Comprendre l’histoire du travail religieux en Acadie est une tâche ardue. Dans cette région qui a fait l’objet d’une exploration historique approfondie et captivante —récits de la colonisation, « conquête », pouvoir autochtone, genre, histoire ouvrière, race, esclavage et bien plus encore —, l’histoire des missionnaires a plus souvent fourni des chapitres à des études thématiques plus vastes qu’elle n’a constitué le point central d’une enquête approfondie. Durant la majeure partie des 17e et 18e siècles, des missionnaires représentant différents groupes religieux ont arpenté la région afin de desservir les colons français et les peuples autochtones. L’ouvrage de Matteo Binasco propose une analyse minutieuse non seulement des missionnaires eux-mêmes mais aussi des réseaux religieux au sein desquels ils opéraient. Au fil de six chapitres présentés en ordre chronologique, Binasco raconte l’évolution de la concurrence et de la coopération religieuses, se focalisant sur les individus — certains prêtres ont laissé des documents détaillés et exhaustifs, tandis que d’autres allaient et venaient comme la marée de la baie de Fundy — puis augmentant l’angle pour observer les ordres spirituels qu’ils servaient. S’appuyant sur les travaux antérieurs, Binasco identifie un problème central, à savoir que les études précédentes « ne font qu’effleurer le véritable rôle politique et religieux joué par les missionnaires » dans les luttes impériales et les réseaux indigènes de la région (p. 3-4). Ce qui apparaît très clairement au fil du livre, c’est combien les missionnaires ont dû naviguer entre les changements politiques locaux et impériaux, les désaccords internes et les besoins de leurs ouailles, au premier chef les Acadiens et les Mi’kmaqs. Au cours des premières années du travail missionnaire dans ce que les Français appelaient l’Acadie, les Capucins, un ordre religieux lié à la Sacrée Congrégation de la Propaganda Fide établie à Rome pour superviser les missions catholiques autour du monde, ont quitté le Nord-Est américain peu après l’invasion anglaise du territoire. Avec leur départ se perdent les liens et les réseaux qui leur avaient permis d’assurer la subsistance spirituelle des Acadiens. D’autres ordres arrivent, et après 1659, les Jésuites continuent à oeuvrer parmi les Mi’kmaqs, mais la région est largement isolée des réseaux religieux de Rome ou même de Québec. Les missionnaires qui se consacrent à l’évangélisation de la population autochtone dépendent largement d’efforts individuels, comme ceux du récollet Chrestien Le Clercq, pour apprendre la langue mi’kmaque. Cet engagement soutenu auprès des communautés autochtones prend fin vers 1690, date à laquelle les colons acadiens deviennent le principal centre d’intérêt des missionnaires dans la colonie. Au début du 18e siècle, les missionnaires doivent composer avec la politique impériale et les conflits anglo-français au sujet de l’« Acadie ou Nouvelle-Écosse », comme la région est souvent appelée. Les prêtres affrontent des situations difficiles en tentant de trouver un équilibre entre leurs devoirs spirituels et leur loyauté envers la monarchie française. Binasco montre bien l’importance de la dimension régionale dans cette histoire. En effet, les missionnaires du sud de l’Acadie — territoire qui comprendrait aujourd’hui le Nouveau-Brunswick et le nord du Maine — sont beaucoup plus susceptibles de servir d’intermédiaires entre les nations autochtones et le gouvernement français que les prêtres du nord. La menace d’une alliance anglo-autochtone dans les années 1690, telle celle conclue entre le sachem penobscot Madockawando et le gouverneur William Phips oblige les missionnaires à trouver un équilibre délicat entre la prise en charge des Autochtones convertis et la promotion des politiques des Français à Québec, pour qui les Abénaquis constituent une barrière importante entre le territoire français et le territoire anglais. Après la conquête britannique de Port-Royal en 1710, les missionnaires se …
Binasco, Matteo. French Missionaries in Acadia/Nova Scotia, 1654-1755. On a Risky Edge (Cham [Suisse], Palgrave Macmillan, 2022), 230 p.
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Jeffers Lennox
Université Wesleyan
Traduit de l’anglais
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