L’ouvrage Penser l’histoire et son enseignement au Québec est le deuxième publié par Olivier Lemieux à partir de ses travaux de doctorat en éducation. Il fait suite à Genèse et legs des controverses liées aux programmes d’histoire du Québec (1961-2013), également paru aux Presses de l’Université Laval (2021), qui reprenait les principales analyses de sa thèse de doctorat. Ce nouveau projet est tout à fait différent. Il s’agit d’un recueil d’entretiens avec les personnes clés que Lemieux a rencontrées pour compléter les autres sources documentaires qui lui ont permis de retracer les discussions et les désaccords relatifs à la transposition de la discipline historienne dans les programmes d’histoire au Québec depuis la Révolution tranquille. C’est « habité par un sentiment d’insatisfaction », c’est-à-dire « celui de ne pas rendre justice à la grande qualité des propos récoltés au moyen de [ses] entrevues » (p. xii), que Lemieux a retravaillé cette matière avec ses informateurs et informatrices en vue de la publication. Les personnes interviewées peuvent être réparties en trois catégories : des responsables de la production des programmes éducatifs en histoire au ministère de l’Éducation (Denis Vaugeois et Bruno Deshaies), des membres de comités ou de groupes consultatifs impliqués dans la mise au point des orientations ou des programmes d’études (Guy Rocher, Micheline Dumont, Christian Laville, Jacques Robitaille, Brian Young et Jacques Beauchemin) et des acteurs externes qui se sont mobilisés pour influencer l’orientation de ces travaux (Michel Allard, Christian Laville, Gilles Berger, Jacques Robitaille et Robert Comeau). Les récits croisés de différents acteurs aux profils professionnels et disciplinaires relativement variés (on notera seulement la très faible représentation des femmes) permettent d’aller au-delà des analyses qui articulent les idées, les positions sociales et les intérêts des acteurs et des actrices au coeur de l’élaboration des politiques publiques. En effet, la lecture de l’ouvrage est passionnante, car elle donne accès aux « émotions, comme la jalousie, l’admiration, la sympathie ou l’antipathie, les passions, les personnalités et les sensibilités » (p. 6). On découvre en particulier la déception de presque toutes les personnes étroitement impliquées dans l’élaboration des programmes vis-à-vis de leurs successeurs et des décisions qui viendront remettre en question leurs choix, leurs perspectives. Seule Micheline Dumont semble avoir traversé les époques avec sérénité en collaborant avec plusieurs acteurs en rivalité, aux idées opposées, ce qui nous rappelle l’importance de prendre en compte la dimension de genre en histoire afin d’éviter d’imposer une certaine vision du passé qui repose d’abord et avant tout sur les expériences masculines. Il serait en effet possible de faire l’hypothèse, en s’appuyant sur plusieurs travaux en histoire et sociologie du genre dans les sciences humaines et sociales, qu’en raison de leur positionnement particulier dans les institutions et dans les rapports sociaux de manière plus générale, la compréhension et l’expérience des controverses intellectuelles revêtent une signification différente pour les premières professionnelles en sciences humaines et sociales, de même que pour les membres d’autres groupes historiquement minoritaires dans ce champ. Par ailleurs, on note l’absence de problématisation par Lemieux des effets de la reconstruction a posteriori d’expériences assez lointaines, notamment sur la réinterprétation d’actions au vu d’événements ultérieurs afin d’en dégager un sens, une cohérence qu’elles n’avaient peut-être pas à l’origine, ce qui est pourtant une question largement discutée depuis les années 1980 au moins. Une telle problématisation aurait pu ajouter des clés de compréhension importantes aux récits proposés par les personnes rencontrées. Les entretiens repris dans l’ouvrage font néanmoins ressortir de manière vivante et particulière les enjeux de l’enseignement de l’histoire qui traversent les débats depuis plusieurs décennies. Dans son introduction, Lemieux relève particulièrement la place …
Lemieux, Olivier. Penser l’histoire et son enseignement au Québec. Rencontres avec… Guy Rocher, Denis Vaugeois, Bruno Deshaies, Michel Allard, Micheline Dumont, Christian Laville, Gilles Berger, Jacques Robitaille, Brian Young, Robert Comeau et Jacques Beauchemin (Québec, Presses de l’Université Laval, 2023), 208 p.
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Hélène Charron
Chercheuse indépendante
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