos et doit faire partie, une partie essentielle tout comme la gouvernance, du processus de décolonisation du Canada …
Rousseau, Pierre. Une véritable justice équitable décolonisée, par et pour les peuples autochtones (Québec, Presses de l’Université Laval, 2023), 220 p.
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Geneviève Motard
Université Laval
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